ACTE III


PREMIER TABLEAU 

Le Cours-la-Reine

Scène Première

(Le promenade du Course-la Reine un jour de fête
 populaire. Entre les grands arbres, des boutiques
 de divers marchands: Modistes, marchands 
de jouets, saltimbanques, marchand de 
chansons, etc. A droite, l'enseigne d'un bal.
Grand Mouvement au Lever du Rideau. 
Des marchands, et des marchandes poursuivent 
des passants, seigneurs, bourgeois et bourgeoises,
 en leur offrant toutes sortes d'objets.) 

LES VENDEURS 
Voyez mules à fleurettes!
Fichus et coqueluchons! 

UNE MARCHANDE 
Rouge, mouches et manchettes! 

UN MARCHAND DE CHANSONS 
Achetez-moi mes chansons! 

MARCHANDS 
(ténors) 
Billets pour la loterie 

(basses) 

Rubans, cannes et chapeaux! 

UN MARCHAND 
Poudre, râpes à tabac. 

UN MARCHAND D'ELIXIR 
Elixir pour l'estomac! 

UN CUISINIER 
Il est temps qu'on se régale!
Ma cuisine est sans égale! 

MODISTES 
Bonnets, paniers, collerettes!
Gaze, linon et manchons!
Bonbons et pâtisserie!
Jouets, balles et sabots!
Fichus et coqueluchons! 

UNE MARCHANDE 
Plumes, et fines aigrettes!
Rouge, mouches et manchettes! 

UNE MODISTE 
Voyez mules à fleurettes! 

MARCHANDS 
Billets pour la loterie!
Rubans, cannes et chapeaux! 

BOURGEOIS ET BOURGEOISES 
(Les Marchands avec la foule) 
C'est fête au Cours-la-Reine!
On y rit, on y boit à la santé du Roi!
On y rit, on y boit
Pendant une semaine!
On y rit on y boit à la santé du Roi!
C'est fête au Cours-la-Reine!
On y boit à la santé du Roi! 

(Poussette et Javotte sortent du bal 
Deux petits clercs qui paraissaient 
Chercher dans la foule les aperçoivent 
et sur un signe d'elles courent à leur 
rencontre. Rosette paraît à son tour. 
Musique de bal dans le lointain.) 

POUSSETTE ET JAVOTTE 
La charmante promenade,
Ah! que ce séjour est doux... Que c'est bon! 
que c'est bon une escapade,
Loin des regards d'un jaloux! 

POUSSETTE 
(aux pettits clercs avec prècaution)
C'est entendu! 

JAVOTTE 
Tenez-vous bien! 

ROSETTE 
Un mot pourrait nous compromettre! 

POUSSETTE 
C'est entendu! 

JAVOTTE 
Mon coeur veut bien tout vous promettre! 

POUSSETTE 
Tout! 

ROSETTE 
Mais que Guillot n'en sache rien! 

POUSSETTE ET JAVOTTE 
Mais que Guillot n'en sache rien! Rien! 

JAVOTTE 
Rien! 

POUSSETTE 
Rien! 

POUSSETTE ET JAVOTTE 
(changeant de ton) 
La charmante promenade.
Ah! que ce séjour est doux! Que c'est bon! 
que c'est bon une escapade,
Loin des regards d'un jaloux! 

POUSSETTE 
Que c'est bon! 

JAVOTTE 
La charmante promenade! 
Que c'est bon! 

POUSSETTE 
La charmante promenade. 

POUSSETTE ET JAVOTTE 
Loin des regards d'un jaloux! 
que c'est bon! 

(Poussette et Javotte rentrent 
dans le bal. Rosette s'est éloignée.) 

MODISTES 
Voyez mules à fleurettes!
Fichus et coqueluchons! 

UNE MARCHANDE 
Rouge, mouches et manchettes! 

UN MARCHAND DE CHANSONS 
Achetez-moi mes chansons!

UN MARCHAND 
Poudre, rapes à tabac! 

MARCHANDS 
Billets pour la loterie!
Rubans, cannes et chapeaux! 

MARCHAND D'ELIXIR 
Elixir pour l'estomac! 

UN CUISINIER 
Il est temps qu'on se régale! 

BOURGEOISES ET BOURGEOIS 
(Les Marchands avec la foule) 
C'est fête au Cours-la-Reine!
On y rit, on y boit à la santé du Roi! 

(Marchandes et Marchands poursuivant 
Lescaut entre la foule.) 

Scène Seconde

LES VENDEURS
Tenez, monsieur!
Tenez, monsieur!
Prenez, monsieur! choisissez!
Prenez! Choisissez! 

LESCAUT 
Choisir! Et pourquoi? Donnez encore!
Ce soir, j'achète tout!
C'est pour la beauté que j'adore,
Je m'en rapporte à votre goût, a votre goût! 

(Il prend tous les objets qu'on lui donne
et paie tout le monde)

BOURGEOISES ET BOURGEOIS 
Tenez! monsieur, tenez, prenez! 

LESCAUT 
A quoi bon l'économie
Quand on a trois dés en main,
Et que l'on sait le chemin
De l'hôtel de Transylvanie!
A quoi bon! à quoi bon l'économie! 
A quoi bon! à quoi bon l'économie!

BOURGEOISES & BOURGEOIS 
Tenez! monsieur, tenez, prenez! 

LESCAUT 
(montrant qu'il a les bras remplis de ses achats)
Assez! Assez! 

(avec sentiment) 

O Rosalinde,
Il me faudrait gravir le Pinde,
Pour te chanter comme il convient!
Que sont les sultanes de l'Inde
Et les Armide et les Clorinde,
Près de toi, que sont elles?
Rien... rien du tout!
Rien du tout!
Ô ma Rosalinde, 
Je veux gravir le Pinde
Pour te chanter comme il convient!
Ma Rosalinde! Ma Rosalinde! Ma Rosalinde!

Choisir! choisir! non, ma foi!
A quoi bon l'économie,
Quand on a trois dés en main
Et que l'on sait le chemin
De l'hôtel de Transylvanie!
A quoi bon! à quoi bon l’économie! 

(avec sentiment) 

Approchez!
Ô belles! approchez!
J'offre un bijou... J'offre un bijou.
J'offre un bijou pour deux baisers! 

(Sortie de Lescaut. Mouvement dans la foule. 
Poussette, Javotte et Rosette sortent du bal.) 

Scène Troisième

GUILLOT 
(les apercevant) 
Bonjour Poussette! 

POUSSETTE 
(avec un cri) 
Ah! ciel! 

GUILLOT 
Bonjour, Javotte! 

JAVOTTE 
(de même, elles se sauvent) 
Ah! Dieu! 

GUILLOT 
Bonjour, Rosette! 

ROSETTE 
(Se sauvant)
Ah! 

GUILLOT 
Morbleu! Elles me plantent là! 
coquine! Péronnelle!
Et j'en avais pris trois... 
pourtant il me semblait
Pourvoir compter, si l'une me trompait,
Qu'une autre au moins serait fidèle... 
La femme est, je l'avoue, un méchant animal! 

BRÉTIGNY 
(qui est entré sur ces dernières paroles) 
Ah! Ah! Pas mal, Guillot, ce mot là n'est pas mal! 
Mais il n'est pas de vous! 

(Guillot le regarde avec fureur.) 

Dieu! Quel sombre visage!
Dame Javotte, je le gage
Vous aura fait des traits... 

GUILLOT 
Javotte, c'est fini! 

BRÉTIGNY 
Et Poussette? 

GUILLOT 
Poussette aussi! 

BRÉTIGNY 
Vous voilà libre alors? 

(ironiquement) 

Guillot, je vous en prie
N'allez pas m'enlever Manon! 

GUILLOT 
Vous enlever... 

BRÉTIGNY 
Non, jurez-moi que non! 

GUILLOT 
Laissons cette plaisanterie!
Mais dites-moi, mon cher, on m'a conté
A propos de Manon, que vous ayant prié
De faire venir l'opéra chez elle,
Vous avez, en dépit des larmes de la belle,
Répondu: Non, 

BRÉTIGNY 
C'est très vrai; la nouvelle
Est exacte 

GUILLOT 
Il suffit; souffrez que je vous quitte.
Pour un instant,... mais je reviendrai vite. 

(Il sort en se frottant les mains et en fredonnant) 

Dig et dig et don!
Dig et dig et don!
On te la prendre ta Manon!
Dig et dig et don!
On te la prendre ta Manon! 

(Les Promeneurs et les Marchands reviennent.) 

Scène Quatrième

MARCHANDES, MARCHANDS, 
BOURGEOISES, ET BOURGEOIS 
Voici les élégantes!
Les belles indolentes!
Maîtresses des coeurs
Aux regards vainqueurs! 

(Pendant ce temps, Brétigny s'est avancé avec
quelques seigneurs de ses amis et a aidé Manon
à descendre de sa chaise.) 

BOURGEOIS 
(Entr'eux) 
Quelle est cette princesse? 

MARCHANDS 
(de même) 
C'est au moins une Duchesse! 

MARCHANDES 
(aux promeneurs) 
Eh! Ne savez-vous pas son nom?
C'est Manon! 

MARCHANDS, BOURGEOIS, 
MARCHANDES ET BOURGEOISES 
Voici les élégantes!
Les belles indolentes, 
Maîtresses des coeurs
Aux regards vainqueurs! 

BRÉTIGNY 
(à Manon) 
Ravissante Manon! 

LES SEIGNEURS 
(avec empressement) 
Ravissante Manon! 

MANON 
Suis-je gentille ainsi? 

BRÉTIGNY ET LES SEIGNEURS 
Adorable! Divine! Divine! 

MANON 
Est-ce vrai? grand merci! 

(avec coquetterie) 

Je consens, vu que je suis bonne,
A laisser admirer ma charmante personne! 

(avec impertinence et gaieté) 

Je marche sur tous les chemins,
Aussi bien qu'une souveraine,
On s'incline, on baise ma main,
Car par la beauté je suis reine!
Je suis reine!

Mes chevaux courent à grands pas.
Devant ma vie aventureuse,
Les grands s'avancent chapeau bas... 
Je suis belle, je suis heureuse!
Je suis belle!

Autour de moi tout doit fleurir!
Je vais à tout ce qui m'attire!
Et, si Manon devait jamais mourir,
Ce serait, mes amis, dans un éclat de rire!
Ah! Ah! Ah! Ah! 

BRÉTIGNY, LES SEIGNEURS 
Bravo! Bravo! Manon! Bravo!

MANON
Ah! Ah! Ah!
Obéissons quand leur voix appelle
Aux tendres amours,
Toujours, toujours, toujours,
Tant que vous êtes belle, 
usez sans les compter vos jours, tous vos jours!

Profitons bien de la jeunesse,
Des jours qu'amène le printemps;
Aimons, rions, chantons sans cesse,
Nous n'avons encor que vingt ans! 

BRÉTIGNY ET LES SEIGNEURS 
(Brétigny avec les basses) 
Profitons bien de la jeunesse!

MANON 
Profitons bien de la jeunesse,
Aimons, rions, chantons sans cesse,
Nous n'avons encor que vingt ans! 

BRÉTIGNY ET LES SEIGNEURS 
Profitons bien de la jeunesse!
Rions! Ah! ah! 

MANON
(en riant) 
Ah! ah!
Le coeur, hélas! le plus fidèle,
Oublie en un jour l'amour,
L'amour... L'amour,
Et la jeunesse ouvrant son aile a disparu sans retour.
Sans retour.

Profitons bien de la jeunesse,
Bien court est le printemps!
Aimons, chantons, rions sans cesse,
Nous n'aurons pas toujours vingt ans! 

BRÉTIGNY ET LES SEIGNEURS 
Profitons bien de la jeunesse!

MANON 
Profitons bien de la jeunesse!
Aimons, chantons, rions sans cesse,
Profitons bien de nos  vingt ans ! Ah! Ah!

BRÉTIGNY ET LES SEIGNEURS
Profitons bien de la jeunesse!
Aimons, chantons, rions sans cesse,
Profitons bien de nos  vingt ans ! Ah! Ah!

MANON
(à Brétigny) 
Et maintenant... restez seul un instant.
Je veux faire ici quelque emplette... 

BRÉTIGNY 
(galamment) 
Avec vous disparaît tout l'éclat de la fête!
Ravissante Manon!
Avec vous disparaît tout l'éclat de la fête! 

MANON 
Une fadeur! 
C'est du dernier galant!
On n'est pas grand Seigneur sans être un peu poète! 

(Manon s'éloigne et se dirige vers les 
petites boutiques du fond, escortée des 
curieux qui sortent peu à peu.) 

PROMENEURS, MARCHANDS 
ET MARCHANDES 
Voici les élégantes!
Les belles indolentes!
Maîtresses des coeurs!
Aux regards vainqueurs! 

LA MOITIE 
(en s'éloignant) 
Les élégantes... 

ENCORE MOINS 
(de même) 
Les élégantes! 

UN MARCHAND 
(au loin) 
Poudre, rapes à tabac! 

Scène Cinquième

BRÉTIGNY 
Je ne me trompe pas, le Comte Des Grieux... 

LE COMTE 
Monsieur de Brétigny? 

BRÉTIGNY 
Moi-même,
C'est à peine si je puis en croire mes yeux!
Vous, à Paris? 

LE COMTE 
C'est mon fils qui m'amène.

BRÉTIGNY 
Le Chevalier? 

LE COMTE 
Il n'est plus Chevalier,
C'est l'abbé Des Grieux qu'à présent il faut dire 

MANON 
(qui s'est rapprochée tout en feignant 
de parler à un marchand) 
Des Grieux! 

BRÉTIGNY 
Abbé! Lui! Comment! 

LE COMTE 
Le Ciel l'attire!
Dans les ordres, il veut entrer.
Il est à St. Sulpice, et ce soir en Sorbonne,
Il prononce un discours. 

(Manon s'éloigne après avoir 
entendu ces derniers mots)

BRÉTIGNY 
(souriant) 
Abbé! Cela m'étonne, un pareil changement... 

LE COMTE 
(souriant aussi) 
C'est vous qui l'avez fait,
En vous chargeant de briser net
L'amour qui l'attachait à certaine personne... 

BRÉTIGNY 
(montrant Manon qui est au fond) 
Plus bas! 

LE COMTE 
C'est elle? 

BRÉTIGNY 
Oui, c'est Manon. 

LE COMTE 
(gouailleur) 
Je devine alors la raison
Qui vous fit, avec tant de zèle,
Prendre les intérêts de mon fils... 

(voyant Manon qui se rapproche) 

Mais, pardon! Elle veut vous parler... 

(Il salue et s'éloigne un peu, à part) 

Elle est vraiment fort belle! 

MANON 
(à Brétigny) 
Je voudrais, mon ami, avoir un bracelet pareil à 
celui-ci...
Je ne puis le trouver... 

BRÉTIGNY 
C'est bien, je vais moi-même... 

(Il salue Le Comte et sort.) 

LE COMTE 
(à part) 
Elle est charmante et je comprends qu'on l'aime! 

Scène Sixième

MANON 
(au Comte, avec embarras) 
Pardon! Mais j'étais là... près de vous, à deux pas...
J'entendais malgré moi...
Je suis très curieuse... 

LE COMTE 
(souriant) 
C'est un petit défaut... très petit... ici-bas... 

(saluant, voulant s'éloigner) 

Madame! 

MANON 
(se rapprochant) 
Il s'agissait... d'une histoire... amoureuse? 

LE COMTE 
(étonné) 
Mais oui... 

MANON 
(contenant son émotion) 
C'est que je crois...
Pardonnez-moi, je vous en prie
Je crois... que cet abbé Des Grieux... autrefois... 
aimait... 

LE COMTE 
Qui donc? 

MANON 
Elle était mon amie 

LE COMTE 
Ah! très bien. 

MANON 
(avec une émotion croissante) 
Il l'aimait... 
et je voudrais savoir...
Si sa raison sortit victorieuse...
Et si, de l'oublieuse
Il a pu parvenir
A chasser de son coeur... le cruel souvenir? 

LE COMTE 
(légèrement et cependant avec expression) 
Faut-il donc savoir tant de choses?
Que deviennent les plus beaux jours? 
Où vont les premières amours?
Où vole le parfum des roses? 

MANON 
(à part) 
Mon Dieu! Mon Dieu!
Donnez-moi le courage
De tout oser lui demander!
Mon Dieu! Mon Dieu!
Donnez-moi le courage
De tout oser lui demander! 

LE COMTE 
Ignorer n'est-il pas plus sage,
Au passé pourquoi s'attarder? 

MANON 
Un mot encore!...
A-t-il souffert de son absence?
Vous a-t-il dit parfois son nom? 

LE COMTE 
(la regardant fixement) 
Ses larmes coulaient en silence. 

MANON 
(très émue) 
L'a-t-il maudite, en pleurant? 

LE COMTE 
Non! 

MANON 
Vous a-t-il dit que la parjure
L'avait aimé? 

LE COMTE 
(après avoir hésité) 
Son coeur, guéri de sa blessure,
S'est refermé! 

MANON 
Mais depuis? 

LE COMTE 
(légèrement et avec intention) 
Il a fait ainsi que votre amie,
Ce que l'on doit faire ici bas,
Quand on est sage,
N'est ce pas?
On oublie! 

MANON 
(douloureusement) 
On oublie! 

(Le Comte salue respectueusement et se retire. 
À elle-même) 

... on oublie! 

(Variante pour les Théâtres qui n'ont pas de Ballet) 

MANON 
(revenant subitement à elle) 
Non, sa vie à vie à la mienne est pour jamais liée...
Il ne peut m'avoir oubliée! 

(Elle se dispose à partir lorsqu'elle aperçoit Lescaut 
donnant le bras à Rosalinde et entrant en scène 
suivi de la foule. S'adresse à Lescaut.) 

Ma chaise, mon Cousin? 

LESCAUT 
(quittant le bras de Rosalinde et s'avançant 
avec empressement) 
On faut-il vous porter, Cousine? 

MANON 
À St. Sulpice! 

LESCAUT 
(stupéfait) 
A St. Sulpice! Quel est ce bizarre caprice? 
Pardonnez-moi de vous faire répéter... à St. Sulpice? 

MANON 
(résolument et remontant pour sortir) 
A St. Sulpice! 

(Elle sort suivie de Lescaut qui fait de grands 
gestes d'étonnement. La foule des seigneurs, dames 
élégantes, promeneurs et marchants revient. Entrent 
 Brétigny, Guillot puis Lescaut, accompagnés
de plusieurs amis. Les passages suivants sont parlés) 

Scène Septième

BRÉTIGNY 
Répondez-moi, Guillot! 

(On rit.) 

GUILLOT 
Jamais!
Mais rira bien qui rira le dernier! 

BRÉTIGNY 
Monsieur de Morfontaine, vous allez tout me dire! 

GUILLOT 
A vous, mon ami, rien! 

(se tournant vers Manon) 

Mais à vous, ô ma Reine! 

BRÉTIGNY 
Plaît-il? 

GUILLOT 
Eh bien! Oui...l'Opéra que vous lui refusiez...
Il sera dans un instant... ici. 

(Mouvement dans la foule.) 

BRÉTIGNY 
Je dois rendre les armes! 

(à Manon) 

Manon, vous êtes triste! 

MANON 
Oh! non! 

BRÉTIGNY 
On dirait que des larmes... 

MANON 
Folie! 

GUILLOT 
(à Manon) 
Allons, Manon, 
Approchez, s'il vous plaît, 

(avec importance) 

On va danser pour vous notre nouveau ballet! 

(à Lescaut) 

Lescaut, venez! 

LESCAUT 
(vivement empressé) 
Je suis là pour vous plaire... 

GUILLOT 
Veillez... le tout est à mes frais, 
A ce qu'on donne à boire au populaire... 

(tirant sa bourse) 

Combien? 

LESCAUT 
(prenant la bourse et s'éloignant) 
Nous compterons après! 

SEIGNEURS, PROMENEURS, 
MARCHANDS ET BRÉTIGNY 
Voici l'Opéra! Voici l'Opéra! 
Voici l'Opéra! L'Opéra!

PREAMBULE: La Présentation 

BRÉTIGNY, SEIGNEURS ET BOURGEOIS 
L'Opéra! Voici l'Opéra!
Tout Paris... tout Paris.. 
en parlera! En parlera!
C'est le ballet de l'Opéra! 

(Entr’eux) 

C'est un plaisir... c'est un plaisir... etc.
de souveraine! de souveraine! etc.
Et son rival...  enragera! etc
L'ami Guillot... se ruinera! etc
Avoir fait venir l'Opéra!

GUILLOT 
(à part, avec joie) 
C'est un plaisir de souveraine!
Avoir fait venir l'Opéra
Et son ballet au Cours-la-Reine! 

(En imitant le mouvement des danseurs) 

Mon rival enragera!
Il enragera! 

BRÉTIGNY, SEIGNEURS ET BOURGEOIS 
L'Opéra! Voici l'Opéra!
Tout Paris... tout Paris.. 
en parlera! En parlera!
C'est le ballet de l'Opéra! 

BALLET 

MANON 
(à part, à elle-même, troublée) 
Non... sa vie à la mienne est pour jamais liée!
Il ne peut m'avoir oubliée... 

(voyant Lescaut près d'elle) 

ma chaise, mon cousin... 

LESCAUT 
Où faut-il vous porter cousine? 

MANON 
À St. Sulpice! 

LESCAUT 
Quel est ce bizarre caprice?
Pardonnez-moi de faire répéter...
À St. Sulpice? 

MANON 
À St. Sulpice! 

GUILLOT 
Eh bien, maîtresse de ma vie qu'en dites-vous? 

MANON 
Je n'ai rien vu! 

GUILLOT 
(stupéfait) 
Rien vu!... voilà le prix de ma galanterie! 
Est-ce là ce qui m'était dû? 

(Variante pour les Théâtres qui n'ont pas de ballet
Recommence ici.)

LA FOULE 
C'est fête au Cours-la-Reine!
On y danse, On y boit à la santé du Roi!
A la santé du Roi! 

(Le Choeur continue rideau baissé.) 

DEUXIÈME TABLEAU 


La parloir du séminaire de St. Sulpice

Scène Première

(Grand Orgue derrière le rideau baissé. 
Grandes Dames et Bourgeoises dévotes 
sortant de la chapelle du séminaire.) 

CHOEUR DES DAMES 
(entr'elles, parlant de Des Grieux) 
Quelle éloquence!
Quelle abondance! Etc
L'admirable orateur! Etc
Le grand prédicateur! Etc
Quelle éloquence!
Et dans sa voix quelle douceur!
Quelle douceur, et quelle flamme!
Comme en l'écoutant... 
La ferveur pénètre doucement 
jusqu'au fond de nos âmes!
Ah! Ah! Quel orateur!
L'admirable orateur
Le grand prédicateur!
De quel art divin, etc
Il A dans sa thèse. etc
Peint Saint Augustin, etc
Et Sainte Thérèse!
Lui-même est un Saint!
C'est un fait certain! Un saint!
N'est-ce pas, ma chère?
C'est un Saint, etc
C'est certain, etc
C'est un Saint! un saint!

(Des Grieux paraît. Les dévotes, 
entr'elles, avec dévotion.) 

C'est Lui! c'est l'abbé Des Grieux 
Voyez comme il baisse les yeux! 

(Les dévotes et les fidèles sortent 
peu à peu après avoir salué Des 
Grieux avec de profondes révérences. Le
passage suivant est parlé) 

Scène Seconde

LE COMTE DES GRIEUX 
Bravo, mon cher, succès complet!
Notre maison doit être fière
D'avoir parmi les siens un nouveau Bossuet. 

DES GRIEUX 
De grâce, épargnez-moi, mon père!. 

(Silence) 

LE COMTE 
Et, c'est pour de bon, chevalier, 
Que tu prétends au ciel pour jamais te lier? 

DES GRIEUX 
Oui, Je n'ai trouvé dans la vie
Qu'amertume et dégoût... 

LE COMTE 
(Avec une légère ironie) 
Les grands mots que voilà!
Quelle route as-tu donc suivie,
Et que sais-tu de cette vie
Pour penser qu'elle finit là?

Epouse quelque brave fille,
Digne de nous, digne de toi,
Deviens un père de famille
Ni pire, ni meilleur que moi,
Le ciel n'en veut pas davantage;
C'est là le devoir, entends-tu?
C'est là le devoir,
La vertu qui fait du tapage
N'est déjà plus de la vertu!
Epouse quelque brave fille,
Digne de nous, digne de toi,
Le ciel n'en veut pas davantage;
C'est là le devoir, c'est là le devoir! 

DES GRIEUX 
Rien ne peut m'empêcher
De prononcer mes voeux! 

LE COMTE 
C'est dit alors? 

DES GRIEUX 
Oui, je le veux! 

LE COMTE 
Soit! Je franchirai donc seul cette grille, 
Et vais leur annoncer là-bas
Qu'ils ont un Saint dans la famille...
J'en sais beaucoup qui ne me croiront pas! 

DES GRIEUX 
Ne raillez pas, Monsieur, je vous en prie! 

LE COMTE 
(ému) 
Un mot encore! Comme il n'est pas certain
Que l'on te donne ici, du jour au lendemain,
Un bénéfice, une abbaye...
Je vais dès ce soir t'envoyer
Trente mille livres... 

DES GRIEUX 
Mon père... 

LE COMTE 
C'est à toi, c'est ta part
Sur le bien de ta mère;
Et maintenant... adieu, mon fils, 

DES GRIEUX 
Adieu mon père! 

LE COMTE 
Adieu... reste à prier! 

(Il sort)

Scène Troisième

DES GRIEUX 
(seul) 
Je suis seul!
Seul enfin!
C'est le moment suprême! 

(calme) 

Il n'est plus rien que j'aime
Que le repos sacré que m'apporte la foi!
Oui, j'ai voulu mettre Dieu même
Entre le monde et moi! 

(très calme) 

Ah! fuyez, douce image, à mon âme trop chère;
Respectez un repos cruellement gagné,
Et songez, si j'ai bu dans une coupe amère,
Que mon coeur l'emplirait de ce qu'il a saigné!
Ah! fuyez! fuyez! loin de moi!
Ah! fuyez!

Que m'importe la vie et ce semblant de gloire?
Je ne veux que chasser du fond de ma mémoire... 
Un nom maudit! ce nom... qui m'obsède et 
pourquoi? 

LE PORTIER DU SEMINAIRE 
C'est l'office! 

DES GRIEUX 
(à lui-même) 
J'y vais!
Mon Dieu!
De votre flamme
Purifiez mon âme...
Et dissipez à sa lueur
L'ombre qui passe encor dans le fond de mon coeur!

Ah! fuyez, douce image, à mon âme trop chère! 
Ah! fuyez! fuyez! loin de moi!
Ah! fuyez! loin de moi! loin de moi! 

(cloche lointaine) 

Scène Quatrième

LE PORTIER DU SEMINAIRE 
Il est jeune... et sa foi
Semble sincère... il a fait grand émoi
Parmi les plus belles
De nos fidèles! 

(Manon paraît.) 

Scène Cinquième

MANON 
(avec effort) 
Monsieur... je veux parler... à... l'Abbé... Des Grieux! 

LE PORTIER DU SEMINAIRE 
Fort bien! 

MANON 
(lui donnant de l'argent) 
Tenez! 

(Le Portier de Séminaire salue et sort.) 

Scène Sixième

Ces murs silencieux...
Cet air froid qu'on respire...
Pourvu que tout cela n'ait pas changé son coeur!
Devenu sans pitié pour une folle erreur
Pourvu qu'il n'ait pas appris à maudire! 

VOIX DANS LA CHAPELLE 
DU SEMINAIRE 
(dans le lointain) 
Magnificat anima mea
Dominum,
Et exultavit spiritus meus. 

MANON 
(écoutant) 
Là-bas... on prie... Ah!... je voudrais prier!
Pardonnez-moi,
Dieu de toute puissance,
Pardonnez-moi,
Dieu de toute puissance,
Car si j'ose vous supplier,
En implorant votre clémence,
Si ma voix de si bas... peut monter jusqu'aux cieux... ah! 

(très expressif) 

C'est pour vous demander le coeur de Des Grieux! 
Pardonnez-moi, mon Dieu! pardonnez-moi, mon Dieu! 

VOIX DANS LA CHAPELLE 
DU SÉMINAIRE 
In Deo Salutari meo,
Salutari meo. 

(Des Grieux entre par le fond.) 

Scène Septième

MANON 
(avec angoisse) 
C'est lui! 

(Manon se détourne, elle est prête à 
défaillir. Des Grieux s'avance.) 

DES GRIEUX 
Toi! 

(presque parlé) 

Vous! 

MANON 
Oui... c'est moi!... c'est moi!
Oui! c'est moi! 

DES GRIEUX 
Que viens tu faire ici?
Va-t'en! Va-t'en!
Eloigne-toi! 

MANON 
(douloureux et suppliant) 
Oui! Je fis cruelle et coupable!
Mais rappelez-vous tant d'amour!
Ah! dans ce regard qui m'accable
Lirai-je mon pardon, un jour? 

DES GRIEUX 
Eloigne-toi! 

MANON 
Oui! Je fus cruelle et coupable!
Ah! rappelez-vous tant d'amour!
Rappelez-vous tant d'amour! 

DES GRIEUX 
Non! j'avais écrit sur le sable
Ce rêve insensé d'un amour
Que le ciel n'avait fait durable
Que pour un instant, 

(avec amertume) 

pour un jour! 

MANON 
Oui! je fus coupable!
Oui! je fus cruelle... 

DES GRIEUX 
J'avais écrit sur le sable...
C'était un rêve
Que le ciel n'avait fait durable
Que pour un instant pour un jour!
Ah! perfide Manon! 

MANON
(se rapprochant) 
Si je me repentais... 

DES GRIEUX 
Ah! perfide! perfide! 

MANON 
Est-ce que tu n'aurais pas de pitié? 

DES GRIEUX 
(l'interrompant) 
Je ne veux pas vous croire...
Non! Vous êtes sortie enfin de ma mémoire...
Ainsi que de mon coeur! 

MANON
(avec des larmes) 
Hélas! Hélas! l'oiseau qui fuit 
Ce qu'il croit l'esclavage
Le plus souvent la nuit,
D'un vol désespéré revient battre au vitrage! 
Pardonne moi! 

DES GRIEUX 
No! 

MANON 
Je meurs à tes genoux... 

(avec élan et désespoir) 

Ah! rends moi ton amour si tu veux que je vive! 

DES GRIEUX 
Non! il est mort pour vous! 

MANON 
L'est il donc à ce point que rien ne le ravive!
Ecoute-moi!
Rappelle-toi! 

(avec un grand charme et très caressant) 

N'est-ce plus ma main que cette main presse? 
N'est-ce plus ma voix?
N'est-elle pour toi plus une caresse,
Tout comme autrefois?
Et ces yeux, jadis pour toi pleins de charmes,
Ne brillent-ils plus à travers 

(avec un sanglot) 

mes larmes? 

(très ému et haletant) 

Ne suis-je plus moi?
N'ai-je plus mon nom?
Ah! regarde-moi! Regarde-moi!
N'est-ce plus ma main que cette main presse,
Tout comme autrefois?
N'est-ce plus ma voix? 
n'est-ce plus Manon!
Rappelle-toi...
N'est-ce plus ma main? Ecoute-moi:
N'est-ce plus ma voix?
N'ai-je plus mon nom?
N'est-ce plus Manon? 

DES GRIEUX 
(dans le plus grand trouble) 
O Dieu! Soutenez moi dans cet instant suprême... 

MANON 
Je t'aime! 

DES GRIEUX 
Ah! Tais-toi!
Ne parle pas d'amour ici.. C'est un blasphème... 

MANON 
Je t'aime! 

DES GRIEUX 
Ah! Tais-toi!
Ne parle pas d'amour! 

MANON 
(enfiévrée) 
Je t'aime! 

(Cloche lointaine) 

DES GRIEUX 
(écoutant, avec angoisse) 
C'est l'heure de prier... 

MANON 
Non! Je ne te quitte pas! 

DES GRIEUX 
On m'appelle là-bas... 

MANON 
Non! Je ne te quitte pas!
Viens! 

(avec fièvre) 

N'est-ce plus ma main que cette main presse,
Tout comme autrefois? 

DES GRIEUX 
(éperdu peu à peu) 
Tout comme autre fois! 

MANON 
Et ces yeux, jadis, pour toi pleins de charmes, 
N'est-ce plus Manon? 

DES GRIEUX 
Tout comme autrefois...
Tout comme autrefois... 

MANON 
Ah! Regarde-moi!
Ne suis-je plus moi?
N'est-ce plus Manon? 

DES GRIEUX 
(avec élan) 
Ah! Manon!
Je ne veux plus lutter contre moi même! 

MANON 
(avec un cri de joie) 
Enfin! 

DES GRIEUX 
Et dussé-je sur moi faire crouler les cieux...
Ma vie est dans ton coeur,
Ma vie est dans tes yeux... 

(avec exaltation et abandon) 

Ah! Viens! Manon 
Je t'aime! 

MANON & DES GRIEUX 
(avec ardeur) 
Je t'aime! 

RIDEAU 
ACTO III


CUADRO PRIMERO 

Cours-la-Reine

Escena Primera

(El paseo de Cours-la-Reine un día de fiesta. 
Entre los árboles, unas tiendas de diversos
vendedores: modistas, vendedores de juguetes,
saltimbanquis, vendedores de canciones,
etc. A la derecha, el rótulo anunciando un
baile. Gran movimiento de gente al levantarse 
el telón. Unos vendedores y unas vendedoras 
persiguen a los paseantes, señores y burgueses,
ofreciéndoles toda clase de objetos)

LOS VENDEDORES
¡Mirad zapatillas con florecitas!
¡Toquillas y capuchas!

UNA VENDEDORA
¡Rojos, pañuelos y puños!

UN POETA
¡Compradme mis canciones!

VENDEDORES
(tenores)
Décimos de lotería

(Bajos)

¡Cintas, bastones y sombreros!

UN VENDEDOR
¡Polvo, picadura de tabaco!

UN CURANDERO
¡Remedio para el estómago!

UN COCINERO
¡Es el momento de invitarlo!
¡Mi cocina no tiene igual!

MODISTAS
¡Gorritos, canastillas, encajes!
¡Gasa, lino y manguitos,
bombones y pastelería!
¡Juguetes, pelotas y peonzas!
¡Toquillas y capuchas!

UNA VENDEDORA
¡Plumas y finos penachos!
¡Rojos, pañuelos y puños!

UNA MODISTA
¡Mirad zapatillas con florecitas!

VENDEDORES
¡Décimos de lotería!
¡Cintas, bastones y sombreros!

BURGUESES
(Los vendedores con la gente)
¡Es fiesta en Cours-la-Reine!
¡Se ríe y se bebe a la salud del rey!
¡Se ríe y se bebe
durante toda una semana!
¡Se ríe y se bebe a la salud del rey!
¡Es fiesta en Cours-la-Reine!
¡Se bebe a la salud del rey!

(Poussette y Javotte salen del baile.
Dos pequeños gamines que parecen
buscar entre la gente, las divisan
y a un signo de ellas corren a su
encuentro. Rosette también aparece.
Se oye música de baile a lo lejos)

POUSSETTE,  JAVOTTE
Este paseo es encantador.
¡Ah! ¡Qué lugar tan agradable!... ¡Qué bien se está!
¡Está bien que nos divirtamos,
lejos de las miradas de los envidiosos!

POUSSETTE
(a los gamines, con precaución)
¡De acuerdo!

JAVOTTE
¡Compórtate!

ROSETTE
¡Una sola palabra podría comprometernos!

POUSSETTE
¡Correcto!

JAVOTTE
¡Mi corazón quiere volar libre!

POUSSETTE
¡Libre!

ROSETTE
¡Pero que Guillot no sepa nada!

POUSETTE,  JAVOTTE
¡Pero que Guillot no sepa nada! ¡nada!

JAVOTTE
¡Nada!

POUSSETTE
¡Nada!

POUSSETTE, JAVOTTE
(cambiando el tono)
Qué paseo tan encantador.
¡Ah! ¡Qué lugar tan agradable... ¡Qué bien se está!
¡Está bien que nos divirtamos,
lejos de las miradas de los envidiosos!

POUSSETTE
¡Está bien!

JAVOTTE
¡Qué paseo tan encantador!
¡Qué bien se está!

POUSSETTE
¡Qué paseo tan encantador!

POUSSETTE Y JAVOTTE
¡Lejos de las miradas de los envidiosos!
¡Qué bien se está!

(Poussette y Javotte vuelven a entrar
en el baile. Rossette se aleja)

MODISTAS
¡Mirad zapatillas con florecitas!
¡Toquillas y capuchas!

UNA VENDEDORA
¡Rojos, pañuelos y puños!

UN POETA
¡Compradme mis canciones!

UN VENDEDOR
¡Polvo, picadura de tabaco!

VENDEDORES
¡Décimos de lotería!
¡Cintas, bastones y sombreros!

UN CURANDERO
¡Remedio para el estómago!

UN COCINERO
¡Es el momento de invitarlo!

BURGUESES
(Los vendedores con la gente)
¡Es fiesta en Cours-la-Reine!
¡Se ríe y se bebe a la salud del rey!

(Vendedores y vendedoras persiguiendo
a Lescaut entre la gente)

Escena Segunda

LOS VENDEDORES
¡Tened, Señor!
¡Tened, Señor!
¡Tomad, señor! ¡Elegid!
¡Tomad! ¡Elegid!

LESCAUT
¡Elegir! ¿Y por qué? ¡Dad más!
¡Esta noche, lo compro todo!
Es para la belleza que adoro,
¡Me fio de vuestro gusto, a vuestro gusto!

(Toma todos los artículos que se le
ofrecen y los paga generosamente)

BURGUESES
¡Tened, señor, tened, tomad!

LESCAUT
¡Qué buena economía
cuando se tienen unos dados en la mano,
y se conoce el camino
del hotel Transilvania!
¡Qué derroche! ¡Qué buena economía!
¡Qué derroche! ¡Qué buena economía!

BURGUESES
¡Tened, señor, tened, tomad!

LESCAUT
(mostrando las manos llenas)
¡Basta! ¡Basta!

(Con sentimiento)

¡Oh, Rosalinda!
¡Me gustaría poder escalar el monte Pindo,
para ser capaz de cantarte como te mereces!
¿Qué son las sultanas de la India
y las Armidas y las Clorindas,
al lado tuyo, qué son ellas?
¡Nada... nada de nada!
¡Nada de nada!
¡Oh, mi Rosalinda!
¡Quisiera escalar el monte Pindo
para ser capaz de cantarte como te mereces!
¡Mi Rosalinda!  ¡Mi Rosalinda! ¡Mi Rosalinda!

¿Elegir? ¿Elegir? ¡No, a fe mía!
¡Qué buena economía
cuando se tienen unos dados en la mano,
y se conoce el camino
del hotel Transilvania!
¡Qué derroche! ¡Qué buena economía!

(Con sentimiento)

¡Acercaos!
¡Oh, hermosas mujeres! ¡Acercaos!
Ofrezco una joya... Ofrezco una joya.
¡Ofrezco una joya por dos besos!

(Sale seguido por los vendedores.
Poussette, Javotte y Rosette salen del baile)

Escena Tercera

GUILLOT
(distinguiéndolas)
¡Buenos días Poussette!

POUSSETTE
(con un grito se aleja)
¡Ah! ¡Cielos!

GUILLOT
¡Buenos días, Javotte!

JAVOTTE
(grita y se aleja)
¡Ah! ¡Dios mío!

GUILLOT
¡Buenos días, Rosette!

ROSETTE
(se aleja)
¡Ah!

GUILLOT
¡Caramba! ¡Ellas me dejan plantado!
¡Pícaras! ¡Mujeres necias y parlanchinas!
Y yo que había quedado con tres...
y de esa forma asegurarme al menos una,
pues si dos fallaban,
la otra me sería fiel...
¡La mujer es, lo reconozco, un animal travieso!

BRÉTIGNY
(que ha entrado con las últimas palabras)
¡Ja, ja! ¡Cierto, Guillot, esas palabras no están mal!
¡Pero no son propias de vos!

(Guillot le mira con furia)

¡Dios mío! ¡Qué mirada tan sombría!
Apuesto a que os ha dejado plantado
la señora Javotte.

GUILLOT
¡Javotte ha acabado!

BRÉTIGNY
¿Y Poussette?

GUILLOT
¡Poussette también!

BRÉTIGNY
¿Estáis libre entonces?

(Con ironía)

Guillot, os lo ruego,
¡no iréis a quitarme a Manón!

GUILLOT
¿Quitaros?...

BRÉTIGNY
¡No, juradme que no!

GUILLOT
¡Dejemos esta broma!
Pero, decidme, querido amigo, me han contado
a propósito de Manón, que os había rogado
que  la representación fuera en su casa,
y que habéis, a pesar de sus lágrimas,
respondido: no.

BRÉTIGNY
Es muy cierto; la noticia
es exacta.

GUILLOT
Es suficiente por ahora; dejadme que os deje
por unos momentos,... pero volveré rápidamente.

(sale frotándose las manos y tarareando)

¡Dig y dig y don!
¡Dig y dig y don!
¡Algún otro tomará a su Manón!
¡Dig y dig y don!
¡Algún otro tomará a su Manón!

(Los paseantes y los vendedores vuelven)

Escena Cuarta

VENDEDORES,
BURGUESES
¡Aquí vienen las mujeres elegantes!
¡Las damas indolentes!
¡Dueñas de los corazones
con sus miradas vencedoras!

(Durante este tiempo, Brétigny se ha adelantado
con algunos señores amigos y ha ayudado a Manón
a bajar de su vehículo)

BURGUESES
(Entre ellos)
¿Quién es esta princesa?

VENDEDORES
(igualmente)
¡Es como mínimo una duquesa!

VENDEDORAS
(a los paseantes)
¡Eh! ¿No sabéis su nombre?
¡Es Manón!

VENDEDORES, BURGUESES,
VENDEDORAS Y BURGUESAS 
¡Aquí vienen las mujeres elegantes!
¡Las damas indolentes!
¡Dueñas de los corazones
con sus miradas vencedoras!

BRÉTIGNY
(A Manón)
¡Encantadora Manón!

LOS SEÑORES
(con diligencia)
¡Encantadora Manón!

MANÓN
¿Estoy bella?

BRÉTIGNY, SEÑORES
¡Adorable! ¡Divina! ¡Divina!

MANÓN
¿Cierto? ¡Muchas gracias!

(Con coquetería)

¡Consiento, puesto que soy tan buena,
en dejar admirar mi encantadora persona!

(Con impertinencia y alegría)

¡Cuando ando por los caminos,
al igual que a una soberana,
todos se inclinan, besando mi mano,
pues soy reina por mi belleza!
¡Soy reina!

Mis caballos corren veloces
ante mi vida aventurera,
los grandes se quitan el sombrero...
¡Soy bella, soy afortunada!
¡Soy bella!

¡Alrededor mío todo debe florecer!
¡Voy a todo lo que me atrae!
¡Y, si Manón no muriera nunca,
esto sería, amigos míos, una carcajada!
¡Ja, ja, ja ,ja!

BRÉTIGNY,  LOS SEÑORES
¡Bravo! ¡Bravo! ¡Manón! ¡Bravo!

MANÓN
¡Ah! ¡Ah! ¡Ah!
Obedeced, cuando su voz llama,
al tierno amor,
siempre, siempre, siempre,
mientras que seais bellas.
¡Aprovechad sin temor todos vuestros días!

Bebamos la juventud,
los días que trae la primavera.
Amemos, riamos, cantemos sin cesar,
¡No tenemos mas que veinte años!

BRÉTIGNY,  LOS SEÑORES
(Brétigny y los bajos)
¡Bebamos la juventud!

MANÓN
¡Bebamos la juventud!
Amemos, riamos, cantemos sin cesar.
¡No tenemos mas que veinte años!

BRÉTIGNY,  LOS SEÑORES
¡Bebamos la juventud!
¡Riamos! ¡Ah! ¡Ah!

MANÓN
(riendo)
¡Ah! ¡Ah!
El corazón ¡ay de mí! aún el más fiel,
olvida en un día el amor,
el amor... el amor.
Y la juventud levantado el vuelo 
desaparece para no volver.

¡Bebamos la juventud!
¡Muy corta es la primavera! 
¡Amemos, cantemos, riamos sin cesar,
no tendremos siempre veinte años!

BRÉTIGNY,  LOS SEÑORES
¡Bebamos la juventud!

MANÓN
¡Bebamos la juventud!
¡Amemos, cantemos, riamos sin cesar,
aprovechemos bien nuestros veinte años! ¡Ja, ja!

BRÉTIGNY,  LOS SEÑORES
¡Bebamos la juventud!
¡Amemos, cantemos, riamos sin cesar,
aprovechemos bien nuestros veinte años! ¡Ja, ja!

MANÓN
(a Brétigny)
Y ahora... quedaos aquí un momento.
Quiero hacer alguna compra...

BRÉTIGNY
(con galantería)
¡Con vos desaparece todo el esplendor de la fiesta!
¡Encantadora Manón!
¡Con vos desaparece todo el esplendor de la fiesta!

MANÓN
¡Eso es una sosería!
¡Es muy poco galante!
¡No se es un gran señor sin ser un poco poeta!

(Manón se aleja y se dirige hacia las
pequeñas tiendas del fondo, rodeada de
curiosos que salen poco a poco)

PASEANTES, VENDEDORES,
VENDEDORAS
¡Aquí vienen las mujeres elegantes!
¡Las damas indolentes!
¡Dueñas de los corazones
con sus miradas vencedoras!

LA MITAD
(alejándose)
La elegantes...

TODAVÍA MENOS
(igualmente)
¡Las elegantes!

UN VENDEDOR
(a lo lejos)
¡Polvo, picadura de tabaco!

Escena Quinta

BRÉTIGNY
No me equivoco, el conde Des Grieux...

EL CONDE
¿Señor de Brétigny?

BRÉTIGNY
Yo mismo.
¡No puedo creer lo que ven mis ojos!
¿Vos en París?

EL CONDE
Es mi hijo quien me trae.

BRÉTIGNY
¿El caballero?

EL CONDE
Ya no es el caballero,
ahora debe ser llamado abate Des Grieux

MANÓN
(que se aproxima fingiendo
hablar a un vendedor)
¡Des Grieux!

BRÉTIGNY
¡Abad! ¡Él! ¿Cómo...?

EL CONDE
¡El Cielo lo llama!
Él quiere entrar en un convento.
Está en San  Sulpicio, y esta noche en la Sorbona,
pronunciará un discurso...

(Manón se aleja después de haber
 oído estas palabras)

BRÉTIGNY
(sonriendo)
¡Abad! Me extraña, un cambio semejante...

EL CONDE
(sonriendo también)
Sois vos quien lo ha conseguido,
cuando se os encargó cortar el amor 
que lo ligaba a cierta persona...

BRÉTIGNY
(señalando a Manón que está en el fondo)
¡Más bajo!

EL CONDE
¿Es ella?

BRÉTIGNY
Sí, es Manón.

EL CONDE
(burlón)
Adivino entonces la razón que os hace,
con tanto celo, 
velar por los intereses de mi hijo...

(viendo que Manón se aproxima)

Pero, ¡perdóneme! Ella quiere hablaros...

(Él saluda y se aleja un poco, para sí)

¡Es verdaderamente muy bella!

MANÓN
(a Brétigny)
Yo querría, amigo mío, 
un brazalete parecido a éste...
No puedo encontrarlo...

BRÉTIGNY
Está bien, yo iré a mirar..

(saluda al conde y sale)

EL CONDE
(para sí)
¡Es encantadora y entiendo que se la ame!

Escena Sexta

MANÓN
(Al conde, con embarazo)
¡Perdón! Pero estaba allí... cerca de vos, a dos pasos...
Escuchaba a pesar mío...
Soy muy curiosa...

EL CONDE
(sonriendo)
Es una pequeña falta... muy pequeña... 

(Saludando, queriéndose alejar)

¡Señora!

MANÓN
(acercándose)
Se trata... de una historia... amorosa.

EL CONDE
(sorprendido)
Pero si...

MANÓN
(conteniendo su emoción)
Es que yo creo...
Perdonadme, os lo ruego.
Yo creo... que ese abate Des Grieux...en otro tiempo...
amaba...

EL CONDE
¿A quién amaba?

MANÓN
A una amiga mía.

EL CONDE
¡Ah! ¡Muy bien!

MANÓN
(con creciente emoción)
Él la amaba... 
y quisiera saber...
si su razón triunfó sobre sus sentimientos...
Y si, al olvidarse,
él ha podido llegar a expulsar de su corazón... 
el cruel recuerdo.

EL CONDE
(con ligereza pero expresivo)
¿Para qué saber tantas cosas?
¿Cuando vendrán los días más bellos?
¿Dónde van los primeros amores?
¿Dónde vuela el perfume de las rosas?

MANÓN
(Para sí)
¡Dios mío! ¡Dios mío!
¡Dame valor para atreverme 
a preguntárselo todo!
¡Dios mío! ¡Dios mío!
¡Dame valor para atreverme 
a preguntárselo todo!

EL CONDE
Ignorarlo es lo más sensato,
¿por qué entretenerse en el pasado?

MANÓN
¡Una palabra más!...
¿Él ha sufrido su ausencia?
¿Os ha dicho su nombre?

EL CONDE
(mirándola fijamente)
Sus lágrimas corrían en silencio.

MANÓN
(Muy emocionada)
Cuando lloró... ¿la maldijo?

EL CONDE
¡No!

MANÓN
¿Él dice que la muchacha que lo traicionó
lo había amado?

EL CONDE
(Después de haber vacilado)
¡Su corazón, curada la herida,
está cicatrizando!

MANÓN
¿Pero después?

EL CONDE
(ligeramente y con intención)
Él se comportó igual que vuestra amiga.
Lo que se debe hacer aquí en la tierra,
cuando se es sabio,
es olvidar.
¿no es cierto?

MANÓN
(dolida)
¡Olvidar!

(El conde saluda respetuosamente y se retira.
Para sí)

...¡Olvidar!

(Variación para los teatros que no tienen Ballet)

MANÓN
(volviendo súbitamente en sí)
No, su vida está ligada a la mía para siempre...
¡Él no puede haberme olvidado!

(Ella se dispone a salir cuando aparece Lescaut
dando el brazo a Rosalinda seguido de la gente. 
Ella se dirige a Lescaut)

 ¿Mi primo?

LESCAUT
(dejando el brazo de Rosalinda y avanzando
con diligencia)
¿Os puedo llevar, Prima?

MANÓN
¡A San Sulpicio!

LESCAUT
(sorprendido)
¡A San Sulpicio! ¿Por qué ese capricho tan raro?
Perdonadme por hacéroslo repetir... ¿a San Sulpicio?

MANÓN
(con resolución y con intención de salir)
¡A San Sulpicio!

(Ella sale seguida de Lescaut que hace grandes
gestos de extrañeza. Vuelve el grupo de señores, 
damas elegantes, paseantes y vendedores. Entran
Brétigny, Guillot y después Lescaut, acompañados
de varios amigos. Los pasajes siguientes son hablados)

Escena Séptima

BRÉTIGNY
¡Respondedme, Guillot!

(Se ríe)

GUILLOT
¡Nunca!
¡Pero quien ríe el último ríe mejor!

BRÉTIGNY
¡Señor de Morfontaine, me lo vais a contar todo!

GUILLOT
A vos, amigo mío, ¡nada!

(Volviéndose a Manón)

Pero a vos, ¡oh, reina mía!

BRÉTIGNY
¿Os agrada?

GUILLOT
¡Pues bien! Sí... la representación que le denegasteis...
se realizará dentro de un momento... aquí.

(Movimiento entre la gente)

BRÉTIGNY
¡Me veo obligado a admitir la derrota!

(A Manón)

¡Manón, estáis triste!

MANÓN
¡Oh! ¡No!

BRÉTIGNY
Se diría que unas lágrimas...

MANÓN
¡Absurdo!

GUILLOT
(A Manón)
Vamos, Manón,
acercaos, por favor,

(Con importancia)

¡Va a bailar para vos nuestro nuevo ballet!

(a Lescaut)

¡Lescaut, venid!

LESCAUT
(muy diligente)
¡Al momento!...

GUILLOT
Tened prudencia... todo corre a mi costa,
usted se encargará de dar de beber a toda esta gente.

(Arrojando su bolsa)

¿Cuánto necesita?

LESCAUT
(tomando la bolsa y alejándose)
¡Haremos cuentas después!

SEÑORES, PASEANTES, 
VENDEDORES Y BRÉTIGNY
¡Viene la Ópera! ¡La Ópera!
¡Viene la Ópera! ¡La Ópera !

PRÓLOGO: La Presentación

BRÉTIGNY, SEÑORES Y BURGUESES
¡La Ópera! ¡Viene la Ópera!
¡Todo París... todo París...
hablará de ella! ¡Hablará de ella!
¡Viene el ballet de la Ópera!

(Entre ellos)

Es un placer... es un placer... etc.
¡Digno de un rey! ¡Digno de un rey! etc.
¡Y su rival... rabiará! etc.
¡El amigo Guillot... se arruinará! etc.
¡Ha hecho venir al ballet de la Ópera!

GUILLOT
(a parte, con alegría)
¡Es un placer propio de un rey!
¡Haber hecho venir al ballet de la Ópera
a Cours-la-Reine!

(Imitando el movimiento de los bailarines)

¡Mi rival rabiará!
¡Sí, rabiará!

BRÉTIGNY, SEÑORES Y BURGUESES
¡La Ópera! ¡Viene la Ópera!
¡Todo París... todo París..
hablará de ella! ¡hablará de ella!
¡Es el ballet de la Ópera!

BALLET

MANÓN
(aparte, para sí, turbada)
¡No!.. Su vida y la mía están unidas para siempre.
Él no puede haberme olvidado...

(Viendo a Lescaut cerca de ella)

¡Mi silla de manos, primo!...

LESCAUT
¿Dónde queréis que os lleve, prima?

MANÓN
¡A San Sulpicio!

LESCAUT
¿Por qué ese capricho tan raro?
Perdonadme por hacéroslo repetir... 
¿A San Sulpicio?

MANÓN
¡A San Sulpicio!

GUILLOT
Y bien, señora de mi vida, ¿qué me decís?

MANÓN
¡No tengo por qué deciros nada!

GUILLOT
(sorprendido)
¡Nada!... ¿Es ésa la recompensa a mi galantería?
¿Es así como me pagáis?

(La variante para los teatros que no presentan
ballet vuelve a comenzar aquí)

LA MULTITUD
¡Es fiesta en  Cours-la-Reine!
¡Allí se baila y se bebe a la salud del rey!
¡A la salud del rey!

(El coro continua después de caer el telón)

CUADRO SEGUNDO 


Locutorio del seminario de San Sulpicio

Escena Primera

(Gran órgano detrás del telón.
Damas y burguesas devotas
saliendo de la capilla del seminario)

CORO DE DAMAS
(entre ellas, hablando de Des Grieux)
¡Qué elocuencia!
¡Qué dominio! etc
¡Admirable orador! etc
¡Gran predicador! etc
¡Qué elocuencia!
¡Y qué voz tan dulce!
¡Qué dulzura, y qué fuego!
¡Escuchándolo...
el fervor penetra dulcemente
hasta el fondo de nuestras almas!
¡Ah! ¡Ah! ¡Qué orador!
¡Orador admirable!
¡Gran predicador!
Con qué divino arte, etc
pinta su tesis. etc
pinta a san Agustín, etc.
y a santa Teresa, etc
¡Él mismo es un santo!
¡Eso es cierto! ¡Un santo!
¿No es así, querida mía?
Es un santo, etc
Eso es cierto, etc
¡Es un santo! ¡Un santo!

(Aparece Des Grieux. Las devotas,
entre ellas, con devoción)

¡Es él! ¡Es el abad Des Grieux!
¡Ved cómo baja los ojos!

(Las devotas y los fieles salen poco
a poco después de haber saludado a Des
Grieux con profundas reverencias. El pasaje 
siguiente es hablado)

Escena Segunda

EL CONDE DES GRIEUX
¡Bravo, querido, un completo éxito!
Nuestra familia puede estar orgullosa
de tener entre los suyos a un nuevo Bousset.

DES GRIEUX
¡Gracias, padre, sobran vuestras alabanzas!

(Silencio)

EL CONDE
Y... ¿es firme, caballero, vuestra intención 
de uniros para siempre al cielo?

DES GRIEUX
Sí, pues no he encontrado en la vida
mas que amargura y disgusto...

EL CONDE
(con ligera ironía)
¡Esas son palabras mayores!
¿Qué camino has seguido,
y qué sabes tú de la vida,
para pensar que acaba ahí?

¡Cásate con alguna honrada muchacha,
digna de nosotros, digna de ti...
llega a ser padre de familia
ni mejor ni peor que yo.
El cielo no espera más de ti;
ése es tu deber, ¿entiendes?...
¡Ése es tu deber!
¡La virtud que hace mucho ruido
no es mejor virtud!
¡Cásate con alguna honrada muchacha,
digna de nosotros, digna de ti!
El cielo no espera más de ti.
¡Ése es tu deber, ése es tu deber!

DES GRIEUX
¡Nada me puede impedir
pronunciar mis votos!

EL CONDE
¿Está todo dicho, entonces?

DES GRIEUX
¡Sí, yo lo quiero de esta manera!

EL CONDE
¡Sea! Cruzaré solo esta verja,
y anunciaré que tienen 
un santo en la familia...
¡Sé que muchos no me creerán!

DES GRIEUX
¡No os burléis, señor, os lo ruego!

EL CONDE
(conmovido)
¡Una palabra más! Como no es seguro que te den, 
de hoy para mañana,
una regalía o una abadía...
Os enviaré esta tarde
treinta mil libras...

DES GRIEUX
Padre...

EL CONDE
Te pertenece, 
es tu parte de la herencia de tu madre;
Y ahora... adiós, hijo mío.

DES GRIEUX
¡Adiós, padre!

EL CONDE
¡Adiós!... Quedaos aquí y rezad.

(Sale)

Escena Tercera

DES GRIEUX
(solo)
¡Estoy solo!
¡Solo al fin!
¡Es el momento supremo!

(Tranquilo)

¡No deseo otra cosa
que el reposo que me proporciona la fe!
¡Sí, he querido poner al mismo Dios
entre el mundo y yo!

(Muy tranquilo)

¡Ah! Huye, dulce imagen, tan querida por mi corazón;
respeta el reposo tan cruelmente ganado,
y piensa, si he bebido una amarga copa,
que mi corazón la llenará con lo que ha sangrado.
¡Ah! ¡Huye! ¡Huye lejos de mí!
¡Ah! ¡Huye!

¿Qué me importa la vida y la apariencia de gloria?
No quiero mas que expulsarlo del fondo de mi memoria...
¡Un nombre maldito! 
Ese nombre... ¡que me persigue!

EL PORTERO DEL SEMINARIO
El oficio va a empezar!

DES GRIEUX
(para sí)
¡Voy!
¡Dios mío!
Que vuestra llama
purifique mi alma...
¡Y disipe con su fulgor
la sombra que pesa todavía en el fondo de mi corazón!

¡Ah! ¡Huye, dulce imagen, tan querida por mi corazón!
¡Ah! ¡Huye! ¡Huye lejos de mí!
¡Ah! ¡Huye lejos de mí! ¡lejos de mí!

(Campana lejana)

Escena Cuarta

EL PORTERO DEL SEMINARIO
¡Él es joven... y su fe parece sincera... 
ha provocado una gran emoción
entre las más bellas
de nuestras fieles!

(Aparece Manón)

Escena Quinta

MANÓN
(con esfuerzo)
¡Señor... quiero hablar... con... el abad... Des Grieux!

EL PORTERO DEL SEMINARIO
¡Muy bien!

MANÓN
(dándole dinero)
¡Tened!

(El portero del seminario saluda y sale)

Escena Sexta

Estos muros silenciosos...
Este aire frío que se respira...
¡Siempre que todo esto no haya cambiado su corazón!
Llegará a no tener piedad por un loco error...
¡Quizás no haya aprendido a maldecir!

VOCES DENTRO DE LA CAPILLA
DEL SEMINARIO
(a lo lejos)
Magnificat anima mea
Dominun,
Et exultavit spiritus meus.

MANÓN
(escuchando)
Allá... se reza... ¡Ah! ¡quisiera rezar!
¡Perdóname,
Dios todopoderoso!
¡Perdóname,
Dios todopoderosos,
si me atrevo a  suplicarte,
implorando tu clemencia!
Si mi voz desde aquí... puede subir hasta el cielo.. ¡ah!

(Muy expresiva)

¡Es para pedirte el corazón de Des Grieux!
¡Perdóname, Dios mío! ¡Perdóname, Dios mío!

VOCES DENTRO DE LA CAPILLA
DEL SEMINARIO
In Deo salutari meo,
Salutari meo.

(Des Grieux entra por el fondo)

Escena Séptima

MANÓN
(con congoja)
¡Es él!

(Manón se vuelve y está a punto
de desmayarse. Des Grieux se acerca)

DES GRIEUX
¡Tú!

(Casi hablado)

¡Vos!

MANÓN
¡Sí... soy yo!... ¡Soy yo!
¡Sí! ¡Soy yo!

DES GRIEUX
¿Qué vienes a hacer aquí?
¡Vete! ¡Vete!
¡Aléjate!

MANÓN
(dolorosa y suplicante)
¡Sí! ¡Fui cruel y culpable!
¡Pero acordaros de la intensidad de nuestro amor!
¡Ah! En esa mirada que me abruma
¿leeré mi perdón algún día?

DES GRIEUX
¡Aléjate!

MANÓN
¡Sí! ¡Fui cruel y culpable!
¡Ah! ¡acordaros de la intensidad de nuestro amor!
¡Acordaros de de la intensidad de nuestro amor!

DES GRIEUX
¡No! Yo había escrito sobre la arena
el sueño de un amor insensato
que el cielo sólo hizo duradero 
un instante...

(Con amargura)

¡Por un día!

MANÓN
¡Sí! ¡Fui culpable!
¡Sí! Fui cruel...

DES GRIEUX
Yo lo había escrito sobre la arena...
¡Era un sueño
que el cielo sólo hizo duradero
un instante, un día!
¡Ah! ¡Pérfida Manón!

MANÓN
(aproximándose)
Si yo me arrepintiera...

DES GRIEUX
¡Ah! ¡Pérfida! ¡Pérfida!

MANÓN
¿No tendrías piedad?

DES GRIEUX
(interrumpìéndola)
Yo no quiero creeros...
¡No! Vos habéis salido por fin de mi memoria...
¡Así como de mi corazón!

MANÓN
(Con lágrimas)
¡Ay de mí! ¡Ay de mí! El pájaro que huye,
de lo que él cree que es esclavitud,
muy a menudo regresa por la noche,
y en un vuelo desesperado ¡se golpea con el cristal!
¡Perdóname!

DES GRIEUX
¡No!

MANÓN
Me pongo a tus pies...

(Con ímpetu y desesperación)

¡Ah! ¡Revive nuestro amor si quieres que viva!

DES GRIEUX
¡No! ¡Él está muerto para vos!

MANÓN
¿Es que no puede revivir?
¡Escúchame!...
¡Recuerda!...

(Con gran encanto y muy dulce)

¿Mi mano ya no cogerá tu mano?
¿Ya no oirás mi voz?
¿Ya no será para tí una caricia
como en otras ocasiones?
¿Y estos ojos, antes para tí llenos de encanto,
ya no brillarán a través

(Con un sollozo)

de mis lágrimas?

(Muy emocionada y jadeante)

¿Ya no seré yo?
¿Ya no escucharé mi nombre?
¡Ah! ¡Mírame! ¡Mírame!
¿Mi mano ya no cogerá tu mano
como en otras ocasiones?
¿Ya no oiré mi nombre? 
¡Ya no oiré Manón!
Acuérdate...
¿Ya no será mi mano? Escúchame:
¿Ya no oiré tu voz?
¿Ya no escucharé mi nombre?
¿Ya no oiré Manón?

DES GRIEUX
(muy perturbado)
¡Dios mío! Protéjeme en este instante supremo...

MANÓN
¡Te amo!

DES GRIEUX
¡Ah! ¡Cállate!
No hables de amor aquí... es una blasfemia...

MANÓN
¡Te amo!

DES GRIEUX
¡Ah! ¡Cállate!
¡No hables de amor!

MANÓN
(febril)
¡Te amo!

(Campana lejana)

DES GRIEUX
(escuchando, con angustia)
Es la hora de rezar...

MANÓN
¡No! ¡No te dejo!

DES GRIEUX
¡Se me reclama allí!...

MANÓN
¡No! ¡No te dejo!
¡Ven!

(Febril)

¿Mi mano ya no cogerá tu mano
como en otras ocasiones?

DES GRIEUX
(poco a poco más violento)
¡Como en otras ocasiones!

MANÓN
Y estos ojos, antes para tí llenos de encanto...
¿Ya no oiré Manón?

DES GRIEUX
Como en otras ocasiones...
Como en otras ocasiones...

MANÓN
¡Ah! ¡Mírame!
¿Ya no seré yo?
¿Ya no oiré Manón?

DES GRIEUX
(con ímpetu)
¡Ah! ¡Manón!
¡No quiero luchar contra mí mismo!

MANÓN
(con un grito de alegría)
¡Por fin!

DES GRIEUX
E incluso si hago hundirse sobre mí el Cielo...
Mi vida está en tu corazón,
mi vida está en tus ojos...

(Con exaltación y abandono)

¡Ah! ¡Ven! ¡Manón!
¡Te amo!

MANÓN Y DES GRIEUX
(con ardor)
¡Te amo!

TELÓN

Acto IV