DIÁLOGOS DE CARMELITAS
Personajes
MARQUÉS DE LA
FORCE BLANCA CABALLERO MADRE HENRIETTE DE JESÚS MADRE MARÍA DE SAN AGUSTÍN MADRE MARÍA DE LA ENCARNACIÓN SOR CONSTANZA MADRE JUANA DEL NIÑO JESÚS SOR MATILDE CAPELLÁN PRIMER COMISARIO |
Noble
Francés Hija del Marqués de la Force Hijo de Marqués de la Force Priora del Convento Nueva Priora del Convento Asistente de la Priora Carmelita Carmelita Carmelita Capellán del Convento Comisario Revolucionaro |
Barítono Soprano Tenor Mezzosoprano Soprano Mezzosoprano Soprano Contralto Mezzosoprano Tenor Tenor |
La acción se desarrolla en la Francia Revolucionaria, en los años de 1789 a 1794
ACTE I Premier Tableau La bibliothèque du marquis de la Force, avril 1789. (Mobilier très somptueux et élégant. Le marquis somnole dans une vaste bergère. Le chevalier entre brusquement par une grande porte qu'il laisse derrière lui) LE CHEVALIER Où est Blanche? LE MARQUIS (Sursautant) Ma foi, je n'en sais rien, pourquoi diable ne le demandez-vous pas à ses femmes au lieu d'entrer chez moi sans crier gare, comme un Turc? LE CHEVALIER Je vous demande mille pardons LE MARQUIS A votre âge, il n'y a pas grand mal à être un peu vif, comme il est naturel au mien de tenir à ses habitudes. La visite de Monsieur votre oncle m'a fait manquer ma méridienne, et je m'étais tout à l'heure un peu assoupi, s'il faut tout dire… Mais que voulez-vous à Blanche? LE CHEVALIER Roger de Damas, qui sort d'ici, a dû rebrousser chemin deux fois pour ne pas se trouver pris dans une grande masse de peuple. Le bruit court qu'ils vont brûler l'effigie de Réveillon en place de Grève. LE MARQUIS Hé bien, qu'ils la brûlent! Lorsque le vin à deux sous, on doit bien s'attendre à ce que le printemps échauffe un peu les têtes. Tout cela passera. LE CHEVALIER Si j'osais me permettre en votre présence de faire le mauvais plaisant, je répondrais qu'en ce qui concerne le carrosse de ma soeur, vous risquez de n'être pas trop bon prophète. Damas l'a vu arrêté par la foule, au carrefour Bucy. LE MARQUIS Le carrosse… la foule… pardonnez-moi, ce sont là des images qui ont trop souvent hanté mes nuits… On parle volontiers aujourd'hui d'émeute ou même de révolution, mais qui n'a pas vu la multitude en panique n'a rien vu… Tous ces visages à la bouche tordue, ces milliers et ces milliers d'yeux… C'était le soir du mariage du Dauphin. Le feu d'artifice commence, mais soudain des caisses de fusées s'enflamment. Voilà la panique qui s'empare de la foule. Votre mère pousse le verrou de son carrosse. Le cocher fouette les chevaux qui s'emballent. On arrête le carrosse. Une vitre vole en éclats. (Le marquis se cache la tète dans les mains) Les soldats surviennent à temps pour dégager le carrosse. Quelques heures plus tard, revenue en cet hôtel, votre mère mourut, en donnant le jour à Blanche. LE CHEVALIER Monsieur, pardonnez-moi, j'aurais dû me douter… Une fois de plus, j'ai parlé comme un étourdi. LE MARQUIS Bah! C'est ma vieille tête qui s'échauffe, elle aussi, un peu vite… Mon carrosse est solide, les vieux chevaux ne s'étonnent de rien, Antoine nous sert depuis vingt ans. Il ne peut arriver à votre soeur rien fâcheux. LE CHEVALIER Oh! Ce n'est pas pour sa sécurité que je crains, vous le savez, mais pour son imagination malade. LE MARQUIS Blanche n'est que trop impressionnable, en effet! Un bon mariage arrangera tout cela. Allons! Allons! Une jolie fille a bien le droit d'être un peu craintive. Patience! Vous aurez des neveux qui feront les cent mille diables. LE CHEVALIER Croyez-moi: ce qui met la santé de Blanche en péril, ou peut-être sa vie, ne saurait être seulement la crainte. C'est le gel au coeur de l'arbre… LE MARQUIS Ouais! Vous parlez comme un villageois superstitieux. Blanche me paraît le plus souvent naturelle, et parfois même enjouée. LE CHEVALIER Oh! Sans doute, il arrive qu'elle me fasse illusion à moi-même, et je croirais le sort conjuré si je n'en lisais toujours la malédiction dans son regard. LE MARQUIS Lorsque Blanche et sa gouvernante seront ici, dans un moment, vous rirez de vos angoisses et elle oubliera les siennes. LE CHEVALIER Vous voulez dire qu'elle en aura été une fois de plus quitte pour la peur… Quitte pour la peur! Quand il s'agit de Blanche, le rapprochement de ces deux mots fait frémir… Une fille si noble et si fière! Le mal est entré en elle comme le ver dans le fruit… LE MARQUIS Enfantillages! (Par la porte ouverte, Blanche paraît assez inopinément pour qu'on puisse se demander si elle a ou non entendu les derniers mots) Blanche, votre frère avait grand'hâte de vous revoir. BLANCHE Monsieur le Chevalier est trop bon pour son petit lièvre... LE CHEVALIER Ne répétez pas à tout propos une plaisanterie qui n'a de sens que pour nous deux. BLANCHE (s'efforçant de parler avec enjouement) Les lièvres n'ont pas l'habitude de passer la journée hors de leur gîte. Il est vrai que je transportais le mien avec moi. Mais une simple glace entre cette foule et ma craintive personne m'a paru un moment, je vous assure, une protection bien dérisoire. Je devais avoir l'air très ridicule. LE CHEVALIER M. de Damas, qui vous a vue au carrefour Bucy, vient de me dire qu'à travers vos glaces vous faisiez très bonne contenance... BLANCHE Oh! M. de Damas n'a sans doute vu que ce qu'il voulait voir... Réellement, je faisais bonne contenance? Mon Dieu, il en est peut-être du péril comme de l'eau froide qui d'abord vous coupe le souffle et où l'on se trouve à l'aise, dès qu'on y est entré jusqu'au cou. (Prête à défaillir, elle s'appuie à une chaise) Cette cérémonie chez les dames de la Visitation a été très longue et m'a beaucoup fatiguée. Voilà sans doute pourquoi je déraisonne. Avec votre permission, mon père, je vais prendre un peu de repos avant le souper. Tiens! comme le jour tombe vite ce soir. LE MARQUIS Je dirais volontiers qu'un orage menace. (Blanche se dirige vers la porte) LE CHEVALIER Puisque vous vous retirez dans votre appartement, demandez tout de suite des flambeaux, et n'y restez pas sans compagnie. Je sais que le crépuscule vous rend toujours mélancolique. Vous me disiez quand vous étiez petite: "Je meurs chaque nuit pour ressusciter chaque matin." BLANCHE C'est qu'il n'y a jamais eu qu'un seul matin, Monsieur le Chevalier: celui de Pâques. Mais chaque nuit où l'on entre est celle de la Très Sainte Agonie... (Sans fermer la porte derrière elle, Blanche sort, laissant le marquis et le chevalier interdits) LE MARQUIS (s'efforçant de se rassurer) Son imagination va toujours d'un extrême à l'autre. Que signifie ce dernier trait? (Il s'installe dans sa bergère) LE CHEVALIER Je n'en sais rien, qu'importe! C'est son regard et sa voix qui vont à l'âme... (se décidant tout à coup à rompre cette atmosphère lourde) Les chevaux sont maintenant dételés. Je m'en vais interroger le vieil Antoine. (Il sort. Le marquis somnole) BLANCHE (dans une autre chambre) Ah! LE MARQUIS (sursautant) C'est toi, Thierry? (se précipitant vers la porte d'où il appelle) Que se passe-t-il, mon garçon? (Entre Thierry; c'est un grand laquais un peu niais) THIERRY (au comble de l'effroi) J'allumais les flambeaux, lorsque Mademoiselle Blanche est entrée dans la chambre... Je pense qu'elle a d'abord vu mon ombre sur le mur. J'avais tiré les rideaux. (Blanche, livide, apparaît sur le seuil. Sa voix, son attitude, les traits de son visage marquent une espèce de résolution et de résignation désespérée) LE MARQUIS (s'efforçant d'être enjoué) Je vois qu'il n'y a heureusement rien de grave. BLANCHE Oh! Monsieur, vous êtes le plus indulgent et le plus courtois des pères... LE MARQUIS Ne parlons plus de ce petit incident. BLANCHE Mon père, il n'est pas d'incident si négligeable où ne s'inscrit la volonté de Dieu comme toute l'immensité du ciel dans une goutte d'eau. Avec votre permission, j'ai décidé d'entrer au Carmel. LE MARQUIS Au Carmel! BLANCHE Je pense qu'un tel aveu vous surprend moins que vous ne voulez le laisser paraître. LE MARQUIS Hélas! On peut toujours craindre, pour une jeune personne aussi vertueuse que ma fille, les conseils d'une dévotion exaltée. Une fille moins fière ne se tourmenterait pas pour un cri. On ne quitte pas le monde par dépit. BLANCHE Je ne méprise pas le monde, le monde est seulement pour moi comme un élément où je ne saurais vivre. Oui, mon père, c'est physiquement que je n'en puis supporter le bruit, l'agitation. Qu'on épargne cette épreuve à mes nerfs, et on verra ce dont je suis capable. LE MARQUIS Mon enfant chérie, il n'appartient qu'à votre conscience de décider si l'épreuve est au-dessus de vos forces ou non... (Blanche tombe aux pieds de son père, toujours assis dans la bergère) BLANCHE Oh! mon père, cessons ce jeu, par pitié. Oh! par pitié, laissez-moi croire qu'il est un remède à cette horrible faiblesse qui fait le malheur de ma vie! Si je n'espérais pas que le Ciel a quelque dessein sur moi, je mourrais ici de honte à vos pieds. Il est possible que vous ayez raison, que l'épreuve n'ait pas été poussée jusqu'au bout. Mais Dieu ne m'en voudra pas. Je Lui sacrifie tout, j'abandonne tout, je renonce à tout pour qu'il me rende l'honneur. (Le marquis, songeur, caresse doucement la tête de Blanche posée sur ses genoux) |
ACTO I Cuadro Primero Biblioteca del marqués De la Force. Abril 1789 (Mobiliario suntuoso y elegante. El marqués dormita en una gran butaca. El Caballero entra bruscamente por una puerta que deja detrás de él) CABALLERO ¿Dónde está Blanca? MARQUÉS (Sobresaltado) A fe mía, no lo sé. ¿Por qué diablos no lo preguntas a sus doncellas, en lugar de entrar en mi aposento sin llamar, como un turco? CABALLERO Os pido mil perdones. MARQUÉS A tu edad, no es malo ser un tanto impulsivo, así como a la mía, es natural querer mantener los propios hábitos. La visita de tu tío me ha privado de mi siesta y me había quedado traspuesto, si he de ser sincero... Pero, ¿qué quieres de Blanca? CABALLERO Roger de Damas, al salir de aquí, ha tenido que retroceder por dos veces para no quedar rodeado por la multitud. Corre el rumor que van a quemar la efigie de Réveillon en la plaza de Grève. MARQUÉS Bueno, que la quemen. Cuando el vino va a dos cuartos, es de esperar que la primavera caliente un poco las cabezas. Todo esto pasará. CABALLERO Si en vuestra presencia osara permitirme una broma de mal gusto, respondería que, en lo tocante a la carroza de mi hermana, acaso no seáis muy buen profeta. Damas la ha visto detenida por la multitud en el cruce de Bucy. MARQUÉS La carroza... la multitud... perdona, pero esas imágenes atormentan mis noches a menudo... Hoy se habla de tumultos y hasta de revolución; pero el que no ha visto a la muchedumbre presa del pánico, no ha visto nada... Todos los rostros con la boca torcida, aquellos miles y miles de ojos... Era la tarde de la boda del Delfín. Los fuegos artificiales comienzan, de repente, se inflaman unas carcasas de cohetes. El pánico se adueña de la multitud. Tu madre cierra la puerta de su carroza. El cochero fustiga los caballos. Se detiene la carroza. Un vidrio vuela en pedazos. (El marqués esconde la cabeza entre sus manos) Los soldados llegan a tiempo para liberar la carroza. Horas después y de nuevo en esta casa, tu madre murió, al dar a luz a Blanca. CABALLERO Perdonadme, señor. He debido comprender... He vuelto a hablar como un atolondrado. MARQUÉS ¡Bah! Esta vieja cabeza mía también se calienta en seguida… Mi carroza es sólida, los viejos caballos no se sorprenden de nada. Antonio nos sirve desde hace veinte años. Nada malo puede sucederle a tu hermana. CABALLERO No es por su seguridad por lo que temo, bien lo sabéis, sino por su enfermiza imaginación. MARQUÉS Sí, Blanca es demasiado impresionable. Un buen matrimonio lo arreglará todo. ¡Vamos! ¡Vamos! Una muchacha bonita tiene derecho a ser un poco asustadiza. ¡Paciencia! Ya tendrás sobrinos que hagan mil diabluras. CABALLERO Creedme, lo que amenaza la salud de Blanca, y acaso su vida, no es sólo el miedo. Es como el hielo en el corazón del árbol... MARQUÉS ¡Bah! Hablas como un pueblerino supersticioso. Blanca me parece casi siempre natural y, a veces, incluso alegre. CABALLERO ¡Oh, por supuesto! A veces, incluso a mí me da esa impresión, y creería conjurado el peligro si no leyera siempre esa maldición en su mirada. MARQUÉS Cuando Blanca y su gobernanta estén aquí, dentro de un momento, te reirás de tus temores y ella olvidará los suyos. CABALLERO Queréis decir que, una vez más, se habrá librado con el susto... ¡Librarse con el susto! Tratándose de Blanca, la asociación de estas dos palabras es algo que hace estremecer... ¡Una joven tan noble y orgullosa! El mal ha entrado en ella como el gusano en el fruto... MARQUÉS ¡Niñerías! (Por la puerta aparece Blanca, lo bastante inopinadamente como para que uno pueda preguntarse si ha oído o no las últimas palabras. Blanca, tu hermano estaba intranquilo por ti. BLANCA El Caballero es muy bueno con su pequeña liebre... CABALLERO No repitas a cada paso una broma que tiene sentido sólo para nosotros dos. BLANCA (Esforzándose en hablar alegremente) Las liebres tienen por costumbre pasar el día fuera de la madriguera. Cierto que yo llevaba la mía conmigo; pero un simple cristal entre esa multitud y mi atemorizada persona me pareció, en cierto momento, una protección irrisoria. Mi aspecto debía ser bastante ridículo. CABALLERO El señor de Damas, que te vio en el cruce de Bucy, me dijo que tenías bastante aplomo detrás de los cristales... BLANCA ¡Oh! Seguramente el señor de Damas vio sólo lo que quiso ver ¿Tenía yo tanto aplomo? ¡Dios mío! Quizás ocurra con el peligro lo mismo que con el agua fría, al principio te corta el aliento, y cuando te llega al cuello, estás a gusto en ella. (A punto de desfallecer, se apoya en una silla) El oficio en las Damas de la Visitación fue larguísimo y me fatigó mucho. Sin duda por eso desvarío. Con vuestro permiso, padre, seguiré vuestro consejo y descansaré un poco antes de cenar. ¡Vaya! ¡Qué pronto anochece hoy!... MARQUÉS Diría que amenaza tormenta. (Blanca se dirige hacia la puerta) CABALLERO Si subes a tu habitación, pide unos candelabros y no te quedes sola. El crepúsculo te pone triste. Cuando eras pequeña me decías: «Muero cada noche y resucito cada mañana.» BLANCA Es que nunca ha habido más que una sola mañana: la mañana de Pascua. Pero la noche es siempre la de la Santísima Agonía... (Blanca sale sin cerrar la puerta, dejando al marqués y al caballero desconcertados) MARQUÉS (Procurando tranquilizarse) Su imaginación va siempre de un extremo al otro. ¿Qué diablos ha querido decir? (Se acomoda en su butaca) CABALLERO No tengo la menor idea. Pero, ¿qué importa eso? Es su mirada y su voz lo que te llega al alma... (Decidiendo de repente romper la tensión de la situación) Ya habrán desenganchado los caballos. Voy a preguntar al viejo Antonio. (Sale. El marqués dormita) BLANCA (En otra habitación) ¡Ah! MARQUÉS (Sobresaltado) ¿Eres tú, Thierry? (Se precipita hacia la puerta) ¿Qué sucede, muchacho? (Entra Thierry; es un lacayo grandote y simplón) THIERRY (Muy asustado) Estaba encendiendo las velas del candelabro cuando la señorita Blanca entró en la habitación... Imagino que debió de ver mi sombra en la pared. Yo había corrido las cortinas... (Blanca, lívida, aparece en el umbral. Su voz, su actitud y sus facciones revelan una especie de resolución y resignación desesperadas) MARQUÉS (Esforzándose en parecer alegre) Afortunadamente, no ha ocurrido nada grave. BLANCA ¡Oh, señor! Sois el más bueno e indulgente de los padres... MARQUÉS No se hable más de este pequeño incidente. BLANCA Padre, no hay incidente, por pequeño que sea, en el que no se inscriba la voluntad de Dios, como en la gota de agua se refleja el cielo. Con vuestro permiso, he decidido entrar en el Carmelo. MARQUÉS ¡En el Carmelo! BLANCA Imagino que esta confesión os sorprende menos de lo que queréis aparentar. MARQUÉS ¡Ay!, en una joven tan virtuosa como mi hija hay que temer siempre los consejos de una devoción exaltada. Una muchacha menos orgullosa no se atormentaría por un grito. No se abandona el mundo por despecho. BLANCA No desprecio al mundo, y casi no puede decirse que lo tema; pero el mundo para mí es como un elemento en el que no sabría vivir. Sí, padre; es como una incapacidad física, que me impide soportar su ruido y su agitación. Que se evite esta prueba a mis nervios y verán de lo que soy capaz. MARQUÉS Hija, sólo tu conciencia puede decidir si la prueba es o no superior a tus fuerzas... (Blanca cae a los pies de su padre, siempre sentado en la butaca) BLANCA ¡Oh, padre, dejemos este juego, por favor! Os suplico me permitáis creer que existe un remedio para esta horrible debilidad que atormenta mi vida... Si no esperase que el cielo tuviera algún designio sobre mí, me moriría de vergüenza, aquí, a vuestros pies. Puede que tengáis razón, que la prueba no haya sido llevada hasta el extremo. Pero Dios no me lo tendrá en cuenta. Se lo sacrifico todo, lo abandono todo, renuncio a todo para que Él me otorgue su gracia. (El marqués, pensativo, acaricia con dulzura la cabeza de Blanca, apoyada sobre sus rodillas) |
Deuxième Tableau Prélude Le parloir, au Carmel de Compiègne (Quelques semaines après. La prieure et Blanche se parlent de part et d'autre de la double grille. Mme de Croissy, la prieure, est une vieille femme, visiblement malade) LA PRIEURE (essayant maladroitement de rapprocher son fauteuil de la grille) N'allez pas croire que ce fauteuil soit un privilège de ma charge, comme le tabouret des duchesses! Hélas! par charité pour mes chères filles qui en prennent si grand soin, je voudrais m'y sentir à mon aise. Mais il n'est pas facile de retrouver d'anciennes habitudes depuis trop longtemps perdues, et je vois bien que ce qui devrait être un agrément ne sera jamais plus pour moi qu'une humiliante nécessité. BLANCHE Il doit être doux, ma mère, de se sentir si avancée dans la voie du détachement qu'on ne saurait plus retourner en arrière. LA PRIEURE Ma pauvre enfant, l'habitude finit par détacher de tout. Mais à quoi bon, pour une religieuse, être détachée de tout, si elle n'est pas détachée de soi-même, c'est-à-dire de son propre détachement?... Je vois que les sévérités de notre règle ne vous effraient pas! BLANCHE Elles m'attirent. LA PRIEURE Oui, oui, vous êtes une âme généreuse... Qui vous pousse au Carmel? BLANCHE Votre Révérence m'ordonne-t-elle de parler tout à fait franchement? LA PRIEURE Oui BLANCHE Hé bien, l'attrait d'une vie héroïque. LA PRIEURE L'attrait d'une vie héroïque ou celui d'une certaine manière de vivre qui vous paraît - bien à tort - devoir rendre l'héroïsme plus facile, le mettre pour ainsi dire à la portée de la main? BLANCHE Ma révérende mère, pardonnez-moi, je n'ai jamais fait de tels calculs. LA PRIEURE Les plus dangereux de nos calculs sont ceux que nous appelons des illusions. BLANCHE Je puis avoir des illusions. Je ne demanderais pas mieux qu'on m'en dépouille. LA PRIEURE (en pesant sur les mots) Qu'on vous en dépouille... Il faudra vous charger seule de ce soin, ma fille. Chacune ici a déjà trop à faire de ses propres illusions. Ma fille, les bonnes gens se demandent à quoi nous servons, et après tout ils sont bien excusables de se le demander. Non, ma fille, nous ne sommes pas une entreprise de mortification ou des conservatoires de vertus, nous sommes des maisons de prière, la prière seule justifie notre existence; qui ne croit pas à la prière ne peut nous tenir que pour des imposteurs ou des parasites. Si la croyance en Dieu est universelle, ne faut-il pas qu'il en soit autant de la prière? Ainsi, chaque prière, fût-ce celle d'un petit pâtre qui garde ses bêtes, c'est la prière du genre humain. Ce que le petit pâtre fait de temps en temps, et par un mouvement de son coeur, nous devons le faire jour et nuit. Oh! Mon enfant, il n'est pas selon l'esprit du Carmel de s'attendrir, mais je suis vieille et malade, me voilà très près de ma fin, je peux bien m'attendrir sur vous. De grandes épreuves vous attendent, ma fille. BLANCHE Qu'importe, si Dieu me donne la force. LA PRIEURE Ce qu'il veut éprouver en vous, n'est pas votre force, mais votre faiblesse... Vous pleurez? BLANCHE Je pleure moins de peine que de joie. Vos paroles sont dures, mais je sens que de plus dures encore ne sauraient briser l'élan qui me porte vers vous. Je n'ai pas d'autre refuge, en effet. LA PRIEURE Notre règle n'est pas un refuge. Ce n'est pas la règle qui nous garde, ma fille, c'est nous qui gardons la règle. Dites-moi encore: avez-vous, par extraordinaire, déjà choisi votre nom de carmélite, au cas où nous vous admettrions à la probation? Mais, sans doute, n'y avez-vous jamais pensé? BLANCHE Si fait, ma mère. Je voudrais m'appeler soeur Blanche de l'Agonie du Christ. (La prieure sursaute imperceptiblement puis, tranquille et ferme) LA PRIEURE Allez en paix, ma fille. (Blanche s'agenouille, et sort) Troisième Tableau Prélude La tour, à l'intérieur du couvent. (Blanche et une très jeune soeur, Constance de Saint-Denis, prennent les provisions et les objets usuels que la soeur tourière leur passe) CONSTANCE Encore ces maudites fèves! BLANCHE On dit que les accapareurs retiennent la farine, et que Paris va manquer de pain... CONSTANCE Tiens! voilà notre gros fer à repasser que nous réclamons depuis si longtemps! Regardez comme la poignée en est bien regarnie... Nous n'entendrons plus soeur Jeanne de la Divine Enfance crier en soufflant sur ses doigts: (contrefaisant une voix criarde) "C'est-y possible de repasser avec un fer pareil!" "C'est-y!" (avec voix normal) Je me mords chaque fois la langue pour ne pas rire, mais je suis si contente! Ce "C'est-y" me rappelle la campagne, et nos bons villageois de Tilly. Oh! soeur Blanche, six semaines avant mon entrée en religion, on a fêté là-bas le mariage de mon frère. Tous les paysans étaient rassemblés, vingt filles lui ont présenté un bouquet au son des violons. Il y eut grand-messe, dîner au château, et danse toute la journée. J'ai dansé cinq contredanses de tout mon coeur, je vous assure. Ces pauvres gens m'aimaient tous à la folie, parce que j'étais gaie et que je sautais aussi bien qu'eux... BLANCHE Vous n'avez pas honte de parler ainsi lorsque notre révérende mère... CONSTANCE Oh! ma soeur, pour sauver la vie de notre mère, je donnerais volontiers ma pauvre petite vie de rien du tout, oui, ma foi oui, je la donnerais... Mais quoi, à cinquante-neuf ans n'est-il pas grand temps de mourir? BLANCHE Vous n'avez jamais craint la mort? CONSTANCE Je ne crois pas... Si, peut-être... il y a très longtemps, lorsque je ne savais pas ce que c'était. BLANCHE Et après... CONSTANCE Mon Dieu, soeur Blanche, la vie m'a tout de suite paru si amusante! Je me disais que la mort devait l'être aussi... BLANCHE Et maintenant? CONSTANCE Oh! maintenant, je ne sais plus ce que je pense de la mort, mais la vie me paraît toujours aussi amusante. J'essaie de faire le mieux possible ce qu'on me commande, mais ce qu'on me commande m'amuse... Après tout dois-je être blâmée parce que le service du bon Dieu m'amuse? BLANCHE Ne craignez-vous point que Dieu se lasse de tant de bonne humeur? (Soeur Constance la regarde interdite, son visage enfantin crispé par une grimace douloureuse) CONSTANCE Pardonnez-moi, soeur Blanche. Je ne peux m'empêcher de croire que vous venez, exprès, de me faire du mal. BLANCHE Hé bien, vous ne vous trompez pas... C'est que je vous enviais... CONSTANCE Vous m'enviez! Ah! par exemple, voilà bien la chose la plus étrange que j'aie jamais entendue! Vous m'enviez, alors que je mériterais d'être fouettée pour avoir parlé si légèrement de la mort de notre révérende mère!... Oh! soeur Blanche, puisque j'ai si étourdiment parlé tout à l'heure, ayez la bonté de m'aider à réparer ma faute. Mettons-nous à genoux et offrons nos deux pauvres petites vies pour celle de sa Révérence. BLANCHE C'est un enfantillage... CONSTANCE Oh! pas du tout, soeur Blanche, je crois vraiment que c'est une inspiration de l'âme. BLANCHE Vous vous moquez de moi... CONSTANCE L'idée m'est venue tout à coup, je ne pense pas qu'il y ait là aucun mal. J'ai toujours souhaité mourir jeune. BLANCHE Qu'ai-je à faire dans cette comédie? CONSTANCE Hé bien, la première fois que je vous ai vue, j'ai compris que j'étais exaucée. BLANCHE Exaucée de quoi? CONSTANCE De… BLANCHE Posez ce fer ridicule, et répondez-moi, je vous prie. (Constance pose docilement la fer sur la table) CONSTANCE Hé bien... J'ai compris que Dieu me ferait la grâce de ne pas me laisser vieillir, et que nous mourrions ensemble, le même jour - où et comment, par exemple, ça je l'ignorais, et dans ce moment je l'ignore toujours... BLANCHE Quelle idée folle et stupide! N'avez-vous pas honte de croire que votre vie puisse racheter la vie de qui que ce soit? Vous êtes orgueilleuse comme un démon... Vous... vous... je vous défends... CONSTANCE J'étais bien loin de vouloir vous offenser. |
Cuadro Segundo Preludio Locutorio del Carmelo en Compiegne. (Varias semanas después. La priora y Blanca hablan a través de la doble reja. La señora de Croissy, la priora, es una anciana, visiblemente Enferma) PRIORA (Con una mano torpe, trata de acercar su sillón a la reja) No creáis que este sillón es un privilegio de mi cargo, como el sitial de las duquesas. Sólo por caridad hacia mis queridas hijas, que tanto se preocupan por mí, quisiera sentirme cómoda. Pero no es fácil recobrar hábitos perdidos hace tanto tiempo, y bien veo que lo que debería ser un descanso, nunca será para mí más que una humillante necesidad. BLANCA Madre, tiene que ser muy grato sentirse tan alejada por el camino de la renuncia como para no saber volver atrás. PRIORA Hija, la costumbre acaba por desligarte de todo. Pero, ¿de qué le sirve a una religiosa estar desligada de todo si no lo está de sí misma, es decir, de su propia renuncia?... Veo que la severidad de nuestra regla no os asusta. BLANCA Me atrae, Madre. PRIORA Sí, sí, sois un alma generosa... ¿Qué os atrae hacia el Carmelo? BLANCA ¿Vuestra Reverencia me ordena que hable con toda franqueza? PRIORA Sí. BLANCA Pues bien, la búsqueda de una vida heroica. PRIORA ¿La búsqueda de una vida heroica, o la de cierto modo de vida que, equivocadamente, creéis que ha de hacer más fácil el heroísmo, poniéndolo, como quien dice, al alcance de la mano? BLANCA Reverenda Madre, perdonadme, pero yo nunca he hecho semejantes cálculos. PRIORA Nuestros cálculos más peligrosos son esos que llamamos ilusiones... BLANCA Puede que yo tenga ilusiones; pero en tal caso no pediría sino que se me despojara de ellas. PRIORA (Recalcando sus palabras) Que se os despojara de ellas... Eso es algo que tendréis que hacer sola, hija. Aquí cada cual tiene ya bastante trabajo con las suyas. Hija, las buenas gentes se preguntan para qué servimos y, si bien se mira, puede perdonárseles. No, hija, no somos una empresa de mortificación ni un almacén de virtudes; somos casas de oración; sólo la oración justifica nuestra existencia; el que no cree en la oración, sólo puede considerarnos como impostoras o parásitos. Si la fe en Dios es universal, ¿no ha de serlo también la oración? Así, toda oración, incluso la del pastorcillo que guarda su rebaño, es la oración del género humano. Lo que el pastor hace de vez en cuando, obedeciendo a un impulso de su corazón, nosotras tenemos que hacerlo día y noche. ¡Ay, hija! No es propio del espíritu del Carmelo el enternecerse; pero yo soy vieja, estoy enferma, me encuentro muy cerca del fin y puedo enternecerme por vos... Os esperan grandes pruebas, hija... BLANCA ¿Qué puede importar, si Dios me da fuerzas? PRIORA Lo que Él quiere probar en vos no es vuestra fuerza, sino vuestra debilidad... ¿Estáis llorando? BLANCA Más que de dolor, lloro de alegría. Vuestras palabras son duras, pero aunque lo fuesen más, no podrían quebrar el impulso que me lleva hacia ustedes. No tengo otro refugio. PRIORA Nuestra Regla no es un refugio. No es la Regla la que nos guarda, hija, somos nosotras quienes guardamos la Regla. Decidme, ¿acaso habéis elegido ya vuestro nombre de carmelita, en el supuesto que os admitiéramos como novicia? Seguramente no habréis pensado en ello. BLANCA Sí, madre, lo he pensado. Quisiera llamarme sor Blanca de la Agonía de Cristo. (La priora se sobresalta levemente, pero, queda después, tranquila y firme) PRIORA Id en paz, hija. (Blanca se arrodilla y, a continuación, sale) Cuadro Tercero Preludio El torno, en el interior del convento. (Blanca y una religiosa muy joven, sor Constanza de San Dionisio, toman las provisiones y los utensilios que les va dando la hermana tornera) CONSTANZA ¡Otra vez las malditas habas! BLANCA Dicen que los especuladores atesoran la harina, y que en París va a faltar el pan... CONSTANZA ¡Vaya! ¡Por fin nos devuelven la plancha que reclamábamos hace tanto tiempo! ¡Mirad qué bien guarnecida está el asa! Ya no oiremos más a sor Juana de la Divina Infancia gritar soplándose los dedos: (imitando una voz chillona) ¡Es que no se puede planchar con semejante trasto!. ¡Caramba! (con voz normal) Tengo que morderme la lengua para no echarme a reír. Su "¡caramba!" me recuerda el campo y a los campesinos de Tilly... ¡Oh, sor Blanca!, seis semanas antes de mi entrada en el convento, celebramos la boda de mi hermano. Se reunió toda la gente del pueblo. Veinte niñas le ofrecieron un ramo de flores al son de los violines. Hubo misa solemne, comida en el castillo y baile durante todo el día. Yo bailé cinco contradanzas con toda mi alma, os lo aseguro. Aquellas buenas gentes me querían con locura, porque era alegre y saltaba tanto como ellos... BLANCA No os da vergüenza hablar así cuando nuestra reverenda Madre... CONSTANZA ¡Oh, hermana! Para salvar la vida de nuestra Madre, con gusto daría a cambio mi pobre vida. La daría, sí... Pero, ¿no es ya hora de morir, a los cincuenta y nueve años? BLANCA ¿Nunca habéis temido a la muerte? CONSTANZA Me parece que no... Bueno, si acaso, hace mucho tiempo, cuando no sabía lo que era. BLANCA Y después... CONSTANZA ¡Dios mío, sor Blanca, la vida me pareció en seguida tan divertida...! Que me dije que la muerte debía serlo también. BLANCA ¿Y ahora? CONSTANZA ¡Oh! Ahora ya no sé lo que pienso de la muerte, pero la vida sigue pareciéndome divertida. Procuro hacer lo mejor posible todo lo que me mandan; pero es que lo que me mandan me divierte... Después de todo, ¿tengo yo la culpa de que servir a Dios me divierta? BLANCA ¿Y no teméis que Dios se canse de tanto buen humor? (Sor Constanza la mira desconcertada, con su cara de niña crispada por una mueca de dolor) CONSTANZA Perdonadme, sor Blanca, pero creo que acabáis de hacerme daño a sabiendas. BLANCA Pues bien, no os engañáis... Y es que me dabais envidia... CONSTANZA ¿Que yo os doy envidia? Es lo más extraordinario que he oído en mi vida. Vos me envidiabais cuando yo merecía unos azotes por hablar tan a la ligera de la muerte de nuestra Reverenda Madre...¡Oh, sor Blanca! Ya que hace un momento he hablado con tanto atolondramiento, tened la bondad de ayudarme a reparar mi falta. Pongámonos de rodillas y ofrezcamos nuestras dos pobres vidas por la de Su Reverencia. BLANCA Eso es una niñería… CONSTANZA ¡Oh, no, sor Blanca! Creo firmemente que es una inspiración del alma. BLANCA Os burláis de mí… CONSTANZA Se me ha ocurrido de pronto. No me parece que haya mal en ello. Siempre deseé morir joven. BLANCA ¿Qué tengo yo que ver con esta comedia? CONSTANZA Bueno, en cuanto os vi la primera vez, me di cuenta de que sería escuchada. BLANCA ¿Escuchada sobre qué? CONSTANZA Sobre… BLANCA Dejad esa ridícula plancha, y haced el favor de responderme. (Constanza deja dócilmente la plancha) CONSTANZA Veréis... Algo me dice que Dios me hará la gracia de no dejarme envejecer y que moriremos juntas, el mismo día; dónde y cómo, lo ignoraba, y ahora mismo tampoco lo sé... BLANCA ¡Qué idea tan disparatada y estúpida! ¿No os da vergüenza pensar que vuestra vida pueda redimir la de otra persona? Sois orgullosa como un demonio... Sois... Sois... Os prohibo... CONSTANZA No tenía intención de ofenderos... |
Quatrième Tableau Prélude Une cellule de l'infirmerie (Marie de l'Incarnation est au chevet de la prieure qui est dans son lit) LA PRIEURE Ayez la bonté de relever ce coussin... Ne pensez-vous pas que M. Javelinot permettra qu'on m'installe dans le fauteuil? C'est une grande peine pour moi de me montrer à mes filles ainsi étendue comme une noyée qu'on vient de sortir de l'eau, alors que j'ai si bien gardé toute ma tête. Oh! ce n'est pas que je veuille tromper personne! Mais quand fait si misérablement défaut le courage, il faudrait être au moins capable de composer son maintien. MÈRE MARIE J'avais cru comprendre, ma mère, que vos angoisses s'étaient bien apaisées cette nuit... LA PRIEURE Ce n'était qu'un assoupissement de l'âme. Dieu en soit pourtant remercié! Je ne me voyais plus mourir. "Se voir mourir" passe pour n'être qu'un dicton de bonnes gens... Hé bien, ma mère, il est vrai que je me vois mourir. Rien ne me distrait de cette vue. Je suis seule, ma mère, absolument seule, sans aucune consolation. Parlez-moi franchement! Combien de temps M. Javelinot me donne-t-il encore à vivre? (Mère Marie de l'Incarnation s'agenouille au chevet du lit, et pose doucement son crucifix sur les lèvres de la prieure) MÈRE MARIE Votre tempérament est des plus forts qu'il ait vus. Il craint pour vous un passage lent et difficile. Mais Dieu... LA PRIEURE Dieu s'est fait lui-même une ombre... Hélas! J'ai plus de trente ans de profession, douze ans de supériorat. J'ai médité sur la mort chaque heure de ma vie, et cela maintenant ne me sert de rien!... Je trouve que Blanche de la Force tarde beaucoup! Après la réunion d'hier, s'en tient-elle décidément au nom qu'elle a choisi? MÈRE MARIE Oui. Sauf votre bon plaisir, elle souhaite toujours s'appeler soeur Blanche de l'Agonie du Christ. Vous m'avez toujours parue fort émue de ce choix. LA PRIEURE C'est qu'il fut d'abord le mien, jadis. Notre prieure était en ce temps-là Mme Arnoult, elle avait quatre-vingts ans. Elle me dit: "Interrogez vos forces. Qui entre à Gethsémani n'en sort plus. Vous sentez-vous le courage de rester jusqu'au bout prisonnière de la très sainte agonie?"... C'est moi qui ai introduit dans cette maison soeur Blanche de l'Agonie du Christ. De toutes mes filles, aucune ne m'inquiète davantage. J'avais pensé la recommander à votre charité. Mais réflexion faite, et si Dieu le veut, ce sera le dernier acte de mon supériorat. Mère Marie... MÈRE MARIE Ma révérende mère? LA PRIEURE C'est au nom de l'obéissance que je vous remets Blanche de la Force. Vous me répondrez d'elle devant Dieu. MÈRE MARIE Oui, ma mère. LA PRIEURE Il vous faudra une grande fermeté de jugement et de caractère, mais c'est précisément ce qui lui manque, et que vous avez de surcroît. MÈRE MARIE Il n'est que trop vrai. Vous voyez clair en moi, comme toujours. (On frappe à la porte) LA PRIEURE La voici, priez-la d'entrer. (Mère Marie va jusqu'à la porte, s'efface pour laisser entrer Blanche, puis sort. Blanche vient s'agenouiller près du lit) Relevez-vous, ma fille. J'avais fait le projet de vous entretenir un peu longuement, mais la conversation que je viens d'avoir m'a beaucoup fatiguée. Vous êtes la dernière venue, et pour ce fait la plus chère à mon coeur. Oui, de toutes mes filles, la plus chère, comme l'enfant de la vieillesse, et aussi la plus hasardée, la plus menacée. Pour détourner cette menace, j'aurais bien donné ma pauvre vie, oh! certes, je l'eusse donnée. Je ne puis donner maintenant que ma mort, une très pauvre mort... (Blanche se jette de nouveau à genoux et sanglote. La prieure pose la main sur sa tête) Dieu se glorifie dans ses saints, ses héros et ses martyrs. Il se glorifie aussi dans ses pauvres. BLANCHE Je n'ai pas peur de la pauvreté. LA PRIEURE Oh! il y a bien des sortes de pauvreté, jusqu'à la plus misérable, et c'est de celle-là que vous serez rassasiée. Mon enfant, quoi qu'il advienne, ne sortez pas de la simplicité. Oh! ma fille, soyez toujours cette chose douce et maniable dans les mains de Dieu! Les saints ne se raidissaient pas contre les tentations, ils ne se révoltaient pas contre eux-mêmes, la révolte est toujours une chose du diable, et surtout ne vous méprisez jamais. Dieu a pris votre honneur en charge, et il est plus en sûreté dans ses mains que dans les vôtres. Relevez-vous cette fois pour tout de bon. A Dieu, je vous bénis. A Dieu, ma petite enfant... (Blanche sort. Mère Marie de l'Incarnation rentre avec le médecin et soeur Anne de la Croix) Monsieur Javelinot, je vous prie de me donner une nouvelle dose de ce remède. M. JAVELINOT Votre Révérence ne la supporterait pas. LA PRIEURE (à M. Javelinot) Monsieur Javelinot, vous savez qu'il est d'usage dans nos maisons qu'une prieure prenne publiquement congé de la communauté. (à mère Marie) Mère Marie, tâchez de convaincre M. Javelinot. Cet élixir ou un autre, n'importe quoi. Oh! ma mère, regardez: vais-je dans un instant montrer ce visage à mes filles? MÈRE MARIE Oh! ma mère, ne vous mettez plus en peine de nous! Ne vous inquiétez plus désormais que de Dieu. LA PRIEURE Que suis-je à cette heure, moi misérable, pour m'inquiéter de Lui? Qu'il s'inquiète donc d'abord de moi! MÈRE MARIE (presque durement) Votre Révérence délire. (La tête de la prieure retombe lourdement sur l'oreiller. Presque aussitôt, on entend son râle) MÈRE MARIE (à soeur Anne de la Croix) Poussez tout à fait cette fenêtre. Notre révérende mère n'est plus responsable des propos qu'elle tient, mais il est préférable qu'ils ne scandalisent personne... (Soeur Anne défaille) Allons! Soeur Anne de la Croix, vous n'allez pas vous évanouir comme une femmelette. Mettez-vous à genoux, priez! Cela vous vaudra mieux que des sels. (Tandis que mère Marie parle, la prieure s'est presque soulevée sur son séant. Elle a les yeux fixes, et dès qu'elle cesse de parler sa mâchoire inférieure retombe) LA PRIEURE Mère Marie de l'Incarnation! Mère Marie... MÈRE MARIE Ma révérende mère? LA PRIEURE Je viens de voir notre chapelle vide et profanée - l'autel fendu en deux, de la paille et du sang sur les dalles... Oh! oh! Dieu nous délaisse! Dieu nous renonce! MÈRE MARIE Votre Révérence est hors d'état de retenir sa langue, mais je la supplie d'essayer de ne rien dire qui puisse... LA PRIEURE Ne rien dire... Ne rien dire... Qu'importe ce que je dis! Je ne commande pas plus à ma langue qu'à mon visage. (Elle essaie de se dresser sur son lit) L'angoisse adhère à ma peau comme un masque de cire... Oh! que ne puis-je arracher ce masque avec mes ongles! (Elle se laisse de nouveau retomber sur l'oreiller) MÈRE MARIE (à soeur Anne de la Croix) Prévenez vos soeurs qu'elles ne verront pas la révérende mère aujourd'hui. A dix heures, récréation, comme d'habitude. (Soeur Anne de la Croix sort. La prieure, qui a tout entendu, se redresse) LA PRIEURE Mère Marie de l'Incarnation, au nom de la sainte obéissance, je vous ordonne... (Brisée par l'effort, elle retombe à nouveau en râlant. La porte s'entrouve et Blanche entre d'un pas de somnambule. La prieure l'aperçoit et on comprend qu'elle l'appelle. Blanche reste debout, comme pétrifiée) MÈRE MARIE La révérende mère veut que vous approchiez jusqu'à son lit. (Blanche, hagarde, s'agenouille près du lit. La prieure lui pose la main sur le front) LA PRIEURE Blanche... (On comprend que la prieure fait une recommandation à Blanche, puis tout à coup elle suffoque) MÈRE MARIE C'est une chose insensée... On ne devrait pas permettre... LA PRIEURE Demande pardon... mort... peur... peur de la mort. (Elle tombe morte) BLANCHE La révérende mère désire... La révérende mère désirait... aurait désiré... (Elle tombe à genoux, le visage enfoui dans les draps du lit, en sanglotant) |
Cuadro Cuarto Preludio Celda de la enfermería. (María de la Encarnación, a la cabecera de la cama de la Priora) PRIORA Tened la bondad de levantar este almohadón... ¿No creéis que el señor Javelinot permitirá que me instale en el sillón? Me es muy penoso mostrarme ante mis hijas tendida como una ahogada recién sacada del agua, cuando conservo toda mi lucidez... ¡Oh, no es que quiera engañar a nadie! Pero cuando el valor nos abandona de forma tan miserable, al menos deberíamos ser capaces de guardar la compostura. MADRE MARÍA Creí que vuestras angustias, Madre, se habían aplacado durante la noche última... PRIORA Sólo fue un letargo del alma. De todos modos, doy gracias a Dios por él. No me veía morir. «Verse morir» pasa por ser sólo un dicho de buenas gentes... Pues bien, Madre, es cierto que me veo morir. Nada me distrae de esta visión. Estoy sola, Madre, absolutamente sola y sin consuelo. ¡Habladme con franqueza! ¿Cuántos días de vida me da el señor Javelinot? (La madre María de la Encarnación se arrodilla junto a la cama y pone suavemente su crucifijo sobre los labios de la priora) MADRE MARÍA Vuestra naturaleza es de las más fuertes que él ha visto. Teme que vuestro tránsito sea lento y difícil. Pero Dios... PRIORA El mismo Dios se ha vuelto una sombra... ¡Ay! Llevo más de treinta años de profesa y doce de priora. He meditado sobre la muerte cada hora de mi vida, y ahora, de nada me sirve eso... ¿No os parece que Blanca de la Force se retrasa? Después de la reunión de ayer, ¿insiste en el nombre que había elegido? MADRE MARÍA Sí, Madre. Salvo vuestro buen criterio, ella sigue deseando llamarse sor Blanca de la Agonía de Cristo. Yo creía que esta elección os conmovía. PRIORA Ese fue en otro tiempo mi nombre. Entonces nuestra priora era la señora Arnoult. Tenía ochenta años. Me dijo: «Sopesad vuestras fuerzas. Quien entra en Getsemaní, ya no puede salir. ¿Os sentís con el valor suficiente para permanecer prisionera de la Santísima Agonía hasta el final?»... Yo he introducido en esta casa a sor Blanca de la Agonía de Cristo. De todas mis hijas, es la que más me preocupa. He pensado encomendarla a vuestra caridad. Después de meditarlo, éste será, si Dios quiere, el último acto de mi priorato. Madre María... MADRE MARÍA ¿Reverenda Madre? PRIORA Invocando a la obediencia, os confío a Blanca de la Force. Me responderéis de ella ante Dios. MADRE MARÍA Sí, Madre. PRIORA Necesitaréis una gran firmeza de juicio y de carácter. Esto es precisamente lo que a ella le falta y que vos tenéis en gran medida. MADRE MARÍA Es bien cierto. Veis claro en mí, como siempre. (Llaman a la puerta) PRIORA Ya está aquí. Hacedla entrar. (La madre María va a la puerta, se hace a un lado para dejar entrar a Blanca y sale. Blanca se arrodilla junto al lecho) Levantaos, hija. Pensaba hablar más largamente con vos; pero la conversación que acabo de sostener me ha fatigado mucho. Vos sois la última que ha entrado y, por ello, la más querida. Sí, la más querida de todas mis hijas, como el hijo de padres viejos, y, también, la más insegura, la más amenazada. Para desviar esa amenaza, habría dado con gusto mi pobre vida; sí, la habría dado... Ahora no puedo dar más que mi muerte, mi pobre muerte... (Blanca vuelve a caer de rodillas, sollozando. La priora le pone la mano en la cabeza) Dios se glorifica en sus santos, sus héroes y sus mártires... también mediante sus pobres. BLANCA Yo no le temo a la pobreza. PRIORA ¡Oh! Hay muchas clases de pobreza, hasta la más miserable. Y de ésa tendréis hasta la saciedad... Hija, pase lo que pase, no abandonéis la sencillez. Hija, sea siempre suave y dúctil entre las manos de Dios. Los santos no se endurecían contra las tentaciones, no se rebelaban contra sí mismos; la rebelión es siempre cosa del diablo. Y, sobre todo, no os despreciéis nunca. Dios ha tomado vuestro honor a su cargo, y está más seguro en sus manos que en las vuestras. Alzaos de una vez para siempre. Adiós, yo os bendigo. Adiós, hija... (Sale Blanca. Entra la madre María de la Encarnación con el médico y sor Ana de la Cruz) Señor Javelinot, os ruego que me deis otra dosis de ese remedio. MÉDICO Vuestra Reverencia no la soportaría. PRIORA (a Javelinot) Señor Javelinot, sabéis que es costumbre en nuestras casas que una priora se despida públicamente de la comunidad. (a la madre María) Madre María, procurad convencer al señor Javelinot. Ese elixir, otro, no importa... ¡Oh, Madre, miradme! ¿Puedo mostrar este rostro a mis hijas? MADRE MARÍA ¡Oh, Madre, no os aflijáis más por nosotras! Pensad sólo en Dios. PRIORA ¿Quién soy yo, miserable de mí, para pensar en Él? ¡Que sea Él el que piense en mí! MADRE MARÍA (casi con dureza) Vuestra Reverencia delira. (La priora deja caer la cabeza en la almohada. Casi inmediatamente, empieza a oírse su estertor. MADRE MARÍA (A sor Ana de la Cruz) Cerrad esa ventana. Nuestra Reverenda Madre ya no es responsable de sus palabras, pero conviene que no sean motivo de escándalo para nadie... (Sor Ana tiembla) ¡Vamos, sor Ana de la Cruz, no vayáis a desmayaros como una niña! Poneos de rodillas y rezad. Eso os hará más bien que las sales. (Mientras, la priora se ha incorporado hasta quedar casi sentada. Tiene la mirada fija, y en cuanto acaba de hablar, inclina la cabeza) PRIORA ¡Madre María de la Encarnación! Madre María... MADRE MARÍA ¿Reverenda Madre? PRIORA He visto nuestra capilla vacía y profanada... el altar partido en dos, paja y sangre en las losas... ¡Oh! ¡Dios nos abandona! ¡Dios nos repudia! MADRE MARÍA Vuestra Reverencia no puede contener la lengua, os ruego que tratéis de no decir algo que pueda... PRIORA No decir... No decir... ¡Qué importa lo que yo diga! No tengo en mi lengua más poder que en mi rostro. (Intenta incorporarse en la cama) La angustia se me pega a la piel como una máscara de cera... ¡Oh! ¿Por qué no puedo arrancármela con las uñas?... (Deja caer la cabeza en la almohada) MADRE MARÍA (A sor Ana de la Cruz) Decid a vuestras hermanas que hoy no verán a la Reverenda Madre. A las diez, recreo, como de costumbre. (Sor Ana de la Cruz sale. La priora, que ha oído todo, se endereza) PRIORA Madre María de la Encarnación, en nombre de la Santa Obediencia os ordeno... (Agotada por el esfuerzo, se deja caer de nuevo y se reanudan los estertores. Se abre la puerta y entra Blanca con paso de sonámbula. Se comprende que la priora la ha visto y la llama. Blanca permanece inmóvil, como petrificada) MADRE MARÍA La Reverenda Madre desea que os acerquéis a la cama. (Blanca, despavorida, se arrodilla cerca de la cama. La priora le pone una mano en la frente) LA PRIORA Blanca… (Se comprende que la priora hace una recomendación a Blanca y, de repente, se sofoca. MADRE MARÍA Es una insensatez... No debería permitirse... LA PRIORA Pide perdón... muerte... miedo a la muerte. (muere) BLANCA La Reverenda Madre... quiere... La Reverenda Madre... quería... hubiera querido... (Cae de rodillas, con el rostro hundido en la sábana, sollozando) |