PROLOGUE
Scène Première
(La Nature et les Vents déchainés.
L'ouverture
fait entendre un bruit violent dans les airs, un
choc terrible
de tous les éléments.
La toile, en
se levant, ne montre que
des nuages
qui roulent,
se déchirent, et laissent
voir
les Vents déchainés;
ils forment,
en tourbillonnant, des danses
de la plus violente agitation.
(La Nature s'avance au milieu d'eux,
une baguette
à la main, ornée de tous
les attributs qui la
caractérisent, et leur dit
impérieusement)
LA NATURE C'est assez troubler
l'univers, Vents furieux, cessez d'agiter l'air et
l'onde. C'est assez. Reprenez
vos fers; que le seul Zéphyr règne
au monde.
(L'ouverture, le bruit et le mouvement
continuent)
CHŒUR DES VENTS Ne tourmentons plus
l'univers: cessons d'agiter l'air
et l'onde. Malheureux! reprenons nos fers,
l'heureux Zéphyr seul
règne au monde.
(Ils se précipitent dans les nuages
inférieurs.
Le Zéphir s'élève dans les airs.
L'ouverture
et le bruit s'appaisent par degrés;
Les nuages
se dissipent; tout devient
harmonieux
et calme.
On voit une campagne superbe,
et Le Génie
du Feu descend dans un nuage
brillant, du
côté de l'orient.
Scène
Deuxième
(Le Génie du Feu, La
Nature)
LE GÉNIE DU FEU De l'orbe éclatant du
soleil, admirant des cieux la
structure, je vous ai vue, belle
Nature, disposer sur la terre
un superbe appareil.
LA NATURE Génie ardent de la
sphère enflammée, par qui la mienne est
animée, à mes travaux donnez
quelque moments. De toutes les races
passées, dans l'immensité
dispersées, je rassemble les
éléments, pour en former une race
prochaine de la risible espèce
humaine, aux dépens des êtres
vivants.
LE GÉNIE DU FEU Ce pouvoir absolu que
vous avez sur elle, l'exercez-vous
aussi sur les individus?
LA NATURE Oui, si je descendais à
quelque soins perdus! Mais, pour moi, qu'est une parcelle,
à travers ces foules
d'humains, que je répands à pleines
mains sur cette terre, pour y
naître, briller un instant,
disparaître, laissant à des hommes
nouveaux pressés comme eux, dans
la carrière, de main en main, les
courts flambeaux de leur existence
éphémère?
LE GÉNIE DU FEU Au moins, vous employez
des éléments plus purs, pour former
les puissants et les grands d'un
empire?
LA NATURE C'est leur langage, il
faut bien en sourire: un noble orgueil les en
rend presque surs. Mais voyez comme la
Nature les verse par milliers,
sans choix et sans mesure.
(Elle fait une espece de conjuration) Froid humains, non encor
vivants; atômes perdus dans
l'espace: que chacun de vos
éléments, se rapproche et prenne
sa place, suivant l'ordre, la
pesanteur, et toutes les loix
immuables que l'éternel
dispensateur impose aux êtres vos
semblables. Humains, non encore
existants, à mes yeux paraissez
vivants. Scène
Troisième
(La Génie du Feu, la
Nature, foule
d'Ombres des deux sexes.
D'autres
Ombres dansent sur
l'air du chœur)
CHŒUR D'OMBRES Quel charme inconnu nous
attire? Nos cœurs en sont
épanouis. D'un plaisir vague je
soupire; je veux l'exprimer; je
ne puis. En jouissant, je sens que
je désire; (bis) en désirant, je sens que
je juis. (bis) Quel charme
inconnu nous attire? Nos cœurs en sont
épanouis.
LE GÉNIE DU FEU (à la Nature) Privés des doux liens
qui donne la naissance;
quels seront leur rangs et leurs
soins? Et comment pourvoir aux
besoins d'une aussi soudaine
croissance?
LA NATURE J'amuse vos yeux un
moment, de leur forme
prématurée; s'ils pouvaient aimer
seulement, vous reverriez le règne
heureux d'Astrée.
LE GÉNIE DU FEU
Quel intérêt peut les occuper tous?
LA NATURE Nul, je crois.
LE GÉNIE DU FEU
(s'adressant aux ombres) Qu'êtes-vous? et que demandez-vous?
ALTAMORT
(l'Ombre) Nous ne demandons pas,
nous somme.
LE GÉNIE DU FEU Qui vous a mis au rang
des hommes?
URSON
(l'Ombre)
Qui l'a voulu; que nous importe à nous?
LE GÉNIE DU FEU Comme ils sont froids,
sans passions, sans gouts! Que
leur ignorance est profonde!
LA NATURE Ah! je les ai formés
sans vous. Brillant Soleil, en vain
la Nature est féconde; sans un rayon de votre
feu sacré, mon œuvre est morte et
son but égaré.
LE GÉNIE DU FEU Gloire à l'éternelle
sagesse, qui, créant l'immortel
amour, voulut que, par se seule
ivresse, l'être sensible obtînt
le jour. Ah! si ma flamme
ardente et pure n'eût pas embrasé votre
sein, stérile amant de la
Nature, j'eusse été formé sans
dessein.
TOUS DEUX Gloire à l'éternelle
sagesse, qui, créant
l'immortel amour, etc
LE GÉNIE DU FEU Un mot encor; c'est une
ombre femelle. (à l'ombre)
Aimable enfant, voulez-vous être belle?
UNE OMBRE FEMELLE
Belle!
LE GÉNIE DU FEU
Vous rougissez!
UNE OMBRE FEMELLE
Suis-je donc sans appas?
LE GÉNIE DU FEU
Son instinct la trahit, mais ne la
trompe pas!
LA NATURE
(souriant) Il peut au moins la
compromettre.
LE GÉNIE DU FEU (à l'ombre de Spinette) Et vous dont les regards
causeront cent débats?
UNE OMBRE FEMELLE
(avec feu) Je voudrais... je
voudrais... je voudrais tout
soumettre.
LE GÉNIE DU FEU Ô!
Nature!
LA NATURE (souriant) J'ai tort; devant vous
j'ai trahi, sur ses plus doux
secrets, mon sexe favori.
LE GÉNIE DU FEU
(à l'ombre d'Astasie) Mais vous, jeune beauté,
qui semblez animée, voudriez-vous à tous
donner aussi la loi?
ASTASIE
(l'Ombre)
Que je sois seulement aimée! Il n'est que ce bonheur
pour moi.
LA NATURE Tu le seras, sous le nom
d'Astasie, et Tarare obtiendra ta
foi.
ASTASIE
(l'Ombre)
(émue, la main sur son cœur)
Tarare
LA NATURE Je te fais un sort digne
d'envie.
ASTASIE
(l'Ombre) Je n'en sais rien.
LA NATURE Moi, je le sais pour
toi.
LE GÉNIE DU FEU
Voyez quelle rougeur à ces noms l'a
saisie!
LA NATURE
(au Génie) Qu'un jeune cœur, mal
aisément, voile son trouble au
doux moment où l'amour va s'en
rendre maître! Moi-même, après de longs
hivers, quand vous ranimez
l'univers, mes premiers soupirs
font renaître les fleurs qui parfument
les airs.
LE GÉNIE DU FEU
(montrant les deux ombres
d'Atar et de Tarare) Que sont ces deux
superbes ombres, qui semblent
menacer, taciturnes et sombres?
LA NATURE Rien: mais dites un mot;
assignant leur état, je fais un roi de l'une
et de l'autre un soldat.
LE GÉNIE DU FEU Permettez; ce grand
choix les touchera peut-être.
LA NATURE J'en doute.
LE GÉNIE DU FEU
(à l'ombres) Un de vous deux est roi:
lequel veut l'être?
ATAR
(l'Ombre)
Roi?
TARARE
(l'Ombre)
Roi?
ATAR, TARARE Je ne m'y sens aucun
empressement.
LA NATURE Enfants, il vous manque
de naître, pour penser bien
différemment.
LE GÉNIE DU FEU
(les examine) Mon œil, entr'eux,
cherche un roi préférable; mais que
je crains mon jugement! Nature, l'erreur d'un
moment peut rendre un siècle
misérable.
LA NATURE
(aux deux ombres) Futurs mortels,
prosternez-vous, avec respect attendez en
silence le rang qu'avant votre
naissance, vous allez recevoir de
nous. (Les deux ombres se prosternent; et
pendant que le Génie hésite dans son
choix, toutes les ombres curieuses
chantent le chœur suivant, en les enveloppant)
CHŒUR D'OMBRES Quittons nos jeux,
accourrons tout: deux de nos frères à
genoux reçoivent l'arrêt de
leur vie.
LE GÉNIE DU FEU
(impose les mains à l'une des deux
ombres)
Sois l'empereur Atar;
despote de l'Asie, règne à ton gré dans le
palais d'Ormus.
(À l'autre ombre)
Et toi, soldat, formé de
parents inconnus, gémis long-tems de notre fantaisie.
LA NATURE Vous l'avez fait soldat;
mais n'allez pas plus loin: c'est
Tarare. Bientôt
vous serez le témoin de leur dissemblance
future.
(Aux deux ombres) Enfants, embrassez-vous:
égaux par la nature, que vous en serez loin
dans la société: de la grandeur altière à
l'humble pauvreté, cet intervalle immense
est désormais le vôtre.
À moins que de Brama la
puissante bonté, par un décret prémédité,
ne vous rapproche l'un
de l'autre, pour l'exemple des rois
et de l'humanité.
QUATRE OMBRES
PRINCIPALES Ô bienfaisante déité!
Ne souffrez pas que rien
altère notre touchante égalité;
qu'un homme commande à son frère!
(L'ombre d'Atar seule ne chante pas,
et
s'éloigne avec hauteur;
le Génie
du Feu la fait remarquer à la Nature)
LA NATURE
(au Génie du Feu) C'est assez. Èteignons
an eux, ce germe d'une grande
idée, faite pour des climats
et des temps plus heureux.
(À toutes les ombres)
Tels qu'une vapeur
élancée, par le froid en eau
condensée, tombe et se perd dans
l'océan; futurs mortels, rentrez
dans le néant. Disparaissez.
(Au Génie du Feu)
Et nous, dont l'essence
profonde dévore l'espace et le
temps; laissons en un clin
d'œil écouler quarante ans; et voyons-les agir sur
la scène du monde. (La Nature et le Génie du Feu
s'élèvent
dans les nuages, dont la masse
redescend et couvre toute la scène)
CHŒUR D'ESPRITS
AÉRIENS Gloire à l'éternelle
sagesse, qui, créant l'éternel
amour, voulut que par se seule
ivresse l'être sensible obtînt
le jour.
ACTE I
(La scène est dans le palais d'Atar; dans
le temple
de
Brama; sur la place de la ville
d'Ormus;
en Asie
près
du golfe Persique. Les nuages qui couvrent le
théâtre
s'élèvent; on voit une salle du palais
d'Atar)
Scène Première
(Pendant que l'ouverture s'achève,
des soldats nombreux sortent de chez
l'empereur,
portant des drapeaux persans déchirés
et de riches dépouilles enlevées à
l'ennemi)
CHOEUR DE SOLDATS
(sur
l'harmonie de l'ouverture)
Chantons la nouvelle victoire Dont Tarare a toute la gloire. Puisqu'on nous laisse enfin ces drapeaux
qu'il a pris,
Qu'ils soient de sa valeur et la preuve
et le prix.
Scène Seconde
URSON (venant au-devant des soldats,
leur dit à demi-voix:)
Guerriers, si vous aimez Tarare,
Dans ce palais du moins cessez votre
fanfare.
L'empereur paraît mécontent.
LES SOLDATS (se pelotonnent et chantent
en choeur d'un ton sourd)
Avez-vous vu sa contenance,
Et comme il restait en silence?
Portons nos chants en d'autres lieux,
Le peuple nous entendra mieux.
(Ils sortent sans ordre et
précipitamment)
Scène Troisième
(Atar, Calpigi)
ATAR (en entrant, violemment)
Laisse-moi, Calpigi!
CALPIGI La
fureur vous égare. Mon maître! ô
roi d'Ormus!
grâce, grâce à Tarare!
ATAR
Tarare! encor Tarare! Un
nom abject et bas
Pour ton organe impur a donc bien des
appas!
CALPIGI
Quand sa troupe nous prit, au
fond d'un antre sombre,
Je défendais mes jours
contre ces inhumains.
Blessé, prêt à périr,
accablé par le nombre, Cet
homme généreux m'arracha de leurs mains.
Je lui dois d'être à vous,
seigneur, faites-lui grâce.
ATAR
Qui, moi, je souffrirai qu'un soldat eût
l'audace
D'être toujours heureux
quand son roi ne l'est pas!
CALPIGI A
travers le torrent d'Arsace,
Il vous a sauvé du trépas;
Et vous l'avez nommé chef de votre
milice.
A l'instant même encore un important
service...
ATAR Ah!
combien je l'ai regretté;
Son orgueilleuse humilité,
Le respect d'un peuple hébété,
Son air, jusqu'à son nom... Cet
homme est mon supplice.
Où trouve-t-il, dis-moi, cette félicité?
Est-ce dans le travail, ou dans la
pauvreté?
CALPIGI
Dans son devoir. Il sert avec simplicité
Le ciel, les malheureux, la
patrie et son maître.
ATAR
Lui? c'est un humble fastueux
Dont l'orgueil est de le paraître:
L'honneur d'être cru vertueux
Lui tient lieu du bonheur de l'être:
Il n'a jamais trompé mes yeux.
CALPIGI
Vous tromper, lui, Tarare!
ATAR Ici
la loi des Brames
Permet à tous un grand nombre de femmes;
Il n'en a qu'une, et s'en croit plus
heureux.
Mais nous l'aurons cet objet de ses
voeux;
En la perdant, il gémira peut-être.
CALPIGI Il
en mourra!
ATAR
Tant mieux. Oui, le fils du grand
prêtre,
Altamort a reçu mon ordre cette nuit.
Il vole à la rive opposée,
Avec sa troupe déguisée:
En son absence il va dévaster son
réduit.
Il ravira surtout son Astasie,
Ce miracle, dit-on, des beautés de
l'Asie.
CALPIGI Eh!
quel est donc son crime, hélas!
ATAR
D'être heureux, Calpigi,
quand son roi de n'est pas,
De faire partout ses conquêtes
Des coeurs que j'avais autrefois...
CALPIGI Ah!
pour tourner toutes les têtes,
Il faut si peu de choses aux rois!
ATAR
D'avoir, par un manège habile,
Entraîné le peuple imbécile.
CALPIGI Il
est vrai, son nom adoré,
Dans la bouche de tout le monde
Est un proverbe révéré.
Parle-t-on des fureurs de l'onde
Ou du fléau le plus fatal,
Tarare! est l'écho général:
Comme si ce nom secourable
Eloignait, rendait incroyable
Le mal, hélas! le plus certain...
ATAR
(en colère)
Finiras-tu, misérable chrétien?
Eunuque vil et détestable:
La mort devrait...
CALPIGI
La
mort, la mort, toujours la mort!
Ce mot éternel me désole:
Terminez une fois mon sort;
Et puis cherchez qui vous console
Du triste ennui de la satiété,
De l'oisiveté, de la royauté.
(Il s'éloigne)
ATAR (furieux) Je
punirai cet excès d'arrogance.
Scène Quatriéme (Les précédents, Altamort)
ATAR
Mais qu'annonce Altamort à mon
impatience?
ALTAMORT
Mon
maître est obéi;
tout est fait, rien n'est su.
ATAR
Astasie?
ALTAMORT Est
à toi, sans qu'on m'ait aperçu,
Sans qu'elle ait deviné qui la veut,
qui
l'enlève.
ATAR Au
rang de mes vizirs, Altamort, je
t'élève. (A Calpigi)
Pour la bien recevoir sont-ils tous
préparés?
Le sérail est-il prêt, les
jardins décorés, Calpigi?
CALPIGI
Tout, Seigneur.
ATAR
Qu'une superbe fête,
Demain, de ma grandeur enivre ma
conquête.
CALPIGI
Demain? Le
terme est court.
ATAR (en colère)
Malheureux!
CALPIGI
(vite)
Vous l'aurez.
ATAR
J'ai parlé: tu m'entends?
S'il manque quelque chose...
CALPIGI
Manquer! chacun sait trop à
quel mal il s'expose.
Scène Cinquième
(Tous les acteurs précédents, astasie,
Spinette,
odalisques, esclaves du
sérail des deux sexes.
Tout le sérail entre et se range en
haie;
quatre
esclaves noirs portent Astasie,
couverte
d'un grand voile noir de la tête aux
pieds.
On la dépose au milieu de la salle)
ESCLAVES
(On danse pendant le choeur)
Dans les plus beaux lieux de l'Asie,
Avec la suprême grandeur,
L'amour met aux pieds d'Astasie
Tout ce qui donne le bonheur.
Ce n'est point dans l'humble retraite
Qu'un cœur généreux le ressent;
Et la beauté la plus parfaite
Doit régner sur le plus puissant.
(On la dévoile)
ATAR Que
tout s'abaisse devant elle.
(On se prosterne)
ASTASIE
O
sort affreux, dont l'horreur me
poursuit!
Du sein d'une profonde nuit,
Quelle clarté triste et nouvelle!
Où suis-je? Tout mon corps chancelle.
SPINETTE
Dans le palais d'Atar.
ATAR
Calpigi, qu'elle est belle!
ASTASIE
(se levant)
Dans le palais d'Atar! Ah!
quelle indignité!
ATAR
(s'approche)
D'Atar qui vous adore.
ASTASIE Et
c'est la récompense,
O mon époux, de ta fidélité!
ATAR Mes
bienfaits laveront
cette légère offense.
ASTASIE
Quoi, cruel! par cet attentat,
Vous payez la foi d'un soldat
Qui vous a conservé la vie!
Vous lui ravissez Astasie!
(Levant les yeux au ciel)
Grand Dieu! ton pouvoir infini
Laissera-t-il donc impuni
Ce crime atroce d'un parjure,
Et la plus odieuse injure!
O Brama! Dieu vengeur!...
(Elle s'évanouit. Des femmes la
soutiennent. On l'assied)
CALPIGI
Quel effrayant transport!
UN ESCLAVE
(accourant) Le
voile de la mort a couvert sa paupière.
ATAR
(tire son poignard)
Quoi! malheureux! tu m'annonces sa mort!
Meurs, toi-même. (Il le
poignarde. Courant vers Astasie)
Et
vous tous, rendez à la lumière
L'objet de mon funeste amour.
A sa douleur tremblez qu'il ne succombe;
Répondez-moi de son retour,
Ou je lui fais de tous une horrible
hécatombe.
ASTASIE
(revenant à elle, aperçoit l'esclave
renversé qu'on enlève)
Dieux! quel spectacle a glacé mes
esprits!
ATAR Je
suis heureux, vous êtes ranimée.
Un lâche esclave par ses cris
M'alarmait sur ma bien-aimée;
De son vil sang la terre est arrosée:
Un coup de poignard est le prix
De la frayeur qu'il m'a causée.
ASTASIE
(joignant les mains) O
Tarare! ô Brama! Brama!
(Elle retombe; on l'assied)
ATAR
Dans le sérail qu'on la transporte:
Que cent eunuques, à sa porte,
Attendent les ordres d'Irza.
C'est le doux nom qu'à ma belle
j'impose;
C'est mon Irza, plus fraîche que la rose
Que je tenais lorsqu'elle m'embrasa.
(Les esclaves noirs portent Astasie
dans le sérail; tous la suivent)
Scène Soixième
(Atar, Calpigi, Altamort, Spinette)
CALPIGI
(au roi)
Qui
nommez-vous, Seigneur, pour servir la
sultane?
ATAR
Notre Spinette; allez.
CALPIGI
L'adroite Européane?
ATAR
Elle-même.
CALPIGI
En
effet, nul ici ne sait mieux
Comment il faut réduire un cœur né
scrupuleux.
SPINETTE
(au roi)
Oui, Seigneur, je veux la réduire,
Vous livrer son cœur, et l'instruire
Du respect, du retour
qu'elle doit à vos feux.
(Montrant Calpigi)
Et... si ce grand succès consterne
Le chef... puissant qui nous gouverne,
Mon maître appréciera le zèle de tous
deux.
ATAR Je
l'enchaîne à tes pieds, si
tu remplis mes voeux.
(Spinette et Calpigi sortent en se
menaçant)
Scène Septième (Urson, Atar, Altamort)
URSON
Seigneur, c'est ce guerrier, du
peuple la merveille...
ATAR
Garde-toi que son nom offense mon
oreille!
URSON Il
pleure; autour de lui tout le peuple
empressé
Dit tout haut qu'en ses voeux il doit
être exaucé.
ATAR Tu
dis qu'il pleure, qu'il soupire?
URSON Ses
traits en sont presque effacés.
ATAR
Urson, qu'il entre; c'est assez.
(A Altamort)
Il
est malheureux... Je respire.
(Urson sort)
Scène Octave
(Tarare, Altamort, Atar)
ATAR Que
me veux-tu, brave soldat?
TARARE (avec un grand trouble) O
mon roi! prends pitié de mon affreux
état.
En pleine paix, un avare corsaire
Comble sur moi les horreurs de la
guerre.
Tous mes jardins sont ravagés,
Mes esclaves sont égorgés;
L'humble toit de mon Astasie
Est consumé par l'incendie...
ATAR
(Pour lui-même)
Grâce au Ciel, mes serments vont être
dégagés!
(A Tarare)
Soldat qui m'as sauvé la vie,
Reçois en pur don ce palais
Que dix mille esclaves malais
Ont construit d'ivoire et d'ébène:
Ce palais, dont l'aspect riant
Domine la fertile plaine,
Et la vaste mer d'Orient.
Là, cent femmes de Circassie,
Pleines d'attraits et de pudeur,
Attendront l'ordre de ton cœur,
Pour t'enivrer des trésors de l'Asie.
Puisse de ton bonheur l'envieux
s'irriter!
Puisse l'infâme calomnie
Pour te perdre en vain s'agiter!...
ALTAMORT
(Silencieusement)
Mais, Seigneur, ta hautesse oublie...
ATAR
(Silencieusement) Je
l'élève, Altamort, pour le précipiter.
(Tout haut)
Allez, vizir, que l'on publie...
TARARE O
mon roi! ta bonté doit se faire adorer.
Des maux du sort mon âme est peu saisie;
Mais celui de mon cœur ne peut se
réparer,
Le barbare emmène Astasie.
ATAR
(avec un signe
d'intelligence)
Quelle est cette femme, Altamort?
ALTAMORT
(il est dans
l'autre sens)
Seigneur, si j'en crois son transport,
Quelque esclave jeune et jolie.
TARARE
(indigné) Une
esclave! une esclave!
excuse, ô roi d'Ormus!
A ce nom odieux
tous mes sens sont émus.
Astasie est une déesse.
Dans mon cœur souvent combattu,
Sa voix sensible, enchanteresse,
Faisait triompher la vertu.
D'une ardeur toujours renaissante,
J'offrais sans cesse à sa beauté,
Sans cesse à sa beauté touchante,
L'encens pur de la volupté.
Elle tenait mon âme active
Jusque dans le sein du repos.
Ah! faut-il que ma voix plaintive
En vain la demande aux échos!
ATAR
Quoi! soldat! pleurer une femme!
Ton roi ne te reconnaît pas.
Si tu perds l'objet de ta flamme,
Tout un sérail t'ouvre ses bras.
Faut-il regretter quelques charmes,
Quand on retrouve mille attraits?
Mais l'honneur qu'on perd dans les
larmes,
On ne le retrouve jamais!
TARARE
Seigneur!
ATAR
Qu'as-tu donc fait de ton mâle courage?
Toi qu'on voyait rugir dans les combats,
Toi qui forças un torrent à la nage,
En transportant ton maître dans tes
bras!
Le fer, le feu, le sang et
le carnage
N'ont jamais pu t'arracher un soupir,
Et l'abandon d'une esclave volage
Abat ton âme et la force à gémir! (bis)
TARARE
(vivement)
Seigneur, si j'ai sauvé ta vie,
Si tu daignes t'en souvenir,
Laisse-moi venger Astasie
Du traître qui l'osa ravir.
Permets que, déployant ses ailes,
Un léger vaisseau de transport
Me mène vers ces infidèles
Chercher Astasie ou la mort.
Scène Neuvaine
(Calpigi, Atar, Altamort, Tarare)
ATAR Que
veux-tu, Calpigi?
(Bas)
Sois intelligible.
CALPIGI Mon
maître, cette Irza si chère à ton
amour...
ATAR (vivement) Eh
bien?
CALPIGI
Elle est rendue à la clarté du jour.
TARARE (exalté)
Atar, ta grande âme est sensible,
La joie a brillé dans tes yeux.
(Un genou à terre)
Par
cette Irza, Sultan, sois généreux,
A mes maux deviens accessible.
ATAR
Dis-moi, Tarare, es-tu bien malheureux?
TARARE Si
je le suis! ah! peut-être elle expire!
ATAR
Souhaite devant moi qu'Irza cède à mes
voeux:
Je fais ce que ton cœur désire.
CALPIGI
(à part)
Grand dieux! je sers un homme affreux!
TARARE (se levant, dit avec feu)
Charmante Irza, qu'est-ce donc qui
t'arrêtes?
Le fils des dieux n'est-il pas ta
conquête?
Puisse-t-il trouver dans tes yeux
Ce pur feu dont il étincelle!
Rends, Irza, rends mon maître heureux...
(Calpigi lui fait un signe négatif
pour qu'il n'achève pas son voeu)
...
Si tu le peux sans être criminelle.
ATAR
Brave Altamort, avant le point du jour,
Demain qu'une escadre soit prête
A partir du pied de la tour.
Suis mon soldat, sers son amour
Dans les combats, dans la tempête.
(Bas à Altamort)
S'il revoit jamais ce séjour,
Tu m'en répondras sur ta tête.
(A Tarare)
Et
toi, jusqu'à cette conquête,
De tout service envers ton roi,
Soldat, je dégage ta foi;
J'en jure par Brama.
TARARE la
main au sabre.
Je jure en sa présence,
De ne poser ce fer sanglant
Qu'après avoir du plus lâche brigand
Puni le crime, et vengé mon offense.
ATAR
(à Altamort) Tu
viens d'entendre son serment;
Il touche a plus d'une existence:
Vole, Altamort, et, plus prompt que le
vent,
Reviens jouir de ma reconnaissance.
ALTAMORT
Noble roi, reçois le serment
De ma plus prompte obéissance.
Commande, Atar, je cours aveuglément
Servir l'amour, la haine ou la
vengeance.
CALPIGI
(à part) De
son danger secrètement
Il faut lui donner connaissance.
(Atar le regarde; Calpigi
dit d'un
ton courtisan)
Qui
sert mon maître, et
le sert prudemment,
Peut bien compter sur sa munificence.
(Ils sortent tous)
Scène Dixième
ATAR (seul)
Vertu farouche et fière, Qui jetait trop
d'éclat,
Rentre dans la poussière, faite pour un
soldat.
Du crime d'Altamort je vois la mer
chargée
Rendre à ton corps sanglant les
funèbres honneurs.
Et nous, heureux Atar, de ma belle
affligée,
Dans la joie et l'amour,
nous sècherons les pleurs. (bis)
(Il sort)
ACTE
II
(Le théâtre représente la place
publique.
Le palais d'Atar est sur le côté; le
temple de
Brama dans le fond.
Atar sort de son palais
avec toute sa
suite.
Urson sort du temple,
suivi d'Arthénée
en habits pontificaux)
Scène Première
(Urson, Atar)
URSON
Seigneur, le grand-prêtre Arthénée
Demande un entretien secret.
ATAR,
(à sa suite)
Eloignez-vous... Qu'il vienne. Urson,
que
nul sujet, Dans cette agréable journée,
D'un seul refus d'Atar n'emporte le
regret.
Scène Deuxième
(Arthénée, Atar.
Tout le monde s'eloigne du roi)
ARTHENEE
(s'avance)
Les
sauvages d'un autre monde
Menacent d'envahir ces lieux;
Au loin déjà la foudre gronde;
Ton peuple superstitieux,
Pressé comme les flots, inonde
Le parvis sacré de nos dieux.
ATAR De
vils brigands une poignée,
Sortant d'une terre éloignée,
Pourrait-elle envahir ces lieux?
Pontife, votre âme étonnée...
Cependant, parlez, Arthénée,
Que dit l'interprète des dieux?
ARTHENEE
(vivement)
Qu'il faut combattre,
Qu'il faut abattre
Un ennemi présomptueux:
Le sol aride de la Torride
A soif de sang odieux.
Par des mesures promptes et sûres,
Que l'armée ait un commandant
Vaillant, fidèle, rempli de zèle:
Mais sur ce devoir important,
Que le caprice de ta milice
Ne règle point le choix d'Atar:
Que le murmure, comme une injure,
Soit puni d'un coup de poignard.
ATAR
Apprends-moi donc, ô chef des Brames!
Ce qu'Atar doit penser de toi.
Ardent zélateur de la foi
Du passage éternel des âmes!
Le plus vil animal est nourri de ta
main,
Tu craindrais d'en purger la terre!
Et cependant, tu brûles, dans la guerre,
De voir couler des flots de sang humain!
ARTHENEE Ah!
d'une antique absurdité,
Laissons à l'Indou les chimères.
Brame et Soudan doivent en frères
Soutenir leur autorité.
Tant qu'ils s'accordent bien ensemble,
Que l'esclave ainsi garrotté,
Souffre, obéit, et croit et tremble,
Le pouvoir est en sûreté.
ATAR
Dans ta politique nouvelle,
Comment mes intérêts sont-ils unis aux
tiens?
ARTHENEE Ah!
si ta couronne chancelle,
Mon temple, à moi, tombe avec elle.
Atar, ces farouches chrétiens
Auront des dieux jaloux des miens:
Ainsi qu'au trône, tout partage,
En fait de culte, est un outrage.
Pour les dompter, fais que nos Indiens
Pensent que le Ciel même a
conduit nos mesures:
Le nom du chef dont nous serons
d'accord,
Je l'insinue aux enfants des augures.
Qui veux-tu nommer?
ATAR
Altamort.
ARTHENEE
Mon
fils!
ATAR
J'acquitte un grand service.
ARTHENEE
Que
devient Tarare?
ATAR Il
est mort.
ARTHENEE
Il
est mort!
ATAR
Oui, demain, j'ordonne qu'il périsse.
ARTHENEE
Juste Ciel! crains, Atar...
ATAR
Quoi craindre? mes remords?
ARTHENEE
Crains de payer de ta couronne
Un attentat sur sa personne.
Ses soldats seraient les plus forts.
Si sur un prétexte frivole
Tu les prives de leur idole,
Cette milice, en sa fureur,
Peut, oubliant ton rang et ta
naissance...
ATAR
J'ai tout prévu; Tarare, dans l'erreur,
Court à sa perte en cherchant la
vengeance.
Qu'une grande solennité
Rassemble ce peuple agité;
De ses cris et de ses murmures
Montre-lui le Ciel irrité.
Prépare ensuite les augures;
Et par d'utiles impostures
Consacrons notre autorité. (bis)
(Il sort)
Scène Troisième
ARTHENEE
(seul) O
politique consommée!
Je tiens le secret de l'état;
Je fais mon fils chef de l'armée;
A mon temple je rend l'éclat,
Aux augures leur renommée.
Pontifes, pontifes adroits!
Remuez le cœur de vos rois.
Quand les rois craignent,
Les brames règnent;
La tiare agrandit ses droits.
Eh! qui sait si mon fils, un
jour maître du monde...
(Il voit arriver Tarare; il rentre
dans
le temple)
Scène Quatrième
TARARE (seul. Il rêve) De
quel nouveau malheur suis-je encor
menacé?
O Brama! tire-moi de cette nuit
profonde.
Ce matin, quand j'ai prononcé:
"Qu'à son amour Irza réponde;"
Un signe effrayant m'a glacé.
De quel nouveau malheur suis-je encor
menacé?
O Brama! tire-moi de cette nuit
profonde. (bis)
Scène Cinquième
(Calpigi, Tarareu)
CALPIGI
(déguisé, couvert d'une cape, l'ouvre)
Tarare! connais-moi.
TARARE
Calpigi!
CALPIGI
(vivement)
Mon
héros!
Je te dois mon bonheur, ma fortune, ma
vie.
Que ne puis-je à mon tour te rendre le
repos!
Cette belle et tendre Astasie
Que tu vas chercher au hasard
Sur le vaste océan d'Asie,
Elle est dans le sérail d'Atar,
Sous le faux nom d'Irza...
TARARE Qui
l'a ravie?
CALPIGI
C'est Altamort.
TARARE O
lâche perfidie!
CALPIGI Le
golfe où nos plongeurs vont chercher le
corail
Baigne les jardins du sérail:
Si, dans la nuit, ton courage inflexible
Ose de cette route affronter le danger,
De soie une échelle invisible,
Tendue à l'angle du verger...
TARARE Ami
généreux, secourable...
CALPIGI
Le
temple s'ouvre, adieu.
(Il s'enveloppe et fuit)
Scène Sixième
TARARE (seul)
J'irai:
Oui, j'oserai:
Pour la revoir je franchirai
Cette barrière impénétrable.
De ton repaire, affreux vautour!
J'irai l'arracher morte ou vive;
Et si je succombe au retour,
Ne me plains pas, tyran, quoi qu'il
m'arrive:
Celui qui te sauva le jour
A bien mérité qu'on l'en prive! (bis)
Scène Septième
(Le fond du théâtre, qui représentait
le
portail du temple de Brama, se retire
et laisse
voir l'intérieur du temple, qui se forme
jusqu'au
devant du théâtre.
Arthénée, les prêtres de Brama,
Elamir et les autres enfants des augures)
ARTHENEE
(aux prêtres)
Sur
un choix important le Ciel est consulté.
Vous, préparez l'autel;
vous, nos saintes armures;
Vous, choisissez parmi les enfants des
augures
Celui pour qui Brama s'est plus
manifesté,
En le douant d'un cœur plein de
simplicité.
UN PRETRE
C'est le jeune Elamir. Il vient à vous.
ELAMIR (accourant) Mon
père!
ARTHENEE
(s'assied)
Approchez-vous, mon fils; un grand jour
vous éclaire.
Croyez-vous que Brama vous parle par ma
voix,
Et qu'il parle à moi seul?
ELAMIR Mon
père, oui, je le crois.
ARTHENEE
(sévèrement) Le
Ciel choisit par vous un
vengeur à l'empire:
Ne dites rien, mon fils, que ce qu'il
vous inspire.
(D'un ton caressant)
Ah!
s'il vous inspirait de nommer Altamort!
L'état serait vainqueur, il
vous devrait son sort!
ELAMIR (les mains croisées sur sa poitrine)
Je
l'en supplierai tant, mon père,
Qu'il me l'inspirera, j'espère.
ARTHENEE Moi
je l'espère aussi: priez-le avec
transport.
(Elamir se prosterne)
Ainsi qu'une abeille,
Qu'un beau jour éveille,
De la fleur vermeille
Attire le miel:
Un enfant fidèle, quand Brama l'appelle,
S'il prie avec zèle,
Obtient tout du Ciel.
(bis)
(Il relève l'enfant)
Tout le peuple, mon fils, sous nos
voûtes arrive.
Avant de nommer son vengeur,
Vous le ferez rougir de sa vaine
terreur.
Il croit les chrétiens sur la rive;
Assurez-le qu'ils sont bien loin;
Et du reste, mon fils, Brama prendra
soin. Scène
Huitième
Grande marche
(Atar, Altamort, Tarare, Urson, Arthénée,
Elamir,
pretres, enfants, vizirs, emirs,
suite, peuple, soldats, esclaves)
(Atar monte sur un trône élevé dans
le temple)
ARTHENEE
(majestueusement)
Prêtres du grand Brama! roi
du golfe Persique!
Grands de l'empire!
peuple inondant le portique!
La nation, l'armée attend un général.
CHOEUR
Pour nous préserver d'un grand mal,
Que le choix de Brama s'explique!
ARTHENEE
Vous promettez tous d'obéir
Au chef que Brama va choisir?
CHOEUR
Nous le jurons sur cet autel antique.
ARTHENEE
(d'un ton inspiré)
Dieu sublime dans le repos,
Magnifique dans la tempête,
Sois que ton souffle élève aux cieux les
flots,
Soit que ton regard les arrête,
Permets que le nom d'un héros,
Sortant d'une bouche innocente,
Devienne cher à ses rivaux,
Et porte à l'ennemi le trouble et
l'épouvante!
(A Elamir)
Et
vous, enfant, par le Ciel inspiré!
Nommez, nommez sans crainte un héros
préféré.
(On élève Elamir sur des pavois)
ELAMIR
(avec enthousiasme)
Peuple que la terreur égare,
Qui vous fait redouter ces sauvages
chrétiens?
L'état manque-t-il de soutiens?
Comptez, aux pieds du roi, vos
défenseurs,
Tarare...
CHOEUR
(subit du peuple et des soldats)
Tarare! Tarare! Tarare!
Ah! pour nous Brama se déclare:
L'enfant vient de nommer Tarare.
Tarare! Tarare! Tarare!
ALTAMORT
(en colère)
Arrêtez ce fougueux transport!
ARTHENEE
Peuple, c'est une erreur!
(A Elamir)
Mon
fils, que Dieu vous touche!
ELAMIR Le
Ciel m'inspirait Altamort;
Tarare est sorti de ma bouche.
DEUX CORYPHEES DE SOLDATS
Par
l'enfant Tarare indiqué
N'est point un hasard sans mystère:
Plus son choix est involontaire,
Plus le vœu du Ciel est marqué.
Oui, pour nous Brama se déclare,
L'enfant vient de nommer Tarare.
CHOEUR
Tarare! Tarare! Tarare!
(On redescend Elamir)
ATAR
(se lève)
Tarare est retenu par un premier
serment:
Son grand cœur s'est lié d'avance
A suivre une juste vengeance.
TARARE (la main sur la poitrine)
Seigneur, je remplirai le double
engagement
De la vengeance et du commandement.
(Au peuple)
Qui
veut la gloire, a la victoire vole avec
moi.
TOUS
C'est moi, c'est moi.
TARARE
Sujets, esclaves,
Que les plus braves donnent leur foi.
TOUS
C'est moi, c'est moi.
TARARE Ni
paix ni trêve,
L'horreur du glaive fera la loi.
TOUS
C'est moi, c'est moi.
TARARE Qui
veut la gloire,
A la victoire vole avec moi.
TOUS
C'est moi, c'est moi.
ATAR (à part) Je
ne puis soutenir la clameur importune
D'un peuple entier sourd à ma voix.
(Il veut descendre)
ALTAMORT
(l'arrête) Ce
choix est une injure à
tous tes chefs commune; Il
attaque nos premiers droits.
L'arrogant soldat de fortune
Doit-il aux grands dicter des lois?
TARARE (fièrement)
Apprends, fils orgueilleux des prêtres!
Qu'élevé parmi les soldats,
Tarare avait, au lieu d'ancêtres,
Déjà vaincu dans cent combats;
(Avec un grand dédain)
Qu'Altamort enfant, dans la plaine,
Poursuivait les fleurs des chardons,
Que les zéphyrs, de leur haleine,
Font voler au sommet des monts.
ALTAMORT
(la main au sabre)
Sans le respect d'Atar, vil objet de ma
haine...
TARARE (bien dédaigneux) Du
destin de l'état tu prétends décider!
Fougueux adolescent, qui veux nous
commander!
Pour titre ici n'as-tu que des injures?
Quels ennemis t'a-t-on vu terrasser?
Quels torrents osas-tu passer?
Où son tes exploits, tes blessures?
ALTAMORT
(en fureur)
Toi, qui de ce haut rang brûles de
t'approcher,
Apprends que sur mon corps il te faudra
marcher. (Il tire son sabre)
ARTHENEE
(troublé) O
désespoir! ô frénésie! Mon fils!...
ALTAMORT
(plus furieux) A
ce brigand j'arracherai la vie.
TARARE (froidement)
Calme ta fureur, Altamort.
Ce sombre feu, quand il s'allume,
Détruit les forces, nous consume:
Le guerrier, en colère, est mort.
(Il tire son sabre)
ARTHENEE
('écrie)
Le
temple de nos dieux
est-il donc une arène?
ATAR
(se lève)
Arrêtez.
TARARE
J'obéis...
(A
Altamort, lui prenant la main)
Toi, ce soir, à la plaine.
(A
Calpigi, à part, pendant
qu'Atar descend de son trône)
Et
toi, fidèle ami, sans fanal et sans
bruit,
Au verger du sérail attends-moi cette
nuit.
(Atar lui remet le bâton de
commandement au bruit d'une
fanfare. Grande marche
pour sortir)
CHOEUR
(sur le chant de la marche)
Brama! si la vertu t'es chère,
Si la voix du peuple est ta voix,
Par des succès soutiens le choix
Que le peuple entier vient de faire!
Que sur tes pas
Tous nos soldats
Marchent d'une audace plus fière!
Que l'ennemi, triste, abattu,
Par son aspect déjà vaincu,
Sous nos coups morde la poussière!
ACTE III
(Le théâtre représente les jardins du
sérail;
l'appartement d'Irza est à droite;
à gauche, et sur le devant, est un grand
sofa
sous un dais superbe,
au milieu
d'un parterre illuminé. Il est
nuit)
Scène Première
(Calpigi, entrant d'un côté;
Atar,
Urson entrent de l'autre;
des
jardiniers ou Bostangis qui
allument)
CALPIGI
(sans voir Atar) Les
jardins éclairés! des bostangis!
Pourquoi?
Quel autre ose au sérail
donner des ordres?
ATAR (lui frappant sur l'épaule)
Moi.
CALPIGI
(troublé)
Seigneur...
puis-je savoir?...
ATAR Ma
fête à ce que j'aime?
CALPIGI Est
fixée à demain, Seigneur, c'est votre
loi.
ATAR
(brusquement)
Moi, je la veux à l'instant même.
CALPIGI
Tous mes acteurs sont dispersés.
ATAR (plus brusquement) Du
bruit autour d'Irza; qu'on danse,
est
c'est assez.
CALPIGI
(à part, avec douleur) O
l'affreux contre-temps! De cet ordre
bizarre
Il n'est aucun moyen de prévenir Tarare!
ATAR
(l'examinant)
Quel est donc ce murmure inquiet et
profond?
CALPIGI
(affectant un air gai) Je
dis... qu'on croira voir
ces spectacles de
France,
Où tout va bien, pourvu qu'on danse.
ATAR (en colère) Vil
chrétien! obéis, ou ta tête en répond.
CALPIGI
(à part, en s'en allant)
Tyran féroce! (Les bostangis se retirent)
Scène Seconde
(Atar, Urson)
ATAR
Avant que ma fête commence,
Urson, conte-moi promptement
Le détail et l'événement
De leur combat à toute outrance.
URSON
Tarare le premier arrive au rendez-vous:
Par quelques passes dans la plaine,
Il met son cheval en haleine,
Et vient converser avec nous.
Sa contenance est noble et fière.
Un long nuage de poussière
S'avance du côté du nord;
On croit voir une armée entière.
C'est l'impétueux Altamort.
D'esclaves armés un grand nombre
Au galop à peine le suit.
Son aspect est farouche et sombre
Comme les spectres de la nuit.
D'un œil ardent mesurant l'adversaire:
»Du vaincu décidons le sort ».
Ma loi, dit Tarare, est la mort.
L'un sur l'autre à l'instant fond comme
le tonnerre.
Altamort pare le premier.
Un coup affreux de cimeterre
Fait voler au loin son cimier.
L'acier étincelle,
Le casque est brisé,
Un noir sang ruisselle.
Dieux! je suis blessé.
Plus furieux que la tempête,
A plomb sur la tête,
Le coup est rendu, Tarare
Pare...
Et tient en l'air le trépas suspendu.
ATAR Je
vois qu'Altamort est perdu.
URSON
Aveuglé par le sang, il s'agite, il
chancelle.
Tarare, courbé sur sa selle,
Pique en avant. Son fier coursier,
Sentant l'aiguillon qui le perce,
S'élance, et du poitrail renverse
Et le cheval et le guerrier.
Tarare à l'instant saute à terre,
Court à l'ennemi terrassé.
Chacun frémi, le cœur glacé.
Du terrible droit de la guerre...
O d'un noble ennemi
saint et sublime effort!
ATAR (en colère)
Achève donc.
URSON Ne
crains rien, superbe Altamort:
Entre nous la guerre est finie.
Si le droit de donner la mort
Est celui d'accorder la vie,
Je te la laisse de grand cœur.
Pleure longtemps ta perfidie.
ATAR Sa
perfidie?
URSON Il
s'en éloigne avec douleur.
ATAR (furieux) Il
est instruit.
URSON
Inutile et vaine faveur!
Celui dont les armes trop sûres
Ne firent jamais deux blessures,
A peine, hélas! se retirait,
Que son adversaire expirait.
ATAR
Partout il a donc l'avantage!
Ah! mon cœur en frémit de rage!
Quand par le combat Altamort
Voulut hier régler leur sort,
Urson, je sentais bien d'avance
Qu'il allait de sa mort
Payer cette imprudence.
Sans les clameurs d'un père épouvanté,
Le temple était ensanglanté:
Mais son pouvoir força le nôtre
D'arrêter un crime opportun,
Qui m'offrait dans le mort de l'un
Un prétexte pour perdre l'autre.
(Il voit entrer les esclaves)
Tout le sérail ici porte ses pas.
Retire-toi: que cette affreuse image,
Se dissipant comme un nuage,
Fasse place aux plaisirs et ne les
trouble pas.
(Urson sort)
Scène Troisième
(Atar, Astasie, en habit de sultane,
soutenue par des esclaves,
son mouchoir sur les yeux;
Spinette, Calpigi, eunuques,
esclaves des deux sexes)
ATAR (fait asseoir Astasie sur le grand
sofa,) près de lui, et dit au chef des
eunuques) Eh
bien! vont-ils chanter le bonheur de
leur maître?
CALPIGI
Dans le léger essai d'une fête
champêtre,
Ils ont tous le noble désir
De montrer l'excès de leur joie.
ATAR (avec dédain) Hé!
que m'importe leur plaisir,
Pourvu que leur art se déploie!
CALPIGI
(à part) De
quel monstre, grand Dieu!
cette Asie est la proie!
(Il fait signe aux esclaves
d'avancer)
Tarare n'est point prévenu:
S'il arrivait, il est perdu.
Scène Quatrième
(Les acteurs précédents, Bergers,
Européens de
Cour, vêtus
galamment en
habits d'étoffes de
taffetas avec des
plumes,
ainsi que leurs Bergères,
ayant
des houlettes dorées.
Paysans
grossiers,
vêtus à l'européenne,
ainsi que leurs Paysannes,
mais
très
simplement
et tenant des instruments
aratoires)
Marche
(Marche dont le dessus léger peint le
caractère
des Bergers de Cour qui la dansent,
et dont la basse peint la lourde gaieté
des Paysans qui la sautent)
CHOEUR D'EUROPEENS
Peuple léger mais généreux,
Nous blâmons les moeurs de l'Asie;
Jamais dans nos climats heureux
La beauté ne tremble asservie.
SPINETTE ET UNE BERGERE SENSIBLE.
Chez nos maris, presque à leurs yeux,
Un galant en fait son amie,
La prend, la rend, rit avec eux,
Et porte ailleurs sa douce envie.
CHOEUR
Peuple léger, etc.
Suite du Ballet
Duo - Dialogue
SPINETTE
(en bergère coquette, aux danseurs)
Galants qui courtisez les
belles,
Sachez brusquer un doux moment.
LA BERGERE
Amants qui soupirez pour elles,
Espérez tout du sentiment.
SPINETTE
Toute occasion non saisie
s'échappe et se perd sans retour.
LA BERGERE
Sans retour pour la fantaisie,
Mais elle renaît pour l'amour.
Suite du Ballet
(De vieux Seigneurs dansent vivement
devant des Bergères modestes,
en leur présentant des bouquets.
Des jeunes gens fatigués, appuyés sur
leurs houlettes, se meuvent avec
peine devant de vieilles
coquettes qui dansent à perdre haleine.
Atar se lève et erre parmi les
danseurs)
SPINETTE
(en Bergère de Cour) Dans nos vergers délicieux,
Le mal, le mieux, tout se balance,
Et si nos jeunes gens sont vieux,
Tous nos vieillards sont dans l'enfance.
UN PAYSAN
Chez nous point d'imposture,
Enfants de la nature,
Nos tendres soins
Sont pour les foins,
Et notre amour pour la pâture.
SPINETTE
Quand l'époux devient indolent,
Contre un galant l'amour l'échange,
Et de ses volages désirs
Par des plaisirs l'hymen se venge.
UN PAYSAN
Chez nous jamais légère,
L'active ménagère
Pour favori n'a qu'un mari,
Mais de ses fils chacun est père.
SPINETTE
Chez nous, sans bruit on se détruit,
On brigue, on nuit
mais sans scandale.
UN PAYSAN (puis les Paysans)
Ma
foi, chez nous, tout ce qu'autrui te
fait,
Fais-lui, c'est la morale.
ASTASIE
Grands dieux! Que la mort d'Astasie
L'arrache au tyran de ces lieux!
Suite du Ballet
ASTASIE
Ô
mon Tarare, ô mon époux,
Dans quel désespoir êtes-vous?
Suite du Ballet
ATAR (dit à tout le sérail)
Saluez tous la belle Irza.
Je la couronne: elle est sultane.
(Il lui attache au front un diadème
de diamant)
CHOEUR
Saluons tous la belle Irza;
L'amour du fond d'une cabane,
Au trône d'Ormus l'éleva.
Du grand Atar elle est sultane.
Suite et fin du Ballet
(Le ballet fini, des esclaves apportent
des vases de sorbet, des liqueurs et
des fruits devant Atar et la sultane.
Spinette reste auprès de sa maîtresse,
prête à la servir)
ATAR (avec joie)
Calpigi, ton zèle m'enchante!
J'aime un esprit fertile à qui tout
obéit.
Des mers de votre Europe, et contre
toute attente, apprends-nous quel hasard
dans Ormus t'a conduit?
Mais pour amuser mon amante,
Anime ton récit d'une gaieté piquante.
CALPIGI
(à part, d'un ton sombre) J'y
veux mêler un nom qui
nous rendra la nuit.
(Il prend une mandoline et chante sur
le
ton de la barcarolle. La danse figurée cesse; tous
les
danseurs et danseuses se prennent par
la main pour danser le refrain de
sa chanson)
CALPIGI
Je
suis natif de Ferrare;
Là, par les soins d'un père avare,
Mon chant s'étant fort embelli;
Ahi! povero Calpigi!
Je passai du Conservatoire
Premier chanteur à l'Oratoire
Du souverain di Napoli:
Ah! bravo, caro Calpigi!
(Le choeur répète le dernier vers.
On danse la ritournelle. A la fin de chaque couplet,
Calpigi se
retourne, et regarde avec inquiétude
du
côté par où il craint que Tarare
n'arrive)
La
plus célèbre cantatrice,
De moi fit bientôt par caprice
Un simulacre de mari; Ahi! povero
Calpigi!
Mes fureurs, ni mes jalousies,
N'arrêtant point ses fantaisies,
J'étais chez moi comme un zéro:
Ahi! Calpigi povero! (Le choeur répète le dernier
vers.
On danse la ritournelle)
Je
résolus, pour m'en défaire,
De la vendre à certain corsaire,
Exprès passé de Tripoli;
Ah! bravo, caro Calpigi!
Le jour venu, mon traître d'homme,
Au lieu de me compter la somme,
M'enchaîne au pied de leur châlit,
Ahi! povero Calpigi!
(Le choeur répète le dernier
vers.
On danse la ritournelle)
Le
forban en fit sa maîtresse;
De moi, l'argus de sa sagesse:
Et j'étais là tout comme ici: Ahi!
povero Calpigi! (Spinette, en cet endroit,
fait un grand éclat de rire)
ATAR
Qu'avez-vous à rire, Spinette?
CALPIGI
Vous voyez ma fausse coquette.
ATAR
Dit-il vrai?
SPINETTE
Signor, è vero.
CALPIGI
(achève l'air)
Ahi! Calpigi povero! (Le choeur répète le dernier vers.
On danse la
ritournelle. Ici l'on voit dans le fond Tarare
descendre par une échelle de soie;
Calpigi l'aperçoit)
CALPIGI (à part)
C'est Tarare!
Bientôt à travers la Libye,
L'Egypte, l'Isthme et l'Arabie,
Il allait nous vendre au Sophi:
Ahi! povero Calpigi!
Nous sommes pris, dit le barbare.
Qui nous prenait? Ce fut Tarare...
ASTASIE
(faisant un cri)
Tarare!
TOUT LE SERAIL
(s'écrie)
Tarare!
ATAR (furieux)
Tarare!
(Il renverse la table d'un coup de
pied.
Astasie se lève troublée,
Spinette la soutient. Au bruit qui se fait, Tarare,
à moitié descendu, se jette au bas dans l'obscurité)
SPINETTE
(à Astasie)
Dieux! que ce nom l'a courroucé!
ATAR Que
la mort! que l'enfer s'empare
Du traître qui l'a prononcé!
(Il tire son poignard, tout le monde
s'enfuit)
SPINETTE
(soutenant Astasie)
Elle expire!
(Atar rappelé à lui par ce cri, laisse
aller Calpigi et les autres esclaves, et
revient vers Astasie que des femmes emportent
chez elle.
Atar y entre, en jetant à la porte
sa
simarre et ses brodequins, à la manière
des Orientaux)
Scène Cinquième
(Le théâtre est très obscur.
Calpigi,
Tarare, un poignard à la main,
prêt à frapper Calpigi qu'il entraîne.
CALPIGI
(s'écrie:) O
Tarare!
TARARE
(avec
un grand trouble)
O
fureur que j'abhorre!
Mon ami... s'il n'eût pas parlé,
De ma main était immolé!
CALPIGI
Tu
le devais, Tarare! il
le faudrait encore,
Si quelque esclave curieux...
TARARE (troublé)
Mille cris de mon nom font retentir ces
lieux!
Je me crois découvert, et que la
jalousie...
Mourir sans la revoir, et si près
d'Astasie!
CALPIGI O
mon héros! tes vêtements mouillés,
D'algues impures et de limons
souillés!...
Un grand péril a menacé ta vie!
TARARE (à demi-voix) Au
sein de la profonde mer,
Seul, dans une barque fragile,
Aucun souffle n'agitant l'air,
Je sillonnais l'onde tranquille.
Des avirons le monotone bruit,
Au loin distingué dans la nuit,
Soudain a fait sonner l'alarme:
J'avais ce poignard pour toute arme.
Deux cents rameurs partent du même lieu:
On m'enveloppe, on se croise, on
rappelle:
J'étais pris...
D'un grand coup d'épieu,
Je m'abîme avec ma nacelle,
Et le frayant sous les vaisseaux
Une route nouvelle et sûre,
J'arrive à terre entre les eaux,
Dérobé par la nuit obscure.
J'entend la cloche du beffroi.
L'appel bruyant de la trompette,
Que le fond du golfe répète,
Augmente le trouble et l'effroi.
On court, on
crie aux sentinelles:
Arrête! arrête! On fond sur moi:
Mais, s'ils couraient, j'avais des
ailes.
J'atteins le mur comme un éclair.
On cherche au pied; j'étais dans l'air,
Sur l'échelle souple et tendue
Que ton zèle avait suspendue.
Je suis sauvé, grâce à ton cœur:
Et pour payer tant de faveur,
O douleur! ô crime exécrable!
Trompé par une aveugle erreur,
J'allais d'une main misérable,
Assassiner son bienfaiteur!
Pardonne, ami, ce crime involontaire.
CALPIGI
O mon héros! que me dois-tu?
Sans force,
hélas! sans caractère,
Le faible Calpigi, de tous les vents
battu,
Serait moins que rien sur la terre,
S'il n'était pas épris de ta mâle vertu!
Ne perdons point un instant salutaire:
Au sérail, la tranquillité
Renaît avec l'obscurité.
(Il prend un paquet dans une touffe
d'arbres, et dit:)
Sous cet habit d'un noir esclave
Cachons des guerriers le plus brave.
D'homme éloquent,
deviens un vil muet.
(Il l'habille en muet)
Que
mon héros surtout jamais n'oublie
Que sous ce masque un mot est un
forfait,
(Il lui met un masque noir)
Et
qu'en ce lieu de jalousie,
Le moindre est payé de la vie.
(Ils s'avancent vers l'appartement
d'Astasie)
Tout est ici dans un repos parfait.
(Ici,
Calpigi s'arrête avec effroi)
N'avançons pas! j'aperçois la simarre,
Les brodequins de l'empereur.
TARARE (égaré, criant:)
Atar chez elle! Ah!
malheureux Tarare!
Rien ne retiendra ma fureur.
Brama! Brama!
CALPIGI
(lui fermant la bouche)
Renferme donc ta peine!
TARARE (criant plus fort)
Brama! Brama! (Il tombe sur le sein de Calpigi)
CALPIGI
Notre mort et certaine.
Scène Soixième (Atar, sort de chez Astasie,
Tarare, Calpigi)
CALPIGI
(crie, effrayé) On
vient: c'est le sultan.
(Tarare tombe la face contre terre)
ATAR
(d'un ton terrible)
Quel insolent ici?
CALPIGI
(troublé) Un
insolent!... C'est Calpigi!
ATAR
D'où vient cette voix déplorable?
CALPIGI
(troublé)
Seigneur, c'est... c'est ce misérable.
Croyant entendre quelque bruit,
Nous faisions la ronde de nuit.
D'une soudaine frénésie
Cette brute à l'instant saisie...
Peut-être a-t-il perdu l'esprit!
Mais il pleure, il crie, il s'agite,
Parle, parle, parle si vite,
Qu'on n'entend rien de ce qu'il dit.
ATAR (d'un ton terrible) Il
parle, ce muet?
CALPIGI
(plus troublé) Que
dis-je!
Parler serait un beau prodige!
D'affreux sons inarticulés...
ATAR (lui prend le bras. Tarare est sans
mouvement,
prosterné) O
bizarre sort de ton maître!
Tu maudis quelquefois ton être...
Je venais, les sens agités,
L'honorer de quelques bontés,
Soupirer d'amour auprès d'elle.
A peine étais-je à ses côtés,
Elle s'échappe, la rebelle!
Je l'arrête et saisis sa main:
Tu n'as vu chez nulle mortelle
L'exemple d'un pareil dédain!
"Farouche Atar! quelle est donc ton
envie?
"Avant de me ravir l'honneur,
"Il faudra m'arracher la vie..."
Ses yeux pétillaient de fureur.
Farouche Atar!... son honneur!... La
sauvage,
Appelant la mort à grands cris...
Atar, enfin, a connu le mépris;
(Il tire son poignard)
Vingt fois j'ai voulu, dans ma rage,
Epargner moi-même à son bras...
Allons, Calpigi, suis mes pas.
CALPIGI
(lui présente sa simarre)
Seigneur, prenez votre simarre.
ATAR
Rattache avant mon brodequin
Sur le corps de cet Africain...
(Il met son pied sur le corps de
Tarare)
Je
sens que la fureur m'égare!...
(Il
regarde Tarare)
Malheureux nègre, abject et nu,
Au lieu d'un reptile inconnu,
Que du néant rien ne sépare,
Que n'es-tu l'odieux Tarare!
Avec quel plaisir de ce flanc
Ma main épuiserait le sang!...
Si l'insolent pouvait jamais connaître
Quels dédains il vaut à son maître!
Et c'est pour cet indigne objet,
C'est pour lui seul qu'elle me brave!...
Calpigi, je forme un projet:
Coupons la tête à cet esclave;
Défigure-la tout-à-fait!
Porte-la de ma part toi-même.
Dis-lui qu'en mes transports jaloux,
Surprenant ici son époux...
(Il tire le sabre de Calpigi)
CALPIGI
(l'arrête et l'éloigne de son ami)
De cet
horrible stratagème,
Ah! mon maître, qu'espérez-vous?
Quand elle pourrait s'y méprendre,
En deviendrait-elle plus tendre?
En l'inquiétant sur ses jours,
Vous la ramènerez toujours.
ATAR (furieux) La
ramener!...
J'adopte une autre idée.
Elle me croit l'âme enchantée:
Montrons-lui bien le peu de cas
Que je fais de ses vains appas.
Cette orgueilleuse a dédaigné son
maître!
O le plus charmant des projet!
Je punis l'audace d'un traître
Qui m'enleva le cœur de mes sujets,
Et j'avilis la superbe à jamais.
Calpigi?...
CALPIGI
(troublé)
Quoi! Seigneur!
ATAR
Jure-moi sur ton âme
D'obéir.
CALPIGI
(plus troublé)
Oui, Seigneur.
ATAR
Point de zèle indiscret: Tout à
l'heure.
CALPIGI
(presque égaré) A
l'instant.
ATAR
Prends ce vil muet,
Conduis-le chez elle en secret:
Apprends-lui que ma tendre flamme
La donne à ce monstre pour femme.
Dis-lui bien que j'ai fait serment
Qu'elle n'aura jamais
d'autre époux, d'autre amant.
Je veux que l'hymen s'accomplisse:
Et si l'orgueilleuse prétend
S'y dérober, prompte justice.
Qu'à son lit à l'instant conduit,
Avec elle il passe la nuit;
Et qu'à tous les yeux exposée,
Demain de mon sérail elle soit la risée!
A présent, Calpigi, de moi je suis
content.
Toi, par tes signes, fais que cette
brute apprenne
Le sort fortuné qui l'attend.
CALPIGI
(tranquillisé) Ah!
seigneur, ce n'est pas la peine,
S'il ne parle pas, il entend.
ATAR
Accompagne ton maître à la garde
prochaine. (Il se retourne pour sortir)
CALPIGI
(en se baissant pour ramasser la simarre
de l'empereur, dit tout bas à
Tarare)
Quel heureux dénouement!
(Il suit Atar)
TARARE
(se relève à genoux)
Mais quelle horrible scène!
(Il ôte
son masque, qui tombe à
terre loin de lui)
Ah! respirons.
ATAR
(revient à l'appartement d'Astasie, d'un
air menaçant, et dit avec une joie féroce:)
Je
pense au plaisir que j'aurai,
Superbe, quand je te verrai
Au sort d'un vieux nègre liée,
Et par cent cris humiliée!
(Il imite
le chant trivial des esclaves)
Saluons tous la fière Irza,
Qui, regrettant une cabane,
Aux voeux d'un roi se refusa:
D'un vil muet elle est sultane.
Hein? Calpigi?
(Il va, il vient. Calpigi, sous prétexte
de lui
donner sa simarre, se met
toujours entre lui
et Tarare, pour qu'il ne
le voie pas sans masque)
CALPIGI
(effrayé, feint la joie)
Ha! quel plaisir mon maître aura!
ATAR
Hein! Calpigi?
CALPIGI
Quand le sérail retentira...
ATAR, CALPIGI
Saluons tous la fière Irza,
Qui, regrettant une cabane,
Aux voeux d'un roi se refusa:
D'un vil muet elle est sultane.
Scène Settième
TARARE
(seul, levant les mains au ciel)
Dieu tout-puissant! tu
ne trompas jamais
L'infortuné qui croit à tes bienfaits.
(Il remet son masque et suit de loin
l'empereur)
ACTE IV
(Le théâtre représente l'intérieur de
l'appartement d'Astasie.
C'est un salon superbe, garni de sofas
et autres meubles orientaux)
Scène Première
(Astasie,
Spinette)
ASTASIE (entre en grand désordre)
Spinette, comment fuir de
cette horrible enceinte?
SPINETTE
Calmez le désespoir dont votre âme est
atteinte.
ASTASIE
(égarée, les bras élevés) O
mort! termine mes douleurs;
Le crime se prépare.
Arrache au plus grand des malheurs
L'épouse de Tarare. (bis) Il
semblait que je pressentais
Leur entreprise infâme!
Quand il partit, je répétais,
Hélas! l'effroi dans l'âme!
Cruel! pour qui j'ai tant souffert,
C'est trop que ton absence
Laisse Astasie en un désert,
Sans joie et sans défense!
L'imprudent n'a pas écouté
Sa compagne éplorée:
Aux mains d'un brigand détesté
Des brigands l'ont livrée.
O mort! termine mes douleurs:
Le crime se prépare.
Arrache au plus grand des malheurs
L'épouse de Tarare. (bis)
(Elle se jette sur un sofa avec
désespoir)
SPINETTE
Un
grand roi vous invite à faire son
bonheur.
L'amour met à vos pieds le maître de la
terre.
Que de beautés ici
brigueraient cet honneur!
Loin de s'en alarmer, on peut en être
fière.
ASTASIE
(pleurant) Ah!
vous n'avez pas eu Tarare pour amant!
SPINETTE Je
ne le connais point; j'aime sa renommée;
Mais pour lui, comme pour vous, si
j'étais enflammée,
Avec le dur Atar je feindrais un moment;
Et j'instruirais Tarare au moins de ma
souffrance.
ASTASIE A
la plus légère espérance
Le cœur de malheureux s'ouvre
facilement.
J'aime ton noble attachement:
Hé bien! fais-lui savoir
qu'en cette enceinte horrible...
SPINETTE
Cachez vos pleurs, s'il est possible.
Des secrets plaisirs du sultan
Je vois le ministre insolent.
(Astasie essuie ses yeux, et se remet
de son mieux)
Scène Seconde
(Calpigi, Spinette, Astasie)
CALPIGI
(d'un ton dur)
Belle Irza, l'empereur ordonne
Qu'en ce moment vous receviez la foi
D'un nouvel époux qu'il vous donne.
ASTASIE Un
époux! un époux à moi?
SPINETTE
(le contrefait)
Commandant d'un corps ridicule!
Abrège-nous ton grave préambule.
Ce nouvel époux, quel est-il?
CALPIGI
C'est du sérail le muet le plus vil.
ASTASIE Un
muet!
SPINETTE Un
muet!
ASTASIE
J'expire.
CALPIGI
L'ordre est que chacun se retire.
SPINETTE
Moi?
CALPIGI
Vous.
SPINETTE
Moi?
CALPIGI
Vous; vous, Spinette; il y va des jours
De qui troublerait leurs amours.
ASTASIE
O
juste ciel!
SPINETTE
(raillant) Dis
à ton maître
Que le grand-prêtre
Sera sans doute assez surpris
Qu'à la pluralité des femmes
On ose ajouter,
chez les Brames,
La pluralité des maris.
CALPIGI
(ironiquement)
Votre conseil au roi paraîtra d'un grand
prix.
J'en ferai votre cour.
SPINETTE
(du même ton)
Vous l'oublierez peut-être.
CALPIGI
Non.
SPINETTE
Vous le rendrez mieux, l'ayant deux fois
appris. (Elle le répète) Dis
à ton maître
que le grand prêtre
Sera sans doute assez surpris
Qu'à la pluralité des femmes
On ose ajouter,
chez les Brames,
La pluralité des maris.
(Calpigi sort en lui faisant le
signe impérieux de se retirer)
Scène Troisième
(Astasie, Spinette)
ASTASIE (au désespoir) O
ma compagne! ô mon amie!
Sauve-moi de cette infamie.
SPINETTE
Hé!
comment vous prouver ma foi?
ASTASIE
Prends mes diamants, ma parure:
Je te les donne, ils sont à toi.
(Elle les
détache)
Ah!
dans cette horrible aventure,
Sois Irza, représente-moi;
Tu le réprimeras sans peine.
SPINETTE
Si
c'est Calpigi qui l'amène,
Madame, il me reconnaîtra.
ASTASIE
(ôte son manteau royal)
Ce
long manteau te couvrira.
Souviens-toi de Tarare, et nomme-le sans
cesse;
Son nom seul te garantira.
SPINETTE
(pendant qu'on l'habille) Je
partage votre détresse.
Hélas! que ne ferais-je pas
Pour sauver d'un dangereux pas
Mon incomparable maîtresse!
(bis) (Astasie sort précipitamment)
Scène Quatrième
SPINETTE
(seule)
Spinette, allons, point de faiblesse!
Le roi dans peu te sera gré
D'avoir adroitement paré
Le coup qu'il porte à sa maîtresse.
(Elle
s'assied sur un sofa)
Surcroît d'honneur et de richesse!
Scène Cinquième
(Calpigi, Tarare, en muet;
Spinette,
assise,
voilée, son mouchoir sur les yeux)
CALPIGI
(à Tarare, d'un ton sévère)
Cette femme est à toi, muet!
(Il sort)
Scène Sixième
(Tarare, Spinette)
SPINETTE
(à part, voilée)
Comme il est laid!...
Cependant il n'est point mal fait.
(Tarare se met à genoux devant elle)
Il
se prosterne! il n'a point l'air
farouche
Des autres monstres de ces lieux.
(A Tarare, d'un air de dignité)
Muet, votre aspect me touche;
Je lis votre amour dans vos yeux:
Un tendre aveu de votre bouche
Ne pourrait me l'exprimer mieux.
TARARE (à part, se relevant)
Grand dieux! ce n'est point Astasie,
Et mon cœur allait s'exhaler!
De m'être abstenu de parler,
O Brama! je te remercie.
SPINETTE
(à part)
On
croirait qu'il se parle bas,
Chaque animal a son langage.
(Elle se dévoile. Tarare la regarde)
De
loin, je le veux bien, contemplez mes
appas.
Je voudrais pouvoir davantage:
Mais un monarque, un calife, un sultan,
Le plus parfait, comme le plus puissant,
Ne peut rien sur mon cœur, il
est tout à Tarare.
TARARE
(s'écrie)
A
Tarare!...
SPINETTE
(se levant) Il
me parle!
TARARE O
transport qui m'égare!
Etonnement trop indiscret!
SPINETTE
Un
mot a trahi ton secret!
Tu n'es pas muet? téméraire!
(Elle lui enlève son masque)
TARARE (à ses pieds) Ah!
c'est en m'accusant que je dois
m'excuser.
Etranger dans Ormus, hier on me vint
dire
Que le maître de cet empire
Donnait à son amante une fête au
sérail...
J'ai cru, sous ce vil attirail...
Duo
SPINETTE
(légèrement) Ami, ton courage m'éclaire.
Si Tarare aimait à me plaire,
Il eût tout bravé comme toi.
J'oublierai qu'il obtint ma foi:
C'en est fait, mon cœur te préfère;
Tu seras Tarare pour moi.
TARARE (troublé)
Quoi! Tarare obtint votre foi!
SPINETTE
C'en est fait, mon cœur te préfère.
TARARE
C'est moi que votre cœur préfère?
SPINETTE
Tu
seras Tarare pour moi.
TARARE (plus troublé)
Est-ce un songe! ô Brama, veillé-je?
Tout ce que j'entends me confond.
Atar, toi que la haine assiège,
M'as-tu conduit de piège en piège
Dans un abîme aussi profond!
SPINETTE
Ce
n'est point un piège; non, non:
De son pardon Je te répond.
(Elle voit entrer les soldats)
Ciel! on vient l'arrêter!
TARARE
Tout espoir m'abandonne.
(Spinette se voile et rentre
précipitamment)
Scène Settième
(Tarare, démasqué, Urson,
Soldats armés de massues, Calpigi,
Eunuques entrant de l'autre côté)
URSON
Marchez, soldats,
Doublez le pas.
CALPIGI
Quoi! des soldats! N'avancez pas.
URSON (aux soldats)
Suivez l'ordre que je vous donne.
CALPIGI
(aux eunuques) Ne
laissez avancer personne.
SOLDATS
Doublons le pas.
EUNUQUES
N'avancez pas.
Pour tous cette enceinte est sacrée.
SOLDATS
Notre ordre est d'en forcer l'entrée.
CALPIGI
Urson, expliquez-vous.
URSON Le
sultan agité,
Sur l'effet d'un courroux qu'il a trop
écouté,
Veut que l'affreux muet
soit massolé, jeté
Dans la mer, et pour sépulture,
Y serve aux monstres de pâture.
CALPIGI
(se met entre eux et Tarare) Le
voici: de sa mort, Urson, je prend le
soin,
Les jardins du sérail sont commis à ma
garde;
Mes eunuques sont prêts.
URSON
Pour que rien ne retarde,
Son ordre est que j'en sois témoin.
Marchez, soldats, qu'on s'en empare.
(Les soldats lèvent la massue)
UN SOLDAT
(s'avançant) Ce
n'est point un muet.
URSON
Quel qu'il soit.
TARARE (se retournant vers eux)
C'est Tarare.
URSON
Tarare!...
(Les soldats et les eunuques
reculent
par respect)
SOLDATS, EUNUQUES
Tarare! Tarare!
CALPIGI
Un
tel coupable, Urson, devient trop
important
Pour qu'on l'ose frapper sans l'ordre du
sultan.
(A Tarare, à part) En
suspendant leurs coups, je te sauve
peut-être.
URSON
(avec douleur)
Tarare infortuné! qui peut le désarmer?
Nos larmes contre toi vont encor
l'animer!
CHOEUR
(douloureux) Tarare infortuné! qui peut le désarmer?
Nos larmes contre toi vont encor
l'animer!
TARARE Ne
plaignez point mon sort,
respectez votre maître:
Puissiez-vous un jour l'estimer!
(On emmène Tarare)
URSON (bas à Calpigi)
Calpigi, songe à toi; la
foudre est sur deux têtes.
(Il sort)
Scène Huitième
CALPIGI
(seul, d'un ton décidé) Sur
deux têtes la foudre, et
l'on m'ose nommer!
Elle en menace trois, Atar, et ces
tempêtes,
Que ta haine alluma, pourront te
consumer.
Va! l'abus du pouvoir suprême
Finit toujours par l'ébranler:
Le méchant qui fait tout trembler
Est bien près de trembler lui-même.
Cette nuit, despote inhumain,
Tarare excitait ta furie,
Ta haine menaçait sa vie,
Quand la tienne était dans sa main!
Va! l'abus du pouvoir suprême
Finit toujours par l'ébranler:
Le méchant qui fait tout trembler
Est bien près de trembler lui-même.
(bis)
(Il sort)
ACTE V
(Le théâtre représente une cour
intérieure
du
palais d'Atar. Au milieu est un bûcher; au pied
du
bûcher,
un billot, des chaînes, des haches,
des massues et autres instruments d'un
supplice)
Scène Première
(Atar, Eunuques, suite)
ATAR (examine avec avidité le bûcher et tous
les apprêts du supplice de Tarare)
Fantôme vain! idole populaire,
Dont le nom seul excitait ma colère,
Tarare!...
enfin tu mourras cette fois!
Ah! pour Atar, quelle bien céleste
D'immoler l'objet qu'il déteste
Avec le fer souple des lois! (bis)
(Aux eunuques)
Trouve-t-on Calpigi?
UN EUNUQUE
Seigneur, on suit sa trace.
ATAR A
qui l'arrêtera je donnerai sa place.
(Les eunuques sortent en courant)
Scène Seconde
(Deux files de prêtres le suivent;
l'une
en blanc, dont le premier prêtre
porte
un drapeau blanc, où sont écrits en
lettre d'or
ces mots: La Vie.
L'autre
file de prêtre
est en noir, couverte de
crêpes,
dont le premier prêtre porte
un drapeau noir,
où sont écrits ces
mots en lettres
d'argent:
La Mort)
ARTHENEE
(s'avance, bien sombre) Que
veux-tu, roi d'Ormus? et
quel nouveau malheur
Te force d'arracher un père à sa
douleur?
ATAR Ah!
si l'espoir d'une prompte vengeance
Peut l'adoucir, recois-en l'assurance.
Dans mon sérail on a surpris
L'affreux meurtrier de ton fils.
Je tiens la victime enchaînée,
Et veux que par toi-même
elle soit condamnée.
Dis un mot, le trépas l'attend.
ARTHENEE
Atar, c'était en l'arrêtant...
Sans avoir l'air de la connaître,
Il fallait poignarder le traître:
Je tremble qu'il ne soit trop tard!
Chaque instant le moindre retard
Sur ton bras peut fermer le piège.
ATAR
Quel démon, quel dieu le protège?
Tout me confond de cette part!
ARTHENEE
Son
démon, c'est une âme forte,
Un cœur sensible et généreux,
Que tout émeut, que rien n'emporte;
Un tel homme est bien dangereux!
Scène Troisième (Atar, Arthénée, Tarare enchaîné,
Soldats,
Esclaves, suite, prêtres de la vie
et de la mort)
ATAR
Approche, malheureux! Viens subir le
supplice
Qu'un crime irrémissible Arrache à ma
justice.
TARARE
Qu'elle soit juste ou nom, je demande la
mort.
De tes plaisirs j'ai violé l'asile
Sans y trouver l'objet d'une audace
inutile,
Mon Astasie!... O ce fourbe Altamort!
Il l'a ravie à mon séjour champêtre
Sans la présenter à son maître!
Trahissant tout, honneur, devoir...
Il a payé sa double perfidie;
Mais ton Irza n'est point mon Astasie.
ATAR (avec fureur)
Elle n'est pas en mon pouvoir?
(Aux eunuques) Que
l'on m'amène Irza. Si ta bouche en
impose,
Je la poignarde devant toi.
TARARE La
voir mourir est peu de chose;
Tu te puniras, non pas moi.
ATAR De
sa mort la tienne suivie...
TARARE (fièrement) Je
ne puis mourir qu'une fois.
Qu'en je m'engageai sous tes lois,
Atar, je te donnai ma vie;
Elle est toute entière à mon roi:
Au lieu de la perdre pour toi,
C'est par toi qu'elle m'est ravie.
J'ai rempli mon sort, suis ton choix;
Je ne puis mourir qu'une fois.
Mais souhaite qu'un jour ton peuple te
pardonne.
ATAR Une
menace?
TARARE Il
s'en étonne!
Roi féroce! as-tu donc compté
Parmi les droits de ta couronne,
Celui du crime et de l'impunité?
Ta fureur ne peut se contraindre,
Et tu veux n'être pas haï!
Tremble d'ordonner...
ATAR
Qu'ai-je à craindre?
TARARE De
te voir toujours obéi;
Jusqu'à l'instant où l'effrayante somme
De tes forfaits déchaînant leur
courroux...
Tu pouvais tout contre un seul homme,
Tu ne pourras rien contre tous.
ATAR
Qu'on l'entoure!
(Les esclaves l'entourent.
Tarare va s'asseoir
sur le billot, au
pied
du bûcher, la tête
appuyée sur ses
mains,
et ne regarde plus rien)
Scène Quatrième (Astasie, voilée; Atar, Arthénée, Tarare,
Spinette, esclaves des deux sexes,
soldats)
ATAR (à Astasie)
Ainsi donc, abusant de vos charmes,
Fause Irza, par de feintes larmes,
Vous triomphiez de me tromper?
Je prétends, avant de frapper,
Savoir comment ma puissance jouée...
SPINETTE
Une
esclave fidèle, hélas! substituée,
Innocemment causa le désordre et
l'erreur.
TARARE
(à part, tenant sa tête dans ses mains)
Ah!
cette voix me fait horreur!
ATAR Il
est donc vrai, cet échange funeste!
J'adorais sous le nom d'Irza...
(A Astasie) Va,
malheureuse, je déteste
L'indigne amour qui pour toi m'embrasa.
A la rigueur des lois avec lui sois
livrée! (Au grand-prêtre)
Pontife, décidez leur sort.
ARTHENEE
Ils
sont jugés:
levez l'étendard de la mort.
De leurs jours criminels la trame est
déchirée. (Le grand-prêtre déchire la bannière
de la vie.
Le prêtre en
deuil élève la bannière
de la mort. On entend un bruit funèbre d'instruments
déguisés)
(Astasie se jette à genoux, et prie
pendant
le choeur. On apporte au grand-prêtre le
livres des arrêts, couvert d'un crêpe.
Il signe l'arrêt de mort. Deux enfants
en deuil
lui remettent chacun un flambeau.
Quatre prêtres en deuil lui présentent
deux
grands vases pleins d'eau lustrale.
Il éteint dans ces vases les deux
flambeaux en
les renversant. Pendant ce temps, les
prêtres
de la vie se retirent en silence.
Le drapeau de la vie déchiré traîne à
terre.
On entend trois coups d'une cloche
funéraire)
CHOEUR FUNEBRE
Avec tes décrets infinis,
Grand Dieu! si ta bonté s'accorde,
Ouvre à ces coupables punis
Le sein de ta miséricorde!
ARTHENEE
(prie)
Brama! de ce bûcher, par la mort réunis,
Ils montent vers le ciel:
qu'ils n'en soient point bannis!
LE CHOEUR FUNEBRE Avec tes décrets infinis, etc.
(Astasie se relève et s'avance au
bûcher, où Tarare est
abîmé de douleur)
ASTASIE
(à Tarare) Ne
m'impute pas, étranger,
Ta mort que je vais partager.
TARARE
(se relève, avec feu)
Qu'entends-je? Astasie!
ASTASIE
Ah!
Tarare!
(Ils se jettent dans les bras l'un de
l'autre)
ARTHENEE
(au roi) Je
te l'avais prédit.
ATAR (furieux)
Qu'on les sépare.
Qu'un seul coup les fasse périr.
(Les soldats s'avancent)
Non... C'est trop tôt briser leurs
chaînes;
Ils seraient heureux de mourir.
Ah! je me sens altéré de leurs peines,
Et j'ai soif de les voir souffrir.
ASTASIE
(avec dédain, au roi) O
tigre! mes dédains ont trompé ton
attente,
Et malgré toi je goûte un
instant de bonheur:
J'ai bravé ta faim dévorante,
Le rugissement de ton cœur.
Pour prix de ta lâche entreprise,
Vois, Atar, je l'adore, et
mon cœur te méprise. (Elle embrasse Tarare)
ATAR (vivement, aux soldats)
Arrachez-la tous de ses bras.
Courez. Qu'il meure et qu'elle vive!
ASTASIE
(tire un poignard qu'elle approche
de son sein)
Si
quelqu'un vers lui fait un pas,
Je suis morte avant qu'il arrive.
ATAR (aux soldats)
Arrêtez-vous!
ASTASIE, TARARE ET ATAR
Le
trépas nous attend:
Encore une minute,
Et notre amour constant
Ne sera plus en butte
Aux coups d'un noir sultan.
(Les soldats font un mouvement)
ATAR (s'écrie)
Arrêtez un moment!
ASTASIE
(seule) Je
me frappe à l'instant
Que sa loi s'exécute.
(à Tarare)
Sur ton cœur palpitant,
Tu sentiras ma chute,
Et tu mourras content.
ATAR O
rage! affreux tourment!
C'est moi, c'est moi qui lutte,
Et leur cœur est content.
ASTASIE
Sur
ton cœur palpitant
Tu sentiras ma chute,
Et tu mourras content.
TARARE Sur
mon cœur palpitant
Je sentirai ta chute,
Et je mourrai content.
Scène Cinquième
(Une foule d'esclaves des deux sexes
accourt
avec frayeur, et se serre aux genoux
d'Atar)
ESCLAVES (effrayés)
Atar, défends-nous, sauve-nous.
Du palais la garde est forcée,
Du sérail la porte enfoncée.
Notre asile est à tes genoux;
Ta milice en fureur redemande Tarare.
Scène Sixième (Les précédents, toute la milice le
sabre
à la main,
Calpigi à leur tête, Urson. Les prêtres de la mort se retirent)
SOLDATS (furieux. Ils renversent le bûcher)
Tarare! Tarare! Tarare!
Rendez-nous notre général.
Son trépas, dit-on, se prépare.
Ah! s'il reçoit le coup fatal,
Nous en punirons ce barbare.
(Ils s'avancent vers Atar)
TARARE
(enchaîné, écarte les esclaves)
Arrêtez, soldats! arrêtez!
Quel ordre ici vous a portés?
O l'abominable victoire!
On sauverait mes jours en flétrissant ma
gloire!
Un tas de rebelles mutins
De l'état ferait les destins!
Est-ce à vous de juger vos maîtres?
N'ont-ils soudoyé que des traîtres?
Oubliez-vous,
soldats usurpant le pouvoir,
Que le respect des rois est le premier
devoir?
Armes bas, furieux!
votre empereur vous casse.
(Ils se jettent tous à genoux.
Il s'y jette lui-même et dit au roi:)
Seigneur, ils sont soumis; je
demande leur grâce.
ATAR (hors de lui)
Quoi! toujours ce fantôme
entre mon peuple et moi!
(Aux soldats)
Défenseurs du sérail, suis-je encor
votre roi?
UN EUNUQUE
Oui.
CALPIGI
(le menace du sabre)
Non.
SOLDATS
(se lèvent)
Non.
LE PEUPLE
Non.
CALPIGI
(montrant Tarare)
C'est lui.
TARARE
Jamais.
LES SOLDATS
C'est toi.
TOUT LE PEUPLE
C'est toi.
ATAR (avec désespoir, à Tarare)
Monstre!... Ils
te sont vendus...
Règne donc à ma place. (Il se poignarde et tombe)
TARARE
(avec douleur) Ah!
malheureux!
ATAR (se relève dans les angoisses)
La
mort est moins dure à mes yeux...
Que de régner par toi... sur
ce peuple odieux.
(Il tombe mort dans les bras des
eunuques qui l'emportent. Urson les
suit)
Scène Settième
(Les acteurs precedents, excepté Atar et
Urson)
CALPIGI (crie au peuple:)
Tous les torts de son règne, un
seul mot les répare:
(Il laisse le trône à Tarare)
TARARE (vivement) Et
moi je ne l'accepte pas.
CHOEUR GENERAL
(exalté)
Tous les torts de son règne, un seul mot
les répare: (Il laisse le trône à Tarare)
TARARE (avec dignité) Le
trône est pour moi sans appas:
Je ne suis point né votre maître.
Vouloir être ce qu'on n'est pas,
C'est renoncer à tout ce qu'on peut
être.
Je vous servirai de mon bras:
Mais laissez-moi finir en paix ma vie
Dans la retraite avec mon Astasie.
(Il lui tend les bras, elle s'y
jette)
Scène Huitième
(Urson tenant dans sa
main la couronne
d'Atar)
URSON (prend la chaîne de Tarare)
Non, par mes mains le peuple entier
Te fait son noble prisonnier:
Il veut que de l'état tu saisisses les
rênes.
Si tu rejetais notre foi,
Nous abuserions de tes chaînes
Pour te couronner malgré toi.
(Au grand-prêtre)
Pontife, à ce grand homme Atar lègue
l'Asie;
Consacrez le seul bien qu'il ait fait de
sa vie:
Prenez le diadème, et réparez l'affront
Que le bandeau des rois a reçu de son
front.
ARTHENEE
(prenant le diadème des mains d'Urson)
Tarare, il faut céder!
LE PEUPLE
(s'écrie)
Tarare, il faut céder!
ARTHENEE
Leurs désirs sont extrêmes
LE PEUPLE
Nos
désirs sont extrêmes.
ARTHENEE
Sois donc le roi d'Ormus.
LE PEUPLE
Sois, sois le roi d'Ormus.
ARTHENEE
(à part. Arthenée lui met la couronne
sur la tête au bruit d'une fanfare)
Il
est des dieux suprêmes.
(Il sort)
Scène Neuvième
(Tous les précédents, excepté le grand
prêtre.
Calpigi et Urson se jettent à genoux,
et ôtent dans cette posture les chaînes
de Tarare)
TARARE
(pendant
qu'on le déchaîne)
Enfants, vous m'y forcez, je
garderai ces fers;
Ils seront à jamais ma royale ceinture.
De tous mes ornements devenus les plus
chers,
Puissent-ils attester à la race future
Que, du grand nom de roi si j'acceptai
l'éclat,
Ce fut pour m'enchaîner au bonheur de
l'état!
(Il s'enveloppe le corps de ses
chaînes)
CHOEUR GENERAL
(avec ivresse)
Quel plaisir de nos coeurs s'empare!
Vive notre grand roi Tarare!
Tarare, Tarare, Tarare!
La belle Astasie et Tarare!
Nous avons le meilleur des rois:
Jurons de mourir sous ses lois.
(bis)
URSON Les
fiers Européans marchent
vers ces états;
Inaugurons Tarare, et
courons au combat.
(Les soldats et le peuple placent Tarare
et Astasie sous le dais où Atar était
assis
pendant la prière publique.
On danse militairement devant eux;
puis Urson et Calpigi, entourés du
peuple,
chantent ce duo:)
URSON, CALPIGI
Roi, nous mettons la liberté
Aux pieds de ta vertu suprême.
Règne sur ce peuple qui t'aime,
Par les lois et par l'équité.
DEUX FEMMES
Et
vous, reine, épouse sensible,
Qui connûtes l'adversité,
Du devoir souvent inflexible
Adoucissez l'austérité:
Tenez son grand cœur accessible
Aux soupirs de l'humanité.
CHOEUR GENERAL
Roi, nous mettons la liberté
Aux pieds de ta vertu suprême;
Règne sur ce peuple qui t'aime,
Par les lois et par l'équité.
(Danse des premiers sujets dans tous les
genres.
Au milieu de la fête, un coup de
tonnerre se dait entendre, le théâtre se
couvre de nuages;
on voit paraître au ciel, sur le char du
soleil,
la Nature et le Génie du Feu)
Scène Dixième
LE GENIE DU FEU
Nature,
quel exemple imposant et funeste!
Le soldat monte au trône, et le tyran
est mort!
LA NATURE
Les
dieux ont fait leur premier sort:
Leur caractère a fait le reste.
LE GÉNIE DU FEU
Encore un généreux
effort. Dans le coeur das
humains, d'un trait inaltérable,
gravons ce précepte admirable.
(Le tonnerre recommence;
les nuages s'élèvent. On voit dans
le fond toute la nation à
genoux, son roi à la tête)
CHOEUR GENERAL
(très éloigné) De
ce grand bruit, de cet éclat,
O Ciel! apprends-nous le mystère!
LA NATURE ET LE GENIE DU FEU
(majestueusement)
Mortel, qui que tu sois, prince, brame ou soldat,
Homme! ta grandeur sur la terre
N'appartient point à ton état;
Elle est toute à ton caractère.
(A mesure que la Nature et le Génie du
Feu
prononcent les vers ci-dessus,
ils se peignent en caractères de feu
dans les nuages. Les trompettes sonnent; le tonnerre
reprend.
Les nuages les couvrent: ils
disparaissent)
|
RÓLOGO
Escena
Primera
(La Naturaleza y los
vientos sin freno. La obertura deja oír
fuertes ruidos en el aire. Es el choque
terrible de todos los elementos. El telón se levanta
y
deja ver sólo nubes que ruedan y se
rompen. Vientos
fuera de
control, que arremolinándose,
bailan en la más violenta agitación)
(La Naturaleza se
adelante entre ellos.
Lleva una varita en la
mano, adornada
con todos los atributos que la
caracterizan) LA NATURALEZA
Suficiente perturbación
al universo
ya causásteis, furiosos vientos. Dejad de agitar el aire
y las olas. Es suficiente. Envainad
vuestras espadas. ¡Sólo Céfiro ha de
reinar en el mundo! (Durante la obertura, el ruido continúa) CORO DE VIENTO
¡No atormentaremos más
al universo! Dejaremos de agitar el
aire y las olas. ¡Oh, infelices de
nosotros! Envainaremos nuestras espadas
y sólo el feliz Céfiro
reinará en el mundo.
(Los vientos se
precipitan hacia las nubes
bajas. Céfiro se eleva
hacia el espacio, El
fragor de la
obertura se
apaga poco a poco.
Las nubes se
disipan; todo es armonía y
calma. Se puede ver
una campiña hermosa.
El Genio del Fuego
desciende en una nube
luminosa desde el
oriente) Escena Segunda
(El Genio del Fuego,
La Naturaleza) GENIO DEL
FUEGO
Desde el brillante
disco del sol, admirando la estructura
de los cielos, te vi, hermosa
Naturaleza. Tú has creado sobre la
tierra una obra maravillosa.
LA NATURALEZA
Fogoso Genio de la ardiente esfera que a mi propia obra
animas,
otórgame para mis obras
un poco más
de tiempo. De todas las razas dispersas
en la inmensidad del universo,
reúno los elementos necesarios para
formar con ellos una nueva: la risible especie
humana. GENIO DEL FUEGO
Este poder absoluto ¿lo ejerces también
sobre
los individuos aislados? LA NATURALEZA
¡Sí, en caso que yo me dignara descender
sobre algunos seres perdidos!
Pero para mí, ¿qué es un
individuo frente a la
muchedumbre de humanos, sobre la que derramo
bendiciones a manos
llenas, para
que nazcan, brillen
por un instante y desaparezcan,
dejando en las manos
de sus sucesores
las breves antorchas de su
efímera existencia? GENIO
DEL FUEGO
¿Utilizas los
elementos más puros cuando creas a los
poderosos, a los gobernantes del imperio? LA NATURALEZA
Tus palabras me hacen
sonreír: con su estúpido orgullo ellos
lo creen así. Pero mira cómo La
Naturaleza los crea, por miles, sin criterio
de elección y sin medida.
(Hace una especie de conjuro) Seres humanos que
todavía no existís; átomos perdidos en
el espacio; todos y cada uno de los
elementos:
¡venid y tomad el lugar correspondiente
de acuerdo a vuestro rango
y peso! Cumplid las leyes
inmutables que el eterno Creador
os ha impuesto. Seres humanos que
aún no existís: ¡apareced vivos ante mis
ojos! Escena Tercera
(El Genio del Fuego,
la Naturaleza,
multitud de sombras de ambos sexos
que bailan sobre el canto del coro) CORO DE SOMBRAS
¿Qué hechizo
desconocido nos atrae? Nuestros
corazones palpitan. Un dulce placer me
hace suspirar. Quisiera describirlo, pero
no puedo. Disfrutando, siento que deseo;
(bis) deseando, siento que existo.
(bis) ¿Qué hechizo
desconocido nos atrae? Nuestros
corazones palpitan. GENIO
DEL FUEGO
(a La Naturaleza) Privados de dulces
vínculos ¿cómo nacerán? ¿Cuál será su rango y
su meta? ¿Y cómo se hará para
prever un crecimiento tan
repentino? NATURALEZA
Me divierto
dispersando por doquier materia en su
forma prematura. Si ellos pudieran amar,
este sería el reino feliz
de Astrea. GENIO DEL FUEGO
Pero ¿qué interés pueden
tener todos ellos? NATURALEZA
Ninguno, creo yo. GENIO
DEL FUEGO
(dirigiéndose a una sombra) ¿Quién eres? ¿Qué
necesitas? ALTAMORT
(Como una sombra) No pido nada,
sólo existo. GENIO DEL
FUEGO
¿Quién te ha hecho
humano? URSON (Como una
sombra) ¿Quién? No lo sé. ¿Qué
importa? GENIO DEL FUEGO
¡Qué fríos son, sin pasiones ni
deseos! ¡Su ignorancia es
profunda! NATURALEZA
¡Ah, los he creado sin ti! Brillante
Sol, en vano la naturaleza es fecunda. Si no reciben un rayo de
tu fuego sagrado, mi obra estará muerta y
mi objetivo perdido. GENIO
DEL FUEGO
¡Gloria a la sabiduría eterna que
creó el amor inmortal y decidió que, por su arrebato, los
seres sensibles deben
ver la luz del mundo! ¡Ah! Si mi llama
ardiente y pura no hubiese encendido tu
amante y estéril seno,
Naturaleza, mi existencia no tendría
sentido. AMBOS ¡Gloria a la sabiduría
eterna, que creó el amor inmortal! etc.
GENIO DEL FUEGO
¡Una última palabra!
Esta
es una sombra femenina...
(a la sombra)
Querida hija, ¿deseas
ser hermosa? LA SOMBRA FEMENINA
¡Hermosa! GENIO DEL
FUEGO
¡Te sonrojas! SOMBRA FEMENINA
¿No tengo atractivo
alguno? GENIO DEL FUEGO
¡Su instinto la
traiciona, pero no la engaña!
NATURALEZA
(sonriendo) Pero puede
comprometerla. GENIO DEL
FUEGO
(a la sombra de Spinette) ¿Y tú, cuyos ojos
originan cientos de discusiones?
SOMBRA FEMENINA
(con pasión) Me gustaría...
me
gustaría... me gustaría dominarlo
todo. GENIO DEL FUEGO
¡Oh, Naturaleza! NATURALEZA
(sonriendo) Me he equivocado; sin
ruborizarse,
mi sexo favorito ha
revelado su dulce secreto.
GENIO DEL FUEGO
(a la sombra de Astasia) Y tú, bella joven,
que pareces tan animada, ¿quisieras también
dictar la ley a todo el mundo? ASTASIA (Como una
sombra) ¡Sólo deseo ser
amada! Esa es la única
felicidad para mí. NATURALEZA
Y lo serás... Bajo el
nombre de Astasia
obtendrás la fidelidad de Tararé. ASTASIA (Como una
sombra)
(arrobada, con la mano sobre el corazón)
¡Tararé! NATURALEZA
Tu destino será digno
de envidia. ASTASIA (Como una
sombra) No se nada.
NATURALEZA
Yo lo sé por ti. GENIO
DEL FUEGO
¡Mira como se ruboriza! LA NATURALEZA
(al Genio del Fuego) ¡Mal podría ser
castigado un joven corazón, que puede fácilmente
equivocarse, cuando un dulce amor va
a dominarlo! Yo misma, después de un
largo invierno, cuando tú reanimas el
universo, con mis primeros
suspiros hago renacer las flores que perfuman
el aire. GENIO DEL FUEGO
(señalando a las dos sombras de
Atar y Tararé) ¿Quiénes son estas dos
magníficas sombras que parecen erguirse
taciturnas y silenciosas? LA NATURALEZA
Nada aún, pero ya les he conferido sus
rangos. Haré de una un
rey y de la otra un soldado.
GENIO DEL FUEGO
Tal vez la
determinación los afectará...
NATURALEZA
Lo dudo. GENIO DEL
FUEGO
(a las sombras) Una de
vosotras será
rey, ¿Quién quiere serlo?
ATAR (Como
una sombra) ¿Rey?
TARARÉ (Como una
sombra) ¿Rey?
ATAR, TARARÉ
No me siento llamado
a serlo. NATURALEZA
Niñas, cuando
hayáis nacido, pensaréis de manera
muy diferente. GENIO DEL
FUEGO
(examinándolas) Mis ojos
intentan hallar al mejor rey de entre ellas.
Pero... ¡temo no saber
juzgar correctamente! Naturaleza, el error de
un momento puede originar un siglo
de desgracias. NATURALEZA
(a ambas sombras) Futuros
mortales, con respeto
y en
silencio esperad el rango que, antes del nacimiento, de nosotros habréis de
recibir. (Las dos sombras se prosternan.
Mientras el Genio del Fuego
duda
en su elección, el resto de sombras
los rodean curiosas cantando el
siguiente coro) SOMBRAS
¡Dejemos de jugar! ¡Acudid todas! Dos de nuestras
hermanas, de rodillas, van a recibir el
destino de sus vidas. GENIO
DEL FUEGO
(pone las manos sobre una de
las dos sombras) Serás el emperador
Atar, déspota asiático. Reinarás a tu gusto en
el palacio de Ormuz.
(a la otra sombra)
Y tú,
soldado, nacido de padres desconocidos. Padecerás largo tiempo
las consecuencias de
nuestra fantasía. NATURALEZA
Lo has hecho soldado; dejémoslo así. Es
Tararé. Pronto
serán protagonistas de un futuro tan
diferente.
(a ambas sombras)
¡Niños, y
ahora abrazaros!
Iguales por naturaleza,
pero a
partir de ahora muy
diferentes en la vida. De la soberbia
grandeza a la humilde pobreza. Esa enorme brecha
será el
destino de ambas. A menos que la poderosa
bondad de Brahma, por medio de un decreto
premeditado, os acerque la una a la
otra, como ejemplo para
reyes y plebeyos. CUATRO SOMBRAS ¡Oh, deidad benéfica!
¡No permitas que nada
altere nuestra conmovedora igualdad y que un hombre domine
a su hermano! (Sólo la sombra de Atar
no canta alejándose con dignidad.
El Genio del
Fuego se lo hace ver
a La Naturaleza) NATURALEZA
(al Genio del Fuego) Es suficiente.
Extingamos en ellos el germen de esa gran
idea, hecha para lugares y
tiempos más felices.
(a todas las sombras)
Así como la niebla al
descender, es transformada en agua
por el frío perdiéndose
en el océano, futuros mortales
volved a la nada. ¡Desapareced!
(al Genio del fuego)
Y nosotros, cuya
esencia profunda devoran el espacio y el
tiempo, hagamos transcurrir
cuarenta años; y veámoslos actuar en
el escenario del mundo. (La Naturaleza y
el Genio del Fuego se
elevan hacia las nubes que, masivamente,
bajan y cubren toda la escena)
ESPÍRITUS
DEL AIRE ¡Gloria a la eterna
sabiduría, que creó el amor
eterno, y procuró que sólo con
su influencia el ser sensible viera la
luz del mundo!
ACTO I
(Palacio de Atar y el templo de Brahma,
en la
plaza de la ciudad de Ormuz. Las nubes que
cubren la escena se levantan, dejando ver
la
sala del
palacio Atar) Escena
Primera
(Mientras termina la
obertura, numerosos soldados salen de
la residencia del emperador, llevando banderas
persas desgarradas y ricas pieles
arrebatadas al enemigo)
SOLDADOS
(sobre el sonido de la obertura)
¡Cantemos la nueva
victoria en la que Tararé ha alcanzado
la gloria! Estas banderas enemigas,
son la prueba y recompensa a su
valor. Escena Segunda
URSON
(frente a los soldados,
les dice a
media voz:) Guerreros, si amáis a
Tararé, dejad de cantar junto a este
palacio, pues el emperador parece
disgustado. LOS SOLDADOS
(se amontonan y cantan
a coro
en sordina) ¿Habéis visto su rostro,
pensativo y
silencioso? ¡Vayamos con nuestras
canciones a otro lugar! El pueblo nos escuchará
con más agrado. (Salen a prisa y desordenadamente)
Escena Tercera
(Atar, Calpigi)
ATAR (Entrando con
violencia) ¡Déjame, Calpigi!
CALPIGI ¡La furia os engaña, mi
Señor! ¡Oh, rey de Ormuz! ¡Sed clemente con
Tararé! ATAR ¡Tararé! ¡Siempre
Tararé! ¡Nombre abyecto y vil,
que parece agradar
tus impuros oídos! CALPIGI Cuando sus tropas nos
encontraron dentro de una cueva
oscura, yo estaba defendiendo
mi vida contra esos inhumanos
enemigos. Herido, dispuesto a
perecer, abrumado por el número,
ese hombre generoso me
arrebató de sus manos. A él le debo estar
ahora con vos ¡Señor, perdonadlo!
ATAR ¿Acaso debo soportar
que un soldado tenga la audacia de
estar feliz cuando su rey no lo está? CALPIGI En el torrente de
Arsaces, él os salvó de
la muerte; y vos, como recompensa,
lo nombráteis jefe del ejército. ATAR ¡Ah,
qué arrepentido estoy! Su orgullosa humildad,
su respeto por el
estúpido pueblo, su carácter, y también
su nombre... ¡Ese hombre es mi castigo! Dime ¿dónde encuentra
la felicidad? ¿En el trabajo o acaso
en la pobreza? CALPIGI En el cumplimiento del
deber.
Sirve con
humildad al cielo,
a los desafortunados, a la patria y a su
señor. ATAR ¿Él? Hace alarde de
humildad, en eso consiste su orgullo. El honor de ser
considerado virtuoso reemplaza la suerte
de serlo. Nunca ha conseguido engañarme.
CALPIGI ¿Engañar?
¿Tararé? ATAR La ley de los
brahmanes permite poseer muchas mujeres. Él tiene solamente una,
y se considera muy feliz. Pero
conseguiré que su amada sea mía. Si la pierde,
sufrirá mucho. CALPIGI ¡Morirá
de dolor!
ATAR Tanto mejor.
El hijo del
sumo sacerdote, Altamort,
ha recibido
mis órdenes. Esta noche irá a la orilla
opuesta con su tropa
y
aprovechando su ausencia,
devastará la morada y raptará a Astasia,
según dicen, la mayor
belleza de Asia. CALPIGI
Pero, ¿cuáles
su delito? ¡Ay de mí! ATAR Ser feliz, Calpigi,
cuando su rey no es. Y conquistar todos los
corazones que anteriormente eran
míos... CALPIGI
Pero a un rey le
cuesta muy poco hacer que todos lo
admiren. ATAR Con
sus hábiles artimañas, él ha conseguido
engañar al pueblo. CALPIGI Es cierto que su amado
nombre está en boca de todos, como una
jaculatoria benéfica. Cuando se habla de la
furia de los mares o de cualquier
calamidad
¡Tararé! es la palabra que todos
pronuncian. Como si ese nombre pudiera
alejar todos los males y hacerlos
desaparecer... ATAR
(encolerizado) ¿Te callarás, miserable
cristiano? ¡Eunuco vil y detestable! La muerte debería...
CALPIGI ¡La muerte, la muerte,
siempre la muerte! Me disgusta esa
eterna palabra. Terminad con mi vida de
una vez, y luego buscad a otro
que os consuele
del triste tedio de la abundancia, la pereza y
el poder. (se aleja) ATAR
(furioso) Castigaré este exceso de
arrogancia. Escena Cuarta
(Los
anteriores y Altamort) ATAR Pero ¿qué
noticias traes, Altamort? ALTAMORT
Mi señor ha sido obedecido. Todo se ha
ejecutado sin testigos. ATAR ¿Y Astasia?
ALTAMORT Es vuestra, sin que nadie
me haya visto, sin que ella misma se
diera cuenta de quien la estaba
secuestrando. ATAR
¡Altamort, te asciendo al rango de Visir!
(a Calpigi)
¿Está todo dispuesto
para recibirla? ¿Está listo el serrallo,
están los jardines
decorados,
Calpigi? CALPIGI Todo está dispuesto,
señor. ATAR Con una gran fiesta,
mañana, celebraré con grandeza
mi conquista. CALPIGI ¿Mañana? El plazo es corto.
ATAR (colérico) ¡Desgraciado! CALPIGI
(rápidamente) ¡Así se hará! ATAR ¿Me
has escuchado bien? Si llega a falta
algo... CALPIGI ¡Faltar! Todo el
mundo sabe muy bien a que se expone en tal
caso. Escena Quinta
(Todos los anteriores, Astasia, Spinette,
odaliscas
y esclavos del serrallo de
ambos sexos.
Cuatro esclavos
negros
conducen a Astasia cubierta totalmente
con un largo velo negro. La dejan en
medio de
la sala)
ESCLAVOS (bailando mientras
cantan) En los lugares más
bellos del Asia, con suprema grandeza,
el amor pone a los pies
de Astasia todo aquello que da
felicidad. No es una humilde
morada la que le ofrece un generoso
corazón, pues la belleza más
perfecta debe reinar sobre el más poderoso
de los hombres. (le quitan
el velo) ATAR
¡Arrodillaos ante ella! (todos se prosternan) ASTASIA ¡Oh, terrible destino
que con horror me persigue!
¡Del seno de
la noche profunda, me trae a esta claridad
triste y nueva! ¿Dónde estoy? Todo mi
cuerpo se tambalea. SPINETTE Estás en el
palacio de
Atar. ATAR ¡Calpigi, es
hermosa! ASTASIA
(levantándose) ¿En el palacio de
Atar? ¡Ah, qué infamia! ATAR
(se le aproxima) De Atar, el que te adora.
ASTASIA ¿Es ésta la
recompensa ¡oh, esposo mío! que merece tu
fidelidad? ATAR Mis buenas acciones han de lavar esta leve
ofensa. ASTASIA ¡Cómo!
¿Con esta afrenta pagáis la lealtad
de un soldado que os ha salvado la vida? ¡Raptando a Astasia!
(mirando
al cielo) ¡Gran Dios! ¿Tu poder
infinito dejará impune el atroz crimen del
perjurio y de la odiosa injuria?
¡Oh, Brahma! ¡Dios de la
venganza!... (Totalmente
angustiada, se desmaya.
Las mujeres la sostienen) CALPIGI ¡Qué terror atroz la
invade! UN ESCLAVO
(acude corriendo) El velo de la muerte
cubre sus ojos. ATAR
(saca su daga) ¿Qué? ¡Desgraciado!
Puesto que
anuncias la muerte, ¡tú mismo morirás!
(lo apuñala. Corre hacia Astasia) Y todos
vosotros, procurad que el objeto de mi
funesto amor se recupere. ¡Que no
sucumba al dolor! Haced que vuelva en sí,
o haré con todos
una horrible carnicería. ASTASIA
(volviendo en sí, ve el esclavo que la
sostiene) ¡Dioses, este
espectáculo paraliza mi espíritu!
ATAR Soy feliz de que te
hayas recuperado. Un esclavo cobarde con
sus gritos alarmó a mi amada; Su vil
sangre ya regó la tierra. Una puñalada fue el
precio que pagó por el miedo que me
causó. ASTASIA
(juntando las manos)
¡Oh, Tararé! ¡Oh, Brahma!
Brahma! (cae; la sostienen) ATAR
¡Que sea llevada al serrallo! Que un
centenar de eunucos en su puerta esperen las órdenes de
Irza. Ese será el dulce nombre de mi nueva esposa.
Esta es Irza, más fresca que la rosa que llevaba
cuando de
ella me enamoré. (Los esclavos negros llevan a Astasia
al serrallo. Todos los siguen) Escena
Sexta
(Atar Calpigi,
Altamort, Spinette) CALPIGI
(al rey) ¿A quién designáis, señor, para servir a la
nueva sultana? ATAR
¡A Spinette! CALPIGI ¿La astuta europea?
ATAR Ella misma. CALPIGI
No hay otra
mejor para doblegar un corazón escrupuloso. SPINETTE
(al Rey) Sí, mi señor, yo lo
doblegaré
y os entregaré su
corazón educado en la obediencia y
presto a
corresponder a vuestra pasión.
(dirigiéndose a Calpigi)
Y si mi éxito
consterna al poderoso señor...
Vos
apreciaréis cual de los dos
os sirve más fielmente. ATAR Lo encadenaré a tus
pies, si haces que mi deseo
se cumpla. (Spinette y Calpigi salen amenazándose
mutuamente) Escena
Séptima
(Urson, Atar,
Altamort) URSON Señor, ese guerrero,
ese hombre admirado por
el pueblo... ATAR ¡Ten en cuenta que su
nombre ofende mis oídos! URSON
Él llora. La plebe grita
pidiendo que se
cumplan sus deseos. ATAR ¿Dices que llora
y
suspira? URSON Su rostro está
descompuesto. ATAR
¡Urson, dile que venga!
(a Altamort)
Parece que es desdichado...
¡Qué alivio!. (Urson sale)
Escena Octava
(Tararé, Altamort,
Atar) ATAR ¿Qué quieres de mi,
valiente soldado? TARARÉ
(sumamente alterado) ¡Oh, mi rey! Tened piedad
de mi terrible situación. En tiempo de paz,
un pirata codicioso me ha colmado con los
horrores de la guerra. Todos mis
jardines han sido devastados y mis esclavos
sacrificados. La humilde vivienda de
mi Astasia fue consumida por el
fuego... ATAR
(Para sí) ¡Gracias al cielo, mis
votos se han cumplido!
(A Tararé)
Soldado que me salvaste
la vida, en reconocimiento a
ello toma de mi palacio diez mil esclavos
malayos
y reconstruye tu casa con marfil
y ébano. Un palacio desde el cual se
contemple la fértil
llanura y el vasto mar de
oriente. Allí, cientos de
mujeres de Circasia, llenas de atractivos y
lisonjas, esperarán los dictados de tu
corazón y te embriagarán con
los tesoros del Asia. ¡Quizá algún envidioso
se irrite con tu felicidad! ¡Quizás la calumnia
infame trate de caer
sobre ti!... ALTAMORT
(en voz baja a Atar) Pero
señor, su alteza
olvida... ATAR (en voz baja,
a Altamort) Lo levanto, Altamort,
para luego dejarlo caer.
(en voz alta)
¡Visir, que se
cumpla lo que ordeno!...
TARARÉ ¡Oh, mi rey! Tu bondad
es excesiva. Los males del destino poco
penetran en mi alma. Mi corazón puede
recuperarse de todas las pérdidas
excepto del
rapto de Astasia. ATAR
(con astucia y malignidad) ¿Quién es esa mujer, Altamort? ALTAMORT
(haciéndose el desentendido) Señor, creo que en su
conmoción, se refiere a alguna
esclava joven y bonita.
TARARÉ (Indignado) ¡Una esclava! ¡Una
esclava! Perdonadme, ¡oh, rey de Ormuz!
esa odiosa palabra conmueve todos mis
sentidos. ¡Astasia es una diosa!
En mi corazón, que
tanto ha luchado, su voz sensible y
encantadora, ha hecho triunfar la
virtud. Con un ardor
constantemente renovado, adoro sin cesar su
belleza, su belleza conmovedora,
puro incienso de
voluptuosidad. Gracias a ella, mi alma
está viva, aún durante el reposo.
¡Ah! ¿Acaso mi voz
quejumbrosa la llama en vano? ATAR
¿Cómo? ¡Un soldado llorando por una mujer! Tu rey no te reconoce.
Si bien has perdido a
tu amada, todo un harem te abrirá
sus brazos. ¿Te lamentas
por un encanto perdido cuando otros
mil te esperan? ¡El honor que se pierde
con el llanto no se recupera jamás!
TARARÉ ¡Señor! ATAR ¿Dónde
está tu
valor viril? ¡Tú, que
ruges en los combates! ¡Tú, que has cruzado a
nado la corriente, llevando en brazos a tu
señor! ¡A ti, que ni las
espadas, ni el fuego, ni la sangre, ni las masacres han
sido capaces de arrancarte jamás un
suspiro! ¿El abandono de un
esclava veleidosa abate tu alma y te
hace gemir? (bis)
TARARÉ (apasionado) Señor, si
os he salvado
la vida, si os dignáis recordar
eso, dejadme que vengue a mi Astasia del traidor que ha
osado raptarla. Concededme que,
desplegando sus velas, un veloz velero me lleve hasta
la tierra de los
infieles para rescatar a mi Astasia...
o morir. Escena Novena
(Calpigi, Atar,
Altamort, Tararé) ATAR ¿Qué deseas, Calpigi?
(en voz baja)
Habla claro. CALPIGI Mi señor, Irza,
a la que amas... ATAR
(excitado) ¿Y bien? CALPIGI Ella ha vuelto en sí.
TARARÉ (exaltado) Atar,
vuestra gran alma es
sensible, la dicha brilla en vuestros
ojos. (pone une rodilla en tierra)
Con Irza, sultán,
sed generoso y aceptad escuchar mis
males. ATAR Dime,
Tararé, ¿eres muy
desdichado? TARARÉ ¡Si
que lo soy, ah, pues tal
vez ella muera! ATAR
Ruega por mí para
que Irza ceda a mis deseos y haré lo que
tu corazón desea. CALPIGI
(aparte) ¡Grandes dioses, sirvo
a un hombre repulsivo!
TARARÉ (se levanta y dice con fervor) Encantadora Irza, ¿qué
es lo que te detiene? El hijo de los
dioses, ¿acaso no es tu conquista? ¡Que en tus ojos encuentre el fuego puro que en él
arde! Haz, Irza, haz dichoso
a mi señor...
(Calpigi le hace una señal negativa
que hace que no termine su voto)
... Si puedes hacerlo sin
convertirte en una criminal. ATAR Muy bien Altamort que
antes del amanecer la flota esté
preparada al pie de la torre
lista para zarpar. Conduce a mis fieles
soldados en el combate y en la
tempestad. (en voz baja, a Altamort) Si
él regresa vivo, lo pagarás con tu cabeza.
(a Tararé) Y
respecto a ti, hasta esta que
no logres tu objetivo, te relevo de toda
obligación para con tu rey. ¡Soldado,
quedas en libertad! Lo juro por Brahma.
TARARÉ (con la espada en su mano) Juro en tu presencia,
que no soltaré este sangriento acero
hasta que el último de los viles rufianes haya sido alcanzado por
mi venganza. ATAR
(a Altamort) Acabas de escuchar
su juramento, en el se refiere a más de
una persona. ¡Corre, Altamort, más
rápido que el viento, y regresa para
gozar de mi reconocimiento! ALTAMORT Noble
rey, recibe el
juramento de mi incondicional
obediencia. Si me lo ordena Atar, corro ciegamente a servir al amor, al
odio o la venganza. CALPIGI
(aparte) Del peligro que corre
en secreto he de
advertirle. (Atar lo mira; Calpigi se da
cuenta y dice en tono cortesano)
Quien sirve
a mi
señor, y lo hace con
prudencia, bien puede contar con
su munificencia. (salen todos) Escena
Décima
ATAR (a solas) Virtud fuerte y
orgullosa, demasiado has brillado, vuelve al polvo, como
corresponde a un soldado. Veo como el mar,
gracias al crimen de Altamort, rinde a tu
cuerpo ensangrentado sus fúnebres honores.
Mientras tú, feliz Atar,
con alegría y amor secas el llanto de
la bella esclava afligida. (bis)
(sale)
ACTO
II (Una plaza pública. El palacio de Atar a
un lado y el templo de Brahma al fondo.
Atar sale del
palacio con todo su séquito. Urson sale del
templo, seguido por Arthénée vestido con
hábitos de sumo sacerdote) Escena
Primera (Urson, Atar) URSON Señor, el sumo
sacerdote Arthénée solicita una entrevista
privada. ATAR, (a sus
cortesanos) ¡Retiraros todos!... Que
venga, Urson. Que nadie, en
este dichoso día, sea rechazado
por Atar. Escena Segunda
(Arthénée, Atar. Todos los demás se
alejan) ARTHÉNÉE
(adelantándose) Hombres salvajes,
allende las fronteras, amenazan con
invadir nuestra tierras. Ya retumba el
trueno a lo lejos. Muchedumbres de tus supersticiosos
súbditos invaden los
atrios de los templos de nuestros sagrados
dioses. ATAR ¿Acaso un puñado de
viles bandidos venidos desde un país
lejano, podría invadir nuestras
tierras? Pontífice, parece que tu
alma está sorprendida... Sin embargo, habla,
Arthénée, ¿qué dice el intérprete
de los dioses? ARTHÉNÉE
(impetuoso) ¡Es necesario
combatir y abatir a un enemigo
presuntuoso! El suelo árido de la
Torride tiene sed de sangre
odiosa. Con medidas rápidas y
fiables, que se nombre un
comandante del ejército: valiente, leal y
lleno de espíritu de servicio. Pero para esta
importante tarea, que las murmuraciones de
la
milicia no influyan sobre la elección de
Atar. Que tanto si se trata de un murmullo,
como de un insulto, sea castigado a
espada. ATAR ¡Instrúyeme, jefe de
los brahmanes! Dime lo que Atar debe
pensar. ¡Ardiente celador de la
fe en el camino eterno de
las almas! ¡Hasta al más ínfimo
animal darías de comer de tu mano y te daría
lástima matarlo! Sin embargo, en la
guerra, deseas ver correr torrentes de
sangre humana. ARTHÉNÉE ¡Ah! Los
sueños absurdos y utópicos bien valen
para el pueblo.
Pero ahora, Brahma y Sudán,
hermanados, deben mantener su
autoridad. Siempre que el esclavo esté
atado, sufra, obedezca, crea y
tiemble, el poder estará
asegurado. ATAR En tu nueva política,
¿cómo se unen mis intereses a los
tuyos? ARTHÉNÉE ¡Ah! Si se tambalea tu
corona, mi templo y yo mismo
caeremos con ella. Atar, esos cristianos
rapaces tienen dioses celosos de los
míos. Lo mismo que sucede en el trono,
en el culto, compartir es un
ultraje. Hagamos creer al pueblo que el
mismísimo cielo guía nuestras acciones.
Insinuaré el nombre del nuevo caudillo a
los augures. ¿A quién deseas
nombrar? ATAR A Altamort.
ARTHÉNÉE ¡Mi hijo! ATAR Realizó un gran
servicio. ARTHÉNÉE ¿Y
Tararé? ATAR Está muerto.
ARTHÉNÉE ¿Muerto¿ ATAR Sí, mañana, ordenaré su
muerte. ARTHÉNÉE ¡Justo
cielo! Atar
debes temer... ATAR ¿Temer qué? ¿Mis
remordimientos? ARTHÉNÉE Debes temer pagar con
tu corona un ataque a su persona.
Sus soldados son los
más fuertes. Si con un pretexto
frívolo los privas de su jefe, esos
soldados, en su furia, podrían olvidar tu rango y tu
nacimiento... ATAR
Lo he planeado todo. Tararé, equivocado, corre hacia su ruina
buscando venganza. Que con gran solemnidad
se reúna al pueblo agitado. Por encima de sus
gritos y murmullos señálales la irritación
de los cielos. A continuación, prepara a
los augures y con hábiles
imposturas, consagraremos nuestra
autoridad. (bis)
(sale) Escena
Segunda
ARTHÉNÉE (a solas) ¡Mis
intrigas han dado resultado!
Conozco el secreto de Estado y logro
que mi hijo sea el jefe del ejército.
¡Daré esplendor a mis templos y fama a
mis augures! ¡Pontífices, pontífices
astutos! Hablad al corazón de
vuestros reyes. Cuando los reyes tienen
miedo, los brahmanes reinan. La tiara expande sus
derechos. ¡Ah! ¿Quién sabe si mi
hijo algún día no será el dueño del
mundo?... (Al ver llegar a Tararé, entra en el templo)
Escena Cuarta
TARARÉ (Solo, como soñando despierto) ¿Qué nueva desgracia me
amenaza? ¡Oh, Brahma, líbrame de esta
noche oscura! Esta mañana, cuando
dije: "Que su amada Irza
corresponda a su amor;" Una señal aterradora me
heló. ¿Qué nueva desgracia me
amenaza? ¡Oh, Brahma, líbrame de
esta noche oscura! (bis)
Escena Quinta
(Calpigi,
Tararé)
CALPIGI (disfrazado, abre la capa que lo cubre,)
¡Tararé! ¿Me reconoces?
TARARÉ ¡Calpigi! CALPIGI
(exaltado) ¡Mi héroe! Te debo mi felicidad,
mi fortuna y mi vida. ¡Quiero
agradecerte devolviéndote la paz! La hermosa y tierna
Astasia, que tu intentas
buscar al azar por los vastos mares de
Asia, está recluida en el
serrallo de Atar, bajo el falso nombre de
Irza... TARARÉ ¿Quién la secuestró?
CALPIGI Altamort.
TARARÉ ¡Qué pérfida traición!
CALPIGI El golfo donde nuestros
buceadores buscan coral, baña los
jardines del serrallo. Si por la noche, tu
inquebrantable valor osa afrontar los
peligros de esa ruta, una escalera
invisible de seda estará extendida en la
esquina de la huerta...
TARARÉ Amigo generoso, eres
muy servicial... CALPIGI Se abre el templo...
¡Adiós! (se cubre con la capa y huye)
Escena Sexta
TARARÉ (a solas) Iré.
¡Sí, osaré hacerlo! Para volver a verla
franquearé esa barrera
impenetrable. De tu guarida, buitre vil,
la rescataré viva o muerta. Y si sucumbo en el
camino de regreso, no me llores, tirano,
suceda lo que suceda. ¡Aquél que te salvó la
vida bien merece que le quiten la suya!
(bis)
Escena Séptima
(El fondo del
escenario representa el atrio del templo
de Brahma, que
se abre dejando ver el
interior. Arthénée,
los
sacerdotes de Brahma, Elamir y
otros hijos
de los augures) ARTHÉNÉE
(a los sacerdotes) Sobre un asunto
importante
hoy consultaremos al cielo.
Preparad el
altar y los santos hábitos.
Nombrad, entre los hijos
de los augures,
aquél a quien Brahma se
haya manifestado otorgándole un corazón
sencillo. UN SACERDOTE
El joven Elamir... ¡Él viene hacia acá!. ELAMIR
(Corriendo) ¡Padre mío! ARTHÉNÉE
(se sienta) Acércate, hijo mío. Que un gran día te
ilumine. ¿Crees que Brahma te
hablará a través de mi voz, y que él me
habla sólo a mí? ELAMIR Padre, sí, lo creo.
ARTHÉNÉE (con gravedad) El cielo busca por tu
intermedio
designar un caudillo para el
imperio. Aún no digas nada, hijo mío.
(con tono acariciante)
¡Ah! Si te inspirara el
nombre de Altamort... ¡El reino saldría
vencedor, y a ti te debería su
suerte! ELAMIR (con las manos cruzadas sobre el pecho)
Lo he suplicado tanto,
padre mío que espero que él me
inspire. ARTHÉNÉE Yo también lo espero;
reza con fervor.
(Elamir se prosterna)
Igual que una abeja un buen día se
despierta y de una flor bermeja
extrae la miel, un niño fiel, cuando
Brama lo llama, si él ora con celo obtiene todo
de él.
(bis)
(levanta al niño)
Todo el pueblo, hijo mío,
se dirige a nuestro templo. Antes de designar al
adalid, tú los harás bramar de terror.
Parece que los cristianos
han llegado a nuestras playas;
diles que aún están muy lejos;
y el resto, hijo mío,
déjalo en manos de Brahma. Escena
Octava
Marcha solemne
(Atar, Altamort,
Tararé, Urson, Arthénée, Elamir, sacerdotes,
niños, visires, emires, séquito, pueblo,
soldados, esclavos)
(Atar sube a un
trono levantado en el templo) ARTHÉNÉE
(majestuosamente) ¡Sacerdotes del gran
Brahma! ¡Rey del Golfo Pérsico!
¡Nobles del imperio!
¡Pueblo que inunda el
pórtico! La nación y el ejército
demandan un general. CORO ¡Para preservarnos de
un gran mal, comunícanos la elección
de Brahma! ARTHÉNÉE ¿Os comprometéis
a obedecer al jefe que Brahma designe? CORO
¡Lo juramos ante este altar ancestral! ARTHÉNÉE
(con tono de inspiración) ¡Dios sublime en el
reposo, magnífico en la
tempestad, que con tu aliento
elevas al cielo las olas, o que con tu mirada las
aplacas, deja que el nombre de
un héroe, salga de la boca de un
inocente, para que sea respetado por sus
rivales y siembre la inquietud y
el terror en sus enemigos!
(a Elamir)
Y tú, niño, inspirado
por el cielo, ¡nombra, nombra sin temor
al héroe elegido! (Elamir
sube al altar) ELAMIR
(con entusiasmo) Pueblo invadido por el
terror. ¿Qué os hace temer de
esos cristianos salvajes? ¿Os falta
acaso el apoyo del soberano? Mirad, a
los pies del rey, a su defensor: ¡Tararé!... CORO
(súbditos y soldados) ¡Tararé! ¡Tararé!
¡Tararé! ¡Ah! Brama se pone de nuestra
parte. El niño ha nombrado a
Tararé. ¡Tararé! ¡Tararé!
¡Tararé! ALTAMORT
(encolerizado) ¡Detened ese arrebato
descontrolado! ARTHÉNÉE ¡Pueblo,
se trata de un
error!
(a Elamir)
¡Hijo mío, que el dios te
toque! ELAMIR El cielo me inspiró el
nombre de Altamort, pero el nombre de
Tararé salió de mi boca. DOS SOLDADOS
CORIFEOS Que el niño haya dicho
Tararé no ha sido por casualidad. Cuanto más involuntaria
es su elección, más evidente es lo que
el cielo quiere. ¡Sí! Brama se ha puesto
de nuestro lado, el niño ha designado a
Tararé. CORO ¡Tararé! ¡Tararé!
¡Tararé! (Elamir baja del
altar) ATAR (se levanta)
Tararé está impedido por un juramento. Su gran corazón está
empeñado en conseguir
una justa venganza. TARARÉ
(con la mano en el pecho) ¡Señor, cumpliré
con el doble compromiso: mi venganza y el
mando del ejército!
(al pueblo)
¡Quién quiera la gloria, corra
conmigo a la victoria! TODOS
¡Yo voy, yo voy!
TARARÉ ¡Súbditos, esclavos,
que los más valientes me juren su lealtad! TODOS
¡Yo juro, yo juro!
TARARÉ ¡Ni paz ni tregua,
el horror de la espada será la ley! TODOS
¡Yo voy, yo voy!
TARARÉ
¡Quién quiera la gloria, que vuele
conmigo a la victoria! TODOS
¡Yo, yo!
ATAR (aparte) No puedo soportar el
clamor de todo un pueblo sordo
a mi voz. (quiere bajar) ALTAMORT
(lo detiene) ¡Esta elección es una
injuria a todos los dirigentes de la
comunidad! ¡Ataca nuestros legítimos
derechos! ¿El arrogante soldado se atreve a dictar la ley a los
nobles del reino? TARARÉ
(Con orgullo) Entiende, orgulloso
hijo de sacerdotes, que Tararé creció
entre soldados y no tiene antepasados de
los que vanagloriarse. ¡Pero ha vencido
en cien batallas!
(con gran desdén)
Mientras que Altamort,
de niño, en la llanura, perseguía las
flores de cardos que los vientos, con su
soplo,
hacían volar hasta la cima de la
montaña. ALTAMORT
(sable en mano) ¡Objeto vil de mi
odio, no respetas a Atar!
TARARÉ (muy desdeñoso)
¿Pretendes decidir el destino del estado?
Tú, fogoso adolescente, ¿quieres
guiarnos? ¿Qué títulos ostentas
aparte de los insultos? ¿A qué enemigos has derrotado? ¿Qué torrentes osaste
atravesar? ¿Dónde están tus
hazañas? ¿Y tus heridas? ALTAMORT
(furioso) Si quieres lograr este
alto rango,
sobre mi
cadáver habrás de pasar. (saca su espada) ARTHENEE
(turbado) ¡Qué desesperación!
¡Qué frenesí! ¡Hijo mío!... ALTAMORT
(más furioso aún) ¡Le arrancaré
la vida a ese ladrón! TARARÉ
(con frialdad) Calma tu furor, Altamort. Ese fuego sombrío,
cuando se enciende, destruye las fuerzas
y nos consume. El guerrero,
encolerizado, está muerto. (saca su espada) ARTHENEE
(gritando) ¿El templo de nuestros
dioses es acaso un campo de batalla?
ATAR (se levanta)
¡Deteneos!
TARARÉ Obedezco...
(a Altamort, tomándole la mano)
Esta noche en la llanura.
(A Calpigi, aparte, mientras
que Atar baja de su trono)
Y tú, mi fiel amigo,
sin linterna y sin ruido, en el huerto del
serrallo espérame esta noche.
(Atar le entrega el bastón de mando mientras se oye una
fanfarria.
Marcha solemne para la salida) CORO
(sobre el sonido de la marcha) ¡Brahma! ¡Si aprecias
la virtud, si la voz del pueblo es
tu voz, apoya con el éxito la
elección que todo el pueblo
acaba de hacer! ¡Que tras tus huellas
todos nuestros soldados
avancen con audacia y orgullo! ¡Que el
pusilánime enemigo, al verse vencido,
bajo nuestros golpes
muerda el polvo!
ACTO III
(La escena representa los
jardines del serrallo. A la derecha, el
apartamento de Irza; a la izquierda y al
frente, un gran sofá bajo un magnífico
dosel en medio de un parterre
iluminado. Es de noche) Escena
Primera
(Calpigi, entrando
por un lado; Atar
y Urson entran
por el otro; Los
jardineros alumbran con
antorchas) CALPIGI
(sin ver Atar) ¡Los jardines iluminados!
¡Los jardineros! ¿Para qué? ¿Quién se atreve
a
dar órdenes en el serrallo? ATAR
(le toca el hombro) Yo. CALPIGI
(sorprendido) Señor... ¿Podría saber?...
ATAR ¿Y mi fiesta para
aquella a la que amo? CALPIGI Será mañana, como
vos ordenasteis. ATAR
(bruscamente) ¡La quiero ya
mismo!
CALPIGI Todos mis ayudantes están
dispersos. ATAR (más bruscamente) Un poco de ruido y
danzas alrededor de Irza;
será más que
suficiente. CALPIGI
(aparte, con angustia) ¡Qué terrible
contratiempo!
¡No hay manera de prevenir a
Tararé! ATAR (observándolo) ¿Qué murmuras tan
inquieto y preocupado? CALPIGI
(simulando alegría) Digo... que entonces
será como los espectáculos
en Francia, donde todo está bien
mientras haya danza. ATAR
(colérico) ¡Vil Cristiano,
obedéceme, o tu cabeza rodará! CALPIGI
(aparte, mientras sale) ¡Tirano feroz!
(Los jardineros se retiran)
Escena Segunda
(Atar, Urson)
ATAR Urson, antes de que mi fiesta
comience, cuéntame
prontamente y en detalle
el
desarrollo del combate con todos sus
pormenores. URSON
Tararé fue el primero en llegar a la cita. En la llanura azuzó
su caballo y vino calmadamente
a hablar con nosotros. Su actitud era noble y
orgullosa. Una gran nube de polvo
se acercaba desde el norte. Parecía ser un ejército
entero. Era el impetuoso
Altamort. Muchos esclavos armados
trababan de seguir sus
pasos. Su aspecto era salvaje
y sombrío como los espectros de
la noche. Con una mirada ardiente midió
a su adversario. “Decidamos la suerte
del vencido”. “Mi ley” dijo
Tararé,
“es la muerte”. Se abalanzan uno contra el
otro, como truenos. Altamort recibe
un golpe terrible de
cimitarra que hace volar
la cimera de su casco. El acero brilla,
el casco se rompe y la sangre negra brota
como un arroyo. “¡Dios, estoy herido!”
Más furioso que la
tempestad, responde con un sablazo
a la cabeza. El golpe es detenido por
Tararé que con el brazo en
alto evita la muerte... ATAR Veo que Altamort está
perdido. URSON Cegado por la sangre,
se agita y tambalea. Tararé, inclinándose
sobre su montura, se impulsa hacia
adelante.
Su fiel caballo se precipita
hacia adelante y con el pecho tumba
al caballo y al
guerrero adversario. Tararé salta
inmediatamente a tierra y corre hacia el enemigo
abatido. Todos se estremecen, el corazón
se hiela por el terrible derecho
de la guerra... ¡Oh, de un noble
enemigo santo y sublime
esfuerzo! ATAR (colérico)
¡Termina el relato!
URSON “No
temas, soberbio Altamort. Entre nosotros la
guerra ha terminado. Si el derecho a matar
es al mismo tiempo el
derecho a otorgar la vida, te la otorgo de todo
corazón. Llora largo tiempo tu
perfidia”. ATAR ¿Su perfidia?
URSON Tararé se retiraba lleno de
dolor... ATAR (furioso) Está enterado. URSON ¡Inútil y vano perdón!
Aquel cuyos fuertes brazos nunca a nadie hirieron
dos veces ¡ay! apenas se
retiraba cuando su adversario espiró.
ATAR ¡En todas partes sale
triunfante! ¡Ah, mi corazón se
estremece de rabia! Cuando Altamort,
ayer, quiso decidir su suerte
mediante un combate, presentí de
inmediato que pagaría esa
imprudencia con la muerte. Sin el clamor de un
padre indignado, el templo se habría
ensangrentado. Su poder me
obligó a evitar la muerte de uno que me ofrecía
el
pretexto oportuno para eliminar al otro.
(ve entrar a los esclavos)
Todo el serrallo viene
hacia aquí... ¡Retírate!
Que esa
imagen espantosa
se disipe como una nube y deje paso al
placer, en vez de turbarlo.
(Urson sale) Escena
Tercera
(Atar, Astasia
vestida como sultana, con una venda en
los ojos ayudada por los
esclavos, Spinette, Calpigi, eunucos
y esclavos de ambos
sexos) ATAR (hace sentar a Astasia en el sofá junto a
él y le dice al jefe de los eunucos)
¿Qué van a
cantar para alegrar a su
señor? CALPIGI En medio de la
frivolidad de una fiesta campestre, tienen todos el noble
deseo de demostrar su inmensa
alegría. ATAR (con desdén) ¡No me importa su
placer siempre y cuando
desarrollen su arte! CALPIGI
(aparte) ¡Qué monstruo, gran
Dios! ¡Toda Asia es su botín!
(hace un gesto a los esclavos
para que avancen)
Tararé no sabe nada de todo esto. Si llegara a venir,
estaría perdido. Escena
Cuarta
(Los antedichos. Pastores, cortesanos
europeos ataviados con vestidos de
tafetán y plumas; pastoras con báculos
dorados; campesinos vestidos a la
moda europea; campesinas vestidas muy
simplemente
con instrumentos de
labranza) Marcha
(Marcha, que por una parte marca el
baile de los pastores
y por otra, la
gran alegría de los campesinos) CORO DE LOS EUROPEOS
Somos un pueblo frívolo pero generoso
que reprueba las costumbres asiáticas. Nunca, en nuestras
dichosas regiones, la belleza ha de temer
ser esclavizada. SPINETTE,
PASTORA Aquí, ante los ojos de
nuestros maridos, viene un
caballero a coquetear con su amiga. Se la lleva, la
devuelve, se ríe con ellos y se marcha hacia su
próxima conquista. CORO Somos un pueblo
frívolo, etc. Suite de Ballet
Diálogo - Dúo SPINETTE
(como una pícara pastora, a los bailarines)
Caballeros galantes,
ustedes que cortejan a las bellas damas,
sabrán provocar un dulce
momento. LA PASTORA Amantes que suspiráis
por ellas, esperad todo de sus
sentimientos. SPINETTE Cualquier oportunidad
que no se aprovecha,
escapa y se pierde para
siempre. LA PASTORA Irrecuperable es para
la fantasía, pero renace por el
amor. Suite De Ballet
(Viejos señores bailan
alegremente ante las pastoras presentándoles ramos
de flores. Jóvenes,
apoyadas en sus báculos, se mueven con
lentitud ante las viejas
presumidas que bailan sin perder aliento.
Atar se levanta y se pasea entre los
bailarines) SPINETTE
(como pastora cortesana) En nuestros deliciosos
vergeles, lo malo y lo bueno, todo se
equilibra; y si nuestros jóvenes
son viejos, todos nuestros viejos
están en la infancia. UN CAMPESINO
Nuestra casa despunta entre todas,
pues somos hijos de la naturaleza y nuestros tiernos
cuidados son para el heno; nuestro amor, para el
forraje. SPINETTE
Cuando el esposo se vuelve indolente cambiadlo por un hombre
galante, e Himeneo, por esos
deseos inconstantes, con placer se vengará.
UN PAISANO En nuestra casa la
hacendosa patrona jamás es tan imprudente. Su favorito es
su marido pero de sus hijos,
cualquiera es el padre. SPINETTE Aquí, en silencio, todo
se desordena subrepticiamente por la
noche pero sin escándalos.
UN CAMPESINO,
(A continuación, los campesinos) A fe mía, nuestra moral
establece que hay que pagarle al otro
con la misma moneda. ASTASIA ¡Santo cielo!
¡Que la
muerte le arrebate a Astasia al tirano! Suite De Ballet
ASTASIA ¡Oh, mi Tararé!
¡Oh, mi esposo! ¿Qué desesperado debes
estar? Suite De Ballet
ATAR (a todo el serrallo)
¡Saludad todos a la
hermosa Irza! Yo la corono... ¡Ella es la
sultana! (le pone una diadema
de diamantes) CORO
¡Saludemos todos a la
hermosa Irza! El amor la eleva desde
el fondo de una cabaña, hasta el trono de
Ormuz. ¡Ella es la sultana del gran
Atar! Suite y final del
ballet. (El ballet termina.
Los esclavos traen
vasos, sorbetes, licores y
frutas ante
de Atar y la sultana. Spinette se queda
cerca de su señor, lista para servir)
ATAR (con placer) ¡Calpigi, tu fiesta me
encanta! Adoro a los espíritus
fértiles y obedientes. De
los mares de Europa dime, ¿qué te trajo
hasta Ormuz en contra de todos los
pronósticos? Pero para divertir a mi
amante, anima tu relato con algo
gracioso. CALPIGI
(Aparte, en tono oscuro) Voy a mencionar un
nombre que hará que caiga la
noche. (Toma una mandolina
y canta a ritmo
de Barcarola. Las danzas
se detienen y
todos los bailarines se toman de las
manos
para bailar el estribillo
de la canción) CALPIGI
Soy nativo de Ferrara. Allá, gracias a un
padre avaro, mi voz de cantante pude
embellecer. ¡Ay, pobre Calpigi!
Tras mi salida del
conservatorio, me convertí en la
primera voz del Oratorio del rey de
Nápoles. ¡Ah, bravo, querido Calpigi!
(El coro repite la última línea bailando
el estribillo. Al final de cada verso, Calpigi
se
vuelve
y mira con preocupación hacia el
lugar
donde teme que llegue Tararé)
La más famosa cantantehizo de mi, por puro
capricho, una farsa de marido;
¡Ay, pobre Calpigi! Ni mis ataques de
furia, ni mis celos, lograron refrenar
sus fantasías. En casa yo era como un
cero a la izquierda. ¡Ay, pobre Calpigi!
(El coro repite la última
línea bailando el estribillo) Resolví, para librarme
de ella, venderla a un
corsario que acababa de llegar de
Trípoli. ¡Ah, bravo, querido Calpigi!
Cuando llegó el día, el corsario traidor en lugar de pagarme lo
acordado, me encadenó a la pata
de su cama! ¡Ay, pobre Calpigi!
(El coro repite la última
línea bailando el estribillo)
El pirata la convirtió
en su amante; y a mí, en guardián de su
virtud, lo mismo que hago aquí. ¡Ay, pobre Calpigi!
(Spinette en ese instante, lanza una gran carcajada) ATAR ¿Qué te hace reír,
Spinette? CALPIGI Ya lo veis, ella es
mi pícara compañera. ATAR ¿Dice la verdad?
SPINETTE Si señor, es verdad.
CALPIGI (completa su aria) ¡Ay, pobre Calpigi!
(El coro repite la última línea
bailando el
estribillo. Vemos en el fondo a
Tararé
ascender por una escalera de
seda. Calpigi
lo ve) CALPIGI
(aparte) ¡Es Tararé!
A través de
Libia, Egipto, el istmo y de
Arabia, Intentó vendernos a un Sufí. ¡Ay
,pobre Calpigi!
Fuimos capturados, dijo
el bárbaro. ¿Quién nos capturó?
Tararé... ASTASIA
(lanza un grito) ¡Tararé! TODO EL SERRALLO
(gritando) ¡Tararé! ATAR
(furioso) ¡Tararé!
(Derriba la mesa de una patada. Astasie
se levanta turbada, Spinette la sostiene.
Ante el bullicio que se produce, Tararé,
se oculta en la oscuridad,) SPINETTE
(a Astasia) ¡Dioses, cómo lo
enfurece ese nombre! ATAR ¡Que la muerte! ¡Que el
infierno se lleve al traidor que lo ha
nombrado! (saca su daga, todo el mundo
sale corriendo) SPINETTE
(sosteniendo a Astasia) ¡Se muere!
(Atar, ante este grito, se detiene y deja
ir a Calpigi y a los otros esclavos, regresando junto a Astasia que las mujeres ayudan
a salir hacia sus habitaciones.
Atar, sale
también arrojando la túnica y los borceguíes,
a la manera
de los orientales) Escena
Quinta
(La escena está muy oscura. Tararé,
daga en mano, listo para atacar a
Calpigi con
el que tropieza. CALPIGI
(grita) ¡Oh, Tararé!
TARARÉ (confundido) ¡Oh, qué furia
aborrecible! ¡Amigo... si no
llegas a gritar, te habría ultimado con
mi propia mano! CALPIGI ¡Deberías hacerlo,
Tararé! Deberías hacerlo aún
así, si algún esclavo
curioso... TARARÉ
(turbado) ¡He oído resonar mi nombre en este lugare! Creo que he sido
descubierto, y que mis celos... ¡Morir sin volver a
verla, y tan cerca de Astasia! CALPIGI ¡Oh, mi héroe! Tu ropa
está empapada, Cubierta de algas y
barro contaminado... ¡Un gran peligro ha
amenazado tu vida! TARARÉ
(En voz baja) En el seno del profundo
mar, navegué solo en una frágil
embarcación. Ni un soplo de viento
agitaba el aire por lo que navegué
plácidamente sobre las olas. El sonido monótono de
los remos, se escuchaba a lo lejos,
en la noche, cuando de repente sonó la
alarma. Tenía esta daga como
única arma. Doscientos remeros
me acorralaron... ¡estaba atrapado!... Un fuerte golpe de
lanza, provoca que me hunda
con mi barca, y debajo de sus navíos
, logré abrirme un camino nuevo y seguro.
Pude llegar a tierra,
protegido por la
oscuridad de la noche. Escuché la campana de
la torre. El estridente sonido
de la trompeta, que retumbaba hasta el
fondo del golfo aumentaba el desorden y
el terror. La gente corría llamando a
gritos a los centinelas. ¡Alto! ¡Deteneos!
Se lanzaron sobre mí. Pero si ellos corrían,
yo volaba. Llegué al muro como un
relámpago. Me buscaban abajo, pero
yo ya estaba arriba, trepando por la escalera
que tu amigable celo
había colocado. Estoy a salvo, gracias
a tu corazón y en pago de tanto
favor, ¡Oh, dolor! ¡Oh, crimen
execrable! engañado por un ciego
error, casi, por desgracia,
asesino a mi benefactor. Perdona, amigo, este
crimen involuntario. CALPIGI ¡Oh, mi héroe! ¿Qué me
debes tú a mí? ¡Ay! Sin fuerzas, sin
carácter, el débil Calpigi, es arrastrado por todos
los vientos. Sería menos que nada en
la tierra si no estuviera enamorado de
tu virtud viril. ¡No perdamos ni un
momento! En el serrallo, la
tranquilidad renace con la
oscuridad.
(Tomando un envoltorio tras unos
árboles)
Bajo esta vestimenta
de esclavo negro se ocultará el guerrero más bravo. Que un hombre
elocuente, se convierta en un mudo
detestable.
(lo viste en silencio)
No debes
olvidar, sobre todo, que bajo esta máscara
cualquier
palabra sería un grave error
(le pone una máscara negra)
Y que la menor demostración de celos se paga con la vida.
(avanzan hacia los aposentos de Astasia)
Todo está en
perfecto reposo...
(Calpigi, de pronto, se detiene aterrado)
¡No te muevas! Ahí veo
la capa y las babuchas del emperador.
TARARÉ (desesperado, grita) ¡Atar con ella! ¡Ah!
¡Qué infeliz es Tararé!
Nada puede contener mi
furia. ¡Brahma! ¡Brahma! CALPIGI
(cerrándole la boca) ¡Refrena tu dolor!
TARARÉ (grita más fuerte) ¡Brahma! ¡Brahma!
(se deja caer sobre el pecho de Calpigi)
CALPIGI
Nuestra muerte
es
segura.
Escena Sexta
(Atar, que sale de la
habitación de Astasia)
CALPIGI
(grita, asustado)
Alguien viene...
¡es el sultán!
(Tararé se prosterna) ATAR
(con tono terrible) ¿Quién es este
insolente? CALPIGI
(turbado) ¡Un insolente!... ¡Es
Calpigi! ATAR ¿De donde surge esa voz
deplorable? CALPIGI
(turbado) Señor, es que... con
este miserable. Creyendo oír un ruido,
al hacer la guardia
nocturna. De un súbito frenesí
fue presa este bruto esclavo
repentinamente... ¡Tal vez ha perdido la
razón! Llora, grita, se
agita, habla, habla y habla tan
rápido que no se entiende nada
de lo que dice. ATAR
(con tono terrible) ¡Habla! ¿El mudo habla?
CALPIGI (más enredado) ¿Qué estoy diciendo?
¡Que hablara sería un
milagro prodigioso! Articula sonidos que
suenan horribles... ATAR
(lo toma del brazo. Tararé
sigue totalmente inmóvil) ¡Oh, extraño es el
destino de tu señor! A veces parece que
esté maldito... Vine con los sentidos
agitados a honrarla con mis bondades y suspirar enamorado
cerca de ella. Tan pronto llego a su
lado, ¡ella se escapa,
rebelde! La detengo y le agarro la mano. ¡Nunca se ha visto en
mujer alguna, un ejemplo semejante de
tanto desdén! "¡Bárbaro Atar!, ¿cuál
es tu deseo? "Antes de quitarme el
honor, tendrás que arrebatarme
la vida”... Sus ojos brillan
furiosos. ¡Bárbaro Atar!... ¡Su
honor!...
La salvaje, reclamaba a gritos la
muerte... Atar conoció
el desprecio;
(saca su daga)
Veinte veces quise en
mi furia, alejarme de sus
brazos... ¡Vamos, Calpigi, sígueme! CALPIGI
(le ofrece su capa) Señor, tomad
mi capa.
ATAR Ponme primero mis
babuchas mientras apoyo mis pies
sobre este africano...
(pone su pie sobre el cuerpo de Tararé)
¡Siento que la ira me
cofunde!...
(mira a Tararé)
¡Negro despreciable, abyecto y
maldito, ojalá que en vez de un
reptil insignificante, que no vale nada,
fueras el odioso Tararé! ¡Con qué gusto con mi
propia mano haría correr tu
sangre!... ¡Si pudiera enterarse
el insolente del desprecio que le
tiene su señor! ¡Y pensar que por ese indigno
ser ella me desprecia y me
desafía!... Calpigi, tengo un plan. Le cortamos la cabeza
a este esclavo; la desfiguramos
totalmente, y se la llevas a ella diciéndole
que en un ataque de celos yo mismo sorprendí a su
marido aquí... (saca la espada de Calpigi) CALPIGI
(lo detiene y lo aleja de Tararé)
Con esa horrible
estratagema ¡ah, mi señor! ¿qué esperáis lograr? Si ella se dejara
engañar ¿sería por ello más
tierna con vos? En cambio, mientras esté
preocupada por su vida, siempre la tendréis
a vuestra merced. ATAR
(furioso) ¿A mi merced?... Se me ocurre otra idea.
Ella piensa que me tiene a sus pies,
vamos a mostrarle lo
poco que tengo en cuenta sus vanos
encantos. ¡La muy orgullosa ha
despreciado a su señor! ¡Oh, qué proyecto
tan halagüeño! Castigaré a la audacia
de un traidor, que me robó el corazón
de mis súbditos, y a la vez humillaré a esa
soberbia mujer. ¡Calpigi!...
CALPIGI (preocupado) ¡Qué! ¡Señor! ATAR Jura por tu alma que me obedecerás.
CALPIGI (más preocupado) Sí,
mi señor.
ATAR Nada de de
demoras, ahora mismo. CALPIGI
(casi aturdido) ¡Al instante!
ATAR Toma a este vil mudo
y llévalo en secreto hasta ella. Dile que en mi ternura
la hago esposa de este
monstruo. Dile que he jurado que
nunca tendrá ningún otro cónyuge,
ni otro amante. Quiero que el
matrimonio se consume y si esa orgullosa
mujer se niega ¡al patíbulo con ella!
Llévalo ya mismo a su
cama para que pase la noche con ella, delante de todas las
miradas, ¡y que mañana sea el
hazmerreír de mi serrallo! Ahora Calpigi, ya estoy
feliz. Dile a esta bestia por
señas, que le espera un
destino feliz. CALPIGI
(tranquilizándolo) ¡Ah, señor, no hace
falta, él no habla, pero oye! ATAR
¡Ven, acompáñame! (se vuelve para salir) CALPIGI
(Se inclina para recoger la capa
del emperador y le susurra a Tararé)
¡Qué desenlace tan feliz!
(sale tras de Atar)
TARARÉ (se levanta sobre sus rodillas) ¡Pero qué escena
tan horrible!
(se quita la máscara y la arroja al lejos de él)
¡Ah, por fin respiro!
ATAR (Mirando hacia el aposento de
Astasia, dice con alegría feroz)
Disfrutaré de un gran
placer, soberbia mujer, cuando
te vea unida al destino de un viejo
negro, y por cientos de gritos
humillada.
(Imita la canción de los esclavos)
Saludemos a la altiva
Irza, quien, echando de menos
su choza, se negó a los deseos de un
rey. ¡Ahora es la sultana de un viejo
negro! ¡Calpigi! (Calpigi, con el pretexto de
entregarle
su túnica, se pone entre él y
Tararé,
para evitar que el rey lo vea sin máscara) CALPIGI
(con alegría fingida, asustado) ¡Ah,
qué placer tendrá ahora mi señor... ATAR
¡Calpigi!
CALPIGI ... cuando el
serrallo resuene. ATAR, CALPIGI
Saludemos a la altiva
Irza, quien, echando de menos
su choza, se negó a los deseos de un rey y es ahora la sultana
de un viejo negro. Escena
Séptima
TARARÉ, (solo, levantando las manos al cielo)
¡Dios todopoderoso! Tú, nunca has
decepcionado al infeliz que cree en
tu bondad. (se pone su máscara y sigue de lejos
al rey)
ACTO IV
(La escena representa
el interior de los aposentos de Astasia,
amueblados
sofás y otros muebles lujosos
al estilo
oriental) Escena
Primera
(Astasia, Spinette)
ASTASIA (entra furiosa y agitada) Spinette,
¿cómo puedo
escapar de esta horrible
trampa? SPINETTE Calmad la desesperación
que invade vuestra alma. ASTASIA
(fuera de sí, con los brazos levantados)
¡Oh muerte, acaba con mi dolor!
Presiento la muerte.
¡Arranca a la esposa de Tararé de la
mayor de las desgracias! (bis) Me pareció presentir
su infame empresa. Cuando partió, me
quedé diciendo con terror en el alma: “¡Ay,
cruel! por quien
tanto he sufrido, es demasiado que por tu
ausencia Astasia quede en un
desierto, sin alegría e
indefensa!" El imprudente no
escuchó a su implorante compañera. A las manos de un
detestable bandido los piratas la
entregaron. ¡Oh muerte, acaba con mi
dolor! Presiento la muerte.
¡Arranca a la esposa de Tararé de la
mayor de las desgracias! (bis)
(desesperada, se lanza sobre un sofá)
SPINETTE Un gran rey
os invita a
hacerlo dichoso. El amor pone a vuestros
pies al soberano. ¡Cuántas mujeres bellas
lucharían por tener ese
honor! En lugar de alarmaros,
deberíais sentiros orgullosa. ASTASIA
(llorando) ¡Ah, tú no tienes a
Tararé por amante! SPINETTE No lo conozco
personalmente, pero sí su fama. Si yo, como
vos,
estuviera tan enamorada de él,
fingiría un poco frente a Atar e informaría a Tararé
de mi sufrimiento. ASTASIA Ante la mínima
esperanza un corazón desdichado
se abre fácilmente. Aprecio tu noble
interés. ¡Pues bien!
Hazle saber de este horrible
encierro... SPINETTE Oculta tus lágrimas, si
es posible. Allí veo venir al
insolente ministro de los secretos
placeres del sultán. (Astasia seca su llanto) Escena
Segunda
(Calpigi, Spinette,
Astasia) CALPIGI
(severamente) Hermosa Irza, el
emperador ordenó que de inmediato
recibas sumisa al nuevo esposo que
te ha asignado. ASTASIA ¡Un esposo! ¿Un esposo
para mí? SPINETTE
(lo imita ridiculizándolo) ¡Comandante de un
ridículo ejército! Sé breve con tu
ostentoso preámbulo. Ese nuevo marido,
¿quién es? CALPIGI
Es el mudo más vil de todo el serrallo. ASTASIA ¡Un mudo!
SPINETTE ¡Un mudo! ASTASIA ¡Me muero!
CALPIGI La orden es que todos
se retiren. SPINETTE ¿Yo?
CALPIGI Tú. SPINETTE ¿Yo?
CALPIGI Tú, tú, Spinette.
Los
que perturben su amor serán
ejecutados. ASTASIA ¡Oh,
santo cielo!
SPINETTE (bromeando) Dile a tu amo
que al sumo sacerdote le sorprenderá
saber que a la pluralidad de
esposas
que tienen los hombres
en la
tierra de los brahmanes se agrega ahora
la pluralidad de
maridos para las mujeres. CALPIGI
(irónicamente) Tu consejo será
muy valorado por el rey. Haré lo que
deseas. SPINETTE
(Con el mismo tono) No lo olvides.
CALPIGI No. SPINETTE Lo recordarás mejor, si
lo escuchas dos veces.
(repite)
Dile a tu amo que al sumo
sacerdote le sorprenderá
saber que a la pluralidad de
esposas
que tienen los hombres
en la
tierra de los brahmanes se agrega ahora
la pluralidad de
maridos para las mujeres. (Calpigi
sale haciéndole un
gesto
imperioso de que se retire)
Escena Tercera
(Astasia, Spinette)
ASTASIA (Desesperada) ¡Oh, mi compañera! ¡Oh,
mi amiga! ¡Sálvame de esta infamia! SPINETTE ¡Ah! ¿Cómo puedo
probaros mi lealtad? ASTASIA
¡Toma mis diamantes, mis
joyas te las doy todas, son tuyas!
(se despoja de las joyas)
¡Ah! En esta horrible
aventura, hazte pasar por Irza;
podrás rechazar al mudo
sin dificultad. SPINETTE Señora,
si es Calpigi quien lo guía sin duda me
reconocerá. ASTASIA
(Se quita el manto real) Esta larga capa te
cubrirá. Recuerda a Tararé y
nómbralo constantemente; sólo su nombre te dará
garantías. SPINETTE
(mientras se viste) Comparto
vuestra angustia.
¡Ay! ¡Qué no haría yo
por salvar a mi incomparable
señora de una situación tan peligrosa!
(bis)
(Astasia sale precipitadamente)
Escena Cuarta SPINETTE
(Sola) ¡Spinette, vamos, no
flaquees! El rey te agradecerá
que detengas con destreza
el golpe que se prepara
contra su amada.
(se sienta en el sofá)
¡Aumentará tu honor y
tu riqueza! Escena Quinta
(Calpigi,
Tararé, en
silencio; Spinette sentada y velada, con
un pañuelo sobre el rostro) CALPIGI
(a Tararé, con un tono severo) ¡Esta mujer es tuya,
mudo! (sale)
Escena Sexta
(Tararé, Spinette)
SPINETTE (para si, velada) ¡Qué feo es!...
Aunque... bien mirado...no está
mal. (Tararé se arrodilla ante ella) ¡Se postra!
No parece
tan bárbaro como los otros
monstruos de este lugar. (a Tararé, con aire de dignidad)
Mudo, tu apariencia me conmueve. He
leído el amor en tus ojos. Una tierna promesa de
tu boca no podía expresarlo
mejor. TARARÉ (para si, levantándose) ¡Grandes
dioses, esta
no es Astasia! ¡Y yo que quería abrirle
mi corazón! Que me hayas impedido
hablar, ¡oh, Brahma! te
agradezco. SPINETTE
(aparte) Parecería que hablara en
voz baja... Cada animal tiene su
lenguaje. (ella se descubre y Tararé la mira)
Desde lejos puedes
contemplar mis encantos. Me gustaría poder hacer
más por ti, pero ni un monarca, ni
un califa, ni un sultán, ni el más perfecto y
poderoso de los hombres, podría lograr
nada de mi corazón pues pertenece
totalmente a Tararé. TARARÉ
(Llora) ¡A Tararé!... SPINETTE
(Levantándose sorprendida) ¡Habla!
TARARÉ ¡Oh, arrebato que me
traiciona! ¡Sorpresa demasiado
indiscreta! SPINETTE
¡Tus palabras te han traicionado! ¿No eras mudo?
¡Temerario! (le quita la máscara)
TARARÉ (a sus pies) ¡Ah,
me acuso y me disculpo! Llegué a Ormuz como
extranjero, y me dijeron que el señor de este
reino daba una
fiesta en el Serrallo para su favorita...
Yo pensé, que con estos
harapos, podía... Dúo
SPINETTE (con liviandad) Amigo, tu coraje me
deslumbra. Si Tararé me hubiera
amado, lo habría desafiado
todo como tú los has hecho. Olvidaré que
le he amado. De hecho, mi corazón te
prefiere; serás Tararé para mí. TARARÉ
(turbado) ¡Qué! ¿Amas a Tararé? SPINETTE
Mi corazón
ahora te prefiere a ti.
TARARÉ ¿Tu corazón me
prefiere a mí? SPINETTE Tú serás mi
Tararé. TARARÉ (más turbado aún)
¿Sueño? ¡Oh,
Brahma! ¿Estoy despierto? Todo lo que escucho me
confunde. ¡El odio de Atar me ha llevado de
trampa en trampa hasta el más profundo
abismo! SPINETTE
Esta no es una trampa; no, no. De su perdón, yo te
respondo. (ve a los soldados que entran) ¡Cielos,
vienen a
arrestarlo! TARARÉ Toda esperanza me
abandona. (Spinette se cubre con el velo y
sale) Escena Séptima
(Tararé, sin máscara, Urson y soldados armados con palos.
Calpigi y eunucos que entran desde el
otro lado) URSON
¡Avanzad soldados! ¡Redoblad el paso!
CALPIGI ¡Soldados,
deteneos! URSON
(a los soldados) ¡Obedeced mi orden! CALPIGI
(a los eunucos) No dejéis que
avancen. SOLDADOS
Redoblemos el paso. EUNUCOS
¡No avancéis más! Para todos, este
recinto es sagrado. SOLDADOS
Nuestra orden es forzar
la entrada. CALPIGI Urson, explícame que
sucede. URSON El
sultán se arrepiente de haberse dejado
llevar por la ira y ha ordenado que el
horroroso mudo sea ejecutado y
arrojado al mar para que su cuerpo
alimente a los monstruos de las
profundidades. CALPIGI
(se interpone entre Urson y Tararé)
Urson, aquí está, pero de su muerte me
encargo yo. Los jardines del serrallo
están a mi cuidado y los eunucos
dispuestos. URSON Para que no haya
retrasos el sultán ha ordenado que yo sea
testigo. ¡Soldados, atrapadlo!
(Los soldados levantan sus mazas)
UN SOLDADO (avanzando) No es un mudo. URSON ¿Quién es?.
TARARÉ (Volviéndose hacia ellos)
Tararé.
URSON ¡Tararé!...
(Los soldados y los eunucos retroceden
respetuosamente) SOLDADOS,
EUNUCOS ¡Tararé! ¡Tararé! CALPIGI Este reo, Urson, se
ha vuelto demasiado importante como para ejecutarlo
sin la orden expresa del sultán.
(a Tararé, en voz baja)
Retrasando la orden, quizás pueda salvarte. URSON
(con dolor) ¡Desdichado Tararé!
¿Cómo ejecutarte? ¡Nuestras lágrimas por
ti lo encolerizarán más!
SOLDADOS (apenados) ¡Desdichado
Tararé!
¿Cómo ejecutarte? ¡Nuestras lágrimas por
ti lo encolerizarán más!
TARARÉ No preocuparos por mi
suerte, obedeced a vuestro señor. ¡Ojalá, algún día,
lleguéis a amarlo! (se llevan a Tararé arrestado) URSON
(en voz baja, a Calpigi) Calpigi,
piensa en ti, el rayo pende sobre dos
cabezas. (sale)
Escena Octava
CALPIGI (a solas, con tono decidido)
¿Sobre dos cabezas pende el rayo y osa
pronunciar mi nombre? Atar, más bien menaza a tres cabezas
pues las tempestades, que tu odio ha
desatado, te consumirán. El abuso de
poder siempre lleva a la perdición. El malvado que todo
hace temblar está muy próximo a
temblar él mismo. Esa noche, déspota
inhumano, Tararé ha desatado tu
furia, tu odio amenazaba su
vida mientras que la tuya estaba en sus
manos. El abuso de poder siempre lleva a
la perdición. El malvado que todo
hace temblar está muy próximo a
temblar él mismo. (bis)
(sale)
ACTO V
(La escena representa un patio del palacio de
Atar. En el centro hay una
pira y, al pie de ésta, un tronco para el
hacha del verdugo. Cadenas, hachas,
mazas y otros instrumentos de tortura) Eecena
Primera
(Atar, eunucos y
séquito) ATAR
(mira con avidez la pira y todos los
preparativos para la ejecución de Tararé)
¡Fantasma vano! Ídolo
popular, cuyo nombre despertó mi
ira: ¡Tararé!... ¡Esta vez, por fin
vas a morir! ¡Ah, qué
placer celestial es para mí inmolar a
quien detesto, con la suave espada de la
ley!
(bis) (a los eunucos) ¿Han encontrado a
Calpigi? UN EUNUCO Señor, están siguiendo
su rastro. ATAR El que lo encuentre
ocupará su puesto. (los eunucos salen)
Escena Segunda
(Entra
Arthenée seguido por dos filas de
sacerdotes. Una fila, vestida de
blanco, está encabezada por
una bandera blanca, en la que están escritas, con
letras de oro, las palabras: “La vida”. La otra fila,
vestida de negro, la encabeza
una bandera negra en la que están escritas,
en letras de plata, las palabras: “La
Muerte”)
ARTHENEE (se adelanta y dice sombríamente)
¿Qué desea el rey de Ormuz? ¿Qué nueva desgracia
te fuerza a arrebatar a un padre de su dolor?
ATAR ¡Ah! Si la esperanza de
una pronta venganza puede calmarte, te
prometo que así será. En mi serrallo han
sorprendido al terrible asesino de
tu hijo. Tengo a la víctima
encadenada y deseo que tú mismo
seas quien lo condene.
Di una palabra, la
muerte lo espera. ARTHENEE ¡Atar,
cuando lo atraparon, sin dilación alguna debieron apuñalar al
traidor: ¡Tiemblo que sea
demasiado tarde! Cada instante, el más
mínimo retraso, podría hacerte caer en
la trampa. ATAR ¿Qué demonio
o qué dios
lo protege? ¡Todo esto me confunde!
ARTHENEE Su demonio es un alma
fuerte, un corazón sensible y
generoso, que todo lo invade y nada lo
irrita. ¡Un hombre así es muy
peligroso! Escena Tercera
(Atar,
Arthénée,
Tararé encadenado, soldados, esclavos,
séquito y sacerdotes)
ATAR ¡Aproxímate, infeliz!
Ven a sufrir las torturas que por tu imperdonable
crimen te impone mi justicia.
TARARÉ ¡Sea justa o no, exijo la
muerte! Violé la morada de tus
placeres sin encontrar a la
destinataria de mi inútil audacia ¡Astasia!... ¡Oh, el
astuto Altamort! La raptó de mi casa de
campo sin traérsela a su señor. Traicionó todo, honor,
deber... bien que pagó su doble
perfidia. Pero... tu Irza no es mi
Astasia. ATAR (furioso) ¿Que
no está en mi poder?
(a los eunucos) ¡Traed a Irza! Si tu
boca miente, la apuñalaré ante
ti. TARARÉ Verla morir
no me importa, pues te castigas a ti mismo,
no a mí. ATAR A su muerte seguirá la
tuya... TARARÉ (altivo) Yo sólo puedo morir una
vez. Desde que estoy bajo
tus leyes, Atar, te entregué mi vida. Ella le pertenece
por completo a mi rey: En lugar de perderla
por ti, es por tu causa que
me es arrebatada. He cumplido con mi
destino, ejecuta tu decisión. Sólo puedo morir
una vez. ¡Ruega a dios que algún día tu
pueblo te perdone! ATAR ¿Una amenaza?
TARARÉ ¿Te sorprende? ¡Rey feroz!
¿Acaso piensas que la corona te da
impunidad frente al crimen? ¡Tu furor
no puedes contener pero deseas no ser odiado!
Tiembla ante tus
propias órdenes... ATAR ¿Qué he de temer?
TARARÉ Que serás
obedecido hasta el momento en que
la suma espantosa de tus crímenes desate
la ira del pueblo... Tú lo puedes todo
contra un solo hombre, pero no puedes nada
contra todos. ATAR ¡Rodeadlo!
(Los esclavos lo rodean.
Tararé se sienta en el tronco,
al pie de la pira, con la cabeza
apoyada
en las manos) Escena
Cuarta (Astasia velada; Atar,
Arthénée, Tararé, Spinette, esclavos
de ambos sexos, soldados) ATAR
(a Astasia) ¿Así que abusando de
tus encantos, falsa Irza, con lágrimas
fingidas, esperabas engañarme?
Antes de proceder a la
ejecución pretendo saber cómo fui
engañado... SPINETTE Una esclava fiel ¡ay!
ocupó su lugar causado inocentemente
desorden y error. TARARÉ
(aparte, con la cabeza entre las manos)
¡Ah, esa voz me
horroriza! ATAR
Entonces ¿es cierto el funesto reemplazo? Yo
te amaba con el nombre
de Irza... (a Astasia) ¡Vete, desgraciada! Detesto mi indigna
pasión por ti. ¡Junto con él, te
entrego al rigor de las leyes! (al sumo sacerdote) ¡Pontífice decide el
destino de ambos! ARTHENEE
Han sido juzgados. Izad el estandarte de
la muerte. El hilo de sus vidas
criminales se ha cortado. (El sumo sacerdote rasga la bandera
de la vida y eleva
la de la muerte.
Se oye el sonido de ocultos instrumentos
funerarios) (Astasia cae de
rodillas y ora durante el canto del coro. El sumo
sacerdote toma el libro de las
sentencias, cubierto con un crespón, y firma la orden de
ejecución. Dos niños de luto lo acompañan con una
antorcha. Cuatro sacerdotes de
luto le presentan dos grandes vasijas
llenas de agua consagrada. Apaga las antorchas
en las vasijas y las vuelca. Mientras tanto, los
sacerdotes de la vida se retiran en
silencio. La bandera de la
vida, rasgada, va detrás. Se oyen
tres tañidos de una campana fúnebre) CORO FÚNEBRE
Con tus infinitos
decretos, ¡gran dios! si tu
bondad lo permite, abre a estos
culpables el seno de tu
misericordia. ARTHENEE
(orando) ¡Brahma! En esta
hoguera, unidos en la muerte,
ascenderemos al cielo. ¡Que de allí no seamos
expulsados! CORO FÚNEBRE
Con tus infinitos decretos, etc.
(Astasia se levanta y camina hacia la
pira, donde Tararé está transido por el dolor)
ASTASIA (a Tararé) No me imputes,
extranjero, tu muerte, pues la voy a
compartir. TARARÉ
(Se levanta con apasionamiento) ¿Qué oigo? ¡Astasia!
ASTASIA ¡Ah, Tararé!
(Se lanzan el uno en brazos del otro)
ARTHENEE (al Rey) Te lo había predicho.
ATAR (furioso)
¡Que los separen! ¡Que de un solo golpe
mueran los dos! (los soldados avanzan)
No... demasiado pronto serían rotas sus
cadenas. Morirían felices. ¡Ah! Me
siento alterado por sus penas y
deseo verlos sufrir. ASTASIA
(con desprecio, al rey) ¡Oh, tigre!
Mi desprecio
ha borrado tus esperanzas, A pesar
tuyo, disfruto de un momento de
felicidad. Desafié tu apetito voraz y al rugido de tu
corazón. Como premio a tu vil
proceder, mira, Atar, ¡lo amo a él y mi corazón a
te desprecia! (besa a Tararé) ATAR
(enérgicamente, a los soldados) ¡Arrancadla
de sus brazos! ¡Que él muera
y que ella viva! ASTASIA
(Saca un cuchillo y lo apoya contra
su pecho) Si alguien se acerca a
él, estaré muerta antes de
que logre tocarlo. ATAR
(a los soldados) ¡Deteneos!
ASTASIA,
TARARÉ,
ATAR La muerte se retrasa
todavía un minuto,
y nuestro fiel amor no estará ya a merced
de los ataques de un
siniestro sultán. (los soldados hacen un movimiento)
ATAR (grita) ¡Deteneos!
ASTASIA (para
sí) Me inmolaré en el
instante en que se ejecute su
sentencia. (a Tararé) Sobre tu corazón
palpitante, me sentirás caer,
y morirás feliz. ATAR ¡Oh,
tormento terrible! Soy yo, soy yo el que
sufre mientras que su corazón está
contento. ASTASIA Sobre tu corazón
palpitante, me sentirás caer,
y morirás feliz.
TARARÉ Sobre mi corazón
palpitante, te sentiré caer,
y moriré dichoso.
Escena Quinta
(Una multitud de
esclavos de ambos sexos corren
aterrados arrojándose de rodillas ante
Atar) ESCLAVOS
(aterrados) ¡Atar,
defiéndenos, sálvanos! ¡La guardia de
palacio fue dominada y la puerta del serrallo
ha sido abatida! Te lo pedimos de
rodillas. Tus soldados
enfurecidos reclaman a Tararé.
Escena Sexta
(Caplpigi y Urson entran al frente
de los soldados armados. Los sacerdotes
de
La Muerte se retiran)
SOLDADOS
(furiosos, destruyen la pira) ¡Tararé! ¡Tararé!
¡Tararé! ¡Devuélvenos a nuestro general! Se dice que su muerte,
está dispuesta. ¡Ah, castigaremos a
quien intente hacerle
algún mal! (avanzan sobre Atar)
TARARÉ (encadenado, aparta a los esclavos)
¡Soldados, deteneos!
¡Deteneos! ¿Qué orden os ha
traído hasta aquí? ¡Oh, victoria
abominable! ¡Me salváis la vida
manchando mi gloria! ¿Acaso un grupo de
rebeldes amotinados debe conducir los
destinos del estado? ¿Acaso podéis
juzgar a vuestros señores? ¿Es que sólo
hay traidores entre vosotros? Soldados
que intentáis usurpar el poder, ¿habéis
olvidados que respetar a los
reyes es el primero
de vuestros deberes? ¡Deponed las armas,
rebeldes, o el emperador os aplastará!
(Todos se ponen de rodillas. Él mismo lo hace y dice al rey:) Señor, ellos se
someten; pido el perdón para ellos.
ATAR (fuera de sí) ¡Qué!
¿Es que siempre debe
estar este fantasma
entre mi pueblo y yo?
(a los soldados) Defensores del
serrallo, ¿todavía soy vuestro rey? UN EUNUCO
¡Sí!
CALPIGI (lo amenaza con la espada)
¡No!
TODOS LOS SOLDADOS
(se levantan) ¡No! TODO EL PUEBLO
¡No! CALPIGI (señalando a Tararé)
¡Él es nuestro señor!
TARARÉ ¡Jamás!
SOLDADOS ¡Sí, eres tú!
EL PUEBLO
¡Eres tú! ATAR
(con desesperación, a Tararé) ¡Monstruo!...
Los has comprado... ¡Así pues, reina en
mi lugar! (se apuñala y cae moribundo)
TARARÉ (con dolor) ¡Ah, desdichado!
ATAR (Se levanta agonizante) La muerte es
para mí
un mal menor... La prefiero antes que reinar sobre
ti... sobre este pueblo
odioso. (cae muerto en los brazos de los eunucos
que se lo llevan. Urson los sigue)
Escena Sétima
(Los
anteriores excepto Atar y Urson) CALPIGI
(gritando al pueblo:) ¡Una sola palabra reparará todos los males
del reino! (indica el trono a Tararé)
TARARÉ (con energía) ¡Y
yo no lo acepto!
CORO GENERAL
(Exaltado) ¡Una sola palabra reparará todos los males
del reino! (dejan el trono a Tararé)
TARARÉ (con dignidad) El
trono no tiene ningún atractivo para mí.
No he nacido para ser
vuestro señor. Querer ser lo que no se
es, es renunciar a todo lo
que se puede ser. Os serviré con mis
brazos, pero dejadme terminar
mis días en paz y vivir retirado con Astasia.
(abre los brazos y ella lo abraza)
Escena Octava
(Urson entra llevando en
su mano la corona de Atar) URSON
(tomando la cadena que apresa a Tararé)
No, por intermedio de
mis manos el pueblo
te hace su noble prisionero. Todos queremos que lleves
las riendas del estado. Si rechazas nuestra
confianza, usaremos estas cadenas
para coronarte aún en
contra tu voluntad.
(al sumo sacerdote) Pontífice,
a este gran hombre Atar le legó el Asia.
Consagra lo único bueno que hizo en su vida. Toma la diadema
y repara la ofensa. ¡Que la corona real
repose en su frente! ARTHENEE
(tomando la corona de manos de Urson)
¡Tararé, debes ceder!
EL PUEBLO
(gritando) ¡Tararé, debes ceder!
ARTHENEE ¡El deseo
del pueblo es ley suprema! EL PUEBLO
¡Nuestros deseos son la ley suprema! ARTHENEE
¡Sé el rey de Ormuz! EL PUEBLO
¡Sí, sé el rey de Ormuz! ARTHENEE
(Le pone la corona sobre la
cabeza se oye sonar una fanfarria)
¡Es la voluntad de los dioses supremos!
(sale) Escena
Novena
(Todos los
anteriores, excepto el sumo sacerdote.
Calpigi y Urson y
se lanzan de rodillas a los pies de
Tararé y en esa
posición le quitan las cadenas)
TARARÉ (mientras lo desencadenan) Hijos,
puesto que me obligáis, guardaré estas
cadenas ellas serán para
siempre mi cinturón real. Será el más
preciado de todos mis ornamentos. ¡Que ellas garanticen a
las futuras generaciones que, si acepté
el título de rey, fue para encadenarme al estado!
(envuelve su cuerpo con las cadenas)
CORO (con delirante entusiasmo) ¡Cuánta dicha colma
nuestros corazones! ¡Larga vida a nuestro
gran rey Tararé! ¡Tararé, Tararé,
Tararé! ¡A la bella Astasia y a
Tararé! ¡Tenemos el mejor de
todos los reyes! ¡Juramos morir bajo sus
leyes! (bis)
URSON ¡Que los terrible europeos
huyan hacia sus
estados! ¡Celebremos a
Tararé,
y corramos a la batalla!
(Los soldados
y el pueblo acompañan a Tararé y a Astasia hasta la
tarima donde estuvo sentado Atar durante
la oración pública. Todos bailan gozosos.
Urson y Calpigi,
rodeados del pueblo, cantan lo siguiente)
URSON, CALPIGI
Rey, nosotros ponemos
la libertad a los pies de tu virtud
suprema. Reina, este pueblo
te ama por tu respeto a la ley y a la
equidad. DOS MUJERES
Y tú, Reina, esposa sensible que conociste la
adversidad, suaviza con austeridad
la inflexibilidad del deber. Mantén su gran corazón
abierto a los suspiros de sus súbditos. CORO Rey, nosotros ponemos
la libertad a los pies de tu virtud
suprema. Reina, este pueblo
te ama por tu respeto a la ley y a la
equidad. (Todos los
presentes danzan. En medio de la
celebración se oye un trueno y la
escena se cubre
de nubes. Vemos aparecer en el cielo, en el
carro del sol, a la Naturaleza y al
Genio del fuego) Escena
Décima GENIO DEL FUEGO
Naturaleza, ¡qué ejemplo
tan impresionante y funesto! ¡El soldado sube al
trono y el tirano muere! LA NATURALEZA
Los dioses dieron el primer paso, su carácter ha hecho el
resto. GENIO DEL FUEGO
Con generosidad, grabamos con trazo
indeleble los principios ejemplares en el
corazón de los hombres. (se
oye un nuevo trueno y
las nubes se levantan. Se ve en el fondo de la escena a todo
el
pueblo arrodillado con el rey a la cabeza)
CORO (muy lejano) De este gran bullicio,
de este resplandor, ¡oh, cielo!
explícanos el misterio. NATURALEZA,
GENIO DEL FUEGO (Majestuosamente) Mortal, seas quien
fueres,
príncipe, brahmán, o soldado, ¡hombre! tu grandeza
sobre la tierra no la determina tu
rango, sino tu carácter.
(A medida que la
Naturaleza y el Genio del Fuego
pronuncian
los versos precedentes, van apareciendo
caracteres de fuego entre las nubes. Las trompetas
resuenan; los truenos vuelven a oírse
y las
nubes
los cubren hasta hacerlos desaparecer)
Digitalizado y
traducido por:
José Luis Roviaro
2019
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