TARARÉ

 

 

 

 

Personajes

 

NATURALEZA

GENIO DEL FUEGO

ATAR

TARARÉ

ASTASIA

ARTHÉNÉE

ALTAMORT

URSON

CALPIGI

SPINETTE
 
Naturaleza

Genio del fuego

Rey de Ormuz

General de Ormuz

 Esposa de Tararé

Sumo sacerdote

Hijo de Arthénée

Capitán de la guardia

Jefe de los eunucos

Esposa de Calpigi

 
Soprano

Bajo

Bajo

Tenor

Soprano

Bajo

Bajo

Bajo

Tenor

Soprano

 

 

 

La acción se desarrolla en Ormuz, Golfo Pésico, en época indeterminada.

  

PROLOGUE


Scène Première

(La Nature et les Vents déchainés. L'ouverture

fait entendre un bruit violent dans les airs, un
choc terrible de tous les éléments. La toile, en
se levant, ne montre que des nuages qui roulent,
se déchirent, et laissent voir les Vents déchainés;
ils forment, en tourbillonnant, des danses
de la plus violente agitation.
 
(La Nature s'avance au milieu d'eux, une baguette

à la main, ornée de tous les attributs qui la
caractérisent, et leur dit impérieusement)

LA NATURE
C'est assez troubler l'univers,  
Vents furieux,
cessez d'agiter l'air et l'onde.
C'est assez. Reprenez vos fers;
que le seul Zéphyr règne au monde.

(L'ouverture, le bruit et le mouvement continuent)

CHŒUR DES VENTS
Ne tourmentons plus l'univers:  
cessons d'agiter l'air et l'onde.
Malheureux!
reprenons nos fers,
l'heureux Zéphyr seul règne au monde.


(Ils se précipitent dans les nuages inférieurs.
Le Zéphir s'élève dans les airs. L'ouverture
et le bruit s'appaisent par degrés; Les nuages

se dissipent; tout devient harmonieux et calme.
On voit une campagne superbe, et Le Génie
du Feu descend dans un nuage brillant, du
côté de l'orient.

Scène Deuxième


(
Le Génie du Feu, La Nature)

LE GÉNIE DU FEU
De l'orbe éclatant du soleil,
admirant des cieux la structure,
je vous ai vue, belle Nature,
disposer sur la terre
un superbe appareil.

LA NATURE
Génie ardent de la sphère enflammée,
par qui la mienne est animée,
à mes travaux donnez quelque moments.
De toutes les races passées,
dans l'immensité dispersées,
je rassemble les éléments,
pour en former une race prochaine
de la risible espèce humaine,
aux dépens des êtres vivants.

LE GÉNIE DU FEU
Ce pouvoir absolu que vous avez sur elle,
l'exercez-vous aussi sur les individus?

LA NATURE
Oui, si je descendais à quelque soins perdus!
Mais, pour moi,
qu'est une parcelle,
à travers ces foules d'humains,
que je répands à pleines mains
sur cette terre, pour y naître,
briller un instant, disparaître,
laissant à des hommes nouveaux
pressés comme eux, dans la carrière,
de main en main, les courts flambeaux
de leur existence éphémère?

LE GÉNIE DU FEU
Au moins, vous employez des éléments
plus purs, pour former les puissants
et les grands d'un empire?

LA NATURE
C'est leur langage, il faut bien en sourire:
un noble orgueil les en rend presque surs.
Mais voyez comme la Nature
les verse par milliers, sans choix et sans mesure.

(Elle fait une espece de conjuration)
 
Froid humains, non encor vivants;  
atômes perdus dans l'espace:
que chacun de vos éléments,
se rapproche et prenne sa place,
suivant l'ordre, la pesanteur,
et toutes les loix immuables
que l'éternel dispensateur
impose aux êtres vos semblables.
Humains, non encore existants,
à mes yeux paraissez vivants.
 
Scène Troisième


(
La Génie du Feu, la Nature, foule
d'Ombres des deux sexes. D'autres
Ombres dansent sur l'air du chœur)

CHŒUR D'OMBRES
Quel charme inconnu nous attire?  
Nos cœurs en sont épanouis.
D'un plaisir vague je soupire;
je veux l'exprimer; je ne puis.
En jouissant, je sens que je désire; (bis)
en désirant, je sens que je juis. (bis)
Quel charme inconnu nous attire?
Nos cœurs en sont épanouis.

LE GÉNIE DU FEU
(à la Nature)

Privés des doux liens qui donne la naissance;  
quels seront leur rangs et leurs soins?
Et comment pourvoir aux besoins
d'une aussi soudaine croissance?

LA NATURE
J'amuse vos yeux un moment,
de leur forme prématurée;
s'ils pouvaient aimer seulement,
vous reverriez le règne heureux d'Astrée.

LE GÉNIE DU FEU
Quel intérêt peut les occuper tous?

LA NATURE
Nul, je crois.

LE GÉNIE DU FEU            
(s'adressant aux ombres)
Qu'êtes-vous? et que demandez-vous?

ALTAMORT (l'Ombre)
Nous ne demandons pas, nous somme.

LE GÉNIE DU FEU
Qui vous a mis au rang des hommes?

URSON
(l'Ombre)
Qui l'a voulu; que nous importe à nous?

LE GÉNIE DU FEU
Comme ils sont froids,
sans passions, sans gouts!
Que leur ignorance est profonde!

LA NATURE
Ah! je les ai formés sans vous.
Brillant Soleil, en vain la Nature est féconde;
sans un rayon de votre feu sacré,
mon œuvre est morte et son but égaré.

LE GÉNIE DU FEU
Gloire à l'éternelle sagesse,  
qui, créant l'immortel amour,
voulut que, par se seule ivresse,
l'être sensible obtînt le jour.
Ah! si ma flamme ardente et pure
n'eût pas embrasé votre sein,
stérile amant de la Nature,
j'eusse été formé sans dessein.

TOUS DEUX
Gloire à l'éternelle sagesse,  
qui, créant l'immortel amour, etc

LE GÉNIE DU FEU
Un mot encor;
c'est une ombre femelle.  

(à l'ombre)

Aimable enfant, voulez-vous être belle?

UNE OMBRE FEMELLE
Belle!

LE GÉNIE DU FEU
Vous rougissez!

UNE OMBRE FEMELLE
Suis-je donc sans appas?

LE GÉNIE DU FEU
Son instinct la trahit, mais ne la trompe pas!

LA NATURE
(souriant)
Il peut au moins la compromettre.

LE GÉNIE DU FEU
(à l'ombre de Spinette)

Et vous dont les regards causeront cent débats?

UNE OMBRE FEMELLE
(avec feu)
Je voudrais... je voudrais...
je voudrais tout soumettre.

LE GÉNIE DU FEU
Ô! Nature!

LA NATURE
(souriant)
J'ai tort; devant vous j'ai trahi,
sur ses plus doux secrets, mon sexe favori.

LE GÉNIE DU FEU
(à l'ombre d'Astasie)
Mais vous, jeune beauté, qui semblez animée,
voudriez-vous à tous donner aussi la loi?

ASTASIE
(l'Ombre)
Que je sois seulement aimée!
Il n'est que ce bonheur pour moi.

LA NATURE
Tu le seras, sous le nom d'Astasie,
et Tarare obtiendra ta foi.

ASTASIE
(l'Ombre)
(émue, la main sur son cœur)
Tarare

LA NATURE
Je te fais un sort digne d'envie.

ASTASIE
(l'Ombre)
Je n'en sais rien.

LA NATURE
Moi, je le sais pour toi.

LE GÉNIE DU FEU
Voyez quelle rougeur à ces noms l'a saisie!

LA NATURE
(au Génie)
Qu'un jeune cœur, mal aisément,  
voile son trouble au doux moment
où l'amour va s'en rendre maître!
Moi-même, après de longs hivers,
quand vous ranimez l'univers,
mes premiers soupirs font renaître
les fleurs qui parfument les airs.

LE GÉNIE DU FEU

(montrant les deux ombres
d'Atar et de Tarare)
Que sont ces deux superbes ombres,
qui semblent menacer, taciturnes et sombres?

LA NATURE
Rien: mais dites un mot; assignant leur état,
je fais un roi de l'une et de l'autre un soldat.

LE GÉNIE DU FEU
Permettez; ce grand choix les touchera peut-être.

LA NATURE
J'en doute.

LE GÉNIE DU FEU

(à l'ombres)
Un de vous deux est roi:
lequel veut l'être?

ATAR
 (l'Ombre)
Roi?

TARARE  (l'Ombre)
Roi?

ATAR, TARARE
Je ne m'y sens aucun empressement.

LA NATURE
Enfants, il vous manque de naître,
pour penser bien différemment.

LE GÉNIE DU FEU

(les examine)
Mon œil, entr'eux, cherche un roi préférable;
mais que je crains mon jugement!
Nature, l'erreur d'un moment
peut rendre un siècle misérable.

LA NATURE

(aux deux ombres)
Futurs mortels, prosternez-vous,
avec respect attendez en silence
le rang qu'avant votre naissance,
vous allez recevoir de nous.
 
(Les deux ombres se prosternent; et
pendant que le Génie hésite dans son
choix, toutes les ombres curieuses
chantent le chœur suivant, en les
enveloppant)


CHŒUR D'OMBRES
Quittons nos jeux, accourrons tout:  
deux de nos frères à genoux
reçoivent l'arrêt de leur vie.

LE GÉNIE DU FEU
(impose les mains à l'une des deux ombres)
Sois l'empereur Atar; despote de l'Asie,
règne à ton gré dans le palais d'Ormus.


(À l'autre ombre)

Et toi, soldat, formé de parents inconnus,
gémis long-tems
de notre fantaisie.

LA NATURE
Vous l'avez fait soldat; mais n'allez pas plus loin:
c'est Tarare. Bientôt vous serez le témoin
de leur dissemblance future.


(Aux deux ombres)

Enfants, embrassez-vous: égaux par la nature, 
que vous en serez loin dans la société:
de la grandeur altière à l'humble pauvreté,
cet intervalle immense
est désormais le vôtre.
À moins que de Brama la puissante bonté,
par un décret prémédité,
ne vous rapproche l'un de l'autre,
pour l'exemple des rois et de l'humanité.

QUATRE OMBRES PRINCIPALES
Ô bienfaisante déité!    
Ne souffrez pas que rien altère
notre touchante égalité;
qu'un homme commande à son frère!

(L'ombre d'Atar seule ne chante pas,

et s'éloigne avec hauteur; le Génie
du Feu la fait remarquer à la Nature)

LA NATURE

(au Génie du Feu)
C'est assez. Èteignons an eux,
ce germe d'une grande idée,
faite pour des climats et des temps plus heureux.


(À toutes les ombres)

Tels qu'une vapeur élancée,
par le froid en eau condensée,
tombe et se perd dans l'océan;
futurs mortels, rentrez dans le néant.
Disparaissez.


(Au Génie du Feu)

Et nous, dont l'essence profonde
dévore l'espace et le temps;
laissons en un clin d'œil écouler quarante ans;
et voyons-les agir sur la scène du monde.
 
(La Nature et le Génie du Feu s'élèvent
dans les nuages, dont la masse
redescend et couvre toute la scène)


CHŒUR D'ESPRITS AÉRIENS
Gloire à l'éternelle sagesse,  
qui, créant l'éternel amour,
voulut que par se seule ivresse
l'être sensible obtînt le jour.

 
 


ACTE I


(La scène est dans le palais d'Atar; dans le temple
de Brama; sur la place de la ville d'Ormus; en Asie
près du golfe Persique. Les nuages qui couvrent le
théâtre s'élèvent; on voit une salle du palais d'Atar)

Scène Première

(Pendant que l'ouverture s'achève,  
des soldats nombreux sortent de chez l'empereur,
portant des drapeaux persans déchirés
et de riches dépouilles enlevées à l'ennemi)


CHOEUR DE SOLDATS
 
(sur l'harmonie de l'ouverture)
Chantons la nouvelle victoire
Dont Tarare a toute la gloire.
Puisqu'on nous laisse enfin ces drapeaux qu'il a pris,
Qu'ils soient de sa valeur et la preuve et le prix.
 
Scène Seconde

URSON

(venant au-devant des soldats,
leur dit à demi-voix:)

Guerriers, si vous aimez Tarare,
Dans ce palais du moins cessez votre fanfare.
L'empereur paraît mécontent.

LES SOLDATS
(se pelotonnent et chantent
en choeur d'un ton sourd)
Avez-vous vu sa contenance,
Et comme il restait en silence?
Portons nos chants en d'autres lieux,
Le peuple nous entendra mieux.

(Ils sortent sans ordre et précipitamment)

Scène Troisième

(Atar, Calpigi)

ATAR
(en entrant, violemment)
Laisse-moi, Calpigi!

CALPIGI
 
La fureur vous égare. Mon maître!
ô roi d'Ormus!
grâce, grâce à Tarare!

ATAR
Tarare! encor Tarare!
Un nom abject et bas
Pour ton organe impur a donc bien des appas!

CALPIGI
 
Quand sa troupe nous prit,
au fond d'un antre sombre,
Je défendais mes jours
contre ces inhumains.
Blessé, prêt à périr,
accablé par le nombre,
Cet homme généreux m'arracha de leurs mains.
Je lui dois d'être à vous,
seigneur, faites-lui grâce.

ATAR
 
Qui, moi, je souffrirai qu'un soldat eût l'audace
D'être toujours heureux
quand son roi ne l'est pas!

CALPIGI
 
A travers le torrent d'Arsace,
Il vous a sauvé du trépas;
Et vous l'avez nommé chef de votre milice.
A l'instant même encore un important service...

ATAR
 
Ah! combien je l'ai regretté;
Son orgueilleuse humilité,
Le respect d'un peuple hébété,
Son air, jusqu'à son nom...
Cet homme est mon supplice.
Où trouve-t-il, dis-moi, cette félicité?
Est-ce dans le travail, ou dans la pauvreté?

CALPIGI
 
Dans son devoir. Il sert avec simplicité
Le ciel, les malheureux,
la patrie et son maître.

ATAR
 
Lui? c'est un humble fastueux
Dont l'orgueil est de le paraître:
L'honneur d'être cru vertueux
Lui tient lieu du bonheur de l'être:
Il n'a jamais trompé mes yeux.

CALPIGI

Vous tromper, lui, Tarare!

ATAR
Ici la loi des Brames
Permet à tous un grand nombre de femmes;
Il n'en a qu'une, et s'en croit plus heureux.
Mais nous l'aurons cet objet de ses voeux;
En la perdant, il gémira peut-être.

CALPIGI
 
Il en mourra!

ATAR
 
Tant mieux. Oui, le fils du grand prêtre,
Altamort a reçu mon ordre cette nuit.
Il vole à la rive opposée,
Avec sa troupe déguisée:
En son absence il va dévaster son réduit.
Il ravira surtout son Astasie,
Ce miracle, dit-on, des beautés de l'Asie.

CALPIGI
 
Eh! quel est donc son crime, hélas!

ATAR
 
D'être heureux, Calpigi,
quand son roi de n'est pas,
De faire partout ses conquêtes
Des coeurs que j'avais autrefois...

CALPIGI
 
Ah! pour tourner toutes les têtes,
Il faut si peu de choses aux rois!

ATAR
 
D'avoir, par un manège habile,
Entraîné le peuple imbécile.

CALPIGI
 
Il est vrai, son nom adoré,
Dans la bouche de tout le monde
Est un proverbe révéré.
Parle-t-on des fureurs de l'onde
Ou du fléau le plus fatal,
Tarare! est l'écho général:
Comme si ce nom secourable
Eloignait, rendait incroyable
Le mal, hélas! le plus certain...

ATAR

(en colère)
Finiras-tu, misérable chrétien?
Eunuque vil et détestable:
La mort devrait...

CALPIGI

La mort, la mort, toujours la mort!
Ce mot éternel me désole:
Terminez une fois mon sort;
Et puis cherchez qui vous console
Du triste ennui de la satiété,
De l'oisiveté, de la royauté.

(Il s'éloigne)

ATAR
(furieux)
Je punirai cet excès d'arrogance.
 
Scène Quatriéme

(
Les précédents, Altamort)

ATAR
Mais qu'annonce Altamort à mon impatience?

ALTAMORT

Mon maître est obéi;
tout est fait, rien n'est su.

ATAR
Astasie?

ALTAMORT
 
Est à toi, sans qu'on m'ait aperçu,
Sans qu'elle ait deviné qui la veut,
qui l'enlève.

ATAR
Au rang de mes vizirs, Altamort, je t'élève.

(A Calpigi)

Pour la bien recevoir sont-ils tous préparés?
Le sérail est-il prêt,
les jardins décorés, Calpigi?

CALPIGI
 
Tout, Seigneur.

ATAR
 
Qu'une superbe fête,
Demain, de ma grandeur enivre ma conquête.

CALPIGI

Demain?
Le terme est court.

ATAR
(en colère)
Malheureux!

CALPIGI

(vite)
Vous l'aurez.

ATAR
J'ai parlé: tu m'entends?
S'il manque quelque chose...

CALPIGI

Manquer! chacun sait trop
à quel mal il s'expose.
 
Scène Cinquième

(Tous les acteurs précédents, astasie, Spinette,
odalisques, esclaves du sérail des deux sexes.
Tout le sérail entre et se range en haie; quatre
esclaves noirs portent Astasie, couverte
d'un grand voile noir de la tête aux pieds.
On la dépose au milieu de la salle)

ESCLAVES
(On danse pendant le choeur)
Dans les plus beaux lieux de l'Asie,
Avec la suprême grandeur,
L'amour met aux pieds d'Astasie
Tout ce qui donne le bonheur.
Ce n'est point dans l'humble retraite
Qu'un cœur généreux le ressent;
Et la beauté la plus parfaite
Doit régner sur le plus puissant.

(On la dévoile)

ATAR
Que tout s'abaisse devant elle.

(On se prosterne)

ASTASIE

O sort affreux, dont l'horreur me poursuit!
Du sein d'une profonde nuit,
Quelle clarté triste et nouvelle!
Où suis-je? Tout mon corps chancelle.

SPINETTE
 
Dans le palais d'Atar.

ATAR
Calpigi, qu'elle est belle!

ASTASIE

(se levant)
Dans le palais d'Atar!
Ah! quelle indignité!

ATAR

(s'approche)
D'Atar qui vous adore.

ASTASIE
 
Et c'est la récompense,
O mon époux, de ta fidélité!

ATAR
 
Mes bienfaits laveront
cette légère offense.

ASTASIE

Quoi, cruel! par cet attentat,
Vous payez la foi d'un soldat
Qui vous a conservé la vie!
Vous lui ravissez Astasie!

(Levant les yeux au ciel)

Grand Dieu! ton pouvoir infini
Laissera-t-il donc impuni
Ce crime atroce d'un parjure,
Et la plus odieuse injure!
O Brama! Dieu vengeur!...

(Elle s'évanouit. Des femmes la
soutiennent. On l'assied)

CALPIGI

Quel effrayant transport!

UN ESCLAVE

(accourant)
Le voile de la mort a couvert sa paupière.

ATAR
 
(tire son poignard)
Quoi! malheureux! tu m'annonces sa mort!
Meurs, toi-même.

(Il le poignarde. Courant vers Astasie)

Et vous tous, rendez à la lumière
L'objet de mon funeste amour.
A sa douleur tremblez qu'il ne succombe;
Répondez-moi de son retour,
Ou je lui fais de tous une horrible hécatombe.

ASTASIE
(revenant à elle, aperçoit l'esclave renversé qu'on enlève)  
Dieux! quel spectacle a glacé mes esprits!

ATAR
Je suis heureux, vous êtes ranimée.
Un lâche esclave par ses cris
M'alarmait sur ma bien-aimée;
De son vil sang la terre est arrosée:
Un coup de poignard est le prix
De la frayeur qu'il m'a causée.

ASTASIE
(joignant les mains)
O Tarare! ô Brama! Brama!
 
(Elle retombe; on l'assied)

ATAR
Dans le sérail qu'on la transporte:
Que cent eunuques, à sa porte,
Attendent les ordres d'Irza.
C'est le doux nom qu'à ma belle j'impose;
C'est mon Irza, plus fraîche que la rose
Que je tenais lorsqu'elle m'embrasa.

(Les esclaves noirs portent Astasie
dans le sérail; tous la suivent)
 

Scène Soixième

(
Atar, Calpigi, Altamort, Spinette)

CALPIGI
(au roi)
Qui nommez-vous, Seigneur,
pour servir la sultane?

ATAR
Notre Spinette; allez.

CALPIGI

L'adroite Européane?

ATAR
 
Elle-même.

CALPIGI

En effet, nul ici ne sait mieux
Comment il faut réduire un cœur né scrupuleux.

SPINETTE

(au roi)
Oui, Seigneur, je veux la réduire,
Vous livrer son cœur, et l'instruire
Du respect, du retour
qu'elle doit à vos feux.

(Montrant Calpigi)

Et... si ce grand succès consterne
Le chef... puissant qui nous gouverne,
Mon maître appréciera le zèle de tous deux.

ATAR
Je l'enchaîne à tes pieds,
si tu remplis mes voeux.

(Spinette et Calpigi sortent en se menaçant)
 
Scène Septième

(Urson, Atar, Altamort)

URSON
Seigneur, c'est ce guerrier,
du peuple la merveille...

ATAR
Garde-toi que son nom offense mon oreille!

URSON
Il pleure; autour de lui tout le peuple empressé
Dit tout haut qu'en ses voeux il doit être exaucé.

ATAR
Tu dis qu'il pleure, qu'il soupire?

URSON
Ses traits en sont presque effacés.

ATAR
 
Urson, qu'il entre; c'est assez.

(A Altamort)

Il est malheureux... Je respire.

(Urson sort)
 
Scène Octave

(Tarare, Altamort, Atar)

ATAR
Que me veux-tu, brave soldat?

TARARE
(avec un grand trouble)
O mon roi! prends pitié de mon affreux état.
En pleine paix, un avare corsaire
Comble sur moi les horreurs de la guerre.
Tous mes jardins sont ravagés,
Mes esclaves sont égorgés;
L'humble toit de mon Astasie
Est consumé par l'incendie...

ATAR
(Pour lui-même)
Grâce au Ciel, mes serments vont être dégagés!

(A Tarare)

Soldat qui m'as sauvé la vie,
Reçois en pur don ce palais
Que dix mille esclaves malais
Ont construit d'ivoire et d'ébène:
Ce palais, dont l'aspect riant
Domine la fertile plaine,
Et la vaste mer d'Orient.
Là, cent femmes de Circassie,
Pleines d'attraits et de pudeur,
Attendront l'ordre de ton cœur,
Pour t'enivrer des trésors de l'Asie.
Puisse de ton bonheur l'envieux s'irriter!
Puisse l'infâme calomnie
Pour te perdre en vain s'agiter!...

ALTAMORT
(Silencieusement)
Mais, Seigneur, ta hautesse oublie...

ATAR

(Silencieusement) 
Je l'élève, Altamort, pour le précipiter.

(Tout haut)

Allez, vizir, que l'on publie...

TARARE
O mon roi! ta bonté doit se faire adorer.
Des maux du sort mon âme est peu saisie;
Mais celui de mon cœur ne peut se réparer,
Le barbare emmène Astasie.

ATAR

(avec un signe d'intelligence)
Quelle est cette femme, Altamort?

ALTAMORT
(il est dans l'autre sens)
Seigneur, si j'en crois son transport,
Quelque esclave jeune et jolie.

TARARE

(indigné)
Une esclave! une esclave!
excuse, ô roi d'Ormus!
A ce nom odieux
tous mes sens sont émus.
Astasie est une déesse.


Dans mon cœur souvent combattu,
Sa voix sensible, enchanteresse,
Faisait triompher la vertu.
D'une ardeur toujours renaissante,
J'offrais sans cesse à sa beauté,
Sans cesse à sa beauté touchante,
L'encens pur de la volupté.
Elle tenait mon âme active
Jusque dans le sein du repos.
Ah! faut-il que ma voix plaintive
En vain la demande aux échos!

ATAR
 
Quoi! soldat! pleurer une femme!
Ton roi ne te reconnaît pas.
Si tu perds l'objet de ta flamme,
Tout un sérail t'ouvre ses bras.
Faut-il regretter quelques charmes,
Quand on retrouve mille attraits?
Mais l'honneur qu'on perd dans les larmes,
On ne le retrouve jamais!

TARARE
 
Seigneur!

ATAR
Qu'as-tu donc fait de ton mâle courage?
Toi qu'on voyait rugir dans les combats,
Toi qui forças un torrent à la nage,
En transportant ton maître dans tes bras!
Le fer, le feu, le sang
et le carnage
N'ont jamais pu t'arracher un soupir,
Et l'abandon d'une esclave volage
Abat ton âme et la force à gémir! (bis)

TARARE

(vivement)
Seigneur, si j'ai sauvé ta vie,
Si tu daignes t'en souvenir,
Laisse-moi venger Astasie
Du traître qui l'osa ravir.
Permets que, déployant ses ailes,
Un léger vaisseau de transport
Me mène vers ces infidèles
Chercher Astasie ou la mort.
 
Scène Neuvaine

(
Calpigi, Atar, Altamort, Tarare)

ATAR
Que veux-tu, Calpigi?  
           
(Bas)

Sois intelligible.

CALPIGI
 
Mon maître, cette Irza si chère à ton amour...

ATAR
(vivement)  
Eh bien?

CALPIGI
 
Elle est rendue à la clarté du jour.

TARARE
(exalté)
Atar, ta grande âme est sensible,
La joie a brillé dans tes yeux.  

(Un genou à terre)  

Par cette Irza, Sultan, sois généreux,
A mes maux deviens accessible.

ATAR
 
Dis-moi, Tarare, es-tu bien malheureux?

TARARE
 
Si je le suis! ah! peut-être elle expire!

ATAR
 
Souhaite devant moi qu'Irza cède à mes voeux:
Je fais ce que ton cœur désire.

CALPIGI

(à part)
Grand dieux! je sers un homme affreux!

TARARE
(se levant, dit avec feu)
Charmante Irza, qu'est-ce donc qui t'arrêtes?
Le fils des dieux n'est-il pas ta conquête?
Puisse-t-il trouver dans tes yeux
Ce pur feu dont il étincelle!
Rends, Irza, rends mon maître heureux...  

(Calpigi lui fait un signe négatif
pour qu'il n'achève pas son voeu)
 

... Si tu le peux sans être criminelle.

ATAR
Brave Altamort, avant le point du jour,
Demain qu'une escadre soit prête
A partir du pied de la tour.
Suis mon soldat, sers son amour
Dans les combats, dans la tempête.

(Bas à Altamort)


S'il revoit jamais ce séjour,
Tu m'en répondras sur ta tête.


(A Tarare)

Et toi, jusqu'à cette conquête,
De tout service envers ton roi,
Soldat, je dégage ta foi;
J'en jure par Brama.

TARARE
la main au sabre.
Je jure en sa présence,
De ne poser ce fer sanglant
Qu'après avoir du plus lâche brigand
Puni le crime, et vengé mon offense.

ATAR

(à Altamort)
Tu viens d'entendre son serment;
Il touche a plus d'une existence:
Vole, Altamort, et, plus prompt que le vent,
Reviens jouir de ma reconnaissance.

ALTAMORT
 
Noble roi, reçois le serment
De ma plus prompte obéissance.
Commande, Atar, je cours aveuglément
Servir l'amour, la haine ou la vengeance.

CALPIGI
(à part)
De son danger secrètement
Il faut lui donner connaissance.  
           

(Atar le regarde; Calpigi
dit d'un ton courtisan)  

Qui sert mon maître,
et le sert prudemment,
Peut bien compter sur sa munificence.

(Ils sortent tous)

Scène Dixième

ATAR

(seul)
Vertu farouche et fière, Qui jetait trop d'éclat,
Rentre dans la poussière, faite pour un soldat.
Du crime d'Altamort je vois la mer chargée
Rendre à ton corps sanglant
les funèbres honneurs.
Et nous, heureux Atar, de ma belle affligée,
Dans la joie et l'amour,
nous sècherons les pleurs.  (bis)
 
(Il sort)



ACTE II


(Le théâtre représente la place publique.
Le palais d'Atar est sur le côté; le temple de

Brama dans le fond. Atar sort de son palais
avec toute sa suite. Urson sort du temple,
suivi d'Arthénée en habits pontificaux)

Scène Première


(Urson, Atar)

URSON
 
Seigneur, le grand-prêtre Arthénée
Demande un entretien secret.

ATAR
,
(à sa suite)
Eloignez-vous... Qu'il vienne. Urson,
que nul sujet, Dans cette agréable journée,
D'un seul refus d'Atar n'emporte le regret.
 
Scène Deuxième


(Arthénée, Atar. Tout le monde s'eloigne du roi)

ARTHENEE
(s'avance)

Les sauvages d'un autre monde
Menacent d'envahir ces lieux;
Au loin déjà la foudre gronde;
Ton peuple superstitieux,
Pressé comme les flots, inonde
Le parvis sacré de nos dieux.

ATAR
De vils brigands une poignée,
Sortant d'une terre éloignée,
Pourrait-elle envahir ces lieux?
Pontife, votre âme étonnée...
Cependant, parlez, Arthénée,
Que dit l'interprète des dieux?

ARTHENEE
(vivement)
Qu'il faut combattre,
Qu'il faut abattre
Un ennemi présomptueux:
Le sol aride de la Torride
A soif de sang odieux.
Par des mesures promptes et sûres,
Que l'armée ait un commandant
Vaillant, fidèle, rempli de zèle:
Mais sur ce devoir important,
Que le caprice de ta milice
Ne règle point le choix d'Atar:
Que le murmure, comme une injure,
Soit puni d'un coup de poignard.

ATAR
 
Apprends-moi donc, ô chef des Brames!
Ce qu'Atar doit penser de toi.
Ardent zélateur de la foi
Du passage éternel des âmes!
Le plus vil animal est nourri de ta main,
Tu craindrais d'en purger la terre!
Et cependant, tu brûles, dans la guerre,
De voir couler des flots de sang humain!

ARTHENEE
 
Ah! d'une antique absurdité,
Laissons à l'Indou les chimères.
Brame et Soudan doivent en frères
Soutenir leur autorité.
Tant qu'ils s'accordent bien ensemble,
Que l'esclave ainsi garrotté,
Souffre, obéit, et croit et tremble,
Le pouvoir est en sûreté.

ATAR
Dans ta politique nouvelle,
Comment mes intérêts sont-ils unis aux tiens?

ARTHENEE
 
Ah! si ta couronne chancelle,
Mon temple, à moi, tombe avec elle.
Atar, ces farouches chrétiens
Auront des dieux jaloux des miens:
Ainsi qu'au trône, tout partage,
En fait de culte, est un outrage.
Pour les dompter, fais que nos Indiens
Pensent que le Ciel même
a conduit nos mesures:
Le nom du chef dont nous serons d'accord,
Je l'insinue aux enfants des augures.
Qui veux-tu nommer?

ATAR
Altamort.

ARTHENEE

Mon fils!

ATAR
J'acquitte un grand service.

ARTHENEE

Que devient Tarare?

ATAR
Il est mort.

ARTHENEE

Il est mort!

ATAR
 
Oui, demain, j'ordonne qu'il périsse.

ARTHENEE

Juste Ciel! crains, Atar...

ATAR
Quoi craindre? mes remords?

ARTHENEE

Crains de payer de ta couronne
Un attentat sur sa personne.
Ses soldats seraient les plus forts.
Si sur un prétexte frivole
Tu les prives de leur idole,
Cette milice, en sa fureur,
Peut, oubliant ton rang et ta naissance...

ATAR
J'ai tout prévu; Tarare, dans l'erreur,
Court à sa perte en cherchant la vengeance.
Qu'une grande solennité
Rassemble ce peuple agité;
De ses cris et de ses murmures
Montre-lui le Ciel irrité.
Prépare ensuite les augures;
Et par d'utiles impostures
Consacrons notre autorité.  
(bis)
 
(Il sort)

Scène Troisième

ARTHENEE

(seul)
O politique consommée!
Je tiens le secret de l'état;
Je fais mon fils chef de l'armée;
A mon temple je rend l'éclat,
Aux augures leur renommée.
Pontifes, pontifes adroits!
Remuez le cœur de vos rois.
Quand les rois craignent,
Les brames règnent;
La tiare agrandit ses droits.
Eh! qui sait si mon fils,
un jour maître du monde...

(Il voit arriver Tarare; il rentre dans le temple)
 
Scène Quatrième

TARARE

(seul. Il rêve)
De quel nouveau malheur suis-je encor menacé?
O Brama! tire-moi de cette nuit profonde.
Ce matin, quand j'ai prononcé:
"Qu'à son amour Irza réponde;"
Un signe effrayant m'a glacé.
De quel nouveau malheur suis-je encor menacé?
O Brama! tire-moi de cette nuit profonde.     (bis)
 
 Scène Cinquième


(Calpigi, Tarareu)

CALPIGI

(déguisé, couvert d'une cape, l'ouvre)  
Tarare! connais-moi.

TARARE
 
Calpigi!

CALPIGI
(vivement)

Mon héros!
Je te dois mon bonheur, ma fortune, ma vie.
Que ne puis-je à mon tour te rendre le repos!
Cette belle et tendre Astasie
Que tu vas chercher au hasard
Sur le vaste océan d'Asie,
Elle est dans le sérail d'Atar,
Sous le faux nom d'Irza...

TARARE
Qui l'a ravie?

CALPIGI

C'est Altamort.

TARARE
O lâche perfidie!

CALPIGI
 
Le golfe où nos plongeurs vont chercher le corail
Baigne les jardins du sérail:
Si, dans la nuit, ton courage inflexible
Ose de cette route affronter le danger,
De soie une échelle invisible,
Tendue à l'angle du verger...

TARARE
Ami généreux, secourable...

CALPIGI

Le temple s'ouvre, adieu.

(Il s'enveloppe et fuit)   


Scène Sixième

TARARE

(seul)
J'irai:
Oui, j'oserai:
Pour la revoir je franchirai
Cette barrière impénétrable.
De ton repaire, affreux vautour!
J'irai l'arracher morte ou vive;
Et si je succombe au retour,
Ne me plains pas, tyran, quoi qu'il m'arrive:
Celui qui te sauva le jour
A bien mérité qu'on l'en prive!   
(bis) 

Scène Septième

(Le fond du théâtre, qui représentait le

portail du temple de Brama, se retire et laisse
voir l'intérieur du temple, qui se forme jusqu'au

devant du théâtre. Arthénée, les prêtres de Brama,  
Elamir et les autres enfants des augures)


ARTHENEE
(aux prêtres)

Sur un choix important le Ciel est consulté.
Vous, préparez l'autel;
vous, nos saintes armures;
Vous, choisissez parmi les enfants des augures
Celui pour qui Brama s'est plus manifesté,
En le douant d'un cœur plein de simplicité.

UN PRETRE

C'est le jeune Elamir. Il vient à vous.

ELAMIR
(accourant)
Mon père!

ARTHENEE
 
(s'assied)
Approchez-vous, mon fils; un grand jour vous éclaire.
Croyez-vous que Brama vous parle par ma voix,
Et qu'il parle à moi seul?

ELAMIR
Mon père, oui, je le crois.

ARTHENEE

(sévèrement)
Le Ciel choisit par vous
un vengeur à l'empire:
Ne dites rien, mon fils, que ce qu'il vous inspire.

(D'un ton caressant)

Ah! s'il vous inspirait de nommer Altamort!
L'état serait vainqueur,
 il vous devrait son sort!

ELAMIR
(les mains croisées sur sa poitrine)
Je l'en supplierai tant, mon père,
Qu'il me l'inspirera, j'espère.

ARTHENEE
 
Moi je l'espère aussi: priez-le avec transport.
           
(Elamir se prosterne)

Ainsi qu'une abeille,
Qu'un beau jour éveille,
De la fleur vermeille
Attire le miel:
Un enfant fidèle, quand Brama l'appelle,
S'il prie avec zèle,
Obtient tout du Ciel.       
(bis)

(Il relève l'enfant)

Tout le peuple, mon fils, sous nos voûtes arrive.
Avant de nommer son vengeur,
Vous le ferez rougir de sa vaine terreur.
Il croit les chrétiens sur la rive;
Assurez-le qu'ils sont bien loin;
Et du reste, mon fils, Brama prendra soin.
 
Scène Huitième


Grande marche

(Atar, Altamort, Tarare, Urson, Arthénée,
Elamir,
pretres, enfants, vizirs, emirs,
suite, peuple, soldats, esclaves)


(Atar monte sur un trône élevé dans le temple)

ARTHENEE
(majestueusement)

Prêtres du grand Brama!
roi du golfe Persique!
Grands de l'empire!
peuple inondant le portique!
La nation, l'armée attend un général.

CHOEUR

Pour nous préserver d'un grand mal,
Que le choix de Brama s'explique!

ARTHENEE

Vous promettez tous d'obéir
Au chef que Brama va choisir?

CHOEUR

Nous le jurons sur cet autel antique.

ARTHENEE

(d'un ton inspiré)
Dieu sublime dans le repos,
Magnifique dans la tempête,
Sois que ton souffle élève aux cieux les flots,
Soit que ton regard les arrête,
Permets que le nom d'un héros,
Sortant d'une bouche innocente,
Devienne cher à ses rivaux,
Et porte à l'ennemi le trouble et l'épouvante!

(A Elamir)

Et vous, enfant, par le Ciel inspiré!
Nommez, nommez sans crainte un héros préféré.

(On élève Elamir sur des pavois)

ELAMIR

(avec enthousiasme)
Peuple que la terreur égare,
Qui vous fait redouter ces sauvages chrétiens?
L'état manque-t-il de soutiens?
Comptez, aux pieds du roi, vos défenseurs,
Tarare...

CHOEUR

(subit du peuple et des soldats)
Tarare! Tarare! Tarare!
Ah! pour nous Brama se déclare:
L'enfant vient de nommer Tarare.
Tarare! Tarare! Tarare!

ALTAMORT

(en colère)
Arrêtez ce fougueux transport!

ARTHENEE

Peuple, c'est une erreur!

(A Elamir)

Mon fils, que Dieu vous touche!

ELAMIR
 
Le Ciel m'inspirait Altamort;
Tarare est sorti de ma bouche.

DEUX CORYPHEES DE SOLDATS
Par l'enfant Tarare indiqué
N'est point un hasard sans mystère:
Plus son choix est involontaire,
Plus le vœu du Ciel est marqué.
Oui, pour nous Brama se déclare,
L'enfant vient de nommer Tarare.

CHOEUR
Tarare! Tarare! Tarare!
 
(On redescend Elamir)

ATAR
(se lève)
Tarare est retenu par un premier serment:
Son grand cœur s'est lié d'avance
A suivre une juste vengeance.

TARARE
(la main sur la poitrine)
Seigneur, je remplirai le double engagement
De la vengeance et du commandement.

(Au peuple)

Qui veut la gloire, a la victoire vole avec moi.

TOUS
 
C'est moi, c'est moi.

TARARE
Sujets, esclaves,
Que les plus braves donnent leur foi.

TOUS
 
C'est moi, c'est moi.

TARARE
Ni paix ni trêve,
L'horreur du glaive fera la loi.

TOUS
 
C'est moi, c'est moi.

TARARE
Qui veut la gloire,
A la victoire vole avec moi.

TOUS
C'est moi, c'est moi.

ATAR
(à part)
Je ne puis soutenir la clameur importune
D'un peuple entier sourd à ma voix.
 
(Il veut descendre)
 

ALTAMORT
(l'arrête)
Ce choix est une injure
à tous tes chefs commune;
Il attaque nos premiers droits.
L'arrogant soldat de fortune
Doit-il aux grands dicter des lois?

TARARE
(fièrement)
Apprends, fils orgueilleux des prêtres!
Qu'élevé parmi les soldats,
Tarare avait, au lieu d'ancêtres,
Déjà vaincu dans cent combats;

(Avec un grand dédain)

Qu'Altamort enfant, dans la plaine,
Poursuivait les fleurs des chardons,
Que les zéphyrs, de leur haleine,
Font voler au sommet des monts.

ALTAMORT

(la main au sabre)
Sans le respect d'Atar, vil objet de ma haine...

TARARE
(bien dédaigneux)
Du destin de l'état tu prétends décider!
Fougueux adolescent, qui veux nous commander!
Pour titre ici n'as-tu que des injures?
Quels ennemis t'a-t-on vu terrasser?
Quels torrents osas-tu passer?
Où son tes exploits, tes blessures?

ALTAMORT

(en fureur)
Toi, qui de ce haut rang brûles de t'approcher,
Apprends que sur mon corps il te faudra marcher.
 
(Il tire son sabre)

ARTHENEE
(troublé)
O désespoir! ô frénésie!  Mon fils!...

ALTAMORT

(plus furieux)
A ce brigand j'arracherai la vie.

TARARE
(froidement)
Calme ta fureur, Altamort.
Ce sombre feu, quand il s'allume,
Détruit les forces, nous consume:
Le guerrier, en colère, est mort.

(Il tire son sabre)

ARTHENEE
('écrie)

Le temple de nos dieux
est-il donc une arène?

ATAR
 
(se lève)
Arrêtez.

TARARE
 
J'obéis...
           
(A Altamort, lui prenant la main)

Toi, ce soir, à la plaine.

(A Calpigi, à part,  pendant
qu'Atar descend de son trône)

Et toi, fidèle ami, sans fanal et sans bruit,
Au verger du sérail attends-moi cette nuit.

(Atar lui remet le bâton de
commandement au bruit d'une
fanfare. Grande marche pour sortir)

CHOEUR
(sur le chant de la marche)
Brama! si la vertu t'es chère,
Si la voix du peuple est ta voix,
Par des succès soutiens le choix
Que le peuple entier vient de faire!
Que sur tes pas
Tous nos soldats
Marchent d'une audace plus fière!
Que l'ennemi, triste, abattu,
Par son aspect déjà vaincu,
Sous nos coups morde la poussière!



ACTE III


(Le théâtre représente les jardins du
sérail; l'appartement d'Irza est à droite;
à gauche, et sur le devant, est un grand

sofa sous un dais superbe, au milieu
d'un parterre illuminé. Il est nuit)

Scène Première

(Calpigi, entrant d'un côté; Atar,
Urson entrent de l'autre; des
jardiniers ou Bostangis qui allument)

CALPIGI
(sans voir Atar)
Les jardins éclairés! des bostangis!

Pourquoi?
Quel autre ose au sérail
donner des ordres?

ATAR
(lui frappant sur l'épaule)
Moi.

CALPIGI
(troublé)
Seigneur...
puis-je savoir?...

ATAR
 
Ma fête à ce que j'aime?

CALPIGI
Est fixée à demain, Seigneur, c'est votre loi.

ATAR

(brusquement)
Moi, je la veux à l'instant même.

CALPIGI  
Tous mes acteurs sont dispersés.

ATAR
(plus brusquement)
Du bruit autour d'Irza; qu'on danse,

est c'est assez.

CALPIGI
(à part, avec douleur)
O l'affreux contre-temps! De cet ordre bizarre
Il n'est aucun moyen de prévenir Tarare!

ATAR
(l'examinant)
Quel est donc ce murmure inquiet et profond?

CALPIGI
(affectant un air gai)  
Je dis... qu'on croira voir
ces spectacles de France,
Où tout va bien, pourvu qu'on danse.

ATAR
(en colère)  
Vil chrétien! obéis, ou ta tête en répond.

CALPIGI
(à part, en s'en allant)
Tyran féroce!
 
(Les bostangis se retirent)

Scène Seconde

(Atar, Urson)

ATAR
Avant que ma fête commence,
Urson, conte-moi promptement
Le détail et l'événement
De leur combat à toute outrance.

URSON
Tarare le premier arrive au rendez-vous:
Par quelques passes dans la plaine,
Il met son cheval en haleine,
Et vient converser avec nous.
Sa contenance est noble et fière.
Un long nuage de poussière
S'avance du côté du nord;
On croit voir une armée entière.
C'est l'impétueux Altamort.
D'esclaves armés un grand nombre
Au galop à peine le suit.
Son aspect est farouche et sombre
Comme les spectres de la nuit.
D'un œil ardent mesurant l'adversaire:
 »Du vaincu décidons le sort ».
Ma loi, dit Tarare, est la mort.
L'un sur l'autre à l'instant fond comme le tonnerre.
Altamort pare le premier.
Un coup affreux de cimeterre
Fait voler au loin son cimier.
L'acier étincelle,
Le casque est brisé,
Un noir sang ruisselle.
Dieux! je suis blessé.
Plus furieux que la tempête,
A plomb sur la tête,
Le coup est rendu, Tarare
Pare...
Et tient en l'air le trépas suspendu.

ATAR
Je vois qu'Altamort est perdu.

URSON  
Aveuglé par le sang, il s'agite, il chancelle.
Tarare, courbé sur sa selle,
Pique en avant. Son fier coursier,
Sentant l'aiguillon qui le perce,
S'élance, et du poitrail renverse
Et le cheval et le guerrier.
Tarare à l'instant saute à terre,
Court à l'ennemi terrassé.
Chacun frémi, le cœur glacé.
Du terrible droit de la guerre...
O d'un noble ennemi
saint et sublime effort!

ATAR
(en colère)
Achève donc.

URSON
Ne crains rien, superbe Altamort:
Entre nous la guerre est finie.
Si le droit de donner la mort
Est celui d'accorder la vie,
Je te la laisse de grand cœur.
Pleure longtemps ta perfidie.

ATAR
Sa perfidie?

URSON
Il s'en éloigne avec douleur.

ATAR
(furieux)
Il est instruit.

URSON
Inutile et vaine faveur!
Celui dont les armes trop sûres
Ne firent jamais deux blessures,
A peine, hélas! se retirait,
Que son adversaire expirait.

ATAR
Partout il a donc l'avantage!
Ah! mon cœur en frémit de rage!
Quand par le combat Altamort
Voulut hier régler leur sort,
Urson, je sentais bien d'avance
Qu'il allait de sa mort
Payer cette imprudence.
Sans les clameurs d'un père épouvanté,
Le temple était ensanglanté:
Mais son pouvoir força le nôtre
D'arrêter un crime opportun,
Qui m'offrait dans le mort de l'un
Un prétexte pour perdre l'autre.  

(Il voit entrer les esclaves)

Tout le sérail ici porte ses pas.
Retire-toi: que cette affreuse image,
Se dissipant comme un nuage,
Fasse place aux plaisirs et ne les trouble pas.

(Urson sort)

Scène Troisième

(Atar, Astasie, en habit de sultane,
soutenue par des esclaves,
son mouchoir sur les yeux;
Spinette, Calpigi, eunuques,
esclaves des deux sexes)


ATAR
(fait asseoir Astasie sur le grand sofa,)
près de lui, et dit au chef des eunuques)
Eh bien! vont-ils chanter le bonheur de leur maître?

CALPIGI

Dans le léger essai d'une fête champêtre,
Ils ont tous le noble désir
De montrer l'excès de leur joie.

ATAR
(avec dédain)
Hé! que m'importe leur plaisir,
Pourvu que leur art se déploie!

CALPIGI
(à part)
De quel monstre, grand Dieu!
cette Asie est la proie!  

(Il fait signe aux esclaves d'avancer)

Tarare n'est point prévenu:
S'il arrivait, il est perdu.
 
Scène Quatrième

(Les acteurs précédents, Bergers, Européens de
Cour, vêtus galamment en habits d'étoffes de
taffetas avec des plumes, ainsi que leurs Bergères,
ayant des houlettes dorées. Paysans grossiers,
vêtus à l'européenne, ainsi que leurs Paysannes,
mais très simplement et tenant des instruments
aratoires)

Marche

(Marche dont le dessus léger peint le caractère des
Bergers de Cour qui la dansent, et dont la basse
peint la lourde gaieté des Paysans qui la sautent)

CHOEUR D'EUROPEENS  
Peuple léger mais généreux,
Nous blâmons les moeurs de l'Asie;
Jamais dans nos climats heureux
La beauté ne tremble asservie.

SPINETTE ET UNE BERGERE SENSIBLE
.
Chez nos maris, presque à leurs yeux,
Un galant en fait son amie,
La prend, la rend, rit avec eux,
Et porte ailleurs sa douce envie.

CHOEUR
Peuple léger, etc.

Suite du Ballet 

Duo - Dialogue 

SPINETTE
(en bergère coquette, aux danseurs)
Galants qui courtisez
les belles,
Sachez brusquer un doux moment.

LA BERGERE
Amants qui soupirez pour elles,
Espérez tout du sentiment.

SPINETTE
 
Toute occasion non saisie
s'échappe et se perd sans retour.

LA BERGERE

Sans retour pour la fantaisie,
Mais elle renaît pour l'amour.

Suite du Ballet 

(De vieux Seigneurs dansent vivement devant
des Bergères modestes, en leur présentant des
bouquets. Des jeunes gens fatigués, appuyés sur
leurs houlettes, se meuvent avec peine devant
de vieilles coquettes qui dansent à perdre haleine.
Atar se lève et erre parmi les danseurs)

SPINETTE
(en Bergère de Cour) 
Dans nos vergers délicieux,
Le mal, le mieux, tout se balance,
Et si nos jeunes gens sont vieux,
Tous nos vieillards sont dans l'enfance.

UN PAYSAN  
Chez nous point d'imposture,
Enfants de la nature,
Nos tendres soins
Sont pour les foins,
Et notre amour pour la pâture.

SPINETTE
 
Quand l'époux devient indolent,
Contre un galant l'amour l'échange,
Et de ses volages désirs
Par des plaisirs l'hymen se venge.

UN PAYSAN
 
Chez nous jamais légère,
L'active ménagère
Pour favori n'a qu'un mari,
Mais de ses fils chacun est père.

SPINETTE

Chez nous, sans bruit on se détruit,
On brigue, on nuit
mais sans scandale.

UN PAYSAN
(puis les Paysans)
Ma foi, chez nous, tout ce qu'autrui te fait,
Fais-lui, c'est la morale.

ASTASIE
Grands dieux! Que la mort d'Astasie
L'arrache au tyran de ces lieux!

Suite du Ballet

ASTASIE
Ô mon Tarare, ô mon époux,
Dans quel désespoir êtes-vous?

Suite du Ballet 

ATAR
(dit à tout le sérail)
Saluez tous la belle Irza.
Je la couronne: elle est sultane.

(Il lui attache au front un diadème de diamant)

CHOEUR
Saluons tous la belle Irza;
L'amour du fond d'une cabane,
Au trône d'Ormus l'éleva.
Du grand Atar elle est sultane.

Suite et fin du Ballet

(Le ballet fini, des esclaves apportent des
vases de sorbet, des liqueurs et des fruits
devant Atar et la sultane. Spinette reste
auprès de sa maîtresse, prête à la servir)

ATAR
(avec joie)
Calpigi, ton zèle m'enchante!
J'aime un esprit fertile à qui tout obéit.
Des mers de votre Europe,
et contre toute attente,
apprends-nous quel hasard
dans Ormus t'a conduit?
Mais pour amuser mon amante,
Anime ton récit d'une gaieté piquante.

CALPIGI
(à part, d'un ton sombre)
J'y veux mêler un nom
qui nous rendra la nuit.

(Il prend une mandoline et chante sur le ton
de la barcarolle. La danse figurée cesse; tous
les danseurs et danseuses se prennent par
la main pour danser le refrain de sa chanson)


CALPIGI

Je suis natif de Ferrare;
Là, par les soins d'un père avare,
Mon chant s'étant fort embelli;
Ahi! povero Calpigi!
Je passai du Conservatoire
Premier chanteur à l'Oratoire
Du souverain di Napoli:
Ah! bravo, caro Calpigi!

(Le choeur répète le dernier vers. On danse
la ritournelle. A la fin de chaque couplet,
Calpigi se retourne, et regarde avec inquiétude
du côté par où il craint que Tarare n'arrive)

La plus célèbre cantatrice,
De moi fit bientôt par caprice
Un simulacre de mari;  
Ahi! povero Calpigi!
Mes fureurs, ni mes jalousies,
N'arrêtant point ses fantaisies,
J'étais chez moi comme un zéro:
Ahi! Calpigi povero!
 
(Le choeur répète le dernier
vers. On danse la ritournelle)

Je résolus, pour m'en défaire,
De la vendre à certain corsaire,
Exprès passé de Tripoli;
Ah! bravo, caro Calpigi!
Le jour venu, mon traître d'homme,
Au lieu de me compter la somme,
M'enchaîne au pied de leur châlit,
Ahi! povero Calpigi!

(Le choeur répète le dernier
vers. On danse la ritournelle)


Le forban en fit sa maîtresse;
De moi, l'argus de sa sagesse:
Et j'étais là tout comme ici:
Ahi! povero Calpigi!
 
(Spinette, en cet endroit,
fait un grand éclat de rire)


ATAR
Qu'avez-vous à rire, Spinette?

CALPIGI
Vous voyez ma fausse coquette.  

ATAR
Dit-il vrai?  

SPINETTE
Signor, è vero.  

CALPIGI
(achève l'air)

Ahi! Calpigi povero!
 
(Le choeur répète le dernier vers. On danse la

ritournelle. Ici l'on voit dans le fond Tarare
descendre par une échelle de soie; Calpigi
l'aperçoit)

CALPIGI
(à part)
C'est Tarare!

Bientôt à travers la Libye,
L'Egypte, l'Isthme et l'Arabie,
Il allait nous vendre au Sophi:
Ahi! povero Calpigi!
Nous sommes pris, dit le barbare.
Qui nous prenait? Ce fut Tarare...

ASTASIE

(faisant un cri)
Tarare!

TOUT LE SERAIL

(s'écrie)
Tarare!

ATAR
(furieux)
Tarare!

(Il renverse la table d'un coup de pied.
Astasie se lève troublée, Spinette la soutient.
Au bruit qui se fait, Tarare, à moitié descendu,
se jette au bas dans l'obscurité)

SPINETTE
(à Astasie)
Dieux! que ce nom l'a courroucé!

ATAR
Que la mort! que l'enfer s'empare
Du traître qui l'a prononcé!
 
(Il tire son poignard, tout le monde s'enfuit)


SPINETTE

(soutenant Astasie)
Elle expire!

(Atar rappelé à lui par ce cri, laisse aller
Calpigi  et les autres esclaves, et revient
vers Astasie que des femmes emportent
chez elle. Atar y entre, en jetant à la porte

sa simarre et ses brodequins, à la manière
des Orientaux)


Scène Cinquième

(Le théâtre est très obscur. Calpigi,
Tarare, un poignard à la main,
prêt à frapper Calpigi qu'il entraîne.


CALPIGI

(s'écrie:)
O Tarare!

TARARE
(avec un grand trouble)
O fureur que j'abhorre!
Mon ami... s'il n'eût pas parlé,
De ma main était immolé!

CALPIGI

Tu le devais, Tarare!
il le faudrait encore,
Si quelque esclave curieux...

TARARE
(troublé)
Mille cris de mon nom font retentir ces lieux!
Je me crois découvert, et que la jalousie...
Mourir sans la revoir, et si près d'Astasie!

CALPIGI
 
O mon héros! tes vêtements mouillés,
D'algues impures et de limons souillés!...
Un grand péril a menacé ta vie!

TARARE
(à demi-voix)  
Au sein de la profonde mer,
Seul, dans une barque fragile,
Aucun souffle n'agitant l'air,
Je sillonnais l'onde tranquille.
Des avirons le monotone bruit,
Au loin distingué dans la nuit,
Soudain a fait sonner l'alarme:
J'avais ce poignard pour toute arme.
Deux cents rameurs partent du même lieu:
On m'enveloppe, on se croise, on rappelle:
J'étais pris...
D'un grand coup d'épieu,
Je m'abîme avec ma nacelle,
Et le frayant sous les vaisseaux
Une route nouvelle et sûre,
J'arrive à terre entre les eaux,
Dérobé par la nuit obscure.
J'entend la cloche du beffroi.
L'appel bruyant de la trompette,
Que le fond du golfe répète,
Augmente le trouble et l'effroi.
On court,
on crie aux sentinelles:
Arrête! arrête! On fond sur moi:
Mais, s'ils couraient, j'avais des ailes.
J'atteins le mur comme un éclair.
On cherche au pied; j'étais dans l'air,
Sur l'échelle souple et tendue
Que ton zèle avait suspendue.
Je suis sauvé, grâce à ton cœur:
Et pour payer tant de faveur,
O douleur! ô crime exécrable!
Trompé par une aveugle erreur,
J'allais d'une main misérable,
Assassiner son bienfaiteur!
Pardonne, ami, ce crime involontaire.

CALPIGI  
O mon héros! que me dois-tu?
Sans force, hélas! sans caractère,
Le faible Calpigi, de tous les vents battu,
Serait moins que rien sur la terre,
S'il n'était pas épris de ta mâle vertu!
Ne perdons point un instant salutaire:
Au sérail, la tranquillité
Renaît avec l'obscurité.  

(Il prend un paquet dans une touffe d'arbres, et dit:)

Sous cet habit d'un noir esclave
Cachons des guerriers le plus brave.
D'homme éloquent,
deviens un vil muet.

(Il l'habille en muet)

Que mon héros surtout jamais n'oublie
Que sous ce masque un mot est un forfait,

(Il lui met un masque noir)

Et qu'en ce lieu de jalousie,
Le moindre est payé de la vie.


(Ils s'avancent vers l'appartement d'Astasie)

Tout est ici dans un repos parfait.

(Ici, Calpigi s'arrête avec effroi)

N'avançons pas! j'aperçois la simarre,
Les brodequins de l'empereur.

TARARE
(égaré, criant:)
Atar chez elle! Ah!
malheureux Tarare!
Rien ne retiendra ma fureur.
Brama! Brama!

CALPIGI
(lui fermant la bouche)
Renferme donc ta peine!

TARARE
(criant plus fort)
Brama! Brama!


(Il tombe sur le sein de Calpigi)

CALPIGI
Notre mort et certaine.  

Scène Soixième

(Atar, sort de chez Astasie, Tarare, Calpigi)

CALPIGI
(crie, effrayé)  
On vient: c'est le sultan.  

(Tarare tombe la face contre terre)

ATAR
(d'un ton terrible)
Quel insolent ici?

CALPIGI
(troublé)
Un insolent!... C'est Calpigi!

ATAR
 
D'où vient cette voix déplorable?

CALPIGI

(troublé)
Seigneur, c'est... c'est ce misérable.
Croyant entendre quelque bruit,
Nous faisions la ronde de nuit.
D'une soudaine frénésie
Cette brute à l'instant saisie...
Peut-être a-t-il perdu l'esprit!
Mais il pleure, il crie, il s'agite,
Parle, parle, parle si vite,
Qu'on n'entend rien de ce qu'il dit.

ATAR
(d'un ton terrible)
Il parle, ce muet?

CALPIGI
(plus troublé)
Que dis-je!
Parler serait un beau prodige!
D'affreux sons inarticulés...

ATAR
(lui prend le bras. Tarare est sans

mouvement, prosterné)
O bizarre sort de ton maître!
Tu maudis quelquefois ton être...
Je venais, les sens agités,
L'honorer de quelques bontés,
Soupirer d'amour auprès d'elle.
A peine étais-je à ses côtés,
Elle s'échappe, la rebelle!
Je l'arrête et saisis sa main:
Tu n'as vu chez nulle mortelle
L'exemple d'un pareil dédain!
"Farouche Atar! quelle est donc ton envie?
"Avant de me ravir l'honneur,
"Il faudra m'arracher la vie..."
Ses yeux pétillaient de fureur.
Farouche Atar!... son honneur!... La sauvage,
Appelant la mort à grands cris...
Atar, enfin, a connu le mépris;            

(Il tire son poignard)

Vingt fois j'ai voulu, dans ma rage,
Epargner moi-même à son bras...
Allons, Calpigi, suis mes pas.

CALPIGI
(lui présente sa simarre)
Seigneur, prenez votre simarre.

ATAR
Rattache avant mon brodequin
Sur le corps de cet Africain...

(Il met son pied sur le corps de Tarare)

Je sens que la fureur m'égare!...

(Il regarde Tarare)

Malheureux nègre, abject et nu,
Au lieu d'un reptile inconnu,
Que du néant rien ne sépare,
Que n'es-tu l'odieux Tarare!
Avec quel plaisir de ce flanc
Ma main épuiserait le sang!...
Si l'insolent pouvait jamais connaître
Quels dédains il vaut à son maître!
Et c'est pour cet indigne objet,
C'est pour lui seul qu'elle me brave!...
Calpigi, je forme un projet:
Coupons la tête à cet esclave;
Défigure-la tout-à-fait!
Porte-la de ma part toi-même.
Dis-lui qu'en mes transports jaloux,
Surprenant ici son époux...
 
(Il tire le sabre de Calpigi)

CALPIGI
(l'arrête et l'éloigne de son ami)
De
cet horrible stratagème,
Ah! mon maître, qu'espérez-vous?
Quand elle pourrait s'y méprendre,
En deviendrait-elle plus tendre?
En l'inquiétant sur ses jours,
Vous la ramènerez toujours.

ATAR
(furieux)
La ramener!...
J'adopte une autre idée.
Elle me croit l'âme enchantée:
Montrons-lui bien le peu de cas
Que je fais de ses vains appas.
Cette orgueilleuse a dédaigné son maître!
O le plus charmant des projet!
Je punis l'audace d'un traître
Qui m'enleva le cœur de mes sujets,
Et j'avilis la superbe à jamais.
Calpigi?...

CALPIGI

(troublé)
Quoi! Seigneur!

ATAR
Jure-moi sur ton âme
D'obéir.

CALPIGI

(plus troublé)
Oui, Seigneur.

ATAR
 
Point de zèle indiscret:  Tout à l'heure.

CALPIGI

(presque égaré)
A l'instant.

ATAR
Prends ce vil muet,
Conduis-le chez elle en secret:
Apprends-lui que ma tendre flamme
La donne à ce monstre pour femme.
Dis-lui bien que j'ai fait serment
Qu'elle n'aura jamais
d'autre époux, d'autre amant.
Je veux que l'hymen s'accomplisse:
Et si l'orgueilleuse prétend
S'y dérober, prompte justice.
Qu'à son lit à l'instant conduit,
Avec elle il passe la nuit;
Et qu'à tous les yeux exposée,
Demain de mon sérail elle soit la risée!
A présent, Calpigi, de moi je suis content.
Toi, par tes signes, fais que cette brute apprenne
Le sort fortuné qui l'attend.

CALPIGI

(tranquillisé)
Ah! seigneur, ce n'est pas la peine,
S'il ne parle pas, il entend.

ATAR
Accompagne ton maître à la garde prochaine.  
 
(Il se retourne pour sortir)

CALPIGI
(en se baissant pour ramasser la simarre
de l'empereur, dit tout bas à Tarare)
Quel heureux dénouement!
 
(Il suit Atar)

TARARE

(se relève à genoux)
Mais quelle horrible scène!

(Il ôte son masque, qui tombe à terre loin de lui)

Ah! respirons.

ATAR
(revient à l'appartement d'Astasie, d'un air
menaçant, et dit avec une joie féroce:)

Je pense au plaisir que j'aurai,
Superbe, quand je te verrai
Au sort d'un vieux nègre liée,
Et par cent cris humiliée!
           
(Il imite le chant trivial des esclaves)  

Saluons tous la fière Irza,
Qui, regrettant une cabane,
Aux voeux d'un roi se refusa:
D'un vil muet elle est sultane.
Hein? Calpigi?

(Il va, il vient. Calpigi, sous prétexte de lui
donner sa simarre, se met toujours entre lui
et Tarare, pour qu'il ne le voie pas sans masque)

CALPIGI
(effrayé, feint la joie)
Ha! quel plaisir mon maître aura!

ATAR
 
Hein! Calpigi?

CALPIGI
 
Quand le sérail retentira...

ATAR, CALPIGI

Saluons tous la fière Irza,
Qui, regrettant une cabane,
Aux voeux d'un roi se refusa:
D'un vil muet elle est sultane.

Scène Settième

TARARE

(seul, levant les mains au ciel)
Dieu tout-puissant!
tu ne trompas jamais
L'infortuné qui croit à tes bienfaits.

(Il remet son masque et suit de loin l'empereur)



ACTE IV


(Le théâtre représente l'intérieur de
l'appartement d'Astasie.
C'est un salon superbe, garni de sofas
et autres meubles orientaux)


Scène Première

(
Astasie, Spinette)

ASTASIE
(entre en grand désordre)
Spinette, comment fuir
de cette horrible enceinte?

SPINETTE
Calmez le désespoir dont votre âme est atteinte.

ASTASIE

(égarée, les bras élevés)
O mort! termine mes douleurs;
Le crime se prépare.
Arrache au plus grand des malheurs
L'épouse de Tarare.    (bis)
Il semblait que je pressentais
Leur entreprise infâme!
Quand il partit, je répétais,
Hélas! l'effroi dans l'âme!
Cruel! pour qui j'ai tant souffert,
C'est trop que ton absence
Laisse Astasie en un désert,
Sans joie et sans défense!
L'imprudent n'a pas écouté
Sa compagne éplorée:
Aux mains d'un brigand détesté
Des brigands l'ont livrée.
O mort! termine mes douleurs:
Le crime se prépare.
Arrache au plus grand des malheurs
L'épouse de Tarare.   (bis)
 
(Elle se jette sur un sofa avec désespoir)

SPINETTE

Un grand roi vous invite à faire son bonheur.
L'amour met à vos pieds le maître de la terre.
Que de beautés
ici brigueraient cet honneur!
Loin de s'en alarmer, on peut en être fière.

ASTASIE

(pleurant)
Ah! vous n'avez pas eu Tarare pour amant!

SPINETTE
 
Je ne le connais point; j'aime sa renommée;
Mais pour lui, comme pour vous,
si j'étais enflammée,
Avec le dur Atar je feindrais un moment;
Et j'instruirais Tarare au moins de ma souffrance.

ASTASIE
 
A la plus légère espérance
Le cœur de malheureux s'ouvre facilement.
J'aime ton noble attachement:
Hé bien! fais-lui savoir
qu'en cette enceinte horrible...

SPINETTE

Cachez vos pleurs, s'il est possible.
Des secrets plaisirs du sultan
Je vois le ministre insolent.

(Astasie essuie ses yeux, et se remet de son mieux)
 
Scène Seconde

(Calpigi, Spinette, Astasie) 

CALPIGI
(d'un ton dur)
Belle Irza, l'empereur ordonne
Qu'en ce moment vous receviez la foi
D'un nouvel époux qu'il vous donne.

ASTASIE
 
Un époux! un époux à moi?

SPINETTE

(le contrefait)
Commandant d'un corps ridicule!
Abrège-nous ton grave préambule.
Ce nouvel époux, quel est-il?

CALPIGI

C'est du sérail le muet le plus vil.

ASTASIE
 
Un muet!

SPINETTE
 
Un muet!

ASTASIE

J'expire.

CALPIGI

L'ordre est que chacun se retire.

SPINETTE

Moi?

CALPIGI

Vous.

SPINETTE

Moi?

CALPIGI

Vous; vous, Spinette; il y va des jours
De qui troublerait leurs amours.

ASTASIE

O juste ciel!

SPINETTE

(raillant)
Dis à ton maître
Que le grand-prêtre
Sera sans doute assez surpris
Qu'à la pluralité des femmes
On ose ajouter,
chez les Brames,
La pluralité des maris.

CALPIGI

(ironiquement)  
Votre conseil au roi paraîtra d'un grand prix.
J'en ferai votre cour.

SPINETTE

(du même ton)
Vous l'oublierez peut-être.

CALPIGI

Non.

SPINETTE
 
Vous le rendrez mieux, l'ayant deux fois appris.

(Elle le répète)

Dis à ton maître

que le grand prêtre
Sera sans doute assez surpris
Qu'à la pluralité des femmes
On ose ajouter,
chez les Brames,
La pluralité des maris.

(Calpigi sort en lui faisant  le
signe impérieux de se retirer)
 
Scène Troisième

(Astasie, Spinette)

ASTASIE
(au désespoir)
O ma compagne! ô mon amie!
Sauve-moi de cette infamie.

SPINETTE
Hé! comment vous prouver ma foi?

ASTASIE
 
Prends mes diamants, ma parure:
Je te les donne, ils sont à toi.


(Elle les détache)

Ah! dans cette horrible aventure,
Sois Irza, représente-moi;
Tu le réprimeras sans peine.

SPINETTE
Si c'est Calpigi qui l'amène,
Madame, il me reconnaîtra.

ASTASIE

(ôte son manteau royal)

Ce long manteau te couvrira.
Souviens-toi de Tarare, et nomme-le sans cesse;
Son nom seul te garantira.

SPINETTE
(pendant qu'on l'habille)  
Je partage votre détresse.
Hélas! que ne ferais-je pas
Pour sauver d'un dangereux pas
Mon incomparable maîtresse!    (bis)
 
(Astasie sort précipitamment)
  

Scène Quatrième

SPINETTE

(seule)
Spinette, allons, point de faiblesse!
Le roi dans peu te sera gré
D'avoir adroitement paré
Le coup qu'il porte à sa maîtresse.
           

(Elle s'assied sur un sofa)

Surcroît d'honneur et de richesse!
 
Scène Cinquième

(Calpigi, Tarare, en muet; Spinette,
assise, voilée, son mouchoir sur les yeux)

CALPIGI
(à Tarare, d'un ton sévère)
Cette femme est à toi, muet!

(Il sort)
 
Scène Sixième


(Tarare, Spinette)

SPINETTE
(à part, voilée)
Comme il est laid!...
Cependant il n'est point mal fait.

(Tarare se met à genoux devant elle)

Il se prosterne! il n'a point l'air farouche
Des autres monstres de ces lieux.

(A Tarare, d'un air de dignité)

Muet, votre aspect me touche;
Je lis votre amour dans vos yeux:
Un tendre aveu de votre bouche
Ne pourrait me l'exprimer mieux.

TARARE
(à part, se relevant)
Grand dieux! ce n'est point Astasie,
Et mon cœur allait s'exhaler!
De m'être abstenu de parler,
O Brama! je te remercie.

SPINETTE
(à part)
On croirait qu'il se parle bas,
Chaque animal a son langage.
           

(Elle se dévoile. Tarare la regarde)  

De loin, je le veux bien, contemplez mes appas.
Je voudrais pouvoir davantage:
Mais un monarque, un calife, un sultan,
Le plus parfait, comme le plus puissant,
Ne peut rien sur mon cœur,
il est tout à Tarare.

TARARE
(s'écrie)
A Tarare!...

SPINETTE

(se levant)
Il me parle!

TARARE
O transport qui m'égare!
Etonnement trop indiscret!

SPINETTE
Un mot a trahi ton secret!
Tu n'es pas muet? téméraire!

(Elle lui enlève son masque)

TARARE
(à ses pieds)
Ah! c'est en m'accusant que je dois m'excuser.
Etranger dans Ormus, hier on me vint dire
Que le maître de cet empire
Donnait à son amante une fête au sérail...
J'ai cru, sous ce vil attirail...

Duo

SPINETTE
(légèrement)
Ami, ton courage m'éclaire.
Si Tarare aimait à me plaire,
Il eût tout bravé comme toi.
J'oublierai qu'il obtint ma foi:
C'en est fait, mon cœur te préfère;
Tu seras Tarare pour moi.

TARARE
(troublé)
Quoi! Tarare obtint votre foi!

SPINETTE
C'en est fait, mon cœur te préfère.

TARARE
C'est moi que votre cœur préfère?

SPINETTE

Tu seras Tarare pour moi.

TARARE
(plus troublé)
Est-ce un songe! ô Brama, veillé-je?
Tout ce que j'entends me confond.
Atar, toi que la haine assiège,
M'as-tu conduit de piège en piège
Dans un abîme aussi profond!

SPINETTE

Ce n'est point un piège; non, non:
De son pardon Je te répond.

(Elle voit entrer les soldats)

Ciel! on vient l'arrêter!

TARARE
Tout espoir m'abandonne.
 
(Spinette se voile et rentre précipitamment) 
 
Scène Settième

(Tarare, démasqué, Urson,  
Soldats armés de massues, Calpigi,
Eunuques entrant de l'autre côté)

URSON
 
Marchez, soldats,
Doublez le pas.

CALPIGI

Quoi! des soldats! N'avancez pas.

URSON
(aux soldats)
Suivez l'ordre que je vous donne.

CALPIGI

(aux eunuques)
Ne laissez avancer personne.

SOLDATS
 
Doublons le pas.

EUNUQUES
 
N'avancez pas.
Pour tous cette enceinte est sacrée.

SOLDATS
 
Notre ordre est d'en forcer l'entrée.

CALPIGI

Urson, expliquez-vous.

URSON
Le sultan agité,
Sur l'effet d'un courroux qu'il a trop écouté,
Veut que l'affreux muet
soit massolé, jeté
Dans la mer, et pour sépulture,
Y serve aux monstres de pâture.

CALPIGI
 
(se met entre eux et Tarare)  
Le voici: de sa mort, Urson, je prend le soin,
Les jardins du sérail sont commis à ma garde;
Mes eunuques sont prêts.

URSON
Pour que rien ne retarde,
Son ordre est que j'en sois témoin.
Marchez, soldats, qu'on s'en empare.

(Les soldats lèvent la massue)

UN SOLDAT

(s'avançant)
Ce n'est point un muet.

URSON
Quel qu'il soit.

TARARE
(se retournant vers eux)
C'est Tarare.

URSON
 
Tarare!...


(Les soldats et les eunuques
reculent par respect)

SOLDATS, EUNUQUES

Tarare! Tarare!

CALPIGI

Un tel coupable, Urson, devient trop important
Pour qu'on l'ose frapper sans l'ordre du sultan.
           

(A Tarare, à part)

En suspendant leurs coups, je te sauve peut-être.

URSON
(avec douleur)
Tarare infortuné! qui peut le désarmer?
Nos larmes contre toi vont encor l'animer!

CHOEUR
(douloureux)
Tarare infortuné! qui peut le désarmer?
Nos larmes contre toi vont encor l'animer!

TARARE
Ne plaignez point mon sort,
respectez votre maître:
Puissiez-vous un jour l'estimer!

(On emmène Tarare)

URSON
(bas à Calpigi)
Calpigi, songe à toi;
la foudre est sur deux têtes.
 
(Il sort)  

Scène Huitième

CALPIGI

(seul, d'un ton décidé)

Sur deux têtes la foudre,
et l'on m'ose nommer!
Elle en menace trois, Atar, et ces tempêtes,
Que ta haine alluma, pourront te consumer.
Va! l'abus du pouvoir suprême
Finit toujours par l'ébranler:
Le méchant qui fait tout trembler
Est bien près de trembler lui-même.
Cette nuit, despote inhumain,
Tarare excitait ta furie,
Ta haine menaçait sa vie,
Quand la tienne était dans sa main!
Va! l'abus du pouvoir suprême
Finit toujours par l'ébranler:
Le méchant qui fait tout trembler
Est bien près de trembler lui-même.  (bis)
 
(Il sort)



ACTE V


(Le théâtre représente une cour intérieure du

palais d'Atar.  Au milieu est un bûcher; au pied
du bûcher, un billot, des chaînes, des haches,
des massues et autres instruments d'un supplice)

Scène Première

(Atar, Eunuques, suite)

ATAR

(examine avec avidité le bûcher et tous
les apprêts du supplice de Tarare)
Fantôme vain! idole populaire,
Dont le nom seul excitait ma colère,
Tarare!...
enfin tu mourras cette fois!
Ah! pour Atar, quelle bien céleste
D'immoler l'objet qu'il déteste
Avec le fer souple des lois!                (bis)
           

(Aux eunuques)

Trouve-t-on Calpigi?

UN EUNUQUE

Seigneur, on suit sa trace.

ATAR
A qui l'arrêtera je donnerai sa place.
 
(Les eunuques sortent en courant)  
 
Scène Seconde

(Deux files de prêtres le suivent; l'une

en blanc, dont le premier prêtre porte
un drapeau blanc, où sont écrits en

lettre d'or ces mots: La Vie. L'autre
file de prêtre est en noir, couverte de
crêpes, dont le premier prêtre porte
un drapeau noir, où sont écrits ces

mots en lettres d'argent: La Mort)

ARTHENEE
(s'avance, bien sombre)
Que veux-tu, roi d'Ormus?
et quel nouveau malheur
Te force d'arracher un père à sa douleur?

ATAR
Ah! si l'espoir d'une prompte vengeance
Peut l'adoucir, recois-en l'assurance.
Dans mon sérail on a surpris
L'affreux meurtrier de ton fils.
Je tiens la victime enchaînée,
Et veux que par toi-même
elle soit condamnée.
Dis un mot, le trépas l'attend.

ARTHENEE
Atar, c'était en l'arrêtant...
Sans avoir l'air de la connaître,
Il fallait poignarder le traître:
Je tremble qu'il ne soit trop tard!
Chaque instant le moindre retard
Sur ton bras peut fermer le piège.

ATAR
Quel démon, quel dieu le protège?
Tout me confond de cette part!

ARTHENEE

Son démon, c'est une âme forte,
Un cœur sensible et généreux,
Que tout émeut, que rien n'emporte;
Un tel homme est bien dangereux!  
 
Scène Troisième


(Atar, Arthénée, Tarare enchaîné, Soldats,
Esclaves, suite, prêtres de la vie et de la mort)


ATAR
Approche, malheureux!
Viens subir le supplice
Qu'un crime irrémissible
Arrache à ma justice.

TARARE
Qu'elle soit juste ou nom, je demande la mort.
De tes plaisirs j'ai violé l'asile
Sans y trouver l'objet d'une audace inutile,
Mon Astasie!... O ce fourbe Altamort!
Il l'a ravie à mon séjour champêtre
Sans la présenter à son maître!
Trahissant tout, honneur, devoir...
Il a payé sa double perfidie;
Mais ton Irza n'est point mon Astasie.

ATAR
(avec fureur)
Elle n'est pas en mon pouvoir?

(Aux eunuques)

Que l'on m'amène Irza.
Si ta bouche en impose,
Je la poignarde devant toi.

TARARE
La voir mourir est peu de chose;
Tu te puniras, non pas moi.

ATAR
De sa mort la tienne suivie...

TARARE
(fièrement)
Je ne puis mourir qu'une fois.
Qu'en je m'engageai sous tes lois,
Atar, je te donnai ma vie;
Elle est toute entière à mon roi:
Au lieu de la perdre pour toi,
C'est par toi qu'elle m'est ravie.
J'ai rempli mon sort, suis ton choix;
Je ne puis mourir qu'une fois.
Mais souhaite qu'un jour ton peuple te pardonne.

ATAR  
Une menace?

TARARE
Il s'en étonne!
Roi féroce! as-tu donc compté
Parmi les droits de ta couronne,
Celui du crime et de l'impunité?
Ta fureur ne peut se contraindre,
Et tu veux n'être pas haï!
Tremble d'ordonner...

ATAR
Qu'ai-je à craindre?

TARARE
De te voir toujours obéi;
Jusqu'à l'instant où l'effrayante somme
De tes forfaits déchaînant leur courroux...
Tu pouvais tout contre un seul homme,
Tu ne pourras rien contre tous.

ATAR
Qu'on l'entoure!

(Les esclaves l'entourent. Tarare va s'asseoir

sur le billot, au pied du bûcher, la tête
appuyée sur ses mains, et ne regarde plus rien)   

Scène Quatrième

(Astasie, voilée; Atar, Arthénée, Tarare,  
Spinette, esclaves des deux sexes, soldats)

ATAR
(à Astasie)
Ainsi donc, abusant de vos charmes,
Fause Irza, par de feintes larmes,
Vous triomphiez de me tromper?
Je prétends, avant de frapper,
Savoir comment ma puissance jouée...

SPINETTE
Une esclave fidèle, hélas! substituée,
Innocemment causa le désordre et l'erreur.

TARARE

(à part, tenant sa tête dans ses mains)
Ah! cette voix me fait horreur!

ATAR
Il est donc vrai, cet échange funeste!
J'adorais sous le nom d'Irza...


(A Astasie)

Va, malheureuse, je déteste
L'indigne amour qui pour toi m'embrasa.
A la rigueur des lois avec lui sois livrée!

(Au grand-prêtre)

Pontife, décidez leur sort.

ARTHENEE
Ils sont jugés:
levez l'étendard de la mort.
De leurs jours criminels la trame est déchirée.
 
(Le grand-prêtre déchire la bannière de la vie.
Le prêtre en deuil élève la bannière de la mort.
On entend un bruit funèbre d'instruments déguisés)


(Astasie se jette à genoux, et prie pendant
le choeur. On apporte au grand-prêtre le

livres des arrêts, couvert d'un crêpe.
Il signe l'arrêt de mort. Deux enfants en deuil
lui remettent chacun un flambeau.
Quatre prêtres en deuil lui présentent deux
grands vases pleins d'eau lustrale.
Il éteint dans ces vases les deux flambeaux en
les renversant. Pendant ce temps, les prêtres
de la vie se retirent en silence.
Le drapeau de la vie déchiré traîne à terre.
On entend trois coups d'une cloche funéraire)


CHOEUR FUNEBRE
Avec tes décrets infinis,
Grand Dieu! si ta bonté s'accorde,
Ouvre à ces coupables punis
Le sein de ta miséricorde!

ARTHENEE

(prie)
Brama! de ce bûcher, par la mort réunis,
Ils montent vers le ciel:
qu'ils n'en soient point bannis!

LE CHOEUR FUNEBRE

Avec tes décrets infinis, etc.

(Astasie se relève et s'avance au bûcher,
où Tarare est abîmé de douleur)

ASTASIE
(à Tarare)
Ne m'impute pas, étranger,
Ta mort que je vais partager.

TARARE

(se relève, avec feu)
Qu'entends-je? Astasie!

ASTASIE
Ah! Tarare!

(Ils se jettent dans les bras l'un de l'autre)

ARTHENEE
(au roi)
Je te l'avais prédit.

ATAR
(furieux)
Qu'on les sépare.
Qu'un seul coup les fasse périr.


(Les soldats s'avancent)

Non... C'est trop tôt briser leurs chaînes;
Ils seraient heureux de mourir.
Ah! je me sens altéré de leurs peines,
Et j'ai soif de les voir souffrir.

ASTASIE
(avec dédain, au roi)
O tigre! mes dédains ont trompé ton attente,
Et malgré toi je goûte
un instant de bonheur:
J'ai bravé ta faim dévorante,
Le rugissement de ton cœur.
Pour prix de ta lâche entreprise,
Vois, Atar, je l'adore,
et mon cœur te méprise.
 
(Elle embrasse Tarare)

ATAR
(vivement, aux soldats)
Arrachez-la tous de ses bras.
Courez. Qu'il meure et qu'elle vive!

ASTASIE  
(tire un poignard qu'elle approche de son sein)

Si quelqu'un vers lui fait un pas,
Je suis morte avant qu'il arrive.

ATAR

(aux soldats)
Arrêtez-vous!  

ASTASIE, TARARE ET ATAR  
Le trépas nous attend:
Encore une minute,
Et notre amour constant
Ne sera plus en butte
Aux coups d'un noir sultan.

(Les soldats font un mouvement)

ATAR
(s'écrie)
Arrêtez un moment!

ASTASIE
(seule)
Je me frappe à l'instant
Que sa loi s'exécute.


(à Tarare)

Sur ton cœur palpitant,
Tu sentiras ma chute,
Et tu mourras content.

ATAR  
O rage! affreux tourment!
C'est moi, c'est moi qui lutte,
Et leur cœur est content.

ASTASIE

Sur ton cœur palpitant
Tu sentiras ma chute,
Et tu mourras content.

TARARE
 
Sur mon cœur palpitant
Je sentirai ta chute,
Et je mourrai content.  

Scène Cinquième

(Une foule d'esclaves des deux sexes accourt
avec frayeur, et se serre aux genoux d'Atar)

ESCLAVES
(effrayés)
Atar, défends-nous, sauve-nous.
Du palais la garde est forcée,
Du sérail la porte enfoncée.
Notre asile est à tes genoux;
Ta milice en fureur redemande Tarare.  
 
Scène Sixième

(Les précédents, toute la milice le
sabre à la main, Calpigi à leur tête,
Urson. Les prêtres de la mort se retirent)

SOLDATS
(furieux. Ils renversent le bûcher)
Tarare! Tarare! Tarare!
Rendez-nous notre général.
Son trépas, dit-on, se prépare.
Ah! s'il reçoit le coup fatal,
Nous en punirons ce barbare.

(Ils s'avancent vers Atar)

TARARE
(enchaîné, écarte les esclaves)
Arrêtez, soldats! arrêtez!
Quel ordre ici vous a portés?
O l'abominable victoire!
On sauverait mes jours en flétrissant ma gloire!
Un tas de rebelles mutins
De l'état ferait les destins!
Est-ce à vous de juger vos maîtres?
N'ont-ils soudoyé que des traîtres?
Oubliez-vous,
soldats usurpant le pouvoir,
Que le respect des rois est le premier devoir?
Armes bas, furieux!
votre empereur vous casse.

(Ils se jettent tous à genoux.
Il s'y jette lui-même et dit au roi:)


Seigneur, ils sont soumis;
je demande leur grâce.

ATAR
(hors de lui)
Quoi! toujours ce fantôme
entre mon peuple et moi!

(Aux soldats)

Défenseurs du sérail, suis-je encor votre roi?

UN EUNUQUE

Oui.

CALPIGI
(le menace du sabre)
Non.

SOLDATS

(se lèvent)
Non.

LE PEUPLE
 
Non.

CALPIGI

(montrant Tarare)
C'est lui.

TARARE
Jamais.

LES SOLDATS

C'est toi.

TOUT LE PEUPLE

C'est toi.

ATAR
(avec désespoir, à Tarare)
Monstre!...
Ils te sont vendus...
Règne donc à ma place.
 
(Il se poignarde et tombe)
 

TARARE
(avec douleur)
Ah! malheureux!

ATAR
(se relève dans les angoisses)
La mort est moins dure à mes yeux...
Que de régner par toi...
sur ce peuple odieux.

(Il tombe mort dans les bras des
eunuques qui l'emportent. Urson les suit)  
 
Scène Settième

(Les acteurs precedents, excepté Atar et Urson)

CALPIGI
(crie au peuple:)
Tous les torts de son règne,
un seul mot les répare:

(Il laisse le trône à Tarare)  

TARARE
(vivement)
Et moi je ne l'accepte pas.

CHOEUR GENERAL
(exalté)
Tous les torts de son règne,
un seul mot les répare:
 
(Il laisse le trône à Tarare)

TARARE
(avec dignité)
Le trône est pour moi sans appas:
Je ne suis point né votre maître.
Vouloir être ce qu'on n'est pas,
C'est renoncer à tout ce qu'on peut être.
Je vous servirai de mon bras:
Mais laissez-moi finir en paix ma vie
Dans la retraite avec mon Astasie.
 
(Il lui tend les bras, elle s'y jette)  
 
Scène Huitième

(Urson tenant dans sa
main la couronne d'Atar)

URSON
(prend la chaîne de Tarare)
Non, par mes mains le peuple entier
Te fait son noble prisonnier:
Il veut que de l'état tu saisisses les rênes.
Si tu rejetais notre foi,
Nous abuserions de tes chaînes
Pour te couronner malgré toi.

(Au grand-prêtre)

Pontife, à ce grand homme Atar lègue l'Asie;
Consacrez le seul bien qu'il ait fait de sa vie:
Prenez le diadème, et réparez l'affront
Que le bandeau des rois a reçu de son front.

ARTHENEE
(prenant le diadème des mains d'Urson)
Tarare, il faut céder!

LE PEUPLE  
(s'écrie)
Tarare, il faut céder!

ARTHENEE

Leurs désirs sont extrêmes

LE PEUPLE

Nos désirs sont extrêmes.

ARTHENEE

Sois donc le roi d'Ormus.

LE PEUPLE

Sois, sois le roi d'Ormus.

ARTHENEE

(à part. Arthenée lui met la couronne
sur la tête au bruit d'une fanfare)

Il est des dieux suprêmes.

(Il sort)  

Scène Neuvième

(
Tous les précédents, excepté le grand prêtre.
Calpigi et Urson se jettent à genoux, et ôtent
dans cette posture les chaînes de Tarare)

TARARE
(pendant qu'on le déchaîne)
Enfants, vous m'y forcez,
je garderai ces fers;
Ils seront à jamais ma royale ceinture.
De tous mes ornements devenus les plus chers,
Puissent-ils attester à la race future
Que, du grand nom de roi si j'acceptai l'éclat,
Ce fut pour m'enchaîner au bonheur de l'état!

(Il s'enveloppe le corps de ses chaînes)  

CHOEUR GENERAL
(avec ivresse)
Quel plaisir de nos coeurs s'empare!
Vive notre grand roi Tarare!
Tarare, Tarare, Tarare!
La belle Astasie et Tarare!
Nous avons le meilleur des rois:
Jurons de mourir sous ses lois.       (bis)

URSON
Les fiers Européans marchent
vers ces états;
Inaugurons Tarare,
et courons au combat.

(Les soldats et le peuple placent Tarare
et Astasie sous le dais où Atar était assis
pendant la prière publique. On danse

militairement devant eux; puis Urson et
Calpigi, entourés du peuple, chantent ce duo:)

URSON, CALPIGI
Roi, nous mettons la liberté
Aux pieds de ta vertu suprême.
Règne sur ce peuple qui t'aime,
Par les lois et par l'équité.

DEUX FEMMES

Et vous, reine, épouse sensible,
Qui connûtes l'adversité,
Du devoir souvent inflexible
Adoucissez l'austérité:
Tenez son grand cœur accessible
Aux soupirs de l'humanité.

CHOEUR GENERAL

Roi, nous mettons la liberté
Aux pieds de ta vertu suprême;
Règne sur ce peuple qui t'aime,
Par les lois et par l'équité.  

(Danse des premiers sujets dans tous les genres.
Au milieu de la fête, un coup de tonnerre se dait

entendre, le théâtre se couvre de nuages;
on voit paraître au ciel, sur le char du soleil,
la Nature et le Génie du Feu)

 
Scène Dixième

LE GENIE DU FEU
Nature,
quel exemple imposant et funeste!
Le soldat monte au trône, et le tyran est mort!

LA NATURE

Les dieux ont fait leur premier sort:
Leur caractère a fait le reste.

LE GÉNIE DU FEU
Encore un généreux effort.
Dans le coeur das humains, d'un trait inaltérable,
gravons ce précepte admirable.
 
(Le tonnerre recommence; les nuages
s'élèvent. On voit dans le fond toute la
nation à genoux, son roi à la tête)

CHOEUR GENERAL

(très éloigné)
De ce grand bruit, de cet éclat,
O Ciel! apprends-nous le mystère!

LA NATURE ET LE GENIE DU FEU

(majestueusement)
Mortel, qui que tu sois, prince,

brame ou soldat,
Homme! ta grandeur sur la terre
N'appartient point à ton état;
Elle est toute à ton caractère.  

(A mesure que la Nature et le Génie du Feu  
prononcent les vers ci-dessus, ils se peignent

en caractères de feu dans les nuages.  Les
trompettes sonnent; le tonnerre reprend.  
Les nuages les couvrent: ils disparaissent)


RÓLOGO
 

Escena Primera

(La Naturaleza y los vientos sin freno.
La obertura deja oír fuertes ruidos en el aire.
Es el choque terrible de todos los elementos.
El telón se levanta y deja ver sólo nubes
que ruedan y se rompen. Vientos fuera de

control, que arremolinándose, bailan
en la más violenta agitación)
 
(La Naturaleza se adelante entre ellos.

Lleva una varita en la mano, adornada
con todos los atributos que la caracterizan)
 
LA NATURALEZA
Suficiente perturbación al universo
ya causásteis
, furiosos vientos.
Dejad de agitar el aire y las olas.
Es suficiente. Envainad vuestras espadas.
¡Sólo Céfiro ha de reinar en el mundo!
 
(Durante la obertura, el ruido continúa)
 
CORO DE VIENTO
¡No atormentaremos más al universo!
Dejaremos de agitar el aire y las olas.
¡Oh, infelices de nosotros!
Envainaremos nuestras espadas
y sólo el feliz Céfiro reinará en el mundo.
 
(Los vientos se precipitan hacia las nubes
bajas. Céfiro se eleva hacia el espacio, El
fragor de la obertura se apaga poco a poco.
Las nubes se disipan; todo es armonía y
calma. Se puede ver una campiña hermosa.
El Genio del Fuego desciende en una nube
luminosa desde el oriente)
 
Escena Segunda

(El Genio del Fuego, La Naturaleza)
 
GENIO DEL FUEGO
Desde el brillante disco del sol,
admirando la estructura de los cielos,
te vi, hermosa Naturaleza.
Tú has creado sobre la tierra
una obra maravillosa.
 
LA NATURALEZA
Fogoso Genio de la ardiente esfera
que a mi propia obra animas,
otórgame para mis obras
un poco
más de tiempo.
De todas las razas dispersas
en la inmensidad del universo,
reúno los elementos necesarios
para formar con ellos una nueva:
la risible especie humana.
 
GENIO DEL FUEGO
Este poder absoluto ¿lo ejerces también
sobre los individuos aislados?
 
LA NATURALEZA
¡Sí, en caso que yo me dignara descender
sobre algunos seres perdidos!
Pero para mí, ¿qué es un individuo
frente a la muchedumbre de humanos,
sobre la que derramo
bendiciones a manos llenas,
para que nazcan,
 brillen por un instante y desaparezcan,
dejando en las manos de sus sucesores
las breves antorchas
de su efímera existencia?
 
GENIO DEL FUEGO
¿Utilizas los elementos más puros
cuando creas a los poderosos,
a los gobernantes del imperio?
 
LA NATURALEZA
Tus palabras me hacen sonreír:
con su estúpido orgullo ellos lo creen así.
Pero mira cómo La Naturaleza los crea,
por miles, sin criterio de elección y sin medida.
 
(Hace una especie de conjuro)
 
Seres humanos que todavía no existís;
átomos perdidos en el espacio;
todos y cada uno de los elementos:
¡venid y tomad el lugar correspondiente
de acuerdo a vuestro rango y peso!
Cumplid las leyes inmutables
que el eterno Creador
os ha impuesto.
Seres humanos que aún no existís:
¡apareced vivos ante mis ojos!
 
Escena Tercera
 
(El Genio del Fuego, la Naturaleza,
multitud de sombras de ambos sexos
que bailan sobre el canto del coro)
 

CORO DE SOMBRAS
¿Qué hechizo desconocido nos atrae?
Nuestros corazones palpitan.
Un dulce placer me hace suspirar.
Quisiera describirlo, pero no puedo.
Disfrutando, siento que deseo; (bis)
deseando, siento que existo.  (bis)
¿Qué hechizo desconocido nos atrae?
Nuestros corazones palpitan.
 
GENIO DEL FUEGO
(a La Naturaleza)
Privados de dulces vínculos ¿cómo nacerán?
¿Cuál será su rango y su meta?
¿Y cómo se hará para prever
un crecimiento tan repentino?
 
NATURALEZA
Me divierto dispersando por doquier
materia en su forma prematura.
Si ellos pudieran amar,
este sería el reino feliz de Astrea.
 
GENIO DEL FUEGO
Pero ¿qué interés pueden tener todos ellos?
 
NATURALEZA
Ninguno, creo yo.
 
GENIO DEL FUEGO
(dirigiéndose a una sombra)
¿Quién eres?  ¿Qué necesitas?
 
ALTAMORT (Como una sombra)
No pido nada, sólo existo.
 
GENIO DEL FUEGO
¿Quién te ha hecho humano?
 
URSON (Como una sombra)
¿Quién? No lo sé. ¿Qué importa?
 
GENIO DEL FUEGO
¡Qué fríos son,
sin pasiones ni deseos!
¡Su ignorancia es profunda!
 
NATURALEZA
¡Ah, los he creado sin ti!
Brillante Sol, en vano la naturaleza es fecunda.
Si no reciben un rayo de tu fuego sagrado,
mi obra estará muerta y mi objetivo perdido.
 
GENIO DEL FUEGO
¡Gloria a la sabiduría eterna
que creó el amor inmortal
y decidió que, por su arrebato,
los seres sensibles deben ver la luz del mundo!
¡Ah! Si mi llama ardiente y pura
no hubiese encendido tu amante
y estéril seno, Naturaleza,
mi existencia no tendría sentido.
 
AMBOS
¡Gloria a la sabiduría eterna,
que creó el amor inmortal! etc.
 
GENIO DEL FUEGO
¡Una última palabra!
Esta es una sombra femenina...

(a la sombra)

Querida hija, ¿deseas ser hermosa? 
 
LA SOMBRA FEMENINA
¡Hermosa!
 
GENIO DEL FUEGO
¡Te sonrojas!
 
SOMBRA FEMENINA
¿No tengo atractivo alguno?
 
GENIO DEL FUEGO
¡Su instinto la traiciona, pero no la engaña!
 
NATURALEZA
(sonriendo)
Pero puede comprometerla.
 
GENIO DEL FUEGO
(a la sombra de Spinette)
¿Y tú, cuyos ojos originan cientos de discusiones?
 
SOMBRA FEMENINA
(con pasión)
Me gustaría... me gustaría...
me gustaría dominarlo todo.
 
GENIO DEL FUEGO
¡Oh, Naturaleza!
 
NATURALEZA
(sonriendo)
Me he equivocado; sin ruborizarse,
mi sexo favorito ha revelado su dulce secreto.
 
GENIO DEL FUEGO
(a la sombra de Astasia)
Y tú, bella joven, que pareces tan animada,
¿quisieras también dictar la ley a todo el mundo?
 
ASTASIA (Como una sombra)
¡Sólo deseo ser amada!
Esa es la única felicidad para mí.
 
NATURALEZA
Y lo serás... Bajo el nombre de Astasia
obtendrás la fidelidad de
Tararé.
 
ASTASIA (Como una sombra)
(arrobada, con la mano sobre el corazón)
¡Tararé!
 
NATURALEZA
Tu destino será digno de envidia.
 
ASTASIA (Como una sombra)
No se nada.
 
NATURALEZA
Yo lo sé por ti.
 
GENIO DEL FUEGO
¡Mira como se ruboriza!
 
LA NATURALEZA
(al Genio del Fuego)
¡Mal podría ser castigado un joven corazón,
que puede fácilmente equivocarse,
cuando un dulce amor va a dominarlo!
Yo misma, después de un largo invierno,
cuando tú reanimas el universo,
con mis primeros suspiros hago renacer
las flores que perfuman el aire.
 
GENIO DEL FUEGO
(señalando a las dos sombras de Atar y Tararé)
¿Quiénes son estas dos magníficas sombras
que parecen erguirse taciturnas y silenciosas?
 
LA NATURALEZA
Nada aún, pero ya les he conferido sus rangos.
Haré de una un rey y de la otra un soldado.
 
GENIO DEL FUEGO
Tal vez la determinación los afectará...
 
NATURALEZA
Lo dudo.
 
GENIO DEL FUEGO
(a las sombras)
Una de vosotras será rey,
¿Quién quiere serlo?
 
ATAR (Como una sombra)
¿Rey?
 
TARARÉ (Como una sombra)
¿Rey?
 
ATAR, TARARÉ
No me siento llamado a serlo.
 
NATURALEZA
Niñas, cuando hayáis nacido,
pensaréis de manera muy diferente.
 
GENIO DEL FUEGO
(examinándolas)
Mis ojos intentan hallar al mejor rey de entre ellas.
Pero... ¡temo no saber juzgar correctamente!
Naturaleza, el error de un momento
puede originar un siglo de desgracias.
 
NATURALEZA
(a ambas sombras)
Futuros mortales,
con respeto y en silencio
esperad el rango que, antes del nacimiento,
de nosotros habréis de recibir.
 
(Las dos sombras se prosternan.
Mientras el Genio del Fuego duda
en su elección, el resto de sombras
los rodean curiosas cantando el
siguiente coro) 
 
SOMBRAS
¡Dejemos de jugar! ¡Acudid todas!
Dos de nuestras hermanas, de rodillas,
van a recibir el destino de sus vidas.
 
GENIO DEL FUEGO
(pone las manos sobre una de las dos sombras)
Serás el emperador Atar, déspota asiático.
Reinarás a tu gusto en el palacio de Ormuz.

(a la otra sombra)

Y tú, soldado, nacido de padres desconocidos.
Padecerás largo tiempo
las consecuencias de nuestra fantasía.
 
NATURALEZA
Lo has hecho soldado; dejémoslo así.
Es Tararé. Pronto serán protagonistas
de un futuro tan diferente.

(a ambas sombras)

¡Niños, y ahora abrazaros!
Iguales por naturaleza,
pero a partir de ahora muy diferentes en la vida.
De la soberbia grandeza a la humilde pobreza.
Esa enorme brecha será el destino de ambas.
A menos que la poderosa bondad de Brahma,
por medio de un decreto premeditado,
os acerque la una a la otra,
como ejemplo para reyes y plebeyos.
 
CUATRO SOMBRAS
¡Oh, deidad benéfica!
¡No permitas que nada altere
nuestra conmovedora igualdad
y que un hombre domine a su hermano!
 
(Sólo la sombra de Atar no canta
alejándose con dignidad. El Genio del

Fuego se lo hace ver a La Naturaleza)
 
NATURALEZA
(al Genio del Fuego)
Es suficiente.
Extingamos en ellos el germen de esa gran idea,
hecha para lugares y tiempos más felices.

(a todas las sombras)

Así como la niebla al descender, 
es transformada en agua por el frío
perdiéndose en el océano,
futuros mortales volved a la nada.
¡Desapareced!  

(al Genio del fuego)

Y nosotros, cuya esencia profunda
devoran el espacio y el tiempo,
hagamos transcurrir cuarenta años;
y veámoslos actuar en el escenario del mundo.
 
(La Naturaleza y el Genio del Fuego se
elevan hacia las nubes que, masivamente,

bajan y cubren toda la escena)
 
ESPÍRITUS DEL AIRE
¡Gloria a la eterna sabiduría,
que creó el amor eterno,
y procuró que sólo con su influencia
el ser sensible viera la luz del mundo!

  
 

ACTO I


(
Palacio de Atar y el templo de Brahma, en la
plaza de la ciudad de Ormuz. Las nubes que
cubren la escena se levantan, dejando ver la
sala del palacio Atar)
 
Escena Primera

(Mientras termina la obertura, numerosos
soldados salen de la residencia del emperador,
llevando banderas persas desgarradas
y ricas pieles arrebatadas al enemigo)
 

SOLDADOS
(sobre el sonido de la obertura)
¡Cantemos la nueva victoria
en la que Tararé ha alcanzado la gloria!
Estas banderas enemigas,
son la prueba y recompensa a su valor.
 
Escena Segunda
 
URSON
(frente a los soldados,
les dice a media voz:)
Guerreros, si amáis a Tararé,
dejad de cantar junto a este palacio,
pues el emperador parece disgustado.
 
LOS SOLDADOS
(se amontonan y cantan
a coro en sordina)
¿Habéis visto su rostro,
pensativo y silencioso?
¡Vayamos con nuestras canciones a otro lugar!
El pueblo nos escuchará con más agrado.
 
(Salen a prisa y desordenadamente)
 
Escena Tercera

(Atar, Calpigi)
 
ATAR
(Entrando con violencia)
¡Déjame, Calpigi!
 
CALPIGI
¡La furia os engaña, mi Señor!
¡Oh, rey de Ormuz!
¡Sed clemente con Tararé!
 
ATAR
¡Tararé! ¡Siempre Tararé!
¡Nombre abyecto y vil,
que parece agradar tus impuros oídos!
 
CALPIGI
Cuando sus tropas nos encontraron
dentro de una cueva oscura,
yo estaba defendiendo mi vida
contra esos inhumanos enemigos.
Herido, dispuesto a perecer,
abrumado por el número,
ese hombre generoso me arrebató de sus manos.
A él le debo estar ahora con vos
¡Señor, perdonadlo!
 
ATAR
¿Acaso debo soportar que un soldado
tenga la audacia de estar feliz
cuando su rey no lo está?
 
CALPIGI
En el torrente de Arsaces,
él os salvó de la muerte;
y vos, como recompensa,
lo nombráteis
jefe del ejército.
 
ATAR
¡Ah, qué arrepentido estoy!
Su orgullosa humildad,
su respeto por el estúpido pueblo,
su carácter, y también su nombre...
¡Ese hombre es mi castigo!
Dime ¿dónde encuentra la felicidad?
¿En el trabajo o acaso en la pobreza?
 
CALPIGI
En el cumplimiento del deber.
Sirve con humildad al cielo, a los desafortunados,
a la patria y a su señor.
 
ATAR
¿Él? Hace alarde de humildad,
en eso consiste su orgullo.
El honor de ser considerado virtuoso
reemplaza la suerte de serlo.
Nunca ha conseguido engañarme.
 
CALPIGI
¿Engañar? ¿Tararé?
 
ATAR
La ley de los brahmanes permite
poseer muchas mujeres.
Él tiene solamente una, y se considera muy feliz.
Pero conseguiré que su amada sea mía.
Si la pierde, sufrirá mucho.
 
CALPIGI
¡Morirá de dolor!
 
ATAR
Tanto mejor.
El hijo del sumo sacerdote, Altamort,
ha recibido mis órdenes.
Esta noche irá a la orilla opuesta con su tropa
y aprovechando su ausencia,
devastará la morada y raptará a Astasia,
según dicen, la mayor belleza de Asia.
 
CALPIGI
Pero, ¿cuáles su delito? ¡Ay de mí!
 
ATAR
Ser feliz, Calpigi,
cuando su rey no es.
Y conquistar todos los corazones
que anteriormente eran míos...
 
CALPIGI
Pero a un rey le cuesta muy poco
hacer que todos lo admiren.
 
ATAR
Con sus hábiles artimañas,
él ha conseguido engañar al pueblo.
 
CALPIGI
Es cierto que su amado nombre
está en boca de todos,
como una jaculatoria benéfica.
Cuando se habla de la furia de los mares
o de cualquier calamidad
¡Tararé! es la palabra que todos pronuncian.
Como si ese nombre
pudiera alejar todos los males
y hacerlos desaparecer...
 
ATAR
(encolerizado)
¿Te callarás, miserable cristiano?
¡Eunuco vil y detestable!
La muerte debería...
 
CALPIGI
¡La muerte, la muerte, siempre la muerte!
Me disgusta esa eterna palabra.
Terminad con mi vida de una vez,
y luego buscad a otro
que os consuele del triste tedio
de la abundancia, la pereza y el poder.
 
(se aleja)
 
ATAR
(furioso)
Castigaré este exceso de arrogancia.
 
Escena Cuarta

(
Los anteriores y Altamort)
 
ATAR
Pero ¿qué noticias traes, Altamort?
 
ALTAMORT
Mi señor ha sido obedecido.
Todo se ha ejecutado sin testigos.
 
ATAR
¿Y Astasia?
 
ALTAMORT
Es vuestra, sin que nadie me haya visto,
sin que ella misma se diera cuenta
de quien la estaba secuestrando.
 
ATAR
¡Altamort, te asciendo al rango de Visir!

(a Calpigi)

¿Está todo dispuesto para recibirla? 
¿Está listo el serrallo, están los jardines decorados,
Calpigi?
 
CALPIGI
Todo está dispuesto, señor.
 
ATAR
Con una gran fiesta, mañana,
celebraré con grandeza mi conquista.
 
CALPIGI
¿Mañana?
El plazo es corto.
 
ATAR
(colérico)
¡Desgraciado!
 
CALPIGI
(rápidamente)
¡Así se hará!
 
ATAR
¿Me has escuchado bien?  
Si llega a falta algo...
 
CALPIGI
¡Faltar! Todo el mundo sabe muy bien
a que se expone en tal caso.
 
Escena Quinta

(Todos los anteriores, Astasia, Spinette,
odaliscas y esclavos del serrallo de
ambos sexos. Cuatro esclavos negros
conducen a Astasia cubierta totalmente
con un largo velo negro. La dejan en
medio de la sala)
 

ESCLAVOS
(bailando mientras cantan)
En los lugares más bellos del Asia,
con suprema grandeza,
el amor pone a los pies de Astasia
todo aquello que da felicidad.
No es una humilde morada
la que le ofrece un generoso corazón,
pues la belleza más perfecta debe reinar
sobre el más poderoso de los hombres.
 
(le quitan el velo)
 
ATAR
¡Arrodillaos ante ella!
 
(todos se prosternan)
 
ASTASIA
¡Oh, terrible destino que con horror me persigue!
¡Del seno de la noche profunda,
me trae a esta claridad triste y nueva!
¿Dónde estoy? Todo mi cuerpo se tambalea.
 
SPINETTE
Estás en el palacio de Atar.
 
ATAR
¡Calpigi, es hermosa!
 
ASTASIA
(levantándose)
¿En el palacio de Atar?
¡Ah, qué infamia!
 
ATAR
(se le aproxima)
De Atar, el que te adora.
 
ASTASIA
¿Es ésta la recompensa
¡oh, esposo mío! que merece tu fidelidad?
 
ATAR
Mis buenas acciones
han de lavar esta leve ofensa.
 
ASTASIA
¡Cómo! ¿Con esta afrenta
pagáis la lealtad de un soldado
que os ha salvado la vida?
¡Raptando a Astasia!

(mirando al cielo)

¡Gran Dios!
¿Tu poder infinito dejará impune
el atroz crimen del perjurio
y de la odiosa injuria?
¡Oh, Brahma! ¡Dios de la venganza!...
 
(Totalmente angustiada, se desmaya.
Las mujeres la sostienen)
 

CALPIGI
¡Qué terror atroz la invade!
 
UN ESCLAVO
(acude corriendo)
El velo de la muerte cubre sus ojos.
 
ATAR
(saca su daga)
¿Qué? ¡Desgraciado!
Puesto que anuncias la muerte, ¡tú mismo morirás!

(lo apuñala. Corre hacia Astasia)

Y todos vosotros, procurad
que el objeto de mi funesto amor se recupere.
¡Que no sucumba al dolor!
Haced que vuelva en sí,
o haré con todos una horrible carnicería.
 
ASTASIA
(volviendo en sí, ve el esclavo que la sostiene)
¡Dioses, este espectáculo paraliza mi espíritu!

ATAR
Soy feliz de que te hayas recuperado.
Un esclavo cobarde con sus gritos
alarmó a mi amada;
Su vil sangre ya regó la tierra.
Una puñalada fue el precio que pagó
por el miedo que me causó.
 
ASTASIA
(juntando las manos)
¡Oh, Tararé! ¡Oh, Brahma! Brahma!
 
(cae; la sostienen)
 
ATAR
¡Que sea llevada al serrallo!
Que un centenar de eunucos en su puerta
esperen las órdenes de Irza.
Ese será el dulce nombre de mi nueva esposa.
Esta es Irza, más fresca que la rosa que llevaba
cuando de ella me enamoré.
 
(Los esclavos negros llevan a Astasia
al serrallo. Todos los siguen)
  
Escena Sexta
 
(Atar Calpigi, Altamort, Spinette)
 
CALPIGI
(al rey)
¿A quién designáis, señor,
para servir a la nueva sultana?
 
ATAR
¡A Spinette!
 
CALPIGI
¿La astuta europea?
 
ATAR
Ella misma.
 
CALPIGI
No hay otra mejor para doblegar
un corazón escrupuloso.
 
SPINETTE
(al Rey)
Sí, mi señor, yo lo doblegaré
y os entregaré su corazón
educado en la obediencia
y presto a corresponder a vuestra pasión.

(dirigiéndose a Calpigi)

Y si mi éxito consterna  al poderoso señor...
Vos
apreciaréis cual de los dos
os sirve más fielmente.
 
ATAR
Lo encadenaré a tus pies,
si haces que mi deseo se cumpla.
 
(Spinette y Calpigi salen amenazándose mutuamente)
 
Escena Séptima

(Urson, Atar, Altamort)
 
URSON
Señor, ese guerrero,
ese hombre admirado por el pueblo...
 
ATAR
¡Ten en cuenta que su nombre ofende mis oídos!
 
URSON
Él llora. La plebe grita
pidiendo que se cumplan sus deseos.
 
ATAR
¿Dices que llora y suspira?
 
URSON
Su rostro está descompuesto.
 
ATAR
¡Urson, dile que venga!
        
(a Altamort)

Parece
que es desdichado... ¡Qué alivio!.
 
(Urson sale)
 
Escena Octava

(Tararé, Altamort, Atar)
 
ATAR
¿Qué quieres de mi, valiente soldado?
 
TARARÉ
(sumamente alterado)
¡Oh, mi rey! Tened piedad de mi terrible situación.
En tiempo de paz, un pirata codicioso
me ha colmado con los horrores de la guerra.
Todos mis jardines han sido devastados
y mis esclavos sacrificados.
La humilde vivienda de mi Astasia
fue consumida por el fuego...
 
ATAR
(Para sí)
¡Gracias al cielo, mis votos se han cumplido!

(A Tararé)

Soldado que me salvaste la vida,
en reconocimiento a ello toma de mi palacio
diez mil esclavos malayos
y reconstruye tu casa con marfil y ébano.
Un palacio desde el cual
se contemple la fértil llanura
y el vasto mar de oriente.
Allí, cientos de mujeres de Circasia,
llenas de atractivos y lisonjas,
esperarán los dictados de tu corazón
y te embriagarán con los tesoros del Asia.
¡Quizá algún envidioso se irrite con tu felicidad!
¡Quizás la calumnia infame
trate de caer sobre ti!...
 
ALTAMORT
(en voz baja a Atar)
Pero señor, su alteza olvida...
 
ATAR
(en voz baja, a Altamort)
Lo levanto, Altamort, para luego dejarlo caer.

(en voz alta)

¡Visir, que se cumpla lo que ordeno!...
 
TARARÉ
¡Oh, mi rey! Tu bondad es excesiva.
Los males del destino poco penetran en mi alma.
Mi corazón puede recuperarse de todas las pérdidas
excepto del rapto de Astasia.
 
ATAR
(con astucia y malignidad)
¿Quién es esa mujer, Altamort?
 
ALTAMORT
(haciéndose el desentendido)
Señor, creo que en su conmoción,
se refiere a alguna esclava joven y bonita.
 
TARARÉ
(Indignado)
¡Una esclava! ¡Una esclava!
Perdonadme, ¡oh, rey de Ormuz!
esa odiosa palabra
conmueve todos mis sentidos.
¡Astasia es una diosa!

En mi corazón, que tanto ha luchado,
su voz sensible y encantadora,
ha hecho triunfar la virtud.
Con un ardor constantemente renovado,
adoro sin cesar su belleza,
su belleza conmovedora,
puro incienso de voluptuosidad.
Gracias a ella, mi alma está viva,
aún durante el reposo.
¡Ah! ¿Acaso mi voz quejumbrosa
la llama  en vano?
 
ATAR
¿Cómo? ¡Un soldado llorando por una mujer!
Tu rey no te reconoce.
Si bien has perdido a tu amada,
todo un harem te abrirá sus brazos.
¿Te lamentas por un encanto perdido
cuando otros mil te esperan?
¡El honor que se pierde con el llanto
no se recupera jamás!
 
TARARÉ
¡Señor!
 
ATAR
¿Dónde está tu valor viril?
¡Tú, que ruges en los combates!
¡Tú, que has cruzado a nado la corriente,
llevando en brazos a tu señor!
¡A ti, que ni las espadas, ni el fuego, ni la sangre,
ni las masacres han sido capaces
de arrancarte jamás un suspiro!
¿El abandono de un esclava veleidosa
abate tu alma y te hace gemir?  (bis)
 
TARARÉ
(apasionado)
Señor, si os he salvado la vida,
si os dignáis recordar eso,
dejadme que vengue a mi Astasia
del traidor que ha osado raptarla.
Concededme que, desplegando sus velas,
un veloz velero me lleve
hasta la tierra de los infieles
para rescatar a mi Astasia... o morir.
 
Escena Novena

(Calpigi, Atar, Altamort, Tararé)
 
ATAR
¿Qué deseas, Calpigi?

(en voz baja)

Habla claro.
 
CALPIGI
Mi señor, Irza, a la que amas...
 
ATAR
(excitado)
¿Y bien?
 
CALPIGI
Ella ha vuelto en sí.
 
TARARÉ
(exaltado)
Atar, vuestra gran alma es sensible,
la dicha brilla en vuestros ojos.

(pone une rodilla en tierra)

Con Irza, sultán, sed generoso
y aceptad escuchar mis males.
 
ATAR
Dime, Tararé, ¿eres muy desdichado?
 
TARARÉ
¡Si que lo soy, ah, pues tal vez ella muera!
 
ATAR
Ruega por mí para que Irza ceda a mis deseos
y haré lo que tu corazón desea.
 
CALPIGI
(aparte)
¡Grandes dioses, sirvo a un hombre repulsivo!
 
TARARÉ
(se levanta y dice con fervor)
Encantadora Irza, ¿qué es lo que te detiene?
El hijo de los dioses, ¿acaso no es tu conquista?
¡Que en tus ojos encuentre
el fuego puro que en él arde!
Haz, Irza, haz dichoso a mi señor...

(Calpigi le hace una señal negativa
que hace que no termine su voto)

... Si puedes hacerlo sin convertirte en una criminal. 
 
ATAR
Muy bien Altamort
que antes del amanecer la flota esté preparada
al pie de la torre lista para zarpar.
Conduce a mis fieles soldados 
en el combate y en la tempestad.   

(en voz baja, a Altamort)

Si él regresa vivo,
lo pagarás con tu cabeza.

(a Tararé)

Y respecto a ti, hasta esta que no logres tu objetivo,
te relevo de toda obligación para con tu rey.
¡Soldado, quedas en libertad!
Lo juro por Brahma.
 
TARARÉ
(con la espada en su mano)
Juro en tu presencia,
que no soltaré este sangriento acero
hasta que el último de los viles rufianes
haya sido alcanzado por mi venganza.
 
ATAR
(a Altamort)
Acabas de escuchar su juramento,
en el se refiere a más de una persona.
¡Corre, Altamort, más rápido que el viento,
y regresa para gozar de mi reconocimiento!
 
ALTAMORT
Noble rey, recibe el juramento
de mi incondicional obediencia.
Si me lo ordena Atar, corro ciegamente
a servir al amor, al odio o la venganza.
 
CALPIGI
(aparte)
Del peligro que corre
en secreto he de advertirle.

(Atar lo mira; Calpigi se da
cuenta y dice en tono cortesano)

Quien sirve a mi señor,
y lo hace con prudencia,
bien puede contar con su munificencia.
 
(salen todos)
 
Escena Décima
 
ATAR
(a solas)
Virtud fuerte y orgullosa, demasiado has brillado,
vuelve al polvo, como corresponde a un soldado.
Veo como el mar, gracias al crimen de Altamort,
rinde a tu cuerpo ensangrentado
sus fúnebres honores.
Mientras tú, feliz Atar, con alegría y amor
secas el llanto
de la bella esclava afligida.   (bis)
 
(sale)
 

 
ACTO II


(Una plaza pública. El palacio de Atar a
un lado y el templo de Brahma al fondo.
Atar sale del palacio con todo su séquito.
Urson sale del templo, seguido por Arthénée
vestido con hábitos de sumo sacerdote)
 

Escena Primera

(Urson, Atar)
 
URSON
Señor, el sumo sacerdote Arthénée
solicita una entrevista privada.
 
ATAR,
(a sus cortesanos)
¡Retiraros todos!... Que venga, Urson.
Que nadie, en este dichoso día,
sea rechazado por Atar.
 
Escena Segunda
 
(Arthénée, Atar. Todos los demás se alejan)
 
ARTHÉNÉE
(adelantándose)
Hombres salvajes, allende las fronteras,
amenazan con invadir nuestra tierras.
Ya retumba el trueno a lo lejos.
Muchedumbres de tus supersticiosos súbditos
invaden los atrios de los templos
de nuestros sagrados dioses.
 
ATAR
¿Acaso un puñado de viles bandidos
venidos desde un país lejano,
podría invadir nuestras tierras?
Pontífice, parece que tu alma está sorprendida...
Sin embargo, habla, Arthénée,
¿qué dice el intérprete de los dioses?
 
ARTHÉNÉE
(impetuoso)
¡Es necesario combatir y abatir
a un enemigo presuntuoso!
El suelo árido de la Torride
tiene sed de sangre odiosa.
Con medidas rápidas y fiables,
que se nombre un comandante del ejército:
valiente, leal y lleno de espíritu de servicio.
Pero para esta importante tarea,
que las murmuraciones de la milicia
no influyan sobre la elección de Atar.
Que tanto si se trata de un murmullo,
como de un insulto,
sea castigado a espada.
 
ATAR
¡Instrúyeme, jefe de los brahmanes!
Dime lo que Atar debe pensar.
¡Ardiente celador de la fe
en el camino eterno de las almas!
¡Hasta al más ínfimo animal darías de comer
de tu mano y te daría lástima matarlo!
Sin embargo, en la guerra, deseas ver correr
torrentes de sangre humana.
 
ARTHÉNÉE
¡Ah! Los sueños absurdos y utópicos
bien valen para el pueblo.
Pero ahora,
Brahma y Sudán, hermanados,
deben mantener su autoridad.
Siempre que el esclavo esté atado,
sufra, obedezca, crea y tiemble,
el poder estará asegurado.
 
ATAR
En tu nueva política,
¿cómo se unen mis intereses a los  tuyos?
 
ARTHÉNÉE 
¡Ah! Si se tambalea tu corona,
mi templo y yo mismo caeremos con ella.
Atar, esos cristianos rapaces
tienen dioses celosos de los míos.
Lo mismo que sucede en el trono,
en el culto, compartir es un ultraje.
Hagamos creer al pueblo
que el mismísimo cielo
guía nuestras acciones.
Insinuaré el nombre del nuevo caudillo
a los augures.
¿A quién deseas nombrar?
 
ATAR
A Altamort.
 
ARTHÉNÉE
¡Mi hijo!
 
ATAR
Realizó un gran servicio.
 
ARTHÉNÉE
¿Y Tararé?
 
ATAR
Está muerto.
 
ARTHÉNÉE
¿Muerto¿
 
ATAR
Sí, mañana, ordenaré su muerte.
 
ARTHÉNÉE
¡Justo cielo! Atar debes temer...
 
ATAR
¿Temer qué? ¿Mis remordimientos?
 
ARTHÉNÉE
Debes temer pagar con tu corona
un ataque a su persona.
Sus soldados son los más fuertes.
Si con un pretexto frívolo
los privas de su jefe,
esos soldados, en su furia,
podrían olvidar tu rango y tu nacimiento...
 
ATAR
Lo he planeado todo. Tararé, equivocado,
corre hacia su ruina buscando venganza.
Que con gran solemnidad
se reúna al pueblo agitado.
Por encima de sus gritos y murmullos
señálales la irritación de los cielos.
A continuación, prepara a los augures
y con hábiles imposturas,
consagraremos nuestra autoridad.    (bis)
 
(sale)
 
Escena Segunda
 
ARTHÉNÉE
(a solas)
¡Mis intrigas han dado resultado!
Conozco el secreto de Estado
y logro que mi hijo sea el jefe del ejército.
¡Daré esplendor a mis templos
y fama a mis augures!
¡Pontífices, pontífices astutos!
Hablad al corazón de vuestros reyes.
Cuando los reyes tienen miedo,
los brahmanes reinan.
La tiara expande sus derechos.
¡Ah! ¿Quién sabe si mi hijo algún día
no será el dueño del mundo?...
 
(Al ver llegar a Tararé, entra en el templo)
 
Escena Cuarta
 
TARARÉ
(Solo, como soñando despierto)
¿Qué nueva desgracia me amenaza?
¡Oh, Brahma, líbrame de esta noche oscura!
Esta mañana, cuando dije:
"Que su amada Irza corresponda a su amor;"
Una señal aterradora me heló.
¿Qué nueva desgracia me amenaza?
¡Oh, Brahma, líbrame de esta noche oscura!  (bis)
 
Escena Quinta
 
(Calpigi, Tararé)
 
CALPIGI
(disfrazado, abre la capa que lo cubre,)
¡Tararé! ¿Me reconoces?
 
TARARÉ
¡Calpigi!
 
CALPIGI
(exaltado)
¡Mi héroe!
Te debo mi felicidad, mi fortuna y mi vida.
¡Quiero agradecerte devolviéndote la paz!
La hermosa y tierna Astasia,
que tu intentas buscar al azar
por los vastos mares de Asia,
está recluida en el serrallo de Atar,
bajo el falso nombre de Irza...
 
TARARÉ
¿Quién la secuestró?
 
CALPIGI
Altamort.

TARARÉ
¡Qué pérfida traición!
 
CALPIGI
El golfo donde nuestros buceadores buscan coral,
baña los jardines del serrallo.
Si por la noche, tu inquebrantable valor
osa afrontar los peligros de esa ruta,
una escalera invisible de seda
estará extendida en la esquina de la huerta...
 
TARARÉ
Amigo generoso, eres muy servicial...
 
CALPIGI
Se abre el templo... ¡Adiós!
 
(se cubre con la capa y huye)
 
Escena Sexta
 
TARARÉ
(a solas)
Iré.
¡Sí, osaré hacerlo!
Para volver a verla franquearé
esa barrera impenetrable.
De tu guarida, buitre vil,
la rescataré viva o muerta.
Y si sucumbo en el camino de regreso,
no me llores, tirano, suceda lo que suceda.
¡Aquél que te salvó la vida
bien merece que le quiten la suya!  (bis)
 
Escena Séptima

(El fondo del escenario representa
el atrio del templo de Brahma, que

se abre dejando ver el interior. Arthénée,
los sacerdotes de Brahma, Elamir y
otros hijos de los augures)
 

ARTHÉNÉE
(a los sacerdotes)
Sobre un asunto importante
hoy consultaremos al cielo.
Preparad el altar y los santos hábitos.
Nombrad, entre los hijos de los augures,
aquél a quien Brahma se haya manifestado
otorgándole un corazón sencillo.
 
UN SACERDOTE
El joven Elamir... ¡Él viene hacia acá!.
 
ELAMIR
(Corriendo)
¡Padre mío!
 
ARTHÉNÉE
(se sienta)
Acércate, hijo mío. Que un gran día te ilumine.
¿Crees que Brahma te hablará a través
de mi voz, y que él me habla sólo a mí?
 
ELAMIR
Padre, sí, lo creo.
 
ARTHÉNÉE
(con gravedad)
El cielo busca por tu intermedio
designar un caudillo para el imperio.
Aún no digas nada, hijo mío.

(con tono acariciante)

¡Ah! Si te inspirara el nombre de Altamort...
¡El reino saldría vencedor,
y a ti te debería su suerte!
 
ELAMIR
(con las manos cruzadas sobre el pecho)
Lo he suplicado tanto, padre mío
que espero que él me inspire.
 
ARTHÉNÉE
Yo también lo espero; reza con fervor.

(Elamir se prosterna)

Igual que una abeja
un buen día se despierta
y de una flor bermeja
extrae la miel,
un niño fiel, cuando Brama lo llama,
si él ora con celo
obtiene todo de él.                                (bis)

(levanta al niño)

Todo el pueblo, hijo mío, se dirige a nuestro templo.
Antes de designar al adalid,
tú los harás bramar de terror.
Parece que los cristianos han llegado a nuestras playas;
diles que aún
están muy lejos;
y el resto, hijo mío, déjalo en manos de Brahma.
 
Escena Octava

Marcha solemne

(Atar, Altamort, Tararé, Urson, Arthénée,
Elamir, sacerdotes, niños, visires, emires,
séquito, pueblo, soldados, esclavos)


(Atar sube a un trono levantado en el templo)
 

ARTHÉNÉE
(majestuosamente)
¡Sacerdotes del gran Brahma!
¡Rey del Golfo Pérsico!
¡Nobles del imperio!
¡Pueblo que inunda el pórtico!
La nación y el ejército demandan un general.
 
CORO
¡Para preservarnos de un gran mal,
comunícanos la elección de Brahma!
 
ARTHÉNÉE
¿Os comprometéis a obedecer
al jefe que Brahma designe?
 
CORO
¡Lo juramos ante este altar ancestral!
 
ARTHÉNÉE
(con tono de inspiración)
¡Dios sublime en el reposo,
magnífico en la tempestad,
que con tu aliento elevas al cielo las olas,
o que con tu mirada las aplacas,
deja que el nombre de un héroe,
salga de la boca de un inocente,
para que sea respetado por sus rivales
y siembre la inquietud y el terror en sus enemigos!

(a Elamir)

Y tú, niño, inspirado por el cielo,
¡nombra, nombra sin temor al héroe elegido!
 
(Elamir sube al altar)
 
ELAMIR
(con entusiasmo)
Pueblo invadido por el terror.
¿Qué os hace temer de esos cristianos salvajes?
¿Os falta acaso el apoyo del soberano?
Mirad, a los pies del rey, a su defensor:
¡Tararé!...
 
CORO
(súbditos y soldados)
¡Tararé! ¡Tararé! ¡Tararé!
¡Ah! Brama se pone de nuestra parte.
El niño ha nombrado a Tararé.
¡Tararé! ¡Tararé! ¡Tararé!
 
ALTAMORT
(encolerizado)
¡Detened ese arrebato descontrolado!
 
ARTHÉNÉE
¡Pueblo, se trata de un error!
 
(a Elamir)

¡Hijo mío, que el dios te toque!
 
ELAMIR
El cielo me inspiró el nombre de Altamort,
pero el nombre de Tararé salió de mi boca.
 
DOS SOLDADOS CORIFEOS
Que el niño haya dicho Tararé
no ha sido por casualidad.
Cuanto más involuntaria es su elección,
más evidente es lo que el cielo quiere.
¡Sí! Brama se ha puesto de nuestro lado,
el niño ha designado a Tararé.
 
CORO
¡Tararé! ¡Tararé! ¡Tararé!
 
(Elamir baja del altar)
 
ATAR
(se levanta)
Tararé está impedido por un juramento.
Su gran corazón está empeñado
en conseguir una justa venganza.
 
TARARÉ
(con la mano en el pecho)
¡Señor, cumpliré con el doble compromiso:
mi venganza y el mando del ejército!

(al pueblo)

¡
Quién quiera la gloria, corra conmigo a la victoria!
 
TODOS
¡Yo voy, yo voy!
 
TARARÉ
¡Súbditos, esclavos,
que los más valientes me juren su lealtad!
 
TODOS
¡Yo juro, yo juro!
 
TARARÉ
¡Ni paz ni tregua,
el horror de la espada será la ley!
 
TODOS
¡Yo voy, yo voy!
 
TARARÉ
¡Quién quiera la gloria,
que vuele conmigo a la victoria!
 
TODOS
¡Yo, yo!
 
ATAR
(aparte)
No puedo soportar el clamor
de todo un pueblo sordo a mi voz.
 
(quiere bajar)
 

ALTAMORT
(lo detiene)
¡Esta elección es una injuria
a todos los dirigentes de la comunidad!
¡Ataca nuestros legítimos derechos!
¿El arrogante soldado se atreve
a dictar la ley a los nobles del reino?
 
TARARÉ
(Con orgullo)
Entiende, orgulloso hijo de sacerdotes,
que Tararé creció entre soldados
y no tiene antepasados de los que vanagloriarse.
¡Pero ha vencido en cien batallas!
           
(con gran desdén)

Mientras que Altamort, de niño, en la llanura,
perseguía las flores de cardos
que los vientos, con su soplo,
hacían volar hasta la cima de la montaña.
 
ALTAMORT
(sable en mano)
¡Objeto vil de mi odio, no respetas a Atar!
 
TARARÉ
(muy desdeñoso)
¿Pretendes decidir el destino del estado?
Tú,
fogoso adolescente, ¿quieres guiarnos?
¿Qué títulos ostentas aparte de los insultos?
¿A qué enemigos has derrotado?
¿Qué torrentes osaste atravesar?
¿Dónde están tus hazañas? ¿Y tus heridas?
 
ALTAMORT
(furioso)
Si quieres lograr este alto rango,
sobre mi cadáver habrás de pasar.
 
(saca su espada)
 
ARTHENEE
(turbado)
¡Qué desesperación! ¡Qué frenesí! ¡Hijo mío!...
 
ALTAMORT
(más furioso aún)
¡Le arrancaré la vida a ese ladrón!
 
TARARÉ
(con frialdad)
Calma tu furor, Altamort.
Ese fuego sombrío, cuando se enciende,
destruye las fuerzas y nos consume.
El guerrero, encolerizado, está muerto.
 
(saca su espada)
 
ARTHENEE
(gritando)
¿El templo de nuestros dioses
es acaso un campo de batalla?
 
ATAR
(se levanta)
¡Deteneos!
 
TARARÉ
Obedezco...

(a Altamort, tomándole la mano)

Esta noche en la llanura.
 
(A Calpigi, aparte, mientras
que Atar baja de su trono)

Y tú, mi fiel amigo, sin linterna y sin ruido,
en el huerto del serrallo espérame esta noche.
 
(Atar le entrega el bastón de mando
mientras se oye una fanfarria.

Marcha solemne para la salida)
 
CORO
(sobre el sonido de la marcha)
¡Brahma! ¡Si aprecias la virtud,
si la voz del pueblo es tu voz,
apoya con el éxito la elección
que todo el pueblo acaba de hacer!
¡Que tras tus huellas
todos nuestros soldados
avancen con audacia y orgullo!
¡Que el pusilánime enemigo,
al verse vencido,
bajo nuestros golpes muerda el polvo!
 
 
 
ACTO III


(La escena representa los jardines del serrallo.
A la derecha, el apartamento de Irza;
a la izquierda y al frente, un gran sofá
bajo un magnífico dosel en medio
de un parterre iluminado. Es de noche)

 
Escena Primera
 
(Calpigi, entrando por un lado; Atar
y Urson entran por el otro; Los
jardineros alumbran con antorchas)
 
CALPIGI
(sin ver Atar)
¡Los jardines iluminados!
¡Los jardineros! ¿Para qué?
¿Quién se atreve
a dar órdenes en el serrallo?
 
ATAR
(le toca el hombro)
Yo.
 
CALPIGI
(sorprendido)
Señor...
¿Podría saber?...
 
ATAR
¿Y mi fiesta para aquella a la que amo?
 
CALPIGI
Será mañana, como vos ordenasteis.
 
ATAR
(bruscamente)
¡La quiero ya mismo!
 
CALPIGI
Todos mis ayudantes están dispersos.
 
ATAR
(más bruscamente)
Un poco de ruido y danzas alrededor de Irza;
será más que suficiente.
 
CALPIGI
(aparte, con angustia)
¡Qué terrible contratiempo!
¡No hay manera de prevenir a Tararé!
 
ATAR
(observándolo)
¿Qué murmuras tan inquieto y preocupado?
 
CALPIGI
(simulando alegría)
Digo... que entonces será
como los espectáculos en Francia,
donde todo está bien mientras haya danza.
 
ATAR
(colérico)
¡Vil Cristiano, obedéceme, o tu cabeza rodará!
 
CALPIGI
(aparte, mientras sale)
¡Tirano feroz!
 
(Los jardineros se retiran)
 
Escena Segunda
 
(Atar, Urson)
 
ATAR
Urson, antes de que mi fiesta comience,
cuéntame prontamente y en detalle
el desarrollo del combate
con todos sus pormenores.
 
URSON
Tararé fue el primero en llegar a la cita.
En la llanura azuzó su caballo
y vino calmadamente
a hablar con nosotros.
Su actitud era noble y orgullosa.
Una gran nube de polvo
se acercaba desde el norte.
Parecía ser un ejército entero.
Era el impetuoso Altamort.
Muchos esclavos armados
trababan de seguir sus pasos.
Su aspecto era salvaje y sombrío
como los espectros de la noche.
Con una mirada ardiente midió a su adversario.
“Decidamos la suerte del vencido”.
“Mi ley” dijo Tararé, “es la muerte”.
Se abalanzan uno contra el otro, como truenos.
Altamort recibe
un golpe terrible de cimitarra
que hace volar la cimera de su casco.
El acero brilla,
el casco se rompe
y la sangre negra brota como un arroyo.
“¡Dios, estoy herido!”
Más furioso que la tempestad,
responde con un sablazo a la cabeza.
El golpe es detenido por Tararé
que con el brazo en alto
evita la muerte...
 
ATAR
Veo que Altamort está perdido.
 
URSON
Cegado por la sangre, se agita y tambalea.
Tararé, inclinándose sobre su montura,
se impulsa hacia adelante.
Su fiel caballo se precipita hacia adelante
y con el pecho tumba
al caballo y al guerrero adversario.
Tararé salta inmediatamente a tierra
y corre hacia el enemigo abatido.
Todos se estremecen, el corazón se hiela
por el terrible derecho de la guerra...
¡Oh, de un noble enemigo
santo y sublime esfuerzo!
 
ATAR
(colérico)
¡Termina el relato!
 
URSON
“No temas, soberbio Altamort.
Entre nosotros la guerra ha terminado.
Si el derecho a matar
es al mismo tiempo el derecho a otorgar la vida,
te la otorgo de todo corazón.
Llora largo tiempo tu perfidia”.
 
ATAR
¿Su perfidia?
 
URSON
Tararé se retiraba lleno de dolor...
 
ATAR
(furioso)
Está enterado.
 
URSON
¡Inútil y vano perdón!
Aquel cuyos fuertes brazos 
nunca a nadie hirieron dos veces
¡ay! apenas se retiraba
cuando su adversario espiró.
 
ATAR
¡En todas partes sale triunfante!
¡Ah, mi corazón se estremece de rabia!
Cuando Altamort, ayer,
quiso decidir su suerte mediante un combate,
presentí de inmediato
que pagaría esa imprudencia
con la muerte.
Sin el clamor de un padre indignado,
el templo se habría ensangrentado.
Su poder me obligó
a evitar la muerte de uno que me ofrecía
el pretexto oportuno
para eliminar al otro.

(ve entrar a los esclavos)

Todo el serrallo viene hacia aquí... ¡Retírate!
Que esa imagen espantosa
se disipe como una nube
y deje paso al placer, en vez de turbarlo.
 
(Urson sale)
 
Escena Tercera
 
(Atar, Astasia vestida como sultana,
con una venda en los ojos
ayudada por los esclavos,
Spinette, Calpigi, eunucos
y esclavos de ambos sexos)
 
ATAR
(hace sentar a Astasia en el sofá junto a
él y le dice al jefe de los eunucos)

¿Qué van a cantar para alegrar a su señor?
 
CALPIGI
En medio de la frivolidad de una fiesta campestre,
tienen todos el noble deseo
de demostrar su inmensa alegría.
 
ATAR
(con desdén)
¡No me importa su placer
siempre y cuando desarrollen su arte!
 
CALPIGI
(aparte)
¡Qué monstruo, gran Dios!
¡Toda Asia es su botín!

(hace un gesto a los esclavos para que avancen)

Tararé no sabe nada de todo esto.
Si llegara a venir, estaría perdido.
 
Escena Cuarta
 
(Los antedichos. Pastores, cortesanos
europeos ataviados con vestidos de
tafetán y plumas; pastoras con báculos
dorados; campesinos vestidos a la moda
europea; campesinas vestidas muy
simplemente con instrumentos de
labranza)
 
Marcha

(Marcha, que por una parte marca el baile de
los pastores y por otra, la gran alegría de
los campesinos)
 

CORO DE LOS EUROPEOS
Somos un pueblo frívolo pero generoso
que reprueba las costumbres asiáticas.
Nunca, en nuestras dichosas regiones,
la belleza ha de temer ser esclavizada.
 
SPINETTE, PASTORA
Aquí, ante los ojos de nuestros maridos,
viene un caballero a coquetear con su amiga.
Se la lleva, la devuelve, se ríe con ellos
y se marcha hacia su próxima conquista.
 
CORO
Somos un pueblo frívolo, etc.
 
Suite de Ballet
 
Diálogo - Dúo
 
SPINETTE
(como una pícara pastora, a los bailarines)
Caballeros galantes,
ustedes que cortejan a las bellas damas,
sabrán provocar un dulce momento.
 
LA PASTORA
Amantes que suspiráis por ellas,
esperad todo de sus sentimientos.
 
SPINETTE
Cualquier oportunidad que no se aprovecha,
escapa y se pierde para siempre.
 
LA PASTORA
Irrecuperable es para la fantasía,
pero renace por el amor.
 
Suite De Ballet
 
(Viejos señores bailan alegremente
ante las pastoras presentándoles ramos de flores.
Jóvenes, apoyadas en sus báculos,
se mueven con lentitud ante las viejas
presumidas que bailan sin perder aliento.
Atar se levanta y se pasea entre los bailarines)
 

SPINETTE
(como pastora cortesana)
En nuestros deliciosos vergeles,
lo malo y lo bueno, todo se equilibra;
y si nuestros jóvenes son viejos,
todos nuestros viejos están en la infancia.
 
UN CAMPESINO
Nuestra casa despunta entre todas,
pues somos hijos de la naturaleza
y nuestros tiernos cuidados
son para el heno;
nuestro amor, para el forraje.
 
SPINETTE
Cuando el esposo se vuelve indolente
cambiadlo por un hombre galante,
e Himeneo, por esos deseos inconstantes,
con placer se vengará.
 
UN PAISANO
En nuestra casa la hacendosa patrona
jamás es tan imprudente.
Su favorito es su marido
pero de sus hijos, cualquiera es el padre.
 
SPINETTE
Aquí, en silencio, todo se desordena
subrepticiamente por la noche
pero sin escándalos.
 
UN CAMPESINO,
(A continuación, los campesinos)
A fe mía, nuestra moral establece que
hay que pagarle al otro con la misma moneda.
 
ASTASIA
¡Santo cielo!
¡Que la muerte le arrebate a Astasia al tirano!
 
Suite De Ballet
 
ASTASIA
¡Oh, mi Tararé! ¡Oh, mi esposo!
¿Qué desesperado debes estar?
 
Suite De Ballet
 
ATAR
(a todo el serrallo)
¡Saludad todos a la hermosa Irza!
Yo la corono... ¡Ella es la sultana!
 
(le pone una diadema de diamantes)
 
CORO
¡Saludemos todos a la hermosa Irza!
El amor la eleva desde el fondo de una cabaña,
hasta el trono de Ormuz.
¡Ella es la sultana del gran Atar!
 
Suite y final del ballet.
 
(El ballet termina. Los esclavos traen
vasos, sorbetes, licores y frutas ante
de Atar y la sultana. Spinette se queda
cerca de su señor, lista para servir)
 
ATAR
(con placer)
¡Calpigi, tu fiesta me encanta!
Adoro a los espíritus
fértiles y obedientes.
De los mares de Europa dime,
¿qué te trajo hasta Ormuz
en contra de todos los pronósticos?
Pero para divertir a mi amante,
anima tu relato con algo gracioso.
 
CALPIGI
(Aparte, en tono oscuro)
Voy a mencionar un nombre
que hará que caiga la noche.
 
(Toma una mandolina y canta a ritmo
de Barcarola. Las danzas se detienen y
todos los bailarines se toman de las manos
para bailar el estribillo de la canción)
 
CALPIGI
Soy nativo de Ferrara.
Allá, gracias a un padre avaro,
mi voz de cantante pude embellecer.
¡Ay, pobre Calpigi!
Tras mi salida del conservatorio,
me convertí en la primera voz
del Oratorio del rey de Nápoles.
¡Ah, bravo, querido Calpigi!
 
(El coro repite la última línea bailando
el estribillo. Al final de cada verso, Calpigi
se vuelve y mira con preocupación hacia el
lugar donde teme que llegue Tararé)
  
La más famosa cantantehizo de mi,
por puro capricho,
una farsa de marido;
¡Ay, pobre Calpigi!
Ni mis ataques de furia, ni mis celos,
lograron refrenar sus fantasías.
En casa yo era como un cero a la izquierda.
¡Ay, pobre Calpigi!
 
(El coro repite la última
línea bailando el estribillo)
 
Resolví, para librarme de ella,
venderla a un corsario
que acababa de llegar de Trípoli.
¡Ah, bravo, querido Calpigi!
Cuando llegó el día, el corsario traidor
en lugar de pagarme lo acordado,
me encadenó a la pata de su cama!
¡Ay, pobre Calpigi!
 
(El coro repite la última
línea bailando el estribillo)
 
El pirata la convirtió en su amante;
y a mí, en guardián de su virtud,
lo mismo que hago aquí.
¡Ay, pobre Calpigi!
 
(Spinette en ese instante,
lanza una gran carcajada)

 
ATAR
¿Qué te hace reír, Spinette?
 
CALPIGI
Ya lo veis, ella es mi pícara compañera.
 
ATAR
¿Dice la verdad?
 
SPINETTE
Si señor, es verdad.
 
CALPIGI
(completa su aria)
¡Ay, pobre Calpigi!
 
(El coro repite la última línea bailando el
estribillo. Vemos en el fondo a Tararé
ascender por una escalera de seda. Calpigi
lo ve)
 

CALPIGI
(aparte)
¡Es Tararé!
 
A través de Libia,
Egipto, el istmo y de Arabia,
Intentó vendernos a un Sufí.
¡Ay ,pobre Calpigi!
Fuimos capturados, dijo el bárbaro.
¿Quién nos capturó? Tararé...
 
ASTASIA
(lanza un grito)
¡Tararé!
 
TODO EL SERRALLO
(gritando)
¡Tararé!
 
ATAR
(furioso)
¡Tararé!
 
(Derriba la mesa de una patada. Astasie
se levanta turbada, Spinette la sostiene.
Ante el bullicio que se produce, Tararé,
se oculta en la oscuridad,)
 
SPINETTE
(a Astasia)
¡Dioses, cómo lo enfurece ese nombre!
 
ATAR
¡Que la muerte! ¡Que el infierno se lleve
al traidor que lo ha nombrado!
 
(saca su daga, todo el mundo sale corriendo)
 

SPINETTE
(sosteniendo a Astasia)
¡Se muere!
 
(Atar, ante este grito, se detiene y deja ir
a Calpigi y a los otros esclavos, regresando
junto a Astasia que las mujeres ayudan

a salir hacia sus habitaciones. Atar, sale
también arrojando la túnica y los borceguíes,
a la manera de los orientales)
 
Escena Quinta

(La escena está muy oscura. Tararé,
daga en mano, listo para atacar a
Calpigi con el que tropieza.
 
CALPIGI
(grita)
¡Oh, Tararé!
 
TARARÉ
(confundido)
¡Oh, qué furia aborrecible!
¡Amigo... si no llegas a gritar,
te habría ultimado con mi propia mano!
 
CALPIGI
¡Deberías hacerlo, Tararé!
Deberías hacerlo aún así,
si algún esclavo curioso...
 
TARARÉ
(turbado)
¡He oído resonar mi nombre en este lugare!
Creo que he sido descubierto, y que mis celos...
¡Morir sin volver a verla, y tan cerca de Astasia!
 
CALPIGI
¡Oh, mi héroe! Tu ropa está empapada,
Cubierta de algas y barro contaminado...
¡Un gran peligro ha amenazado tu vida!
 
TARARÉ
(En voz baja)
En el seno del profundo mar,
navegué solo en una frágil embarcación.
Ni un soplo de viento agitaba el aire
por lo que navegué plácidamente sobre las olas.
El sonido monótono de los remos,
se escuchaba a lo lejos, en la noche,
cuando de repente sonó la alarma.
Tenía esta daga como única arma.
Doscientos remeros
me acorralaron...
¡estaba atrapado!...
Un fuerte golpe de lanza,
provoca que me hunda con mi barca,
y debajo de sus navíos ,
logré abrirme un camino nuevo y seguro.
Pude llegar a tierra,
protegido por la oscuridad de la noche.
Escuché la campana de la torre.
El estridente sonido de la trompeta,
que retumbaba hasta el fondo del golfo
aumentaba el desorden y el terror.
La gente corría llamando
a gritos a los centinelas.
¡Alto! ¡Deteneos! Se lanzaron sobre mí.
Pero si ellos corrían, yo volaba.
Llegué al muro como un relámpago.
Me buscaban abajo, pero yo ya estaba arriba,
trepando por la escalera
que tu amigable celo había colocado.
Estoy a salvo, gracias a tu corazón
y en pago de tanto favor,
¡Oh, dolor! ¡Oh, crimen execrable!
engañado por un ciego error,
casi, por desgracia,
asesino a mi benefactor.
Perdona, amigo, este crimen involuntario.
 
CALPIGI
¡Oh, mi héroe! ¿Qué me debes tú a mí?
¡Ay! Sin fuerzas, sin carácter, el débil Calpigi,
es arrastrado por todos los vientos.
Sería menos que nada en la tierra
si no estuviera enamorado de tu virtud viril.
¡No perdamos ni un momento!
En el serrallo, la tranquilidad
renace con la oscuridad.

(Tomando un envoltorio tras unos árboles)

Bajo esta vestimenta de esclavo negro
se ocultará el guerrero más bravo.
Que un hombre elocuente,
se convierta en un mudo detestable.

(lo viste en silencio)

No debes olvidar, sobre todo, que bajo
esta máscara cualquier palabra sería un grave error

(le pone una máscara negra)

Y que la menor demostración de celos
se paga con la vida.
 
(avanzan hacia los aposentos de Astasia)

Todo está en perfecto reposo...

(Calpigi, de pronto, se detiene aterrado)

¡No te muevas! Ahí veo la capa y las babuchas
del emperador.
 
TARARÉ
(desesperado, grita)
¡Atar con ella! ¡Ah!
¡Qué infeliz es Tararé!
Nada puede contener mi furia.
¡Brahma! ¡Brahma!
 
CALPIGI
(cerrándole la boca)
¡Refrena tu dolor!
 
TARARÉ
(grita más fuerte)
¡Brahma! ¡Brahma!

(se deja caer sobre el pecho de Calpigi)  

CALPIGI
Nuestra muerte es segura.   

Escena Sexta

(Atar, que sale de la habitación de Astasia)  

CALPIGI
(grita, asustado)
Alguien viene... ¡es el sultán! 

(Tararé se prosterna)
 
ATAR
(con tono terrible)
¿Quién es este insolente?
 
CALPIGI
(turbado)
¡Un insolente!... ¡Es Calpigi!
 
ATAR
¿De donde surge esa voz deplorable?
 
CALPIGI
(turbado)
Señor, es que... con este miserable.
Creyendo oír un ruido,
al hacer la guardia nocturna.
De un súbito frenesí fue presa
este bruto esclavo repentinamente...
¡Tal vez ha perdido la razón!
Llora, grita, se agita,
habla, habla y habla tan rápido
que no se entiende nada de lo que dice.
 
ATAR
(con tono terrible)
¡Habla! ¿El mudo habla?
 
CALPIGI
(más enredado)
¿Qué estoy diciendo?
¡Que hablara sería un milagro prodigioso!
Articula sonidos que suenan horribles...
 
ATAR
(lo toma del brazo. Tararé
sigue totalmente inmóvil)
¡Oh, extraño es el destino de tu señor!
A veces parece que esté maldito...
Vine con los sentidos agitados
a honrarla con mis bondades
y suspirar enamorado cerca de ella.
Tan pronto llego a su lado,
¡ella se escapa, rebelde!
La detengo y le agarro la mano.
¡Nunca se ha visto en mujer alguna,
un ejemplo semejante de tanto desdén!
"¡Bárbaro Atar!, ¿cuál es tu deseo?
"Antes de quitarme el honor,
tendrás que arrebatarme la vida”...
Sus ojos brillan furiosos.
¡Bárbaro Atar!... ¡Su honor!...
La salvaje, reclamaba a gritos la muerte...
Atar conoció el desprecio;

(saca su daga)

Veinte veces quise en mi furia,
alejarme de sus brazos...
¡Vamos, Calpigi, sígueme!
 
CALPIGI
(le ofrece su capa)
Señor, tomad mi capa.
 
ATAR
Ponme primero mis babuchas
mientras apoyo mis pies sobre este africano...

(pone su pie sobre el cuerpo de Tararé)

¡Siento que la ira me cofunde!...

(mira a Tararé)

¡
Negro despreciable, abyecto y maldito,
ojalá que en vez de un reptil insignificante,
que no vale nada,
fueras el odioso Tararé!
¡Con qué gusto con mi propia mano
haría correr tu sangre!...
¡Si pudiera enterarse el insolente
del desprecio que le tiene su señor!
¡Y pensar que por ese indigno ser
ella me desprecia y me desafía!...
Calpigi, tengo un plan.
Le cortamos la cabeza a este esclavo;
la desfiguramos totalmente,
y se la llevas a ella
diciéndole que en un ataque de celos
yo mismo sorprendí a su marido aquí...
 
(saca la espada de Calpigi)
 
CALPIGI
(lo detiene y lo aleja de Tararé)
Con esa horrible estratagema ¡ah, mi señor!
¿qué esperáis lograr?
Si ella se dejara engañar
¿sería por ello más tierna con vos?
En cambio, mientras esté preocupada por su vida,
siempre la tendréis a vuestra merced.
 
ATAR
(furioso)
¿A mi merced?...
Se me ocurre otra idea.
Ella piensa que me tiene a sus pies,
vamos a mostrarle lo poco que tengo
en cuenta sus vanos encantos.
¡La muy orgullosa ha despreciado a su señor!
¡Oh, qué proyecto tan halagüeño!
Castigaré a la audacia de un traidor,
que me robó el corazón de mis súbditos,
y a la vez humillaré a esa soberbia mujer.
¡Calpigi!...
 
CALPIGI
(preocupado)
¡Qué! ¡Señor!
 
ATAR
Jura por tu alma
que me obedecerás.
 
CALPIGI
(más preocupado)
Sí, mi señor.
 
ATAR
Nada de de demoras, ahora mismo.
 
CALPIGI
(casi aturdido)
¡Al instante!
 
ATAR
Toma a este vil mudo
y llévalo en secreto hasta ella.
Dile que en mi ternura
la hago esposa de este monstruo.
Dile que he jurado que nunca tendrá
ningún otro cónyuge,
ni otro amante.
Quiero que el matrimonio se consume
y si esa orgullosa mujer se niega
¡al patíbulo con ella!
Llévalo ya mismo a su cama
para que pase la noche con ella,
delante de todas las miradas,
¡y que mañana sea el hazmerreír de mi serrallo!
Ahora Calpigi, ya estoy feliz.
Dile a esta bestia por señas,
que le espera un destino feliz.
 
CALPIGI
(tranquilizándolo)
¡Ah, señor, no hace falta,
él no habla, pero oye!
 
ATAR
¡Ven, acompáñame!
 
(se vuelve para salir)
 
CALPIGI
(Se inclina para recoger la capa  
del emperador y le susurra a Tararé)
¡Qué desenlace tan feliz!
 
(sale tras de Atar)
 
TARARÉ
(se levanta sobre sus rodillas)
¡Pero qué escena tan horrible!

(se quita la máscara y la arroja al lejos de él)

¡Ah, por fin respiro!

ATAR
(Mirando hacia el aposento de
Astasia, dice con alegría feroz)
Disfrutaré de un gran placer,
soberbia mujer, cuando te vea unida
al destino de un viejo negro,
y por cientos de gritos humillada.

(Imita la canción de los esclavos)

Saludemos a la altiva Irza,
quien, echando de menos su choza,
se negó a los deseos de un rey.
¡Ahora es la sultana de un viejo negro!
¡Calpigi!
 
(Calpigi, con el pretexto de entregarle
su túnica, se pone entre él y Tararé,
para evitar que el rey lo vea sin máscara)
 
CALPIGI
(con alegría fingida, asustado)
¡Ah, qué placer tendrá ahora mi señor...
 
ATAR
¡Calpigi!
 
CALPIGI
... cuando el serrallo resuene.
 
ATAR, CALPIGI
Saludemos a la altiva Irza,
quien, echando de menos su choza,
se negó a los deseos de un rey
y es ahora la sultana de un viejo negro.
 
Escena Séptima
 
TARARÉ,
(solo, levantando las manos al cielo)
¡Dios todopoderoso!
Tú, nunca has decepcionado
al infeliz que cree en tu bondad.
 
(se pone su máscara y sigue de lejos al rey)
 
 
  
ACTO IV


(La escena representa el interior de
los aposentos de Astasia, amueblados

sofás y otros muebles lujosos al estilo
oriental)
 

Escena Primera

(Astasia, Spinette)
 

ASTASIA
(entra furiosa y agitada)
Spinette, ¿cómo puedo escapar
de esta horrible trampa?
 
SPINETTE
Calmad la desesperación que invade vuestra alma.
 
ASTASIA
(fuera de sí, con los brazos levantados)
¡Oh muerte, acaba con mi dolor!
Presiento la muerte.
¡Arranca a la esposa de Tararé
de la mayor de las desgracias!  (bis)
Me pareció presentir
su infame empresa.
Cuando partió, me quedé diciendo
con terror en el alma:
“¡Ay, cruel! por quien tanto he sufrido,
es demasiado que por tu ausencia
Astasia quede en un desierto,
sin alegría e indefensa!"
El imprudente no escuchó
a su implorante compañera.
A las manos de un detestable bandido
los piratas la entregaron.
¡Oh muerte, acaba con mi dolor!
Presiento la muerte.
¡Arranca a la esposa de Tararé
de la mayor de las desgracias!  (bis)
 
(desesperada, se lanza sobre un sofá)
 
SPINETTE
Un gran rey os invita a hacerlo dichoso.
El amor pone a vuestros pies al soberano.
¡Cuántas mujeres bellas
lucharían por tener ese honor!
En lugar de alarmaros, deberíais sentiros orgullosa.
 
ASTASIA
(llorando)
¡Ah, tú no tienes a Tararé por amante!
 
SPINETTE
No lo conozco personalmente, pero sí su fama.
Si yo, como vos,
estuviera tan enamorada de él,
fingiría un poco frente a Atar
e informaría a Tararé de mi sufrimiento.
 
ASTASIA
Ante la mínima esperanza
un corazón desdichado se abre fácilmente.
Aprecio tu noble interés.
¡Pues bien!
Hazle saber de este horrible encierro...
 
SPINETTE
Oculta tus lágrimas, si es posible.
Allí veo venir al insolente ministro
de los secretos placeres del sultán.
 
(Astasia seca su llanto)
  
Escena Segunda
 
(Calpigi, Spinette, Astasia)
 
CALPIGI
(severamente)
Hermosa Irza, el emperador ordenó
que de inmediato recibas sumisa
al nuevo esposo que te ha asignado.
 
ASTASIA
¡Un esposo! ¿Un esposo para mí?
 
SPINETTE
(lo imita ridiculizándolo)
¡Comandante de un ridículo ejército!
Sé breve con tu ostentoso preámbulo.
Ese nuevo marido, ¿quién es?
 
CALPIGI
Es el mudo más vil de todo el serrallo.
 
ASTASIA
¡Un mudo!
 
SPINETTE
¡Un mudo!
 
ASTASIA
¡Me muero!
 
CALPIGI
La orden es que todos se retiren.
 
SPINETTE
¿Yo?
 
CALPIGI
Tú.
 
SPINETTE 
¿Yo?
 
CALPIGI
Tú, tú, Spinette.
Los que perturben su amor serán ejecutados.
 
ASTASIA
¡Oh, santo cielo!
 
SPINETTE
(bromeando)
Dile a tu amo que al sumo sacerdote
le sorprenderá saber
que a la pluralidad de esposas
que tienen los hombres
en la tierra de los brahmanes
se agrega ahora
la pluralidad de maridos para las mujeres.
 
CALPIGI
(irónicamente)
Tu consejo será muy valorado por el rey.
Haré lo que deseas.
 
SPINETTE
(Con el mismo tono)
No lo olvides.
 
CALPIGI
No.
 
SPINETTE
Lo recordarás mejor, si lo escuchas dos veces.

(repite)

Dile a tu amo que al sumo sacerdote
le sorprenderá saber
que a la pluralidad de esposas
que tienen los hombres
en la tierra de los brahmanes
se agrega ahora
la pluralidad de maridos para las mujeres.
 
(Calpigi sale haciéndole un
gesto imperioso de que se retire)
 
Escena Tercera
 
(Astasia, Spinette)
 
ASTASIA
(Desesperada)
¡Oh, mi compañera! ¡Oh, mi amiga!
¡Sálvame de esta infamia!
 
SPINETTE
¡Ah! ¿Cómo puedo probaros mi lealtad?
 
ASTASIA
¡Toma mis diamantes, mis joyas
te las doy todas, son tuyas!

(se despoja de las joyas)

¡Ah! En esta horrible aventura,
hazte pasar por Irza;
podrás rechazar al mudo sin dificultad.
 
SPINETTE
Señora, si es Calpigi quien lo guía
sin duda me reconocerá.
 
ASTASIA
(Se quita el manto real)
Esta larga capa te cubrirá.
Recuerda a Tararé y nómbralo constantemente;
sólo su nombre te dará garantías.
 
SPINETTE
(mientras se viste)
Comparto vuestra angustia.
¡Ay! ¡Qué no haría yo por salvar
a mi incomparable señora
de una situación tan peligrosa!     (bis)
 
(Astasia sale precipitadamente)
 
Escena Cuarta
 
SPINETTE
(Sola)
¡Spinette, vamos, no flaquees!
El rey te agradecerá
que detengas con destreza
el golpe que se prepara contra su amada.

(se sienta en el sofá)

¡Aumentará tu honor y tu riqueza!
 
Escena Quinta

(Calpigi, Tararé, en silencio; Spinette sentada
y velada, con un pañuelo sobre el rostro)
 

CALPIGI
(a Tararé, con un tono severo)
¡Esta mujer es tuya, mudo!
 
(sale)
 
Escena Sexta

(Tararé, Spinette)
 
SPINETTE
(para si, velada)
¡Qué feo es!...
Aunque... bien mirado...no está mal.

(Tararé se arrodilla ante ella)

¡Se postra! No parece tan bárbaro
como los otros monstruos de este lugar.

(a Tararé, con aire de dignidad)

Mudo, tu apariencia me conmueve.
He leído el amor en tus ojos.
Una tierna promesa de tu boca
no podía expresarlo mejor.
 
TARARÉ
(para si, levantándose)
¡Grandes dioses, esta no es Astasia!
¡Y yo que quería abrirle mi corazón!
Que me hayas impedido hablar,
¡oh, Brahma! te agradezco.
 
SPINETTE
(aparte)
Parecería que hablara en voz baja...
Cada animal tiene su lenguaje.

(ella se descubre y Tararé la mira)

Desde lejos puedes contemplar mis encantos.
Me gustaría poder hacer más por ti,
pero ni un monarca, ni un califa, ni un sultán,
ni el más perfecto y poderoso de los hombres,
podría lograr nada de mi corazón
pues pertenece totalmente a Tararé.
 
TARARÉ
(Llora)
¡A Tararé!...
 
SPINETTE
(Levantándose sorprendida)
¡Habla!
 
TARARÉ
¡Oh, arrebato que me traiciona!
¡Sorpresa demasiado indiscreta!
 
SPINETTE
¡Tus palabras te han traicionado!
¿No eras mudo? ¡Temerario!
 
(le quita la máscara)
 
TARARÉ
(a sus pies)
¡Ah, me acuso y me disculpo!
Llegué a Ormuz como extranjero,
y me dijeron que el señor de este reino
daba una fiesta en el Serrallo para su favorita...
Yo pensé, que con estos harapos, podía...
 
Dúo

SPINETTE
(con liviandad)
Amigo, tu coraje me deslumbra.
Si Tararé me hubiera amado,
lo habría desafiado todo como tú los has hecho.
Olvidaré que le he amado.
De hecho, mi corazón te prefiere;
serás Tararé para mí.
 
TARARÉ
(turbado)
¡Qué! ¿Amas a Tararé?
 
SPINETTE
Mi corazón ahora te prefiere a ti.
 
TARARÉ
¿Tu corazón me prefiere a mí?
 
SPINETTE
Tú serás mi Tararé.
 
TARARÉ
(más turbado aún)
¿Sueño? ¡Oh, Brahma! ¿Estoy despierto?
Todo lo que escucho me confunde.
¡El odio de Atar
me ha llevado de trampa en trampa
hasta el más profundo abismo!
 
SPINETTE
Esta no es una trampa; no, no.
De su perdón, yo te respondo.

(ve a los soldados que entran)

¡Cielos, vienen a arrestarlo!
 
TARARÉ
Toda esperanza me abandona.
 
(Spinette se cubre con el velo y sale)
 
Escena Séptima

(Tararé, sin máscara, Urson y soldados
armados con palos. Calpigi y eunucos
que entran desde el otro lado)
 

URSON
¡Avanzad soldados!
¡Redoblad el paso!
 
CALPIGI
¡Soldados, deteneos!
 
URSON
(a los soldados)
¡Obedeced mi orden!
 
CALPIGI
(a los eunucos)
No dejéis que avancen.
 
SOLDADOS
Redoblemos el paso.
 
EUNUCOS
¡No avancéis más!
Para todos, este recinto es sagrado.
 
SOLDADOS
Nuestra orden es forzar la entrada.
 
CALPIGI
Urson, explícame que sucede.
 
URSON
El sultán se arrepiente
de haberse dejado llevar por la ira
y ha ordenado que el horroroso mudo
sea ejecutado y arrojado al mar
para que su cuerpo alimente
a los monstruos de las profundidades.
 
CALPIGI
(se interpone entre Urson y Tararé)
Urson, aquí está, pero de su muerte me encargo yo.
Los jardines del serrallo están a mi cuidado
y los eunucos dispuestos.
 
URSON
Para que no haya retrasos
el sultán ha ordenado que yo sea testigo.
¡Soldados, atrapadlo!
 
(Los soldados levantan sus mazas)
 
UN SOLDADO
(avanzando)
No es un mudo.
 
URSON
¿Quién es?.
 
TARARÉ
(Volviéndose hacia ellos)
Tararé.
 
URSON
¡Tararé!...
 
(Los soldados y los eunucos
retroceden respetuosamente)
 
SOLDADOS, EUNUCOS
¡Tararé! ¡Tararé!
 
CALPIGI
Este reo, Urson, se ha vuelto demasiado importante
como para ejecutarlo sin la orden expresa del sultán.

(a Tararé, en voz baja)

Retrasando la orden, quizás pueda salvarte.
 
URSON
(con dolor)
¡Desdichado Tararé! ¿Cómo ejecutarte?
¡Nuestras lágrimas por ti lo encolerizarán más!
 
SOLDADOS
(apenados)
¡Desdichado Tararé! ¿Cómo ejecutarte?
¡Nuestras lágrimas por ti lo encolerizarán más!
 
TARARÉ
No preocuparos por mi suerte,
obedeced a vuestro señor.
¡Ojalá, algún día, lleguéis a amarlo!
 
(se llevan a Tararé arrestado)
 
URSON
(en voz baja, a Calpigi)
Calpigi, piensa en ti,
el rayo pende sobre dos cabezas.
 
(sale)

Escena Octava
 
CALPIGI
(a solas, con tono decidido)
¿Sobre dos cabezas pende el rayo
y osa pronunciar mi nombre?
Atar, más bien menaza a tres cabezas
pues las tempestades,
que tu odio ha desatado,
te consumirán.
El abuso de poder siempre lleva a la perdición.
El malvado que todo hace temblar
está muy próximo a temblar él mismo.
Esa noche, déspota inhumano,
Tararé ha desatado tu furia,
tu odio amenazaba su vida
mientras que la tuya estaba en sus manos.
El abuso de poder siempre lleva a la perdición.
El malvado que todo hace temblar
está muy próximo a temblar él mismo.      (bis)
 
(sale)
 

 
ACTO V


(La escena representa un patio del palacio de
Atar. En el centro hay una pira y, al pie de ésta,
un tronco para el hacha del verdugo. Cadenas,
hachas, mazas y otros instrumentos de tortura)
 

Eecena Primera

(Atar, eunucos y séquito)
 
ATAR
(mira con avidez la pira y todos los
preparativos para la ejecución de Tararé)
¡Fantasma vano! Ídolo popular,
cuyo nombre despertó mi ira:
¡Tararé!...
¡Esta vez, por fin vas a morir!
¡Ah, qué placer celestial es para mí
inmolar a quien detesto,
con la suave espada de la ley!           (bis)

(a los eunucos)

¿Han encontrado a Calpigi?
 
UN EUNUCO
Señor, están siguiendo su rastro.
 
ATAR
El que lo encuentre ocupará su puesto.
 
(los eunucos salen)
 
Escena Segunda

(Entra Arthenée seguido por dos filas de
sacerdotes. Una fila, vestida de blanco,
está encabezada por una bandera blanca,
en la que están escritas, con letras de oro,
las palabras: “La vida”. La otra fila, vestida
de negro, la encabeza una bandera negra en la
que están escritas, en letras de plata, las palabras:
“La Muerte”)

 
ARTHENEE
(se adelanta y dice sombríamente)
¿Qué desea el rey de Ormuz?
¿Qué nueva desgracia te fuerza
a arrebatar a un padre de su dolor?
 
ATAR
¡Ah! Si la esperanza de una pronta venganza
puede calmarte, te prometo que así será.
En mi serrallo han sorprendido
al terrible asesino de tu hijo.
Tengo a la víctima encadenada
y deseo que tú mismo
seas quien lo condene.
Di una palabra, la muerte lo espera.
 
ARTHENEE
¡Atar, cuando lo atraparon,
sin dilación alguna
debieron apuñalar al traidor:
¡Tiemblo que sea demasiado tarde!
Cada instante, el más mínimo retraso,
podría hacerte caer en la trampa.
 
ATAR
¿Qué demonio o qué dios lo protege?
¡Todo esto me confunde!
 
ARTHENEE
Su demonio es un alma fuerte,
un corazón sensible y generoso,
que todo lo invade y nada lo irrita.
¡Un hombre así es muy peligroso!
 
Escena Tercera
 
(Atar, Arthénée, Tararé encadenado,
soldados, esclavos, séquito y sacerdotes)
 

ATAR
¡Aproxímate, infeliz!
Ven a sufrir las torturas que
por tu imperdonable crimen
te impone mi justicia.
 
TARARÉ
¡Sea justa o no, exijo la muerte!
Violé la morada de tus placeres
sin encontrar a la destinataria de mi inútil audacia
¡Astasia!... ¡Oh, el astuto Altamort!
La raptó de mi casa de campo
sin traérsela a su señor.
Traicionó todo, honor, deber...
bien que pagó su doble perfidia.
Pero... tu Irza no es mi Astasia.
 
ATAR
(furioso)
¿Que no está en mi poder?
           
(a los eunucos)

¡Traed a Irza!
Si tu boca miente,
la apuñalaré ante ti.
 
TARARÉ
Verla morir no me importa,
pues te castigas a ti mismo, no a mí.
 
ATAR
A su muerte seguirá la tuya...
 
TARARÉ
(altivo)
Yo sólo puedo morir una vez.
Desde que estoy bajo tus leyes,
Atar, te entregué mi vida.
Ella le pertenece por completo a mi rey:
En lugar de perderla por ti,
es por tu causa que me es arrebatada.
He cumplido con mi destino, ejecuta tu decisión.
Sólo puedo morir una vez.
¡Ruega a dios que algún día tu pueblo te perdone!
 
ATAR
¿Una amenaza?
 
TARARÉ
¿Te sorprende?
¡Rey feroz! ¿Acaso piensas 
que la corona te da impunidad
frente al crimen?
¡Tu furor no puedes contener
pero deseas no ser odiado!
Tiembla ante tus propias órdenes...
 
ATAR
¿Qué he de temer?
 
TARARÉ
Que serás obedecido hasta el momento
en que la suma espantosa de tus crímenes
desate la ira del pueblo...
Tú lo puedes todo contra un solo hombre,
pero no puedes nada contra todos.
 
ATAR
¡Rodeadlo!
 
(Los esclavos lo rodean. Tararé se sienta
en el tronco, al pie de la pira, con la cabeza
apoyada en las manos)
 
Escena Cuarta
 
(Astasia velada; Atar, Arthénée, Tararé,
Spinette, esclavos de ambos sexos, soldados)
 

ATAR
(a Astasia)
¿Así que abusando de tus encantos,
falsa Irza, con lágrimas fingidas,
esperabas engañarme?
Antes de proceder a la ejecución
pretendo saber cómo fui engañado...
 
SPINETTE
Una esclava fiel ¡ay! ocupó su lugar
causado inocentemente desorden y error.
 
TARARÉ
(aparte, con la cabeza entre las manos)
¡Ah, esa voz me horroriza!
 
ATAR
Entonces ¿es cierto el funesto reemplazo?
Yo te amaba con el nombre de Irza...

(a Astasia)

¡Vete, desgraciada!
Detesto mi indigna pasión por ti.
¡Junto con él, te entrego al rigor de las leyes!

(al sumo sacerdote)

¡Pontífice decide el destino de ambos!
 
ARTHENEE
Han sido juzgados.
Izad el estandarte de la muerte.
El hilo de sus vidas criminales se ha cortado.
 
(El sumo sacerdote rasga la bandera de la
vida y eleva la de la muerte. Se oye el
sonido de ocultos instrumentos funerarios)

(Astasia cae de rodillas y ora durante el canto
del coro. El sumo sacerdote toma el libro de
las sentencias, cubierto con un crespón, y
firma la orden de ejecución. Dos niños de

luto lo acompañan con una antorcha.
Cuatro sacerdotes de luto le presentan dos
grandes vasijas llenas de agua consagrada.
Apaga las antorchas en las vasijas y las vuelca.
Mientras tanto, los sacerdotes de la vida
se retiran en silencio. La bandera de la vida,

rasgada, va detrás. Se oyen tres tañidos de
una campana fúnebre)
 
CORO FÚNEBRE
Con tus infinitos decretos,
¡gran dios! si tu bondad lo permite,
abre a estos culpables 
el seno de tu misericordia.
 
ARTHENEE
(orando)
¡Brahma! En esta hoguera,
unidos en la muerte, ascenderemos al cielo.
¡Que de allí no seamos expulsados!
 
CORO FÚNEBRE
Con tus infinitos decretos, etc.
 
(Astasia se levanta y camina hacia la pira,
donde Tararé está transido por el dolor)

 
ASTASIA
(a Tararé)
No me imputes, extranjero, tu muerte,
pues la voy a compartir.
 
TARARÉ
(Se levanta con apasionamiento)
¿Qué oigo? ¡Astasia!
 
ASTASIA
¡Ah, Tararé!
 
(Se lanzan el uno en brazos del otro)
 
ARTHENEE
(al Rey)
Te lo había predicho.
 
ATAR
(furioso)
¡Que los separen!
¡Que de un solo golpe mueran los dos!

(los soldados avanzan)

No... demasiado pronto serían rotas sus cadenas.
Morirían felices.
¡Ah! Me siento alterado por sus penas
y deseo verlos sufrir.
 
ASTASIA
(con desprecio, al rey)
¡Oh, tigre! Mi desprecio
ha borrado tus esperanzas,
A pesar tuyo,
disfruto de un momento de felicidad.
Desafié tu apetito voraz
y al rugido de tu corazón.
Como premio a tu vil proceder, mira, Atar,
¡lo amo a él y mi corazón a te desprecia!
 
(besa a Tararé)
 
ATAR
(enérgicamente, a los soldados)
¡Arrancadla de sus brazos!
¡Que él muera y que ella viva!
 
ASTASIA
(Saca un cuchillo y lo apoya contra su pecho)
Si alguien se acerca a él,
estaré muerta antes de que logre tocarlo.
 
ATAR
(a los soldados)
¡Deteneos!
 
ASTASIA, TARARÉ, ATAR
La muerte se retrasa
todavía un minuto,
y nuestro fiel amor
no estará ya a merced
de los ataques de un siniestro sultán.
 
(los soldados hacen un movimiento)
 
ATAR
(grita)
¡Deteneos!
 
ASTASIA
(para sí)
Me inmolaré en el instante
en que se ejecute su sentencia.

(a Tararé)

Sobre tu corazón palpitante,
me sentirás caer,
y morirás feliz.
 
ATAR
¡Oh, tormento terrible!
Soy yo, soy yo el que sufre
mientras que su corazón está contento.
 
ASTASIA
Sobre tu corazón palpitante,
me sentirás caer,
y morirás feliz.
 
TARARÉ
Sobre mi corazón palpitante,
te sentiré caer,
y moriré dichoso.
 
Escena Quinta
 
(Una multitud de esclavos de ambos sexos corren
aterrados arrojándose de rodillas ante Atar)

 
ESCLAVOS
(aterrados)
¡Atar, defiéndenos, sálvanos!
¡La guardia de palacio fue dominada
y la puerta del serrallo ha sido abatida!
Te lo pedimos de rodillas.
Tus soldados enfurecidos reclaman a Tararé.
 
Escena Sexta
 
(Caplpigi y Urson entran al frente
de los soldados armados. Los sacerdotes
de La Muerte se retiran)

SOLDADOS
(furiosos, destruyen la pira)
¡Tararé! ¡Tararé! ¡Tararé!
¡Devuélvenos a nuestro general!
Se dice que su muerte, está dispuesta.
¡Ah, castigaremos a quien
intente hacerle algún mal
!
 
(avanzan sobre Atar)
 
TARARÉ
(encadenado, aparta a los esclavos)
¡Soldados, deteneos! ¡Deteneos!
¿Qué orden os ha traído hasta aquí?
¡Oh, victoria abominable!
¡Me salváis la vida manchando mi gloria!
¿Acaso un grupo de rebeldes amotinados
debe conducir los destinos del estado?
¿Acaso podéis juzgar a vuestros señores?
¿Es que sólo hay traidores entre vosotros?
Soldados que intentáis usurpar el poder,
¿habéis olvidados que respetar a los reyes
es el primero de vuestros deberes?
¡Deponed las armas, rebeldes,
o el emperador os aplastará!

(Todos se ponen de rodillas.
Él mismo lo hace y dice al rey:)


Señor, ellos se someten;
pido el perdón para ellos.
 
ATAR
(fuera de sí)
¡Qué! ¿Es que siempre debe estar
este fantasma entre mi pueblo y yo?

(a los soldados)

Defensores del serrallo, ¿todavía soy vuestro rey?
 
UN EUNUCO
¡Sí!
 
CALPIGI
(lo amenaza con la espada)
¡No!
 
TODOS LOS SOLDADOS
(se levantan)
¡No!
 
TODO EL PUEBLO
¡No!
 
CALPIGI
(señalando a Tararé)
¡Él es nuestro señor!
 
TARARÉ
¡Jamás!
 
SOLDADOS
¡Sí, eres tú!
 
EL PUEBLO
¡Eres tú!
 
ATAR
(con desesperación, a Tararé)
¡Monstruo!...
Los has comprado...
¡Así pues, reina en mi lugar!
 
(se apuñala y cae moribundo)
 

TARARÉ
(con dolor)
¡Ah, desdichado!
 
ATAR
(Se levanta agonizante)
La muerte es para mí un mal menor...
La prefiero antes que reinar sobre ti...
sobre este pueblo odioso.
 
(cae muerto en los brazos de los eunucos
que se lo llevan. Urson los sigue)

 
Escena Sétima
 
(Los anteriores excepto Atar y Urson)
 
CALPIGI
(gritando al pueblo:)
¡Una sola palabra
reparará todos los males del reino!
 
(indica el trono a Tararé)
 
TARARÉ
(con energía)
¡Y yo no lo acepto!
 
CORO GENERAL
(Exaltado)
¡Una sola palabra
reparará todos los males del reino!
 
(dejan el trono a Tararé)
 
TARARÉ
(con dignidad)
El trono no tiene ningún atractivo para mí.
No he nacido para ser vuestro señor.
Querer ser lo que no se es,
es renunciar a todo lo que se puede ser.
Os serviré con mis brazos,
pero dejadme terminar mis días en paz
y vivir retirado con Astasia.
 
(abre los brazos y ella lo abraza)
 
Escena Octava

(Urson entra llevando en
su mano la corona de Atar)
 
URSON
(tomando la cadena que apresa a Tararé)
No, por intermedio de mis manos
el pueblo te hace su noble prisionero.
Todos queremos que lleves las riendas del estado.
Si rechazas nuestra confianza,
usaremos estas cadenas
para coronarte aún en contra tu voluntad.

(al sumo sacerdote)

Pontífice, a este gran hombre Atar le legó el Asia.
Consagra lo único bueno que hizo en su vida.
Toma la diadema y repara la ofensa.
¡Que la corona real repose en su frente!
 
ARTHENEE
(tomando la corona de manos de Urson)
¡Tararé, debes ceder!
 
EL PUEBLO
(gritando)
¡Tararé, debes ceder!
 
ARTHENEE
¡El deseo del pueblo es ley suprema!
 
EL PUEBLO
¡Nuestros deseos son la ley suprema!
 
ARTHENEE
¡Sé el rey de Ormuz!
 
EL PUEBLO
¡Sí, sé el rey de Ormuz!
 
ARTHENEE
(Le pone la corona sobre la
cabeza se oye sonar una fanfarria)
¡Es la voluntad de los dioses supremos!
 
(sale)
 
Escena Novena

(Todos los anteriores, excepto el sumo sacerdote.
Calpigi y Urson y se lanzan de rodillas a los pies
de Tararé y en esa posición le quitan las cadenas)
 
TARARÉ
(mientras lo desencadenan)
Hijos, puesto que me obligáis,
guardaré estas cadenas
ellas serán para siempre mi cinturón real.
Será el más preciado de todos mis ornamentos.
¡Que ellas garanticen a las futuras generaciones que,
si acepté el título de rey,
fue para encadenarme al estado!
 
(envuelve su cuerpo con las cadenas)
 
CORO
(con delirante entusiasmo)
¡Cuánta dicha colma nuestros corazones!
¡Larga vida a nuestro gran rey Tararé!
¡Tararé, Tararé, Tararé!
¡A la bella Astasia y a Tararé!
¡Tenemos el mejor de todos los reyes!
¡Juramos morir bajo sus leyes!           (bis)
 
URSON
¡Que los terrible europeos
huyan
hacia sus estados!
¡Celebremos a Tararé,
y corramos a la batalla!
 
(Los soldados y el pueblo acompañan a Tararé
y a Astasia hasta la tarima donde estuvo
sentado Atar durante la oración pública.
Todos bailan gozosos. Urson y Calpigi,

rodeados del pueblo, cantan lo siguiente)
 
URSON, CALPIGI
Rey, nosotros ponemos la libertad
a los pies de tu virtud suprema.
Reina, este pueblo te ama
por tu respeto a la ley y a la equidad.
 
DOS MUJERES
Y tú, Reina, esposa sensible
que conociste la adversidad,
suaviza con austeridad
la inflexibilidad del deber.
Mantén su gran corazón abierto
a los suspiros de sus súbditos.
 
CORO
Rey, nosotros ponemos la libertad
a los pies de tu virtud suprema.
Reina, este pueblo te ama
por tu respeto a la ley y a la equidad.
 
(Todos los presentes danzan. En medio
de la celebración se oye un trueno y la
escena se cubre de nubes. Vemos aparecer
en el cielo, en el carro del sol, a la Naturaleza
y al Genio del fuego)

 
Escena Décima
 
GENIO DEL FUEGO
Naturaleza,
¡qué ejemplo tan impresionante y funesto!
¡El soldado sube al trono y el tirano muere!
 
LA NATURALEZA
Los dioses dieron el primer paso,
su carácter ha hecho el resto.
 
GENIO DEL FUEGO
Con generosidad, grabamos
con trazo indeleble los principios ejemplares
en el corazón de los hombres.
 
(se oye un nuevo trueno y las nubes se levantan.
Se ve en el fondo de la escena a todo el

pueblo arrodillado con el rey a la cabeza)
 
CORO
(muy lejano)
De este gran bullicio, de este resplandor,
¡oh, cielo! explícanos el misterio.
 
NATURALEZA, GENIO DEL FUEGO
(Majestuosamente)
Mortal, seas quien fueres,
príncipe, brahmán, o soldado,
¡hombre! tu grandeza sobre la tierra
no la determina tu rango,
sino tu carácter.
 
(A medida que la Naturaleza y el Genio del Fuego
pronuncian los versos precedentes, van apareciendo
caracteres de fuego entre las nubes. Las trompetas
resuenan; los truenos vuelven a oírse y las nubes
los cubren hasta hacerlos desaparecer)


 
Digitalizado y traducido por:
José Luis Roviaro 2019