ACTE
I
Premier
tableau
La
Croix
(Une
route. Au milieu et au fond de la scène: un
escalier.
À droite et à gauche de l’escalier, deux
haies
de grands cyprès, fournis, fuselés, vert sombre.
L’escalier
a de nombreuses marches et monte très
haut.
Tout en haut de l’escalier, une grande Croix
noire
se découpe sur le ciel bleu. Entrent, sur la route,
à
droite, Saint François et Frère Léon. Ils marchent
l’un
derrière l’autre, Frère Léon devant, Saint
François
un peu en arrière, à la façon des Frères
Mineurs.
Tous les deux ont le capuchon sur la tête)
FRÈRE
LEON
J’ai
peur, j’ai peur, j’ai peur sur la route,
quand
s’agrandissent et s’obscurcissent
les
fenêtres, quand ne rougissent plus
les
feuilles du Poinsettia.
SAINT
FRANÇOIS
(s’arrête)
Ô
terre!... Ô ciel!... Frère Léon?
FRÈRE
LEON
(s’arrête
et se retourne)
Mon
Père?
SAINT
FRANÇOIS
Même
si le Frère Mineur rendait la
vue
aux aveugles, l’ouïe aux sourds,
la
parole aux muets: sache que tout
cela
n’est pas la joie, la joie parfaite.
(Frère
Léon et Saint François marchent
à nouveau.)
FRÈRE
LEON
J’ai
peur, j’ai peur, j’ai peur sur la route,
quand
elle va mourir, quand elle n’a plus
de
parfum, la fleur de Tiaré. Voila!
l’invisible,
l’invisible se voit...
SAINT
FRANÇOIS
(s’arrête)
Ô
terre!... Ô ciel!... Ô Croix!...
Frère
Léon?
FRÈRE
LEON
(s’arrête
et se retourne)
Mon
Père? Mon Père?
SAINT
FRANÇOIS
Même
si le Frère Mineur possédait toutes
les
sciences, et pouvait prophétiser en
révélant
les choses futures et les secrets
des
choeurs: sache, et retiens bien, que
tout
cela n’est pas la joie, la joie parfaite.
(Frère
Léon et Saint François marchent
à nouveau.)
FRÈRE
LEON
J’ai
peur, j’ai peur, j’ai peur sur la route,
quand
s’agrandissent et s’obscurcissent les
fenêtres...
SAINT
FRANÇOIS
(il
s’arrête)
Ô
Croix!... Ô chose impossible!...
Mais si
je
m’appuie sur toi, puissance,
arbre
sacré... Frère Léon?
FRÈRE
LEON
(s’arrête
et se retourne)
Mon
Père?
SAINT
FRANÇOIS
Même
si le Frère Mineur connaissait
les
langues
des Anges, le cours des astres,
les
vertus des oiseaux et des poissons,
des
arbres et des pierres, des racines
et
des
eaux, même s’il prêchait jusqu’à
convertir
tous les hommes, donnant en
tous
temps et lieux l’exemple de la plus
grande
sainteté: sache encore que tout
cela
n’est pas la joie, la joie, la joie parfaite.
(Frère
Léon et Saint François font
quelques pas.)
FRÈRE
LEON
(s’arrête
tout à fait, et
ôte son capuchon)
Père,
c’est la troisième fois que
tu
m’arrêtes,
pour dresser une liste
des
plus
hauts sommets de la force,
de
l’intelligence,
de la vertu...
et toujours tu ajoutes:
‘Non! tout cela n’est pas la joie, la
joie parfaite.’
Dis-moi donc, Père, je te prie...
où est la joie parfaite?
SAINT
FRANÇOIS
Frère
Léon, petite brebis, écoute bien ce
que
je vais te dire.
(Saint
François ôte aussi son capuchon. Frère
Léon et lui s’asseyent sur les dernières
marches
au bas de l’escalier.)
S’il
se met à pleuvoir, et que, trempés de pluie,
souillés de boue, tourmentés par la faim,
nous arrivons après une tres longue marche,
à la porte du couvent,
et que le
portier
ne nous reconnaisse pas,
et
refuse
de nous ouvrir –
si nous insistons
et
frappons à la porte,
et que le portier
nous
injurie en disant:
‘Allez vous en!
vauriens!
misérables voleurs!’
Si,
contraints
par la faim, l’orage, la nuit,
nous
frappons encore à la porte, et que
le
portier, exaspéré, sorte avec un grand
bâton,
nous lance par terre, et nous roue de coups...
Si
nous supportons ces choses,
patiemment,
avec allégresse, en pensant
aux souffrances
du Christ béni: voilà
la joie, la joie parfaite.
Car, audessus de
toutes les grâces
et dons de l’Esprit
Saint,
que le Christ accorde à ses
amis,
il y a le pouvoir de se vaincre soimême,
et
de supporter volontiers,
pour
l’amour
du Christ, les peines, les injures,
les
opprobres, les incommodités.
De
tous les autres dons de Dieu,
nous ne
pouvons
pas nous glorifier,
puisqu’ils ne
viennent
pas de nous, mais de Lui.
De la
croix,
de la tribulation, de l’affliction,
nous
pouvons
nous glorifier, car cela nous appartient.
Cest pourquoi l’Apôtre dit:
‘Je
ne me glorifierai pas, si ce n’est dans
la
Croix de Notre Seigneur Jésus Christ.’
(Saint
François et Frère Léon remettent leur
capuchon. Ils sortent vers la gauche,
en silence.
Frère Léon
marche devant,
Saint François le suit,
un peu en
arrière. Peu à peu, la lumière se concentre
sur la grande Croix noire, en
haut
de l’escalier.
La
Croix est maintenant en pleine lumière.
Dans
la scène vide, on ne voit plus
qu’elle. Le choeur, sur
la scène, mais
invisible, chante le texte sacré.)
CHOEUR
Celui
qui veut marcher sur mes pas,
qu’il
renonce
à lui-même, qu’il prenne sa croix,
et
qu’il me suive.
Deuxième
tableau
Les
Laudes
(Intérieur
d’une petite église de cloître, assez
sombre, avec trois voûtes successives. Au
fond,
et au milieu de la scène,
une
lampe rouge allumée
devant un petit
autel
indique la présence du Saint
Sacrement.
Au lever du rideau: Saint François
et
les trois Frères (Sylvestre,
Rufin,
Bernard) sont à
genoux, en prière.
Saint
François à droite, les trois
Frères à
gauche,
lui faisant face. A droite et à gauche
de la scène: le Choeur (formes
noires indistinctes)
SAINT
FRANÇOIS
Loué
sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent,
pour l’air et les nuages, le ciel pur,
le
ciel pur et tous les temps!
Loué sois tu,
Seigneur!
TROIS
FRÈRES
(Sylvestre, Rufin, Bernard)
Vous
êtes digne, Seigneur Notre Dieu...
CHOEUR
...
de recevoir louange et
gloire,
honneur et bénédiction.
TROIS
FRÈRES
Digne
est l’Agneau, l’Agneau immolé...
CHOEUR
...
de recevoir force et divinité, sagesse
et
puissance, honneur, gloire, et bénédiction.
SAINT
FRANÇOIS
Loué
sois-tu, mon Seigneur, pour soeur eau,
elle est très utile et humble, précieuse
et
chaste! Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour
frère Feu, pour frère Feu par qui tu
éclaires
la nuit! Il est beau, joyeux,
robuste
et fort! Loué sois-tu, Seigneur!
TROIS
FRÈRES
Bénissez
le Seigneur,
toutes les oeuvres du
Seigneur.
CHOEUR
Qu’il
soit loué par le ciel et la terre,
et
toute créature du ciel et de la terre.
TROIS
FRÈRES
Bénissons
le Père, le Fils, et le Saint Esprit.
CHOEUR
Louons-le,
et surexaltons-le à jamais,
maintenant
et dans les siècles des siècles!
SAINT
FRANÇOIS
Loué
sois-tu, mon Seigneur,
pour soeur
notre
mère la Terre, qui nous soutient
et
nous
nourrit, et produit tous les fruits,
et
les fleurs, les fleurs aux mille couleurs,
les
fleurs et l’herbe! Loué sois-tu,
loué
sois-tu,
Seigneur!
(Saint
François et les trois Frères se
lèvent.)
CHOEUR
Saint!
Saint! Saint! Le Seigneur Dieu!
qui
est, et qui était, et qui vient!
(Les
trois Frères et le Choeur sortent lentement.)
CHOEUR
Loué
soit Dieu!
(Les
trois Frères et le Choeurs’éloignent.)
Loué
soit Dieu! Et loué soit Dieu!
(Les
trois Frères et le Choeur sont sortis.
Saint
François reste seul.)
SAINT
FRANÇOIS
Ô
Toi! Toi qui as fait le Temps!
le Temps
et
l’Espace, la lumière et la couleur,
le
papillon
parfumé, la goutte d’eau claire,
et
la chanson du vent
qui change de ton
dans
chaque arbre!
Tu
as permis aussi l’existence de la laideur:
que le crapaud pustuleux,
le champignon
empoisonneur,
voisinent
avec
la libellule et l’oiseau bleu...
Tu
sais combien j’ai peur,
combien j’ai
horreur
des lépreux,
de
leur face rongée,
de
leur odeur horrible et fade! Seigneur!
Seigneur!
fais-moi rencontrer un lépreux...
rends-moi
capable de l’aimer...
Troisième
tableau
Le
baiser au Lépreux
(Près
d’Assise, à l’hôpital Saint Sauveur des
Murs.
Une salle basse dans la
léproserie.
Un banc, deux
escabeaux.
Au
fond de la scène, à droite, une fenêtre
ouverte sur une ruelle sombre.
Le
Choeur est sur
scène, quasiment
invisible.
Au lever du rideau, le
Lépreux
est
assis, tout seul)
LE
LEPREUX
Comment
peut-on vivre une telle vie?
Tous
ces frères qui veulent me rendre service...
S’ils enduraient ce que j’endure,
s’ils
souffraient ce que je souffre!
Ha!...
Ha!... peut-être se révolteraient-ils à
leur tour...
(Entre
Saint François; Saint François
recule,
il recule une seconde fois, s’approche.)
SAINT
FRANÇOIS
Dieu
te donne la paix, frère bien-aimé!
(s’assied
à côté du Lépreux)
LE
LEPREUX
Quelle
paix puis-je avoir de Dieu,
qui
m’a enlevé tout bien,
m’a
rendu tout pourri, et fétid?
SAINT
FRANÇOIS
Les
infirmités du corps nous sont données
pour le salut de notre âme.
Comment
comprendre la Croix,
si on
n’en
a pas porté un petit morceau?
LE
LEPREUX
J’en
ai assez! assez! et plus qu’assez!
Les
frères que tu as mis à mon service,
ils
me soignent mal! Au lieu de me soulager,
ils m’infligent leurs horribles bavardages,
leurs remèdes inutiles!
SAINT
FRANÇOIS
Et
que fais-tu, ami, que fais-tu de la vertu,
la vertu de patience?
LE
LEPREUX
Mais
ce sont eux qui m’agacent,
me
bousculent
dans tous les sens...
et
la démangeaison de mes pustules
me
rend fou...
SAINT
FRANÇOIS
Offre
ton mal en pénitence, mon fils.
LE
LEPREUX
La
pénitence! la pénitence!
Enlève-moi d’abord
mes pustules,
et après, après je
ferai
pénitence!
Et puis, tes frères, je sais
bien
que je les dégoûte:
quand ils me
voient,
ils ne retiennent même pas
leur
envie
de vomir...
SAINT
FRANÇOIS
Pauvres
frères, ils font tout ce qu’ils peuvent...
LE
LEPREUX
Autrefois,
j’étais jeune, et fort!
Maintenant,
je suis comme une feuille frappée
de mildiou: tout jaune, avec des taches
noires...
SAINT
FRANÇOIS
Si
l’homme intérieur est beau,
il
apparaîtra
glorieux à l’heure de la résurrection.
(L’Ange
apparaît derrière la fenêtre, dans
le noir
de la ruelle. Un éclairage irréel
permet aux
spectateurs de distinguer
en partie son visage,
son costume
et ses ailes. Il n’est visible que
pour
les spectateurs, Saint François et
le Lépreux lui
tournent le dos.)
L’ANGE
Lépreux,
lépreux, lépreux,
ton coeur t’accuse,
ton coeur.
LE
LEPREUX
D’ou
vient cette voix?
SAINT
FRANÇOIS
Écoute!...
L’ANGE
Mais
Dieu, mais Dieu, mais Dieu est plus grand,
plus grand que ton coeur.
LE
LEPREUX
Qui
est-ce qui chante ainsi?
SAINT
FRANÇOIS
C’est
peut-être un Ange envoyé du ciel
pour
te réconforter...
L’ANGE
Il
est Amour, il est Amour, il est plus grand,
plus
grand que ton coeur, il connaît tout.
LE
LEPREUX
Que
dit-il? Je ne comprends pas...
SAINT
FRANÇOIS
Il
dit: "Ton coeur t’accuse,
mais Dieu est
plus
grand que ton coeur."
L’
ANGE
Mais
Dieu, mais Dieu, mais Dieu est tout Amour,
et qui demeure dans l’Amour,
demeure
en-Dieu, et Dieu en lui.
(disparaît)
LE
LEPREUX
Pardonne-moi,
Père: je recrimine toujours...
Tes frères m’appellent: le Lépreux!
SAINT
FRANÇOIS
Où
se trouve la tristesse, que je chante la joie!
LE
LEPREUX
Je
sais bien que je suis horrible,
et je me dégoûte
moi-même...
SAINT
FRANÇOIS
Où
se trouve l’erreur, que j’ouvre la Vérité!
LE
LEPREUX
Mais
toi, tu es bon! Tu m’appelles:
mon
ami,
mon frère, mon fils.
SAINT
FRANÇOIS
Où
se trouvent les ténèbres,
que j’apporte
la lumière!
Pardonne-moi,
mon fils:
je ne t’ai pas assez
aimé...
(embrasse
le Lépreux. Saint
François s’écarte.
Le
Lépreux se tient debout, guéri, les bras levés,
complètement transformé.)
LE
LEPREUX
Miracle!
Miracle! Miracle!
Regarde,
Père, regarde: les taches ont
disparu
de ma peau!
Je suis
guéri!...
(Il
saute et danse comme un fou. Le
Lépreux a fini
de danser; il revient s’asseoir
près de Saint François)
Père,
Père,
j’ai tellement protesté contre mes
souffrances,
j’ai tellement injurié les
frères qui me soignaient...
SAINT
FRANÇOIS
Tu
étais la pyramide renversée...
renversée
sur sa pointe...
Mais
Dieu t’attendait, de l’autre côté de
l’erreur...
LE
LEPREUX
Je
ne suis pas digne d’être guéri...
(prend
sa tête dans ses mains, pleure)
SAINT
FRANÇOIS
Ne
pleure pas si fort, mon fils!
Moi non plus,
je ne suis pas digne d’être guéri...
(Ils
prient tous les deux, en silence. Peu
à peu, la nuit
est tombée sur les deux
personnages. Le
Choeur est
maintenant visible, tout autour
de la scène.)
CHOEUR
À
ceux qui ont beaucoup aimé: tout est pardonné!
ACTE
II
Quatrième
tableau
L’Ange
voyageur
(Le
mont de la Verna. À
gauche: petite salle tres
simple dans le couvent, elle est fermée par
une
grande porte. Au
milieu: un chemin dans la forêt.
Des
hêtres, des pins, quelques rochers crevassés,
fond de montagnes
bleutées. À
droite: une petite
grotte. La porte de la salle conventuelle est
ouverte.
Frère
Massée se tient sur le pas de la porte. Entre
Frère Léon. Il vient de droite, par le chemin en forêt,
portant une
bêche et une planche de bois. Il se dirige
vers la salle conventuelle
en chantant)
FRÈRE
LEON
J’ai
peur, j’ai peur, j’ai peur sur la route,
quand
s’agrandissent et s’obscurcissent les
fenêtres,
quand ne rougissent plus
les
feuilles du Poinsettia.
Ho!
Frère Massée!
Je vais essayer d’établir
des
marches
et un petit pont, entre les
rochers.
Veux-tu t’occuper de la porte?
FRÈRE
MASSEE
Oui,
Frère Léon, je serai portier pour aujourd’hui.
(Frère
Léon repart, portant sa bêche et
sa planche
de bois. Il sort vers la droite,
en chantant.)
FRÈRE
LEON
J’ai
peur, j’ai peur, j’ai peur sur la route,
quand
elle va mourir, quand elle n’a plus de
parfum,
la fleur de Tiaré.
Voilà!
l’invisible, l’invisible se voit...
(s’éloigne)
FRÈRE
MASSEE
Notre
Père François est là-bas dans sa grotte.
J’aimerais lui parler plus souvent.
Mais
je n’ose pas le déranger
pendant ses
heures d’oraison...
(rentre
dans la salle conventuelle, ferme la
porte,
et sort à
gauche. La
scène reste vide un instant.
L’Ange
apparaît sur le chemin, à droite. Seuls,
les
spectateurs reconnaîtront l’Ange.
Les acteurs le
prennent pour un voyageur. L’Ange
reste immobile.
L’Ange
fait quelques pas, tres lentement. L’Ange
évolue sur le chemin, en ayant l’air
de danser sans
toucher
terre. L’Ange
est arrivé devant la salle
conventuelle. Il
frappe à la porte tres doucement
et
cela fait un bruit terrible. Frère
Massée paraît à
gauche dans la salle
conventuelle)
FRÈRE
MASSEE
Qui
peut frapper de la sorte?
(va
à la porte et l’ouvre)
D’où
viens-tu, mon fils?
Tu n’es sûrement
pas
d’ici
pour frapper aux portes d’une façon
si étrange!
(L’Ange
entre dans la salle conventuelle.)
L’ANGE
(avec
suavité)
Comment,
comment faut-il frapper?
FRÈRE
MASSEE
Frappe
trois coups, lentement,
pas trop fort.
Puis tu attends un moment,
le
temps de dire un Pater noster,
jusqu’à
ce que le portier vienne à toi.
S’il n’est pas
venu, tu peux frapper une autre fois.
L’ANGE
Je
viens de loin, j’ai à faire un long voyage.
Je voulais parler à ton Père François,
mais il ne faut pas le distraire de
sa contemplation.
En attendant, puis-je
poser une question à Frère Élie?
FRÈRE
MASSEE
Prends
patience quelques minutes,
Je
vais le chercher...
(sort,
et revient au bout d’un instant avec
Frère Élie)
FRÈRE
ÉLIE
(agité,
et de tres méchante humeur)
Pourquoi
me dérange-t-on sans cesse?
Je
suis Vicaire de l’Ordre: je dois établir des
plans,
rédiger des textes.
Comment travailler
dans des conditions pareilles?
L’ANGE
Tu
sembles en colère, Frère Élie...
La
colère trouble l’esprit, elle obscurcit le discernement,
elle obscurcit le discernement
de la Vérité.
FRÈRE
ÉLIE
Laisse
la Vérité tranquille!
Ne t’occupe pas
de mon esprit,
et dis-moi vite ce que tu
veux!
L’ANGE
Que
penses-tu de la Prédestination?
As-tu
rejeté le vieil homme?
Pour
revêtir l’homme nouveau,
et trouver ton vrai visage:
prévu par Dieu dans la justice,
dans
la justice et la sainteté, la sainteté,
la
sainteté de la Vérité.
(Frère
Élie est abasourdi.)
FRÈRE
ÉLIE
Mais,
il me fait un sermon, ma parole...
En
voilà un galimatias!
et c’est pour me dire
cela que tu
as interrompu mon travail?
Va ton chemin, jeune prétentieux!
je
refuse de te répondre!
(Furieux,
il pousse l’Ange dehors, ferme la
porte, et quitte la scène à gauche. Frère
Massée est consterné.)
FRÈRE
MASSEE
Ha!
de tout ceci, que dirait notre Père,
notre
Père François?
(sort
à gauche. L’Ange,
qui était resté sur
le chemin, frappe
de nouveau à la porte.
Il
frappe très doucement et cela fait un
bruit
terrible. Entendant
frapper, Frère Massée est
revenu
dans la salle conventuelle.)
Mais,
il frappe encore!
(va
à la porte et l’ouvre)
Rebonjour,
mon fils!
Tu
n’as guère tenu compte de ma Verleçon
sur la manière de frapper.
(L’Ange
entre dans la salle conventuelle.)
L’ANGE
(avec
suavité)
Frère
Élie n’a pas voulu me répondre,
Frère
Bernard me répondra.
Puis-je poser
une question à Frère Bernard?
FRÈRE
MASSEE
Prends
patience quelques minutes,
je
vais le chercher...
(sort,
et revient au bout d’un
instant avec
Frère Bernard)
L’ANGE
Dieu
te donne sa paix, ô bon Frère!
FRÈRE
BERNARD
(calme,
serein)
Que
veux-tu, voyageur?
L’ANGE
J’ai
posé une question à Frère Élie:
il
n’a rien voulu me dire.
Peut-être sauras-tu
la réponse?
Que penses-tu de la
Prédestination?
As-tu rejeté le vieil homme?
pour
revêtir l’homme nouveau,
et
trouver ton vrai visage:
prévu par Dieu dans
la justice,
la justice et la sainteté,
la
sainteté de la Vérité.
FRÈRE
BERNARD
J’ai
souvent pensé,
qu’après ma mort,
Notre
Seigneur Jésus Christ me regardera,
comme il a regardé la monnaie du
tribut, en disant:
‘De qui sont cette image
et cette inscription?’
Et,
s’il plaît à Dieu et à sa grâce,
je voudrais
pouvoir lui répondre:
‘De vous, de
vous’.
C’est pour cela que j’ai quitté le
monde
et que je suis ici...
L’ANGE
Tu
as bien répondu. Persévère dans cette voie.
FRÈRE
BERNARD
Puis-je
à mon tour te poser une question?
Quel
est ton nom?
L’ANGE
Je
viens de loin, pour parler à ton Père François.
Je n’ai pas voulu le distraire,
le distraire
de sa contemplation.
Je vais lui parler
maintenant,
lui parler mieux qu’avec
des mots.
Puis, je repartirai pour un
long,
un très long, très long voyage.
Ne
me demande pas mon nom,
ne me demande
pas mon nom:
il
est merveilleux! Ha!
(L’Ange
fait un petit geste de la
main: la
porte s’ouvre toute seule!)
(Pause)
(L’Ange
s’en va, sur le chemin, vers la droite,
comme il est venu, en ayant l’air de danser
sans
toucher terre. L’Ange
a disparu. Les deux Frères
sont
rentrés dans la salle conventuelle. Frère
Massée
ferme la porte. Les
deux Frères se regardent.)
FRÈRE
BERNARD
Frère
Massée?
FRÈRE
MASSEE
Frère
Bernard?
FRÈRE
BERNARD
C’était
peut-être un Ange...
Cinquième
Tableau
L’Ange
musicien
(Même
décor qu’au tableau precedent. Saint
François est à genoux, à droite de
la scène,
devant la grotte. À
l’arrivée de l’Ange, le Choeur
sera sur scène,
invisible)
SAINT
FRANÇOIS
Loué
sois-tu, mon Seigneur,
pour frère Soleil,
qui donne le jour,
et par qui tu nous
éclaires.
Il est beau, rayonnant avec grande
splendeur:
de Toi, Très-Haut, il est
le symbole.
Loué
sois-tu, mon Seigneur,
pour soeur Lune,
et pour les étoiles:
dans le ciel tu les
a créées claires,
précieuses et belles.
Loué
sois-tu, Seigneur!
‘Autre
est l’éclat du soleil,
autre l’éclat de la
lune, autre l’éclat des étoiles.
Et
méme une étoile diffère en éclat
d’une autre étoile.
Ainsi en va-t-il de la résurrection des
morts.’
Toutes
ces gloires dont parle l’Apôtre,
me
ravissent. Mais plus encore,
mais plus
encore la joie des bienheureux,
et l’infini
bonheur de la contemplation...
Ô
Dieu éternel, Père Tout-Puissant,
donne-moi
de goûter un peu de cet ineffable
festin,
oû, avec ton Fils et le Saint
Esprit,
tu es pour tes Saints la lumière,
la lumière véritable, le comble des
délices,
et la félicité parfaite!
Montre-moi
combien est grande l’abondance
de douceur que tu as réservée
à ceux qui te craignent...
(Cris
du faucon Crécerelle.)
Que
me veux-tu, Frère Gheppio, faucon Crécerelle?
Cher oiseau, sainte horloge qui
m’appelle à la prière,
ce n’est pas ton heure
de chanter...
(À
partir d’ici, le Choeur est sur scène, invisible.
L’Ange
apparaît sur le chemin, à gauche. Cris
du faucon Crécerelle.)
SAINT
FRANÇOIS
Mon
frère Gheppio m’appelle de nouveau...
Il m’annonce quelque
chose...
Ma
prière a peut-être été entendue?
L’ANGE
François!
François!
(L’Ange
est resplendissant de lumière. Il
tient une
viole dans sa main gauche et un archet courbe dans
sa main
droite. Il
évolue sur le chemin, en ayant l’air
de danser sans toucher
terre. L’Ange
est arrivé près
de Saint François. Celui-ci
l’a tout de suite reconnu.)
SAINT
FRANÇOIS
Pardonne
ma prière, bel
Ange de Dieu...
L’ANGE
Ah!
Dieu nous éblouit par excès de Vérité.
La musique nous porte à Dieu par défaut
de Vérité.
Tu
parles à Dieu en musique:
il va te répondre
en musique.
Connais
la joie des bienheureux par
suavité
de couleur et de melodie.
Et
que s’ouvrent pour toi les secrets,
les
secrets de la Gloire!
Entends
cette musique
qui suspend la vie aux
échelles du ciel,
entends la musique de
l’invisible...
(L’Ange
se prépare à jouer de la viole. Il
prélude
par quelques glissés. Toute
la lumière se concentre
sur l’Ange. L’Ange
tire et póusse l’archet sur la
viole: d’abord très lentement. La
viole se joue à
peu près comme un violon, ou
un alto, mais l’archet
est courbe. Ici,
les sons semblent venir de plusieurs
points
de l’horizon. La
forêt résonne. L’Ange
joue
tres joyeusement, et plus vite. Peu
à peu, la nuit
s’est installée. On
ne voit plus rien des ailes, du
costume, et
du visage de l’Ange. Seuls,
son bras
droit, l’archet courbe, sa main gauche, et la viole,
sont
restés éclairés. L’Ange
a disparu. Saint François
s’est
évanoui. Entre
Frère Léon, à gauche. Il
traverse
le chemin en chantant, et se dirige vers
la grotte, à
droite.)
FRÈRE
LEON
J’ai
peur, j’ai peur, j’ai peur sur la route,
quand
elle va mourir, quand elle n’a plus de
parfum,
la fleur de Tiaré.
Voilà! l’invisible,
l’in...
(s’arrête,
interdit, devant Saint François
étendu sans connaissance)
Hô!
Hô! Frère Massée! Frère Bernard!
(Frère
Bernard et Frère Massée paraissent
à gauche, dans la salle conventuelle.)
FRÈRE
BERNARD
Il
me semble entendre la voix de Frère Léon...
FRÈRE
MASSEE
Moi
aussi...
FRÈRE
BERNARD
Il
se passe quelque chose près
de notre Père François...
(Frère
Bernard, et Frère Massée sortent de
la salle
conventuelle et se dirigent rapidement
vers la grotte.)
FRÈRE
LEON
Frère
Massée, Frère Bernard,
venez! Venez!
(Les
trois Frères s’empressent autour de Saint
François. Ils
lui desserrent le cou, dénouent sa
corde-ceinture, et s’efforcent
de le ranimer.)
FRÈRE
MASSEE
Père
François!
FRÈRE
MASSEE FRERE LEON
Père
François!
LES
TROIS FRÈRES
Père
François! Père François!
SAINT
FRANÇOIS
(revient
à lui)
Mes
petites brebis, merci, merci, merci de vos
soins.
Je ne suis pas malade...
Seulement
terrassé, anéanti par cette musique,
par cette musique céleste.
Si
l’Ange avait joué de la viole un peu plus longtemps,
par intolérable douceur mon âme
aurait quitté mon corps...
(Les
trois Frères semblent regarder
quelque
chose dans le ciel.)
Sixième
tableau
Le
prêche aux oiseaux
(À
l’Ermitage des Carceri. Une
route ensoleillée
passe sur
un
petit pont, et se continue en balcon
sur
un petit gouffre. Montant
du petit gouffre et
tordant très haut
par
dessus le chemin ses grands
bras noirs
et
moussus: un immense chêne vert, dont
les feuilles minces en bouquets verts semblent
reluire
au soleil.
Au-dessus
de la scène, bouchant presque le
ciel bleu, les premières collines des Monts Subasio
et
San Rufino,
complètement recouvertes
d’un tapis
vert de chênes verts. Des
dessins de lumière et
d’ombre reproduisent
sur
une partie de la route les
branches
et
les feuilles du grand chêne vert. Entrent
Saint François et Frère Massée.
Ils
ont le capuchon
sur la
tête)
FRÈRE
MASSEE
Père,
te souviens-tu du jeune homme de
Sienne?
Depuis qu’il est entré dans l’Ordre,
nous entendons des ronronnements,
des
roucoulements...
SAINT
FRANÇOIS
C’est
une tourterelle,
notre soeur Tortora qui
l’a suivi ici.
FRÈRE
MASSEE
Une
tourterelle?...
Quel est ce petit oiseau
roux, là-bas, dans le buisson,
qui
circule si vite et chante si fort?
Qu’il
est drôle!
on le dirait porté par un
manche de poêle...
SAINT
FRANÇOIS
Ne
ris pas de notre frère,
notre frère Scricciolo,
le Troglodyte...
FRÈRE
MASSEE
Ce
matin, en sortant des Carceri,
sur la route
bordée d’oliviers et de cyprès,
j’ai
entendu un chant très doux,
une mélodie
rapide et délicate, un ruisseau fragile:
comme si l’on égrenait des perles
très précieuses.
J’ai retrouvé cet oiseau
ici, dans les chênes verts.
Sa poitrine
est rouge orange...
Tiens, le voilà!
Il est devant la grotte de Frère Rufin...
SAINT
FRANÇOIS
C’est
notre frère Pettirosso, le
Rougegorge.
FRÈRE
MASSEE
Je
préfère à tous cette joyeuse compagne!
Elle aime les fruits,
transporte le
soleil dans ses refrains,
s’excite comme
un danseur
qui vole de son propre
chant,
et porte si gentiment, et porte
si gentiment
une calotte noire enfoncée
jusqu’aux yeux!
C’est joli, une calotte
noire!
Qu’en dis-tu, Père, si,
au lieu du capuchon,
nous portions une calotte
noire?...
SAINT
FRANÇOIS
Écoute!...
Écoute les refrains colorés de
notre soeur,
notre soeur Capinera, la
Fauvette,
la Fauvette à tête noire.
(Ils
enlèvent leur capuchon. Puis, ils
s’asseyent
sur le parapet du petit pont,
écoutant
la Fauvette à tête noire.)
FRÈRE
MASSEE
La
Capinera n’est pas seule à chanter.
C’est
le printemps!
Beaucoup d’oiseaux chantent
aujourd’hui...
SAINT
FRANÇOIS
(se
lève avec enthousiasme)
Une
louange! un point d’exclamation!
une
île comme un point d’exclamation!
FRÈRE
MASSEE
Que
dis-tu?
SAINT
FRANÇOIS
Une
île des mers au-delà des mers!
Là
où les feuilles sont rouges,
les pigeons
verts, les arbres blancs,
là où
la
mer change du vert au bleu
et du violet
au vert comme les reflets d’une opale!
Car il nous faut aussi,
aussi les oiseaux
des îles,
pour répondre au voeu
du Psaume:
et
que les îles applaudissent!
FRÈRE
MASSEE
Comment
connais-tu tout cela?
SAINT
FRANÇOIS
Je
l’ai vu en rêve... Voici notre frère,
notre
frère Eopsaltria,
dont la flûte roule de
l’aigu au grave
avec des féeries d’audace...
Notre
frère Philemon, qui secoue ses cloches,
ses cloches irisées comme des bijoux
de fin du jour...
Notre soeur Gerygone,
qui brise le Temps de son staccato,
et cisèle de rires ses chromatismes...
FRÈRE
MASSEE
Je
n’ai jamais entendu ces oiseaux dans notre
Ombrie...
SAINT
FRANÇOIS
Moi
non plus: ils chantaient dans mon rêve...
FRÈRE
MASSEE
(Montrant
un oiseau dans un arbre)
Et
celui-là qui se trompe?
Il descend la gamme
avant de la monter!
SAINT
FRANÇOIS
C’est
notre frère Gammier.
Nous aussi, après
la résurrection,
nous monterons les
échelles du ciel
en ayant l’air de les descendre...
(Petit
concert d’oiseaux.)
SAINT
FRANÇOIS
(s’assied,
dans une attitude de réflexion)
Toute
chose de beauté doit parvenir à
la liberté,
la liberté de gloire.
Nos frères oiseaux
attendent ce jour...
Ce jour où le Christ
réunira toutes les créatures:
celles de
la terre, et celles du ciel!
(s’avance
vers les oiseaux sous le grand chêne
vert)
Frères
oiseaux, en tous temps et lieux,
louez
votre Créateur. Il vous a donné liberté
de voler,
présageant par là le don d’Agilité.
Il vous a fait cadeau de l’air, des nuages,
du ciel,
de frère Soleil et frère Vent
pour guider vos voyages.
Le boire et
le manger, il vous les a donnés,
et les
hauts arbres, et l’herbe,
et la mousse pour
vos nids,
et tous ces ornements de
riches couleurs,
avec double et triple, double
et triple vêtement.
Il vous a permis
de chanter si merveilleusement,
que
vous parlez sans mots,
comme la locution
des Anges, par la seule musique.
(Pause,
bref intermède)
Il
vous aime, Celui qui vous accorde tant
de bienfaits!
Frères Oiseaux, louez le
Seigneur,
et je ferai sur vous la bénédiction,
le signe de la Croix!
(Bénit
solennellement les oiseaux. Après
la
bénédiction de Saint François: un
petit instant
de silence. Puis
les oiseaux recommencent à
chanter.
Pendant
leur tumultueux concert:
projection de vols d’oiseaux –
elle
doit suggérer
et non reproduire exactement - les mouvements
du vol de
nombreux oiseaux. Vers
la fin du
chant, les oiseaux verbondens’envolent en
quatre groupes,
vers les quatre points cardinaux,
dessinant dans le ciel une sorte de
Croix. Cette
Croix peut être d’abord étalée en perspective, puis
se dresser
peu à peu. Quand
tous les oiseaux sont
partis, Frère Massée vient vers Saint
François.)
FRÈRE
MASSEE
Avec
quel respect ils se sont tus,
dès que
tu as commencé à prêcher!
As-tu
remarqué, Père,
qu’ils sont partis divisés
en quatre groupes?
SAINT
FRANÇOIS
Vers
l’orient, vers l’occident,
vers le midi, vers
l’aquilon:
les
quatre directions de la Croix!...
FRÈRE
MASSEE
Notre
prédication de
la Croix
doit-elle aussi
s’étendre partout?
SAINT
FRANÇOIS
Oui,
mon fils. Mais, n’oublie pas,
petite brebis,
le bel exemple,
le bel exemple que
nous donnent ces oiseaux:
ils n’ont rien,
et Dieu les nourrit.
Remettons-nous toujours
du soin de notre vie
à la Divine Providence:
cherchons le Royaume,
le Royaume
et sa justice,
et le reste nous sera
donné par surcroît.
(Saint
François et Frère Massée remettent
leur
capuchon sur leur tête. Ils
sortent, Frère Massée
marchant devant,
Saint François un peu en
arrière,
à la façon des Frères
Mineurs.)
ACTE
III
Septième
Tableau
Les
Stigmates
(À
la Verna. Chaos de rochers bizarrement
entassés.
Sorte
de caverne, sous un surplomb. Un
petit escalier
y descend, à gauche.
À
droite, un sentier très étroit,
sans issue, monte vers la muraille.
Une
grande pierre
pointue est restée
suspendue,
coincée, entre les deux
murs du
sentier très étroit: c’est le ‘Sasso Spicco’,
quartier
de roc. Partout,
la pierre est tapissée de
mousse vert noir.
Tout
est fissuré, craquelé, découpé.
C’est
la nuit. Il y a un morceau de ciel noir au-dessus
des rochers.
Le
rideau se lève tout de suite, sur la nuit
totale. Le Choeur est là, invisible.
Le
décor devient à
moitié visible.
On
aperçoit Saint François, à genoux
au
milieu de la scène)
SAINT
FRANÇOIS
Seigneur
Jésus Christ, accorde-moi
deux
grâces, avant que je ne meure!
La
première: que je ressente dans mon
corps
cette douleur que tu as endurée
à
l’heure de ta cruelle Passion.
La
seconde: que je ressente dans mon
coeur
cet amour dont tu étais embrasé,
amour
qui te permit d’accepter une telle
Passion,
pour nous, pécheurs.
(La
scène va s’éclairer peu à peu d’une
lueur
blafarde, étrange, inquiétante.)
CHOEUR
Les
miens, je les ai aimés: jusqu’au bout,
jusqu’à
la fin, jusqu’à la mort de la Croix,
jusqu’à
ma chair et mon sang, livrés,
donnés,
en nourriture, dans l’Eucharistie.
Si
tu veux m’aimer, vraiment, et que l’Hostie,
la Sainte Hostie, te transforme davantage
en Moi:
il te faut souffrir dans ton
corps
les cinq plaies de mon Corps en
Croix,
accepter ton sacrifice, en union avec
mon Sacrifice,
et, te dépassant toujours
plus,
comme une musique plus haute,
devenir toi-même une seconde hostie...
(Le
décor s’éclaire davantage. Il
a maintenant des
reflets vert sombre et
ivoire. Après
la réplique de
Saint François, sur
ces mots du Choeur, ‘c’est Moi,
c’est
Moi!’: apparition d’une immense Croix
noire,
qui s’étend verticalement et horizontalement
dans
tout le fond de la
scène. Cette
Croix n’est pas un
objet: elle doit être
obtenue par projection. À
partir
du moment où la Croix apparaît: le
Choeur s’avance
un peu vers le devant de
la scène, et devient en partie
visible.)
SAINT
FRANÇOIS
Ô
faiblesse!... Âme très méprisable!...
Ô
mon corps indigne!...
Puis-je, Seigneur, te
les offrir?...
CHOEUR
C’est
Moi, c’est Moi, c’est Moi,
je suis l’Alpha
et l’Oméga.
Je
suis cet après qui était avant.
Je
suis cet avant qui sera après.
Par Moi tout a
été fait. C’est Moi,
c’est Moi qui ai pensé
le temps et l’espace.
C’est Moi, c’est
Moi qui ai pensé toutes les étoiles.
C’est
Moi qui ai pensé le visible et l’invisible,
les anges et les hommes,
toutes
les créatures vivantes.
Je suis la Vérité
d’où part tout ce qui est vrai,
la première
Parole, le Verbe du Père,
celui
qui donne l’Esprit, est mort et ressuscité,
Grand-Prêtre éternellement:
l’Homme-Dieu!
Qui vient de l’envers du
temps, va du futur au passé,
et s’avance
pour juger, juger le monde...
(Une
lueur rouge et violette enflamme toute
la scène.
Quatre
rayons lumineux partent de
la
Croix
et viennent frapper les deux mains
et
les deux pieds de Saint François. Un
cinquième rayon lumineux part de la Croix
et
vient frapper le côté droit de
Saint François.
On
voit les cinq taches de sang, aux deux
mains,
aux deux pieds, au côté droit de Saint François.
Il
fait maintenant très clair. Toute
la scène est
rouge orange. L’immense
Croix noire est devenue
dorée,
étincelante.)
CHOEUR
François!...
SAINT
FRANÇOIS
Mon
Seigneur et mon Dieu!
CHOEUR
François!...
Beaucoup
désirent mon céleste royaume,
peu
consentent à porter ma Croix.
SAINT
FRANÇOIS
Parle,
Seigneur, parle, Seigneur,
ton serviteur
écoute.
CHOEUR
François!... François!...
Si tu portes de bon
coeur la Croix,
elle-même te portera, et
te conduira au terme désiré.
Est-il rien de
pénible qu’on ne doive supporter
pour la
Vie, pour la Vie, pour la Vie éternelle?
(Saint
François reste à genoux,les bras
levés,
immobile, comme enextase.)
Huitième Tableau
La
Mort et la Nouvelle Vie
Intérieur
de la petite église de la Porziuncola, à
Sainte Marie des Anges. Voûte
noircie, dallage.
Murs austères de pierre nue:
les pierres, non
équarries, sont
posées grossièrement les unes
sur
les autres, à moitié de travers. C’est
presque
la nuit. Tous
les Frères sont là: Sylvestre, Rufin,
Bernard, Frère Massée,
Frère Léon, et les autres.
Saint
François, mourant, est étendu sur le sol.
Les
Frères sont à genoux, et l’entourent en
demi-cercle. Au fond de la
scène: le Choeur formes
noires indistinctes).
SAINT
FRANÇOIS
Adieu,
créature de Temps!
Adieu, créature
d’Espace!
Adieu, Mont de la Verna,
adieu, forêt,
adieu, rocher qui m’as reçu
dans ton sein!
Adieu, mes chers oiseaux!
Adieu, frère Gheppio, mon faucon
Crécerelle!
Adieu, soeur Capinera, ma
Fauvette,
ma Fauvette à tête noire!
Adieu,
sainte cité d’Assise: par toi,
beaucoup
d’âmes seront sauvées!
Adieu,
Sainte Marie des Anges!
Adieu, petite
église de la Porziuncola,
que Dame Pauvreté
te garde,
avec sa soeur Sainte Humilité!
Adieu,
Frère Massée! Adieu, Frère Léon,
adieu!
petite brebis, brebis de Dieu!
Adieu,
Frère Bernard!
mon premier disciple,
mon premier-né!
Adieu, à vous tous,
mes Frères,
demeurez en paix, fils bien-aimés.
FRÈRE
BERNARD
Père
François, reste avec nous!
Ne
nous quitte pas: il se fait tard,
et
le jour est sur son déclin...
FRÈRE
MASSEE
C’est
la nuit...
FRÈRE
LEON
C’est
la nuit:
les
alouettes ne chantent plus...
SAINT
FRANÇOIS
Mais
notre frère Rossignol va chanter...
Chantez,
petites brebis: je chanterai,
nous
chanterons, avec lui!
Loué
sois-tu, mon Seigneur, pour soeur Mort,
pour notre soeur la Mort corporelle, la
Mort!
à qui nul homme ne
peut échapper.
Loué
sois-tu, Seigneur!
TROIS
FRÈRES
(Sylvestre,
Rufin, Bernard)
Ma
détresse est devant Toi.
CHOEUR
Mais
Toi, tu connais mon chemin.
TROIS
FRÈRES
(Sylvestre,
Rufin, Bernard)
Seigneur,
tu seras ma part...
CHOEUR
... dans la terre des vivants.
TROIS
FRÈRES
(Sylvestre,
Rufin, Bernard)
Autour
de moi les justes feront cercle:
CHOEUR
Ils
attendront que tu me récompenses.
TROIS
FRÈRES
(Sylvestre,
Rufin, Bernard)
Sois
attentif à ma clameur,
tire mon âme
de sa prison!
CHOEUR
Et
que ton Saint Nom soit béni.
SAINT
FRANÇOIS
Bienheureux
celui que la première mort
trouvera
conforme à ta Sainte Volonté:
la
seconde mort ne lui fera point de mal.
Loué
sois-tu, Seigneur!
(Tous
les Frères se lèvent.)
CHOEUR
J’appelle:
Ha! et ma voix: Ha!
J’appelle et ma
voix, et ma voix crie, et dit: Ha!
vers le Seigneur!
vers le Seigneur que j’implore!
(Tout
lumineux, l’Ange apparaît subitement,
près
de Saint François. Il
n’est visible que pour ce dernier,
pas pour
les autres personnages.)
L’ANGE
François!
François! rappelle-toi...
François!
François!
le chant derrière la fenêtre...
Mais Dieu, mais Dieu, mais Dieu
est plus grand,
plus grand que ton coeur.
Il
connaît tout.
(Le
Lépreux apparaît à côté de l’Ange. Il
est beau et
richement vêtu, comme à
la fin du troisième tableau.
Lui
aussi n’est visible que pour Saint François.)
L’ANGE
C’est
lui! c’est le Lépreux que tu as embrassé!
Il est mort saintement,
et revient
avec moi pour t’assister.
Tous deux,
nous t’encadrerons,
pour ton entrée
au Paradis, dans la clarté,
la clarté
de la gloire!
Aujourd’hui, dans quelques
instants,
tu vas entendre la musique
de l’invisible...
tu vas entendre la
musique de l’invisible...
et tu l’entendras
à jamais...
(L’Ange
et le Lépreux disparaissent.
Les
cloches sonnent.)
SAINT
FRANÇOIS
Seigneur!
Seigneur!
Seigneur!
Seigneur!
Musique et Poésie m’ont
conduit vers Toi:
par image, par
symbole, et
par défaut de Vérité.
Seigneur!
Seigneur!
Seigneur!
Seigneur!
Seigneur, illuminemoi de
ta Présence!
Délivre-moi, enivremoi,
éblouis-moi
pour toujours de ton excès
de Vérité...
(meurt)
FRÈRE
LEON
Il
est parti...
comme
un silence, comme un
silence amical
qu’on touche avec des mains
très douces.
Il est parti... comme une
larme,
comme une larme d’eau claire
qui
tombe lentement d’un pétale de fleur.
Il
est parti comme un papillon,
un papillon doré
qui s’envole
de
la Croix pour dépasser les étoiles...
(Tout
disparaît, tout s’éteint. Le
choeur se place
à l’avant-scène. Seule,
une lumière intense illumine
l’endroit où se trouvait auparavant
le corps de
Saint François. Cette
lumière doit augmenter
progressivement jusqu’à
la fin de l’acte. Quand
elle
devient aveuglante et
insoutenable, le rideau tombe.)
CHOEUR
Autre
est l’éclat de la lune,
autre est l’éclat
du soleil, Alleluia!
Autres
sont les corps terrestres,
autres sont
les corps célestes, Alleluia!
Même,
une étoile diffère en éclat d’une autre
étoile!
Ainsi
en va-t-il de la résurrection des morts,
Alleluia!
Alleluia!
De
la douleur, de la faiblesse, et de l’ignominie:
il ressuscite, il ressuscite,
il
ressuscite de la Force, de la Gloire, de
la Joie!

|
ACTO
I
Cuadro Primero
La Cruz
(Un camino. Al
fondo de la
escena una
escalinata y a
derecha e izquierda de ella,
dos filas de
altos cipreses. La
escalinata
asciende hasta
muy alto donde una gran
cruz negra se
recorta sobre el cielo azul.
Por el camino
llegan San Francisco y
fray
León. Caminan
uno detrás del otro, fray
León delante,
San Francisco un poco atrás,
a la manera de
los Hermanos Menores.
Ambos van encapuchados)
HERMANO LEÓN
Tengo miedo, tengo
miedo del camino,
cuando se agrandan
y oscurecen las
ventanas
y cuando ya no se
sonrojan
las hojas
de las flores de Pascua.
SAN FRANCISCO
(se detiene)
¡Oh, tierra!...
¡Oh, cielo!... ¿Hermano León?
HERMANO LEÓN
(se detiene y
se da vuelta)
¿Padre?
SAN FRANCISCO
Incluso
si un Fraile Menor hiciera
ver a los ciegos,
oír a los sordos y
hablar a los mudos,
debes tener claro que, aún con todo
eso,
no se alcanza la alegría perfecta.
(San
Francisco y el fray León reinician
la marcha.)
HERMANO
LEÓN
Tengo miedo, tengo
miedo del camino,
cuando a punto de
morir la flor de la
tiarella
ya no tiene la
antigua fragancia.
¡He ahí lo
invisible! ¡Lo invisible se hace visible!...
SAN
FRANCISCO
(Se
detiene)
¡Oh,
tierra!... ¡Oh, cielo!... ¡Oh, Cruz!...
¿Hermano
León?
HERMANO
LEÓN
(se
detiene y se vuelve)
¿Padre
mío? ¿Padre mío?
SAN
FRANCISCO
Aunque un Hermano Menor poseyera
un inmenso conocimiento y pudiera profetizar
el futuro
y leer los secretos del corazón,
debes tener claro que,
aún con
todo eso,
no se alcanza la alegría perfecta.
(San
Francisco y fray León reemprenden
la marcha)
HERMANO
LEÓN
Tengo miedo, tengo
miedo del camino,
cuando se agrandan
y oscurecen las
ventanas...
SAN
FRANCISCO
(se
detiene)
¡Oh,
Cruz!... ¡Oh, imposible!...
Me apoyo en ti,
poderoso árbol sagrado...
¿Hermano León?
HERMANO
LEÓN
(Se detiene y se da vuelta)
¿Padre
mío?
SAN
FRANCISCO
Incluso
si un Hermano Menor conociera
el
lenguaje de los ángeles, el curso de las estrellas;
las virtudes de
las aves y peces;
de
los árboles y piedras, de las raíces y aguas;
aunque predicando convirtiera a
todos los hombres
y diera en todo tiempo
y
lugar
el más grande ejemplo de
santidad;
debes tener claro
que, aún con
todo eso,
no se alcanza la alegría perfecta.
(San
Francisco y fray León siguen
caminando.)
HERMANO
LEÓN
(Se
detiene por completo y
se quita la capucha)
Padre, ésta es la tercera vez que me detienes
para
resumir los pináculos
de
la fuerza, la inteligencia y la virtud...
pero siempre añades:
"¡No, todo eso no es la alegría,
no es la
alegría perfecta "
Dime, padre, te lo ruego...
¿Dónde
está entonces la alegría perfecta?
SAN
FRANCISCO
Fray
León, ovejita,
escucha
con atención lo que te voy a decir:
(San
Francisco también se quita la
capucha.
Fray León y él se sientan
en el primer escalón de la escalinata.)
Si
comienza a llover y nos quedamos
empapamos por la lluvia, manchados
de barro
y atormentados
por el hambre; y llegamos,
tras una larga caminata a la puerta del
convento,
y el portero no nos reconoce, y
no nos abre la puerta...
y si insistimos y el portero nos injuria diciendo:
"¡Fuera, bribones!
¡Ladrones miserables!
Si
nos vemos obligados por el hambre,
la tormenta y la noche,
a seguir golpeando a
la puerta
y el portero, exasperado,
con un palo
nos
arroja al suelo y
nos muele a golpes...
Si soportamos todo
eso con paciencia;
con
paciencia y alegría, pensando en los
sufrimientos
de Cristo bendito;
esa alegría, es la alegría perfecta.
Porque más allá
de
todas
las gracias y dones del Espíritu Santo
que
Cristo concede a sus amigos,
está
en nuestro propio interior el poder soportar
voluntariamente y por
amor a Cristo,
las penas, injurias,
desprecios e incomodidades.
De
todos los dones de Dios
no
podemos vanagloriarnos,
puesto que no provienen
de
nosotros, sino de Él.
Pero
de la Cruz del suplicio y del dolor,
sí que podemos
vanagloriarnos,
pues nos pertenecen.
Por
eso dice el apóstol:
“Sólo
me vanagloriaré,
de
la Cruz de nuestro Señor Jesucristo "
(San
Francisco y fray León se vuelven a
poner la capucha y salen por la
izquierda
en silencio. Fray León marcha
delante,
San
Francisco le sigue un poco más
atrás. Poco
a poco, la Cruz en
lo alto de la escalinata se
ilumina. El escenario
queda vacío y oscuro,
ya no se
aprecia nada. El
coro, que está en el
escenario, pero invisible,
canta el texto sagrado)
CORO
Quienquiera
seguir mis pasos,
que
se niegue a sí mismo,
que
tome su cruz, y me siga.
Cuadro
Segundo
Las
alabanzas
(Claustro de una
pequeña iglesia, oscura
y con tres
arcos. En el centro de la escena
una lámpara
roja, ante un altar pequeño,
indica la presencia del Santísimo. Al levantarse
el telón San Francisco
y los tres hermanos
(Silvestre, Rufino y
Bernardo) están de rodillas
en oración. San
Francisco a un lado y los otros
tres frente a él.
El coro está distribuido por
ambos lados (formas
oscuras indistinguibles)
SAN
FRANCISCO
¡Alabado
seas, Señor, por el hermano viento,
por
el aire y las nubes, el cielo despejado,
el
cielo puro y toda la creación!
¡Loado
seas, Señor!
TRES
HERMANOS
(Silvestre,
Rufino y Bernardo)
Eres
digno, ¡oh Señor, Dios!...
CORO
... de
recibir nuestras alabanzas,
loores, honores y
toda nuestra gratitud.
TRES
HERMANOS
Digno
es el Cordero, el Cordero inmolado...
CORO
... de
recibir fortaleza, divinidad, sabiduría,
poder, honra, gloria y alabanza.
SAN
FRANCISCO
¡Alabado
seas, Señor, por la hermana agua,
tan
útil, humilde, preciosa y casta!
¡Loado
seas, Señor, por el hermano fuego,
por
el hermano fuego con el que alumbras la
noche!
¡Es hermoso, alegre, vigoroso y fuerte!
¡Gloria
a Ti, Señor!
TRES
HERMANOS
¡Alabado
sea el Señor
y
todas las obras del Señor!
CORO
¡Alabado
sea por el cielo y la tierra
y
por todas las criaturas del cielo y de la tierra!
TRES
HERMANOS
Gloria
al Padre, al Hijo y al Espíritu Santo.
CORO
¡Alabémosle
y glorifiquémosle por siempre,
ahora
y por los siglos de los siglos!
SAN
FRANCISCO
¡Alabado
seas, Señor,
por nuestra hermana la
madre tierra,
que nos sostiene,
nos alimenta y produce
todos los frutos y
flores de mil colores,
flores
y hierbas!
¡Alabado
seas, alabado seas, Señor!
(San
Francisco y los tres hermanos se
levantan.)
CORO
¡Santo!
¡Santo! ¡Santo! ¡Es el señor Dios!
¡Que es, que fue y
que será!
(Los
tres hermanos y el coro salen lentamente.)
CORO
¡Alabado
sea Dios!
(Los tres hermanos y el coro se
alejan)
¡Alabado
sea Dios! ¡Alabado sea Dios!
(Los
tres hermanos y el coro desaparecen.
San Francisco
ha quedado solo.)
SAN
FRANCISCO
¡Oh Tú, que hiciste el tiempo!
¡El
tiempo y el espacio, la luz y el color,
la
mariposa fragante, la gota de agua clara,
y
el canto del viento
que cambia de tono en
cada árbol!
Que también permites la
fealdad;
permitiendo
que coexistan
el sapo pustuloso y
las setas venenosas,
junto a la libélula y el pájaro azul...
Ya
sabes lo mucho que les temo;
cuánto
me horrorizan los leprosos,
con
sus rostros mutilados,
enfermizos,
horribles y degradados!
¡Señor! ¡Señor!
¡Permite que conozca a un leproso!...
Haz
que sea capaz de amarlo...
Tercer
Cuadro
El
beso al leproso
(Cerca
de Asís, en el hospital del Salvador. Una
sala de la leprosería.
Un
banco de dos asientos
opuestos. En
la parte posterior del escenario, a la
derecha, aparece
una ventana que da a un callejón
oscuro. El
coro está en el escenario casi invisible.
Al
levantarse el telón, el
leproso está sentado solo)
EL
LEPROSO
¿Cómo vivir una vida así?
Todos los hermanos que quieren ayudarme...
¡Si soportaran lo que yo
soporto!
¡Si
sufrieran lo que yo sufro!
¡Ah!... Tal vez también ellos
se
alzarían en rebelión...
(Entra
San Francisco. Retrocede en dos
oportunidades
y luego se acerca.)
SAN
FRANCISCO
¡Dios te conceda la paz, querido hermano!
(Se
sienta al lado del leproso)
EL
LEPROSO
¿Qué paz puedo recibir de Dios,
que
me arrebató todo lo bueno que tenía
y
me cubrió de podredumbre y hedor?
SAN
FRANCISCO
Las
enfermedades del cuerpo nos son dadas
para
la salvación de nuestras almas.
¿Cómo
entender la Cruz,
si
no hemos soportado un poco de ella?
EL
LEPROSO
¡Ya he tenido suficiente!
¡Y más que
suficiente!
¡Los hermanos que pusiste
a
mi servicio,
no se ocupan bien de mí!
¡En
vez de aliviar mi sufrimiento,
me torturan con sus
charlas horribles!
SAN
FRANCISCO
¿Y
qué haces tú, amigo mío?
¿Cómo practicas
la virtud de la paciencia?
EL
LEPROSO
Pero ellos son los que me molestan,
me
molestan en todos los sentidos...
y
la picazón de mis pústulas
me
vuelven loco...
SAN
FRANCISCO
Ofrece
tu dolor como penitencia, hijo mío.
EL
LEPROSO
¡Penitencia! ¡Penitencia!
¡Elimina mis pústulas primero
y más tarde haré penitencia!
A
esos hermanos tuyos,
sé muy bien que
les repugno.
Cuando me ven, no
pueden evitar vomitar...
SAN
FRANCISCO
Pobres
hermanos, hacen lo que pueden...
EL
LEPROSO
Antes, yo era joven y fuerte;
ahora, soy como una hoja mohosa:
¡amarillo y con manchas negras!...
SAN
FRANCISCO
Si
el hombre es bello por dentro,
aparecerá
glorioso en
la hora de la resurrección.
(Un
ángel aparece tras la ventana en la
oscuridad
del callejón. Una iluminación irreal permite
a
los espectadores distinguir en parte su
rostro,
su vestimenta y sus alas. Sólo
es visible para los
espectadores, San
Francisco y el Leproso están
de espaldas a él.)
ÁNGEL
¡Leproso,
leproso,
tu corazón te acusa!
EL
LEPROSO
¿De
dónde viene esa voz?
SAN
FRANCISCO
¡Escucha!...
ÁNGEL
Pero
Dios, pero Dios, pero Dios es más grande,
más
grande que tu corazón.
EL
LEPROSO
¿Quién es el que canta?
SAN
FRANCISCO
Podría
ser un ángel enviado por el cielo
para
consolarte...
ÁNGEL
Él
es amor, es amor, Él es más grande,
más
grande que tu corazón, Él lo sabe todo.
EL
LEPROSO
¿Qué ha dicho? No entiendo...
SAN
FRANCISCO
Él
dijo, “Tu corazón te acusa,
pero
Dios es más grande que tu corazón."
EL
ÁNGEL
Pero
Dios, pero Dios, pero Dios es todo amor
y
quien permanece en el amor
permanece
en Dios, y Dios en él.
(Desaparece)
EL
LEPROSO
Perdóname padre, que siempre esté protestando...
pero es que tus hermanos me llaman:
¡el
leproso!
SAN
FRANCISCO
¿Dónde
exista la tristeza que yo lleve la alegría!
EL
LEPROSO
Sé que soy horrible
y
me doy asco a mi mismo...
SAN
FRANCISCO
¡Que
dónde haya error yo revele la verdad!
EL
LEPROSO
¡Pero tú eres bueno! Tú me llamas amigo,
hermano, hijo...
SAN
FRANCISCO
¡Que
dónde haya oscuridad,
yo
lleve la luz!
Perdóname, hijo mío,
por
no haberte amado lo suficiente...
(Besa
al leproso. San
Francisco se aparta.
El
leproso se levanta curado y, completamente
transformado,
eleva los brazos al cielo.)
EL
LEPROSO
¡Milagro! ¡Milagro! ¡Milagro!
¡Mira, padre, mira!
¡Las manchas han
desaparecido de mi piel!
¡Estoy curado!...
(Salta
y baila como un loco. Al terminar el baile, el
leproso regresa a
sentarse junto a San Francisco.)
¡Padre, padre,
protesté
tanto de mis sufrimientos
que injurié a
los hermanos que me cuidaban...
SAN
FRANCISCO
Eras una pirámide invertida...
Te apoyabas sobre
la punta...
Pero
Dios estaba esperando al otro lado del
error...
EL
LEPROSO
¡No soy digno de ser curado!...
(Llevándose
las manos a la cabeza, llora)
SAN
FRANCISCO
¡No
llores tan amargamente, hijo mío!
Tampoco yo soy digno
de ser curado...
(Ambos
oran en silencio. Poco
a poco, la noche cae
sobre los dos
personajes. El
coro es ahora visible en
todo el
escenario.)
CORO
¡A los que me han amado tanto: todo
les es perdonado!
ACTO
II
Cuadro
cuarto
El
Ángel viajero
(En
el monte Verna. A
la izquierda,
muro de un
pequeño convento cerrado
por una puerta.
En
el centro, un camino
que se adentra en el
bosque de hayas
y
pinos. Al
fondo, las montañas se recortan
en el cielo
azul. A
la derecha, una pequeña
cueva. A la puerta
del convento está sentado
fray Maseo.
Fray León llega cantando por
el camino del
bosque con una pala y
una
tabla de
madera)
FRAY
LEÓN
Tengo miedo, tengo
miedo del camino,
cuando se agrandan
y oscurecen las
ventanas
y cuando ya no se
sonrojan
las hojas
de las flores de Pascua.
¡Oh, hermano Maseo! Voy a tratar de construir
un pequeño puente entre las
rocas.
¿Cuidarás
la puerta?
FRAY
MASEO
Sí,
hermano León, hoy haré de celador.
(Fray
León se marcha llevando la pala y
la tabla
de madera. Sale por la derecha, cantando.)
FRAY
LEÓN
Tengo miedo, tengo miedo, tengo miedo
en
el camino, cuando, a punto de morir,
la tiarella ya no tiene perfume.
¡Lo invisible, lo invisible se
puede ver!...
(Se
marcha)
FRAY
MASEO
El padre Francisco está allí, en su cueva.
Me
gustaría hablar con él más a menudo,
pero
no me atrevo a molestarlo
durante
sus horas de oración...
(Entra
en el convento y cierra la
puerta tras
de sí. La
escena queda vacía por un momento.
El
ángel aparece por el camino. Sólo
los
espectadores
lo reconocen como tal, pues los
frailes lo consideran un viajero. El
ángel
permanece casi
inmóvil; camina tan
lentamente que
parece bailar sin tocar
el suelo.
Llega hasta la puerta
del convento
y, a pesar de que la que golpea con suavidad,
hace un ruido terrible. Aparece alarmado
fray Maseo)
FRAY
MASEO
¿Quién ha llamado?
(Mira hacia el
exterior)
¿De
dónde vienes, hijo mío?
¡Sin
duda tú no eres de aquí
si
llamas a la puerta de esa forma tan extraña!
(El ángel entra en el convento.)
EL
ÁNGEL
(Con
dulzura)
Entonces, ¿cómo
debo llamar?
FRAY
MASEO
Tres
golpes suaves, no demasiado fuertes.
Después debes esperar un momento,
el
tiempo suficiente para decir un Padre Nuestro,
hasta que el portero venga aquí.
Si él no viniera, entonces puedes golpear de nuevo.
EL
ÁNGEL
Vengo de lejos, aún me queda un largo trecho
por andar.
Yo querría hablar con el padre Francisco,
pero sé que no se le debe distraer de su rezo.
Mientras tanto, ¿podría hablar con fray Elías?
FRAY
MASEO
Ten
paciencia unos minutos,
voy
a buscarlo...
(Sale
y regresa en un momento con
el fray Elías)
FRAY ELÍAS
(Agitado
y de muy mal humor)
¿Por
qué todo el mundo me molesta sin cesar?
Soy
el vicario de la Orden,
tengo
que hacer planes, escribir textos...
¿Cómo trabajar en tales condiciones?
EL
ÁNGEL
Pareces enojado, fray Elías...
La
ira perturba tu mente y te oscurece el juicio.
Ella
te impide discernir correctamente
la verdad.
FRAY ELÍAS
¡Deja
a la verdad tranquila!
¡No te preocupes por
mi mente!
¡Dime rápidamente lo que quieres!
EL
ÁNGEL
¿Qué
piensas de la predestinación?
¿Has
rechazado a tu viejo yo?
¿Has hallado tu nuevo
y verdadero rostro?
Ése que Dios en su justicia,
en su justicia y santidad,
la santidad de la verdad...
(Fray Elías queda atónito.)
FRAY ELÍAS
Pero ¡me estás dando un sermón!...
¿Qué galimatías
son todas esas palabras
con
las que has interrumpido mi trabajo?
¡Márchate,
pretencioso joven!
¡Me
niego a contestar!
(Furioso,
empuja al ángel afuera, cierra la
puerta y sale por la izquierda. Fray Maseo
queda consternado.)
FRAY
MASEO
¡Ah!
¿Qué dirá de todo esto nuestro padre,
nuestro padre Francisco?
(Sale
por la izquierda. El ángel, que
había salido al camino, golpea
la
puerta de nuevo. Él
toca muy
suavemente pero hace un
ruido terrible.
Al
oír los golpes, el hermano Maseo regresa)
¡Ya está llamando otra vez!
(Se
dirige a la puerta y la abre)
¡Buenos
días de nuevo, hijo mío!
Has ignorado completamente mi lección
sobre
cómo golpear a la puerta.
(El ángel entra en el convento.)
EL
ÁNGEL
(Con
dulzura)
Fray
Elías no me quiere responder,
¿el
hermano Bernardo me contestará?
¿Puedo hacerle
una pregunta a fray Bernardo?
FRAY
MASEO
Ten
paciencia unos minutos,
voy
a buscarlo...
(Sale
y regresa en un momento
con
el hermano Bernardo)
EL
ÁNGEL
¡Dios
te conceda la paz, querido hermano!
FRAY
BERNARDO
(Calmo y
sereno)
¿Qué
deseas, viajero?
EL
ÁNGEL
Le
hice una pregunta al hermano Elías
y
no me contestó.
¿Tal vez tú sabes la respuesta?
¿Qué
piensas acerca de la predestinación?
¿Has
rechazado al hombre viejo
para
recibir el verdadero rostro
del hombre nuevo?
Ése que Dios en su justicia,
en su justicia y santidad,
la santidad de la verdad...
FRAY
BERNARDO
Muchas
veces he pensado
que después de
mi muerte,
nuestro Señor Jesucristo
me
mirará como mira a las monedas,
las
monedas del tributo, diciendo:
“¿De
quién es esta imagen y esta inscripción?"
Y,
si le place a Dios en su gracia,
me
gustaría poder responderle:
"De Ti, de Ti”.
Por
eso dejé el mundo y estoy aquí...
EL
ÁNGEL
Has
respondido bien. Continúa de esa manera.
FRAY
BERNARDO
¿Puedo
a mi vez hacerte una pregunta?
¿Cuál
es tu nombre?
EL
ÁNGEL
Vengo
de muy lejos
para hablar con el padre Francisco.
No querría molestarlo
ni distraerlo en
su meditación.
Voy
a hablar con él ahora,
a
hablar mejor que con palabras.
Luego
me iré, voy a hacer un largo viaje, muy largo.
No preguntes por mi nombre,
no preguntes mi nombre:
¡Esto
es maravilloso! ¡Ah!
(El
ángel hace un pequeño gesto con la mano:
¡la puerta se abre por sí misma!)
(Pausa)
(El
ángel se va por el camino, tal
como
vino, parece bailar sin
tocar el suelo.
El
ángel desaparece. Ambos frailes
regresan
al convento. Fray Maseo cierra
la puerta. Ambos se miran).
HERMANO
BERNARDO
¿Hermano
Maseo?
HERMANO
MASEO
¿Hermano
Bernardo?
HERMANO
BERNARDO
Tal
vez fuera un ángel...
Cuadro Quinto
El
Ángel músico
(Mismo
decorado que en el cuadro precedente.
San
Francisco está arrodillado a la derecha de
la escena fuera de la cueva. A
la llegada del ángel,
el coro permanece invisible)
SAN
FRANCISCO
Loado
seas, Señor, por el hermano sol,
que
nos trae el día y por medio del cual
Tú nos iluminas
con sus rayos.
Él es bello y radiante. Es el
símbolo tuyo, Altísimo.
Loado
seas, Señor, por la hermana luna
y
las estrellas del cielo,
que Tú creaste refulgentes
y bellas.
¡Gloria
a Ti, Señor!
"Así como el
Sol brilla
de modo diferente a la luna;
y la
luna tiene un resplandor distinto al de las estrellas;
y cada estrella brilla de forma diferente;
lo
mismo sucederá en la resurrección de
los muertos."
Toda la gloria de la que habla el
apóstol, me
cautiva.
Pero aún más, pero aún más
me cautiva
la
alegría de los bienaventurados
y
la infinita felicidad de la contemplación...
¡Oh
eterno Dios, Padre todopoderoso,
permíteme disfrutar de ese festín
inefable,
donde
Tú, con tu Hijo y el Espíritu Santo,
sois
la luz de todos los santos,
la
luz verdadera, el colmo de la gloria,
y
la alegría perfecta!
Muéstrame
cuán grande
es
la misericordia
que has reservado
para
aquellos que te temen...
(Se
oye el ulular de un cernícalo)
¿Qué
es lo que quieres, hermano cernícalo?
Ave querida, reloj santo que
me llamas a la oración,
aún no
es la hora de cantar...
(El coro permanece
invisible. El
ángel aparece por el camino. El
cernícalo sigue
ululando)
SAN
FRANCISCO
El hermano cernícalo me llama de nuevo...
Me está anunciando algo...
¿Tal vez mi
oración ha sido oída?
EL
ÁNGEL
¡Francisco!
¡Francisco!
(El
ángel brilla con luz resplandeciente. Sostiene
una viola en la mano izquierda
y el arco en la
derecha. Se
mueve por el camino, como si bailara
sin
tocar el suelo. El
Ángel se acerca a San Francisco
que lo
reconoce de inmediato)
SAN
FRANCISCO
Perdona
mi oración, hermoso
ángel de Dios...
EL
ÁNGEL
¡Ah, que Dios nos deslumbre con
la verdad!
La música nos lleva a Dios
cuando
la verdad nos es inaccesible.
Si hablas con Dios a través de la música,
Él también te responderá a través de ella.
Conoce
la alegría del bienaventurado
por la
dulzura del sonido, el color y la melodía.
¡Y
que se abran para ti los secretos de la gloria!
Escucha la música que suspende la vida
en las escalas del cielo,
escucha
la música de lo invisible...
(El ángel se dispone
a tocar la viola. Preludia
algunos compases. Toda
la luz se centra en él.
Mueve
el arco sobre las cuerdas, inicialmente
muy despacio. El
instrumento suena casi como
un violín, pero el arco es curvado. Los
sonidos
parecen venir de diferentes sitios
lejanos.
Resuena
el bosque. El ángel toca luego
alegre
y rápido. Poco
a poco, cae la noche. Ya
no se
ven las alas, ni el traje, ni
cara del ángel. Sólo
su brazo derecho, el arco curvo y su mano
izquierda
con la viola, se mantienen iluminados
El
ángel desaparece. San
Francisco se desmaya.
Entra fray León por la izquierda. Cruza
el camino
cantando y se dirige a la cueva de Francisco
que
está a la derecha.)
HERMANO
LEÓN
Tengo
miedo, tengo miedo del camino
cuando, a punto de morir, la flor de
la tiarella
pierde su fragancia.
¡He aquí que lo
invisible, lo inv...
(Se
detiene sorprendido ante Francisco
extendido
inconsciente en el suelo)
¡Oh!
¡Oh! ¡Hermano Maseo! ¡Hermano Bernardo!
(Fray Bernardo y fray Maseo
asoman
en la puerta del convento.)
HERMANO
BERNARDO
Me
parece escuchar la voz del hermano León...
HERMANO
MASEO
A
mí también...
HERMANO
BERNARDO
Algo
le pasa a
nuestro Padre Francisco...
(Fray Bernardo y fray Maseo
salen y se
dirigen rápidamente hacia la cueva.)
HERMANO
LEÓN
¡Hermano Maseo! ¡Hermano
Bernardo!
¡Venid! ¡Venid!
(Los
tres monjes se colocan alrededor de
San
Francisco. Le
aflojan el cuello, desatan su
cinturón y
tratan de reanimarlo.)
HERMANO
MASEO
¡Padre
Francisco!
HERMANO
MASEO, HERMANO LEÓN
¡Padre
Francisco!
LOS
TRES
¡Padre
Francisco! ¡Padre Francisco!
SAN
FRANCISCO
(volviendo
en sí)
Mis
pequeñas ovejitas, gracias, gracias,
gracias
por su atención. No estoy enfermo...
Sólo
agobiado, sólo un poco anonadado
por la música, por
esa música celestial.
Si
el ángel hubiese tocado la viola un poco más,
su dulzura insoportable
habría hecho
que mi
alma abandonara mi cuerpo...
(Los
tres monjes y Francisco
quedan estáticos
mirando al cielo.)
Cuadro Sexto
El
sermón de los pájaros
(Ermita de Carceri. El camino
zigzagueante cruza el río por un
pequeño puente y continúa bordeando
la escarpada orilla donde se abre un
pequeño prado de
trébol negro con
un
enorme roble en el centro, cuyas
hojas brillan bajo el sol.
Al fondo,
recortándose en el cielo azul,
las
primeras
estribaciones de los montes Subasio
y
San
Rufino, completamente cubiertos
por oscuros
encinares. El gran
roble sombrea el camino
por donde llegan San Francisco y
fray Maseo.
Ambos llevan cubierta
la cabeza con la capucha
del hábito)
HERMANO
MASEO
Padre,
¿te acuerdas del
aquel joven de Siena?
Desde que ingresó en la Orden,
oímos
susurros y arrullos...
SAN
FRANCISCO
Se trata de una palomita, nuestra hermana tórtola,
que
lo siguió hasta aquí.
HERMANO
MASEO
¡Una tórtola!...
¿Y qué clase de pájaro es aquel, el de color rojo,
aquel que
se mueve tan rápido y canta tan alto?
¡Es
muy divertido!
Parece que está saltando
sobre una sartén...
SAN
FRANCISCO
No
te rías de nuestro hermano,
nuestro
hermano el colorín...
HERMANO
MASEO
Esta
mañana, al salir de Carceri,
por el camino bordeado
de olivos y cipreses,
escuché un canto muy dulce,
una melodía alegre y elegante,
como si alguien arrojara perlas, una por una.
La he escuchado de nuevo aquí, en el robledal.
Creo que se trata de un pájaro de pecho anaranjado...
¡Mira,
ahí está!...
¡Junto a la cueva del
hermano Rufino!...
SAN
FRANCISCO
Es nuestro hermano el
petirrojo...
HERMANO
MASEO
¡De entre todos ellos prefiero a este alegre amigo!
Le
encanta la fruta,
lleva el sol en sus trinos,
parece un bailarín
que volara con
su propio canto,
y
lleva muy elegantemente,
¡un gorro negro calado hasta
los ojos!
¡Es muy lindo ese gorro
de
color negro!
¿Qué te parecería, padre,
si
en lugar de
nuestras capuchas lleváramos
un
gorro así?...
SAN
FRANCISCO
¡Escucha!...
Escucha los alegres trinos
de otra hermana nuestra;
la
curruca, ¡la curruca de cabeza negra!
(Se
quitan la capucha y van a
sentarse en
el parapeto del puente
donde escuchan
a la curruca.)
HERMANO
MASEO
La curruca no es la única...
¡Es
primavera!
Se oyen cantar a muchos
pájaros...
SAN
FRANCISCO
(Se
levanta con entusiasmo)
¡Una
alabanza! ¡Un signo de exclamación!
¡Una
isla como un signo de exclamación!
HERMANO
MASEO
¿Qué
dices?
SAN
FRANCISCO
¡Una
isla del mar más allá de los mares!
Donde
las hojas son rojas, las palomas verdes,
los
árboles blancos; donde el mar cambia
de color,
del verde al azul y
del violeta al verde
¡como los reflejos de
un ópalo!
Así que deberemos mutarnos,
como
las aves de esas islas,
para recibir el mensaje de los Salmos.
¡Y las islas aplaudirán!
HERMANO
MASEO
¿Cómo
sabes todo eso?
SAN
FRANCISCO
Lo
vi en un sueño...
¡Mira, ahí está nuestra
hermana eopsaltria,
cuyo
silbido audaz cambia del agudo al grave!...
Nuestro
hermano Filemón repica sus campanas,
esas
campanas que brillan como joyas
en
el crepúsculo vespertino...
Y también nuestro hermano
gerigón,
que corta el
tiempo de su staccato
y
cincela con trinos su cromatismo...
HERMANO
MASEO
Nunca oí en Umbría el canto de esos pájaros...
SAN
FRANCISCO
Yo tampoco; cantaban en mi sueño...
HERMANO
MASEO
(señalando
a un ave en un árbol)
¿Y
aquella se equivoca?
¡Baja
la escala musical antes de subirla!
SAN
FRANCISCO
Ése es nuestro hermano gammier.
También,
nosotros después de la resurrección,
subiremos las escaleras celestiales,
aunque
parezca que las bajamos...
(Pequeño
concierto de los pájaros.)
SAN
FRANCISCO
(Se
sienta en una actitud meditativa)
La
libertad es el destino de todo lo que es bello,
la
libertad de la gloria. Nuestras hermanas
las
aves esperan ese día...
¡El día en que Cristo
reunirá a todas sus criaturas:
las
de la tierra y las del cielo!
(avanza
hacia las aves bajo el gran roble
verde)
¡Hermanas
aves, en todo momento y lugar,
debéis alabar
al Creador!
De Él habéis recibido
el poder de volar y,
junto con ese don de la
libertad,
os
ha dado el aire, las nubes, el cielo,
al hermano sol y al hermano viento
para guiaros en vuestros viajes.
Para
comer y beber os dio los árboles;
así como la hierba y musgo para vuestros nidos;
y toda la paleta de colores para vestiros.
Él os concedió cantar
para poder hablar sin palabras,
como los ángeles, sólo con música.
(pausa,
breve interludio)
¡Él os ama! ¡Él, que os otorga todos los beneficios!
¡Hermanas
aves, alabad al Señor!
¡Y ahora os bendeciré, haciendo la
señal de la Cruz!
(Francisco bendice
solemnemente a los pájaros,
tras lo cual se
produce un momento de silencio
que es interrumpido
por el canto de estos. Una
proyección
simulará el vuelo de bandadas de
aves, sin que sea
necesario que se reproduzca
dicho vuelo
literalmente. Hacia
el final del canto,
los pájaros se
dividen en cuatro grupos dirigiéndose
hacia los cuatros puntos cardinales, formando en
el cielo de esta forma
una especie de cruz. Esta
cruz puede ser vista primero en perspectiva y
a
continuación, puesta de pie
lentamente. Cuando
todos los pájaros se han ido, fray Maseo se acerca
a San Francisco.)
HERMANO
MASEO
¡Respetuosos callaron
cuando empezaste
a predicar!
¿Has
notado Padre,
que
se dividieron en cuatro grupos?
SAN
FRANCISCO
Hacia
el este, hacia el oeste,
hacia el sur y hacia
el norte:
¡los cuatro brazos de la cruz!...
HERMANO
MASEO
¿Significa eso que nuestra predicación sobre la
Cruz,
se extenderá de igual modo por
todas partes?
SAN
FRANCISCO
Sí,
hijo mío.
Pero no debemos que olvidar, corderito,
el gran ejemplo que
nos han dado estas aves.
Ellas
no tienen nada y sin embargo Dios las alimenta.
Si
con fe dejamos el cuidado de nuestras vidas
a la Divina Providencia
y buscamos la justicia del reino de los cielos,
el resto nos será dado por añadidura.
(San
Francisco y fray Maseo se
ponen las capuchas
y salen caminando.
Fray Maseo, adelante,
San
Francisco un poco más atrás
a la manera de los
Hermanos Menores.)
ACTO
III
Cuadro
séptimo
Los
estigmas
(Rocas caóticamente apiladas de
manera extraña.
Una
especie de cueva debajo de un saliente. Una
pequeña escalera desciende a la izquierda. A
la
derecha, un camino muy estrecho que muere
en el paredón de rocas. Una gran piedra afilada
permanece suspendida,
encajada entre las dos
paredes de piedra, haciendo el camino muy
estrecho. Es
la roca de 'Sasso Spicco'. Las rocas
están cubiertas de musgo. Todo
está rajado,
agrietado, cortado. Se ve un trozo de cielo negro
por
encima de las rocas. Cuando
el telón se alza,
la
noche es total. El coro invisible. San Francisco,
de rodillas en
el centro de la escena)
SAN
FRANCISCO
¡Señor
Jesucristo,
concédeme dos gracias antes
de morir!
La
primera es que yo sienta en mi cuerpo
el
dolor que has sufrido Tú
en
el momento de tu cruel Pasión.
La
segunda: que sientaen
mi corazón
el amor que a Ti te inflama,
ese
amor que te permitió aceptar la pasión
por todos nosotros, pecadores.
(La
escena se ilumina poco a poco con
una
luz pálida, extraña e inquietante.)
CORO
A
los míos he amado hasta el extremo,
hasta
el final, hasta la muerte en la Cruz,
hasta
que mi carne y mi sangre
fueron entregados como alimento
en la Eucaristía.
Si
de verdad quieres amarme
y que la hostia, la
hostia sagrada, te una a Mí,
tendrás
que sufrir en tu cuerpo
las cinco heridas que mi cuerpo tuvo en la cruz.
Acepta
tu sacrificio junto con el mío y,
sublimándote como la música,
conviértete en una segunda hostia...
(La
escena se ilumina con reflejos de color
verde oscuro y
marfil. Tras la réplica de San
Francisco a las palabras del
coro: "Soy yo,
yo
soy!”: aparece una gran cruz de color negro,
que se extiende vertical y horizontalmente
en la
parte posterior del
escenario. La
cruz no es un
objeto palpable, debe obtenerse
a través de una
proyección. Desde
el momento en que aparece
la cruz:
el coro avanza hacia el frente
del escenario
haciéndose visible)
SAN
FRANCISCO
¡Oh, debilidad!... Alma despreciable...
¡Oh,
cuerpo indigno!...
¿Puedo,
Señor, ofrecértelo?...
CORO
¡Soy Yo, soy Yo, soy Yo, soy
el Alfa y el Omega!
Soy
en que va detrás del que va adelante.
Soy
el que va delante del que va detrás.
Todo
procede de Mí, todo lo que se hizo.
Soy Yo, soy quien creó el tiempo y el espacio.
Soy Yo, soy quien creó todas las estrellas.
Soy Yo el que creó todo lo visible y
lo invisible,
los ángeles y los hombres,
todas
las criaturas vivientes.
Yo soy la verdad de
la que parte todo lo verdadero.
La
primera palabra, el Verbo del Padre,
que entregó su espíritu, murió y resucitó.
Sumo
Sacerdote para toda la eternidad.
¡Dios hecho Hombre!
Quien viene del fondo de
los tiempos,
que va del futuro al pasado y
llega para juzgar,
¡para juzgar al mundo!...
(Un
resplandor rojo y invade la escena.
Cuatro
rayos de luz que salen de la Cruz,
golpean
las manos y pies de Francisco.
Un
quinto haz de luz que surge de
la Cruz
golpea el costado derecho del santo. Se
pueden ver las cinco manchas de sangre
en manos, pies y costado de Francisco.
Poco a poco la claridad
va emergiendo.
Toda
la escena es de color rojo anaranjado.
La enorme cruz negra ahora refulge cual
oro y brillantes.)
CORO
Francisco...
SAN
FRANCISCO
¡Señor mío y Dios mío!
CORO
Francisco...
Muchos
desean mi reino celestial,
pero
no están dispuestos a llevar mi cruz.
SAN
FRANCISCO
¡Habla, Señor!
¡Habla, Señor, que
tu siervo escucha!
CORO
Francisco...
Francisco...
Si estás dispuesto a
llevar mi Cruz
ella misma te llevará a
la meta deseada.
¿Acaso no hay una carga que
debamos soportar
a cambio de la vida, de
la vida, de la vida eterna?
(San
Francisco está de rodillas, los brazos
en alto, inmóvil, como en éxtasis.)
Cuadro Octavo
La Muerte y la Vida Nueva
(En
la pequeña iglesia de la Porciúncula,
incluida dentro
de la de Santa María de los
Ángeles. Bóveda ennegrecida por el humo de
las velas. Austeros
muros de piedra desnuda
sin tallar y colocada de mala manera, sin
orden
alguno. Es
casi de noche. Todos
los hermanos
están presentes: Silvestre, Rufino,
Bernardo,
Maseo, León y otros. San
Francisco, moribundo,
está tendido en el suelo.
Los hermanos de rodillas
lo rodean en semicírculo.
En la parte posterior de
la escena se distinguen formas negras, es el coro)
SAN
FRANCISCO
¡Adiós
tiempo creado!
¡Adiós espacio creado!
¡Adiós,
monte de La Verna! ¡Adiós bosques!
¡Adiós rocas que me habéis cobijado en vuestro seno!
¡Adiós, mis queridos pájaros!
¡Adiós,
hermano gheppio, mi cernícalo!
¡Adiós, hermana capinera, mi curruca de cabeza negra!
¡Adiós, ciudad santa de Asís,
por
ti, muchas almas se salvarán!
¡Adiós,
Santa María de los Ángeles!
¡Adiós,
pequeña iglesia de la Porciúncula,
que
la Señora Pobreza te guarde
junto con
su hermana la Santa Humildad!
¡Adiós,
hermano Maseo!
¡Adiós, hermano León!
¡Adiós ovejitas, pequeñitas de Dios!
¡Adiós,
hermano Bernardo,
mi primer discípulo, mi
primogénito!
¡Adiós a todos vosotros, hermanos míos!
Permaneced en paz, amados hijos...
HERMANO
BERNARDO
¡Padre
Francisco, quédate con nosotros!
No
nos dejes; se hace tarde
y
el día ya ha declinado...
HERMANO
MASEO
Es
de noche...
HERMANO
LEÓN
Es
de noche;
las
alondras ya no cantan...
SAN
FRANCISCO
Pero
nuestro hermano el ruiseñor va a cantar...
¡Cantad,
mis pequeñas ovejitas!
Yo voy a cantar, ¡cantemos todos con él!
¡Alabado
seas, Señor, por nuestra hermana la muerte,
por nuestra hermana la muerte corporal!
¡La muerte! De quien ningún hombre puede
escapar.
¡Gloria
a Ti, Señor!
TRES
HERMANOS
(Silvestre,
Rufino, Bernardo)
En
mi angustia vengo a Ti;
CORO
Pero
tú, tú conoces mi camino.
TRES
HERMANOS
(Silvestre,
Rufino, Bernardo)
Señor, Tú serás mi parte...
CORO
... en
el mundo de los vivos.
TRES
HERMANOS
(Silvestre,
Rufino, Bernardo)
A
mi alrededor estarán los justos:
CORO
Ellos
esperarán hasta que me recompenses.
TRES
HERMANOS
(Silvestre,
Rufino, Bernardo)
¡Escucha
mi clamor,
libera
mi alma de su prisión!
CORO
Y
que tu santo nombre sea bendecido.
SAN
FRANCISCO
¡Bienaventurado
sea aquel que encuentre
la primera
muerte conforme a tu santa voluntad;
la
segunda muerte no le hará ningún daño!
¡Gloria
a Ti, Señor!
(Los
hermanos se levantan.)
CORO
¡Clamé, ah! ¡Y mi voz, ah!
Llamo, y mi voz, y
mi voz clama, y mi voz dice: ¡ah!
¡Al
Señor, al Señor imploro!
(Todo
se ilumina, el ángel aparece de repente
ante San Francisco. Es
visible solo para él y no
para los demás)
EL
ÁNGEL
¡Francisco!
¡Francisco! Acuérdate...
¡Francisco!
¡Francisco!
El canto en la ventana...
Pero
Dios, pero Dios, pero Dios es
más grande,
más grande que tu corazón.
Él
lo sabe todo.
(El
leproso aparece junto al ángel. Va muy ricamente
vestido, como
al final del cuadro tercero. También,
en este caso, es sólo visible para
San Francisco.)
EL
ÁNGEL
¡Él
es! ¡Es el leproso al que le diste un beso!
Murió
santamente,
y vuelve ahora conmigo para ayudarte.
Ambos
te guiaremos para entrar en
el Paraíso,
en la luz, ¡la
luz de la gloria!
Ha
llegado el día.
En unos momentos, escucharás
la música de lo invisible...
escucharás
la música de lo invisible...
y
la oirás por siempre...
(El
ángel y el leproso desaparecen.
Las
campanas empiezan a sonar.)
SAN
FRANCISCO
¡Señor!
¡Señor!
¡Señor!
¡Señor!
La música y la poesía me
han conducido hasta Ti
a través de imágenes y símbolos, accedí a la verdad.
¡Señor!
¡Señor!
¡Señor!
¡Señor!
¡Señor ilumíname con
tu presencia!
Libérame, embriágame, deslúmbrame por siempre
con
tu verdad inagotable...
(expira)
HERMANO
LEÓN
Ha
partido...
Como
un silencio, como un discreto silencio
que
podemos tocar con las manos.
Ha
partido... como una lágrima,
como
una lágrima de agua clara
que cae lentamente
del pétalo de una flor.
Se ha ido como una mariposa,
una mariposa dorada que revolotea en la Cruz
para
ir hasta más allá de las estrellas...
(Todo desaparece y se oscurece. El
coro se
desplaza hacia delante de la escena. Un único
e intenso rayo de luz ilumina el cuerpo de San
Francisco. Esta
luz deberá aumentar
gradualmente hasta
el final del acto. Cuando
se
vuelva insoportable y
cegadora, caerá el telón.)
CORO
Diferente
es el brillo de la luna,
diferente
al del sol, ¡Aleluya!
Diferentes son los cuerpos terrestres,
diferentes
son los cuerpos celestiales, ¡Aleluya!
Así como los resplandores de las estrellas difieren,
lo
mismo sucederá en la resurrección de
los muertos. ¡Aleluya,! ¡Aleluya!
¡Del
dolor, de la debilidad e ignominia
él resucitará, él resucitará,
resucitará pujante, en gloria y alegría!
Digitalizado
y traducido por:
José Luís Roviaro 2015
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