ACTE
I
(Un
salon précédant l'atelier du sculpteur
Caoudal. Une
nuit de bal costumé)
(Au lointain, dans l'atelier, bruit de conversations
très
animées, mêlées d'exclamations
très bruyantes. Des
invités entrent
dans le salon précédant l'atelier. Un
orchestre de faux Tziganes fait rage dans
l'atelier au
lointain.)
LA FOULE
(en criant, avec gaîté)
Une! deusse!
(Caoudal, La Borderie, entourés d'amis
et de petites
femmes travesties, sortent brusquement de
l'atelier,
en riant.)
CAOUDAL
Eh! jeunesse, regardez-nous!
QUELQUES
Regardez-le!
CAOUDAL
Les vieux sont maintenant les plus gais, les
plus fous!
QUELQUES
Les vieux sont les plus fous!
LA BORDERIE
(cherchant à s'esquiver)
Je n'en puis plus!
LA FOULE
Ah!
LA BORDERIE
Je n'en puis plus! Cher Maître!
CAOUDAL
(le retenant)
Tu veux filer peut-être?
LA FOULE
(en plaisantant La Borderie)
Il n'en peut plus! Il n'en peut plus!
CAOUDAL
(à La Borderie)
Allons donc! Allons donc!
(montrant des petites femmes qui
écoutent)
Regarde, Regarde autour de toi...
Bayadère à l'oeil noir,
Colombine charmante,
Andalouse gentille, Arlequine troublante!
Andalouse, Colombine... Arlequine,
Bayadère...
Se donnent rendez-vous chez moi!
Ohé! jeunesse!
TOUS
(à La Borderie)
Ohé! jeunesse!
TOUS, CAOUDAL
Ohé! Faisons les fous, amusons-nous!
Des baisers cueillons la caresse!
LA BORDERIE
Faites les fous, amusez-vous!
Mais laissez-moi me sauver
Avant que le jour ne paraisse!
TOUS, CAOUDAL
(autour de La Borderie)
Ohé!
LA BORDERIE
Non! non! bonsoir!
CAOUDAL
(en charge, en riant et en lui fermant la
retraite)
Empêchez-le de se sauver!
TOUS
(comme Caoudal, même jeu, en charge)
Empêchons-le de se sauver!
Ohé! Non! Non! tu ne peux pas t'esquiver!
CAOUDAL
Ayant que le jour ne paraisse!
Empêchez-le de se sauver!
Non! non! tu ne peux pas t'esquiver!
LA BORDERIE
(se débattant)
Ah! laissez-moi donc m'esquiver!
Ah! laissez-moi donc m'esquiver!
Non! non! laissez-moi!
Caoudal a vingt ans!
CAOUDAL
Non! soixante printemps!
LA BORDERIE
(se laissant emmener par un groupe de
petites femmes)
Je n'en puis plus!
CAOUDAL
(avec pitié, tout en riant)
Et ça s'appelle la jeunesse!
(Des groupes rentrent dans l'atelier.
Jean a paru et
se dirige vers la sortie. Caoudal
l'arrête au passage.)
CAOUDAL
Vous aussi, vous fuyez la danse?
Et pourtant, à votre âge, on est plein de
vaillance...
JEAN
Je n'ai jamais dansé
(La Borderie va reparaître entouré de
petites femmes.)
Et me sens tout embarrassé...
CAOUDAL
Ça vous change de la Provence!
JEAN
Ah! je ne puis dire combien!
LA BORDERIE
(qui s'est approché de Jean, en
plaisantant)
Té mon petit, je le vois bien!
CAOUDAL
Allons! courage! confiance!
LA BORDERIE
Le premier pas est tout, et le reste n'est
rien.
FEMMES
(quelques petites femmes en passant,
à l'oreille de Jean)
Rien!
CAOUDAL
(les montrant à Jean, de bonne humeur)
Connaissez-vous ces belles filles?
JEAN
Non, monsieur.
CAOUDAL
Comment les trouvez-vous?
JEAN
Mais... gentilles.
CAOUDAL
Faut-il vous présentes?
JEAN
Elles riraient de moi...
QUELQUES FEMMES
(quelques femmes qui se sont
arrêtés
pour écouter, entr'elles, en riant)
Ah! ah! vraiment!
JEAN
Les femmes me font peur!
LA BORDERIE
(à Jean)
Pourquoi?
QUELQUES FEMMES
(à Jean)
Pourquoi?
LA BORDERIE
(à part: aux femmes, en s'éloignant
avec elles)
C'est être un peu naïf!
CAOUDAL
(à Jean)
Venez-vous?
JEAN
Non, je reste!
(Tous se sont dirigés vers l'atelier à
l'exception
de Jean. Seul, à lui-même)
Est-ce vraiment un songe,
Qui trouble mon esprit et déroute mon
coeur?
Voilà donc ce qu'on nomme ici-bas le
bonheur!
Mensonge!
TOUS
(au lointain, dans l'atelier, criant
à tue-tête)
Silence! taisez-vous! Chante! chante!
Chante!
LA VOIX DE FANNY
(vieille chanson d'atelier, fortement et
très rythmé)
La reine des modèles,
(Les dames des choeurs reprennent à
l'unisson
à partir de ce signe jusqu'à la fin du
morceau.)
Le plus beau...
TOUS
Le plus beau...
FANNY
Qui pose sans ficelles,
C'est Sapho!
TOUS
C'est Sapho!
FANNY
Zoé, Paulette, Angèle,
La grande Adèle et Rébécca
Sont d'la p'tit, bièr' à côté d'ça!
Le plus beau, c'est Sapho!
LA FOULE
Zoé, Paulette, Angèle,
La grande Adèle et Rébécca
Sont d'la p'tit' bièr' à côté d'ça!
LA FOULE, FANNY
Le plus beau... c'est Sapho!
(Un ban formidable est exécuté par
toute la foule.)
JEAN
Ce monde que je vois, ces chansons que
j'écoute,
Tout, dans ce bal... me trouble et me
déroute...
Ah! qu'il est loin... mon pays!
Ah! qu'il est loin mon pays de clarté, de
soleil,
qu'il est loin mon pays!
Là! mille fleurs odorantes
Dans le couchant vermeil
Exhalent par les airs leurs senteurs
pénétrantes;
Ah! qu'il est loin mon pays! mon pays de
soleil...
où le Rhône bondit et roule impétueux,
Ses flots couleur d'azur que jalousent les
cieux!
Mon pays... où le soir, dans la verte
oseraie,
L'on peut aller rêver sans que rien vous
effraie;
Où l'on entend passer dans les grands
arbres verts,
Le vent, chantant plus fort, durant les
courts hivers...
mon pays! mon
pays!
mon pays où tout dit l'amour et
l'espérance!
Ah! qu'il est loin de mes yeux!
qu'elle est loin ma Provence! qu'elle est
loin!
Hélas! qu'elle est loin!
(De bruyantes exclamations gaies et
prolongédes,
mêlées de rires, éclatent dans
l'atelier. Aussitôt,
tous entrent en tumulte à la suite de
Fanny, Caoudal,
La Borderie et les hommes, très
empressés.)
INVITÉS
(en suppliant et avec empressement,
autour de Fanny)
Un baiser!
Un baiser!
FANNY
(cherchant à se dégager de tous les
hommes qui l'entourent)
Non! non! voyons!
LA BORDERIE
... un baiser! ... un seul!
CAOUDAL
... un seul!
FANNY
Taisez-vous! voyons! non! non! allez,
jolis farceurs, vrai! vous me
faites rire!
ah!
Adorateurs, courtisans,
ah! poètes, amoureux, flatteurs,
médisants!
courtisans,... flatteurs!
amoureux,... flatteurs
cachant mal votre jeu
sous un charmant sourire. ah!...
INVITÉS, CAOUDAL, LA BORDERIE
(suppliants et tout riant)
... un baiser!
FANNY
... allez! allez! non!
ah! ah! allez! jolis farceurs,
Vrai vous faites rire! ah!
Vrai!
(Mouvements dans les groupes: impression
de
mécontentement, de déception et
d'indifférences
aussi. Tous vont et viennent. Jean
regarde Fanny
avec trouble sa physionomie semble
s'éveiller à
un nouveau sentiment qui l'émeut et la
transfigure.
Fanny s'approche de Caoudal et lui
désigne Jean.)
(à Caoudal, à part)
Quel est ce beau garçon?
CAOUDAL
(distraitement)
Je ne sais...
FANNY
Tiens!
il faut que je lui parle!
CAOUDAL
(faisant un signe qui veut dire:
«incorrigible.»)
Bien! allons, toujours Sapho!
(Il s'éloigne en riant. Fanny d'abord
embarrassée
et hésitante, malgré sa résolution,
finit par arriver
doucement près de Jean.)
FANNY
(à Jean)
Comment vous nommez-vous?
JEAN
Jean Gaussin.
FANNY
De Provence?
JEAN
Ça s'entend?
FANNY
(souriante)
Pas beaucoup. Artiste... je le pense.
JEAN
Non, madame!
FANNY
Ah! tant mieux!
Mais, pourquoi baissez-vous les yeux...
Je ne suis pas méchante...
JEAN
Vous vous moquez de moi?
FANNY
Moi, me moquer de toi!
Pas artiste!
mais ça m'enchante!
LA BORDERIE
(sortant de l'atelier, bruyant et gai)
Le couvert est mis!
CAOUDAL
Le couvert est mis!
FANNY
(bas à Jean)
... à bientôt!
LA BORDERIE
(ramenant un groupe)
Hé! les amis!
CAOUDAL
(entraînant les groupes pour rentrer
dans l'atelier)
... les amis! à table!
à table!
TOUS
(en charge, en rentrant dans
l'atelier)
Plaisir de la table,
Bonheur véritable!
Plaisir...
LA BORDERIE
Assez!
(Tous ont pénétré dans l'atelier.)
LES VOIX DE CAOUDAL
(appelant Fanny)
Sapho! Sapho!
FANNY
(haletante, barrant le passage à Jean
qui veut entrer dans l'atelier)
N'y va pas! n'y va pas! non!
Viens avec moi plutôt! viens donc! viens
donc!
JEAN
(à part, très troublé)
J'ai le vertige...
FANNY
Viens te dis-je...
JEAN
Ah! je sens que malgré moi...
je vais... où vont ses pas!
FANNY
Viens donc, m'ami!
LA FOULE
(dans l'atelier)
Le plus beau des modèles: c'est Sapho!
Le plus beau des modèles: c'est Sapho!
FANNY
Ah!
Viens donc!
(Ils s'enfuient.)
CRIS DANS L'ATELIER
Sapho! Sapho! Sapho!
ACTE
II
(Le
logement de Jean Gaussin à Paris,
rue d'Amsterdam)
JEAN
(chantonnant, tout en travaillant[Air
provençal
sur la poésie de Frédéric Mistral])
O Magali, ma tant amado,
mete la testo au fenestroun.
CESAIRE
Escouto un pau a questo aubado
De tambourin e de viouloun.
JEAN
(à Césaire)
Vous vous donnez bien de la peine,
père...
CESAIRE
(haussant les épaules)
Tais-toi!
JEAN
(regardant avec amour un tableau suspendu
au mur)
Notre maison...
avec ses bois de myrtes dans la plaine
Et ses vagues à l'horizon;
Maman Divonne est sur la porte,
En la voyant toujours, toujours devant mes
yeux,
Je travaillerai mieux; sa présence me
réconforte.
CESAIRE
A nous tu penseras souvent?
JEAN
Oui, père...
Mais où donc est ma mère?
CESAIRE
Au couvent,
Pour y chercher Irène,
l'orpheline, notre nièce.
JEAN
Ah! je devine,
Vous l'emmenez!
CESAIRE
Nous l'adoptons.
Elle nous tiendra compagnie,
Remplaçant le fils que nous regrettons.
JEAN
(envoyant un baiser au tableau
en souvenir de Divonne)
Pour toutes vos bontés. mère, soyez
bénie.
(Divonne apparaît avec Irène.)
DIVONNE
C'est nous!
Jésus! quelle villasse que ce Paris!
que de tours et de pas! ah! Jésus!
Et ce monde qui passe, qui passe, qui passe!
Ces gens font les pressés!
Tous ces gens son insensés!
Que je préfère être là-bas! ah!
(levant les bras au ciel)
bon D'iou! ah! bon D'iou! que je suis lasse!
Bon D'iou! Bon D'iou! que je suis lasse!
(regardant autour d'elle et changeant
d'allure et de ton subitement)
Eh! qué!
rien n'est encore en place!
Puavre petit!
CESAIRE
C'est fini!
gronde pas!
JEAN
(à Divonne)
Bonjour, maman!
DIVONNE
Bonjour, Pitchoun! Té! c'est Irène! Tu
cousine.
IRENE
Mon cousin, bonjour!
DIVONNE
(à Jean)
Hein? qu'en dis-tu? fraîche comme le
jour,
Belle comme une reine!
Vous vous êtes connus jadis sur mes genoux!
(à Césaire)
Césaire,
Il faudra partir tout à l'heure!
Allons-nous,
en attendant, visiter la demeure,
Voir s'il ne manque rien.
(à Jean)
Pécaïré! Embrasse-moi! Vaurien!
(Divonne et Césaire s'éloignent.)
JEAN
Chers parents!
(à Irène)
Vrai, je vous envie d'aller avec eux passer
votre vie,
De revoir mon pays de clarté, de soleil,
D'amour et d'espérance!
Ah! qu'il est loin mon pays!
Qu'elle est loin ma Provence!
IRENE
C'était bien gentil, autrefois,
quand nous allions par les bois!
Quand nous allions par les bois tous les
deux!
Avec Blanchet, notre âne si fidèle...
quand nous allions par les bois, tous les
deux!
Ses clochettes sonnaient, il allait
trottinant!
J'étais fière sur la selle! Ah!
Quand nous allions par les bois tous les
deux!
JEAN
Et moi, donc, vous tenant par la main...
je me disais: qu'elle est belle!
IRENE
Cétait bien gentil, autrefois,
quand nous allions par les bois!
Quand nous allions par les bois tous les
deux!
Et vous rappelez-vous quand nous nous
amusions,
Pour imiter l'image de la Bible!
JEAN
A la fuite en Egypte!
IRENE
Où nous étions:
vous, Saint Joseph, et moi, Sainte Marie.
JEAN
(avec un bon sourire)
Je m'en souviens, petite amie.
IRENE
Puis...
nous nous sauvions,
Pour fuir l'ordre d'Hérode, un monarque
terrible
qui faisait massacrer par ses centurions
les pauvres Innocents!
JEAN
(souriant)
Ah! que nous tremblions!...
IRENE, JEAN
...ah! que nous tremblions!
IRENE
Vous souvient-il aussi, lors que nous
revenions,
que c'était beau dans la prairie,
D'écouter l'appel du courlis,
ou le vent qui sifflait ses joyeux
frizzelis!
JEAN
Je m'en souviens, petite amie.
IRENE
Et, quand venait la nuit,
Tous les contes de la veillée...
Revivaient à nos yeux,... alors, au moindre
bruit...
Je prenais votre bras, frissonnante,
effrayée...
Et sans oser parler tous deux nous
rentrions.
JEAN
(en souriant)
Ah! que nous tremblions...
IRENE, JEAN
(l'un près de l'autre)
...ah! que nous tremblions...
JEAN
Puis, sur le seuil, en arrivant
Irène m'embrassait...
gentiment, doucement.
IRENE
Une soeur sans pécher peut embrasser son
frère,
Et vous l'étiez pour moi...
JEAN
Ai-je changé pour toi?
IRENE
(baissant les yeux)
Ah!
JEAN
Donc en t'embrassant, je ne peux te
déplaire... Dis?
IRENE
Non,... puisqu'une soeur embrasser son
frère...
JEAN
Comme autrefois...
IRENE
Comme autrefois tous les deux!
IRENE, JEAN
... par les sentiers... et par les bois...
Comme autrefois... comme autrefois!
(Ils s'embrassent quand paraissent
Césaire
et Divonne. es enfants sont honteux.)
DIVONNE
(à Césaire, joyeusement)
Regarde-les, bon Dieu!
(Divonne qui avait à la main la lampe
allumée va la poser sur la table.)
CESAIRE
L'on ne vous en veut pas!
Non! Sangdiou! au contraire!
DIVONNE
(à Jean)
Il faut nous dire adieu!
JEAN
Moi, je vous reconduis...
DIVONNE
Reste là bien tranquille,
Reste là... devant ta table, là... et ne
va pas le déranger...
C'est le travail qui dans la grande ville
te préservera du danger.
CESAIRE
Ô ma brave Divonne!
DIVONNE
Petit, voici ta lampe!
Elle est vieille mais bonne!
Jadis, à sa clarté
Dans la sérénité des soirs d'automne,
Je connais tes habits d'enfant...
L'âme en repos, le coeur content,
Lorsque tu dormais dans ta berce,
à sa lueur je t'ai surpris,
Derrière les rideaux de Perse,
Souriant comme un ange à ceux du Paradis!
Pour la dernière fois... aujourd'hui,...
je te donne ce doux nom de petit...
JEAN
Maman!
CESAIRE
Divonne!
DIVONNE
Adieu! adieu! Travaille!
Espère, et sois un homme
Sous l'oeil consolant du bon Dieu! nous
prierons!
Nous prierons le bon Dieu pour toi! mon cher
enfant,
vous prierons Dieu pour toi! pour toi! mon
cher enfant!
à bientôt! adieu!
IRENE
Nous prierons le bon Dieu pour vous!
Nous prierons le bon Dieu pour vous! ah!
pour vous!
pour vous! ah! nous prierons Dieu! Hélas!
adieu!
CESAIRE
Nous prierons le bon Dieu pour toi!
Nous prierons le bon Dieu pour toi! pour
toi!
le bon Dieu pour toi! pour toi! mon cher
enfant!
à bientôt! adieu!
JEAN
Adieu, mes chers parents! adieu!
Vous seuls que j'aime tant! Hélas! adieu!
ma bonne mère! adieu! adieu! adieu! mes
chers parents!
Hélas! adieu!
(Césaire et Divonne vont prendre les
paquets.)
IRENE
(avec sentiment: à Jean, presque à
part)
Vous laisser seul ici... c'est triste...
DIVONNE
(à Césaire, à part)
Eh! vas-tu pas pleurer aussi...
IRENE
Pauvre grand frère...
JEAN
Adieu, chers parents! bonne mère! petite
soeur...
IRENE, DIVONNE, JEAN, CESAIRE
...à bientôt!
(Ils disparaissent.)
JEAN
(seul)
Ils s'en vont! Ils s'en vont... c'est la
solitude!
Maintenant que je les ai vus,
Et que j'ai respiré cet air de quiétude...
Et de bonheur à peine entrevus
Je voudrais retourner vers la chère
demeure!
Ah! pourquoi faut-il se quitter?
Au moment où l'on a tant besoin de s'aimer!
Me voilà seul à Paris dans la foule
Qui gronde autour de moi comme gronde la
houle...
Tant de monde
et personne à soi!
Ils reverront notre chère demeure...
J'ai froid au coeur, je m'attriste
et je pleure!
Hélas! ils sont partis et déjà loin de
moi! loin de moi!
(Jean s'installe pour travailler. Il
prend ses livres, etc.
Avec un soupir)
A l'ouvrage!
(s'interrompant et toujours dans ses
pensées)
Pauvre maman... que n'es-tu donc toujours
auprès de ton enfant...
Pour lui dire si tendrement:
(répétant les paroles de Divonne)
"C'est le travail qui dans la grande ville
Te préservera?"
Le travail serait facile,
En t'écoutant!
Et mon bon père, et ma petite amie...
Elle est si douce, si jolie...
Sou baiser de chaste
pureté a laissé son parfum tout embaumer
mon âme;
Je pourrais être heureux si j'en faisais ma
femme...
(Fanny vient d'entrer, sans frapper
et s'approche doucement.)
FANNY
Bonjour, m'ami!
JEAN
Comment! c'est vous, Fanny!
FANNY
Moi-même!
Tu croyais que c'était fini...
Non pas,
quand j'aime c'est pour longtemps.
Si depuis quelque temps
j'avais cessé de te rendre visite,
C'est que je savais que tu recevais tes
parents,
et cette petite... Pas mal du tout
ta soeur? mon compliment!
JEAN
Non, ma cousin.
FANNY
Elle est gentille.
Il n'y a qu'un moment, j'ai vu s'éloigner
ta famille,
Je guettais son départ et me voici.
JEAN
Ma mère a voulu m'installer ici!
Dans mon petit chez moi...
...pour que mieux je travaille.
FANNY
Je comprends,
il faut que je m'en aille...
JEAN
J'ai travaillé parfois lorsque vous étiez
là...
FANNY
Alors... je reste... et serai sage. Voilà!
(Fanny examinant la pièce.)
De jolis meubles...
Le grand paysage...
(geste d'atelier)
Du caractère et de la vérité.
JEAN
C'est notre maison de là-bas!
FANNY
Sous cet arbre qu'on serait bien abrité
Pour s'aimer là...
(regardant la Sapho de Caoudal)
Tiens. vous avez ce marbre?
JEAN
Mais... oui... c'est bien possible.
FANNY
J'ai contre tout artiste une haine
invincible...
Faut jamais m'en parler.
Ils m'ont fait tant de mal.
JEAN
Pourtant, l'art c'est pour égayer la vie,
Rendre le
coeur meilleur et la route plus fleurie...
FANNY
(marchant sur lui, son visage tout près
du sien)
Ce que j'appelle beau, c'est d'avoir
tes vingt ans,
Et comme toi, m'aime, d'être fier, d'être
brave,
Et de sentir son coeur si fort que nulle
entrave
Ne s'en vienne arrêter ses sublimes élans.
Ce que j'appelle beau,
c'est toute créature
S'élevant par l'amour au dessus des
rancoeur,
Ou subissant la loi d’éternelle nature,
Enfin!
deux êtres réunis par le sang de leurs
coeurs!
Ce que j'appelle d’avoir
tes vingt ans!
(lui montrant sa table et l'y conduisant)
Travaille!
JEAN
Viens!
FANNY
(souriante et raisonnable, le
forçant à s'asseoir à sa table)
...travaille!
(Fanny quitte Jean et, à part, comme
assombrie par une soudaine pensée)
Est-ce un rêve mensonger venant comme
l'oiseau léger bercer mon coeur et le
frôler...
N'est-ce qu'un rêve mensonger...
Hélas! une caresse vaine et brève?
Pauvre Sapho! N'est-ce qu'un rêve?
O Magali, ma tant amado,
Mele la testo au fenestroun.
JEAN
(à part, écoutant comme fasciné)
Le vieil air du pays!
FANNY
Escouto un pau a questo aubado
De tambourin e de viouloun.
Ei plen d'estello aperamount!
L'auro es toumbado;
Mai lis estello paliran, quand te veiran!
Mai lis estello paliran, quand te veiran!
JEAN
(éperdu et courant à Fanny)
O ma Fanny que j'aime, que je voudrais
toujours,
toujours t'entendre chanter ainsi la chanson
des amours!
«O Magali ma tant amando»
En t'écoutant, je ne suis plus moi-même!
Je t'aime! Je t'aime!
FANNY
Il m'aime!
Et cependant, il faut se dire adieu.
Mieux vaut en finir tout de suite, hélas...
Pourrais-je m'en aller ensuite?
JEAN
Tu n'es pas libre?
FANNY
Dieu! Libre de tout amour,
puisqu'à vous je me donne.
JEAN
(la retenant)
Tu m'appartiens, Fanny!
FANNY
Je ne suis à personne.
JEAN
A personne!
FANNY
A toi seul, si tu veux de moi! ah! garde-moi
toujours là... toujours avec toi, toujours
là!
JEAN
Je suis pauvre.
FANNY
Qu'importe!
JEAN
Oh! mon, c'est impossible? pourquoi?
Pendant que tu travaillerais,
Sans bruit, moi, je m’occuperais
Du ménage.
Si bien que toi me regardant,
Coquette en mon tablier blanc,
Tu m'en aimerais
davantage.
Et le dimanche nous irions,
Près de l'étang de Villebon,
nous perdre tous les deux dans les bois de
Meudon
Et de Sèvres! ah! comme nous ririons!
Puis, nous déjeunerions sur l'herbe,
Et reprenant le chemin dans les bois de
Meudon...
Je te cueillerais une gerbe
De beaux lilas et de jasmin.
JEAN
... le chemin dans les bois!
Tu me cueillerais une gerbe
De beaux lilas et de jasmin.
FANNY, JEAN
Un dimanche!
... ah! laisse-moi t'aimer de toute ma
tendresse, ah!
Je suis [Reste] là, dans les [mes] bras,
Tes chers yeux dans mes yeux,
Qui plus que nous peut être heureux,
Prends la caresse de mes baisers!
JEAN
Aimons-nous!
FANNY
Aimons-nous! aimer est si doux!
JEAN
Aimer est si doux!
Enfermons-nous!
FANNY
Voici la nuit...
Enfermons-nous!
JEAN
Enfermons-nous!
ACTE
III
1r
Tableau
(Dans le jardin d'un restaurant,
à Ville d'Avray, un dimanche)
LE VOIX DE FANNY
(dans le petit chalet fermé, à pleine
voix et comme à volonté)
Et le dimanche nous irions
Près de l'étang de Villebon!
(Fanny dont la voix a été entendue
dans l'intérieur du petit chalet
paraît.)
La! la! La la!
La! La! la! la!
Je te cueillerais une gerbe
De beaux lilas et de jasmin. la!
(Fanny descend le petit perron.)
Le beau soleil pour les amours!
(à Jean qui a paru à côté d'elle)
Sortons-nous?
JEAN
Sortons!
(Il va pour l'embrasser)
FANNY
(souriante, à part)
Prends bien garde...
Un vieux ménage... on nous regarde.
JEAN
Un ménage d'un an, les jours ont passé
vite!
Oh! Fanny, ma maîtresse!
Tu me prends tout entier.
FANNY
Non, pas encore assez!
Je te veux plus à moi,
je veux que ma tendresse
N'ait plus le souci des instants passés.
JEAN
Voilà pourquoi cette campagne me plaît,
Car pendant la belle saison
Dans notre petite maison
Nous vivrons tous les deux bien seuls...
FANNY
Ta compagne chaque soir t'attendra!
Lorsque son ami reviendra,
Nous irons en rêvant de baisers, de
chansons...
JEAN
Nous irons en rêvant...
FANNY, JEAN
Sous les bois nous irons en rêvant,
sous les bois dont la haute cime s'incline,
Au doux gazouillement des merles,
des pinsons, nous irons en rêvant!
En rêvant!
JEAN
Ah! Fanny!
FANNY
Voyons! soyons sages...
Donne moi ton bras,
Te sentir ainsi
tout près de moi, comme ceci, là! là!
Je suis fière, m'ami.
JEAN
Viens!
FANNY
Viens!
JEAN
Sur nos deux visages
plus radieux que ce beau jour...
FANNY, JEAN
Ceux qui passent liront notre fervent amour.
JEAN
Viens!
FANNY
Allons en rêvant sous les bois.
FANNY, JEAN
Viens, allons en rêvant de baisers, de
chansons...
sous les bois nous irons en rêvant,
sous les bois dont la haute cime s'incline,
Au doux gazouillement des merles, des
pinsons,
nous irons en rêvant!
En rêvant!
(Ils s'éloignent lentement.)
Allons en rêvant! Allons rêver!
(Les deux vois invisibles)
Allons rêver! Allons en rêvant!
Viens!
(Caoudal a paru au fond. Il regarde
l'enseigne du
Restaurant, et fait signe, gaiement,
aux amis que
l'on ne voit pas encore. La Borderie
le suit de près
et agit de même.)
CAOUDAL
Par ici! Par ici!
LA BORDERIE
Par ici! Par ici!
CAOUDAL
(montrant l'Enseigne tout en la lisant)
«A la Friture sans Pareille»
LA BORDERIE
(continuant la lecture de l'Enseigne)
«Ce Restaurant est excellent»
CAOUDAL, LA BORDERIE
Nous serons à merveille!
(faisant encore signe aux amis)
Par ici!
(Apparaît alors toute la petite troupe
des amis
et amies, tous,
très gais, très bruyants. Appelant:
les 2 mains en porte
voix)
Ohé! Patron!
AMIS
Ohé! Patrons!
CAOUDAL
Qu'on se dépêche, nous avons tous la gorge
sèche!
LA BORDERIE, AMIS
Non! non! non! pas le garçon!
Le Patron!
CAOUDAL, LA BORDERIE, AMIS
Le Patron!
LE PATRON
Bonjour, Messieurs, bonjours,
Mesdemoiselles.
(reconnaissant un client)
Ah! Monsieur Caoudal!
Voulez-vous déjeuner dans l'arbre
ou bien sous les tonnelles?
LA FOULE
Oh! oui, dans l'arbre!
Non! non! sous les tonnelles!
LA BORDERIE
Non! non! sous les tonnelles!
CAOUDAL
Non! dans l'arbre!
LA FOULE
Non! dans l'arbre!
LE PATRON
Bien!
CAOUDAL
Il s'agit de nous apporter de ton vin fameux
entre mille!
Corbleu!
LE BORDERIE, AMIS
Nous nous y connaissons, Corbleu!
LE PATRON
J'entends.
CAOUDAL
Donne du blanc,
LA BORDERIE
Mais pas du bleu!
AMIS
Mais pas du bleu!
LE PATRON
Du bleu!
(à Caoudal, d'un air de suffisance)
Soyez tranquille, vous serez bien servi!
CAOUDAL
(continuant)
Puis, ce soir... pour dîner, nous
reviendrons!
LA BORDERIE, AMIS
Nous reviendrons!
CAOUDAL
Que vas-tu bien nous cuisiner?
LE PATRON
Mais... tout ce que vous voudrez...
CAOUDAL
Une énorme friture!
LE PATRON
Deux poulets Marengo,
LA BORDERIE, AMIS
Trois!
LE PATRON
Plus un fort beau gigot.
CAOUDAL
Ce sera bon...
LE PATRON
... je vous le jure!
LA BORDERIE
C'est entendu!
C'est convenu!
CAOUDAL
C'est entendu!
LE PATRON
C'est convenu!
LA BORDERIE, CAOUDAL, AMIS
C'est entendu!
C'est convenu!
CAOUDAL
(tragico-comique, à volonté)
Quand à toi, tavernier du diable!!
Si nous ne trouvons pas, en nous mettant à
table,
Des met délicats, onctueux, délicieux, et
copieux.
C'est toi qu'avec furie et frénésie
Nous embrochons, nous découpons,
nous découpons et mangeons...
A la sauce tartare.
Donc, agis de ton mieux si tu ne veux,
par nos estomacs creux,
Être l'hôte du Styx ou de l'affreux
Tatare!
LA BORDERIE, AMIS
C'est toi qu'avec furie et frénésie,
CAOUDAL, LA BORDERIE, AMIS
Nous embrochons, nous découpons,
nous découpons et mangeons!
LE PATRON
(pressé et voulant retourner à ses
affaires)
C'est promis!
(Il est retenu par La Borderie.)
LA BORDERIE
Il y va de ta vie!
CAOUDAL
Écoute encor:
Il faut que notre table
soit servie à sept heures...
ou la mort!
LA BORDERIE, CAOUDAL, AMIS
... ou la
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah!
LE PATRON
... mort!
(avec garçons)
Qu'on apporte d'abord des biscuits et du
vin...
allez! courez!
CAOUDAL
Par ici les biscuits!
LE PATRON
Dépêchez et servez!
LA BORDERIE
Et le vin?
LE PATRON
Voilà! voilà!
CAOUDAL
Attention, croyez ma vieillesse
Qui regrette bien ses vingt ans...
Amusez-vous quand il en est temps:
(levant son verre)
A la santé de la jeunesse!
LA BORDERIE, AMIS
A la santé de la jeunesse!
LA BORDERIE, CAOUDAL, AMIS
Ohé! ohé! ohé! ohé! ohé! En avant!
(Des musiciens ambulants traversent le
restaurant
et s'arrêtent dans le fond du
jardin. Les musiciens
s'éloignent tout en jouant. Jean a
paru et vient
d'être aperçu par Caoudal.)
CAOUDAL
(à Jean)
Tiens, vous voilà!
JEAN
(qui s'est approché, saluant)
Messieurs!
CAOUDAL
La rencontre opportune!
Ces cheveux, ce teint de soleil
Si jeune et si vermeil,
Pour eux je donnerais bien plus que ma
fortune!
LA BORDERIE
(à Jean)
Vous habitez par ici?
JEAN
Là, tout près!
J'aime les bois et leurs ombrages frais,
On vit mieux qu'à Paris, et tranquille on
respire
L'air embaumé dans un calme infini.
CAOUDAL
Toujours avec Sapho?
JEAN
(très surpris et ne comprenant pas)
Sapho?
CAOUDAL
Mais oui, Fanny! Fanny Legrand.
Sapho, le beau modèle.
JEAN
Quoi! Sapho, ma Fanny!
La Sapho! c'était elle!
(après avoir hésité)
Non... c'est fini...
Je ne la vois plus.
CAOUDAL
Elle est jolie... et pire!
On ne la quitte pas facilement.
Elle s'attache à vous, et l'on souffre pour
elle.
L'amour de Sapho causa plus d'un tourment.
LA BORDERIE
La rupture pour moi fut terrible et cruelle.
JEAN
(à part, avec trouble)
Ah! mon Dieu!
LES AMIS
(entr'eux, en souriant)
Tiens, Sapho!
CAOUDAL
Vraiment en ménage elle a peu de chance...
Puis, un jour, ce graveur...
LA BORDERIE
Froment!
CAOUDAL
N'eut-il pas la démence,
De faire un faux billet... et ce fut la
prison...
Ah! je la vois encore,
Envoyant un baiser à ce pauvre garçon,
criant:
Je t'aime, je t'adore!
Courage! nous nous reverrons!
M'ami, M'ami, je suis ta femme, ta femme,
Et de toute mon âme!
M'ami! oui! nous nous aimerons!
JEAN
(à lui-même, brisé, comme égaré)
M'ami! M'ami!
CAOUDAL
(à La Borderie, en riant)
Fini, maintenant!
LA BORDERIE
Je l'espère!
CAOUDAL
Elle doit être chez son père,
à la campagne, avec son enfant,
LA BORDERIE
... oui, le fils de ce pauvre Froment.
JEAN
Son enfant!
CAOUDAL
(A Jean)
Qu'avez-vous?
JEAN
Je vous mentais, oui!
depuis un an, auprès de cette femme
j'avilissais mon âme, grisé par le
mensonge,
et lui donnant mon coeur, croyez-moi!
j'ignorais tout, ma parole d'honneur!
Je vous avais menti, mais vrai
Dieu! je vous jure que tout est fini
désormais;
Je la méprise autant qu'autrefois je
l'aimais.
(Fanny à ce moment, paraît, radieuse.)
CAOUDAL
(l'apercevant)
Grands Dieux! Sapho!
JEAN
(il va se jeter sur elle et s'arrête
brisé)
Sapho!
LA BORDERIE, AMIS
Sapho!
FANNY
(comprenant tout, à part,
frappé, atterrée)
Ils ont parlé les lâches!
JEAN
Quelle infamie!
Je t'ai tenue entre mes bras,
Et je t'appelais mon amie! non! non!
Je ne me doutais pas, hélas,
qu'une femme pouvait ainsi briser une âme!
ah! j'ai honte! je souffre, et je voudrais
partir,
Rachetant mon erreur par un cruel martyr,
Et maudire à jamais le nom de cette femme!
Fanny, moi qui t'aimais,
Fanny, maintenant je sais tout:
Je connais d'aujourd'hui ton passé
misérable
Que tu m'avais caché.
En captivant mon coeur, tu surprenais ma
foi...
Fanny! Fanny! tu te riais de moi!
Ma tendresse est changée en dégoût,
Redeviens la Sapho, redeviens leur
maîtresse,
Tu m'entends,
Je sais tout! Je sais tout!
FANNY
C'est fini, n'est-ce pas... tu te fâches...
C'est bon!
Retourne chez les tiens...
Il fallait que ça se termine, c'est fait!
Va donc retrouver ta cousine,
A moi tu ne penseras pas...
Tu seras bien heureux là-bas,
Tu vivras tranquille entre ton papa, ta
maman.
Allons... décampe,
File. Je te donne congé...
Va-t-en!
LA BORDERIE, AMIS
(à Sapho, désignent Jean)
Vois! Sapho! Vois! Sapho! Vois! il part!
CAOUDAL
Vois! Sapho! Vois! Sapho! Vois! il part!
JEAN
Eh bien! je pars!
Je pars... pour ne plus te revoir! adieu!
FANNY
Ah!
(Jean s'éloigne précipitamment
lui criant désespérément)
M'ami! m'ami! ils t'ont menti!
Mais maintenant... qu'il est parti,...
Messieurs les beaux parleurs,
les malins, les bravaches...
Non, je ne vous crains pas, vous êtes tous
des lâches!
LA BORDERIE, CAOUDAL, AMIS
Tu nous insultes, toi!
TOUS
Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah! ah!
FANNY
Et vous savez... pourquoi...
Mon bonheur vous a fait... envie...
Cet enfant dont l'amour avait changé ma
vie,
Par votre faute m'a quittée,
Ici l'on s'est vanté
Racontant tout, ma honte, ma misère,
Etalant au grand jour autant de lâcheté!
(à La Borderie; violent)
Et toi, vipère,
Toi qui m'as fait tant pleurer, tant
souffrir,
Ta haine est donc inassouvie,
Puisqu'en brisant mon coeur qui se
régénérait,
Tu me prends plus que la vie!
Hélas!
Je cachais mon amour comme on cache un
trésor,
Vous me l'avez volé, mais je veux vivre
encor,
Pour vous maudire tous,
Et vous faire souffrir
Ce que souffre
mon être!
LA BORDERIE, CAOUDAL, AMIS
Sapho!
FANNY
Laissez-moi, désormais
Mon âme est morte pour aimer...
Mais, je vous hais!
Canailles! canailles!
(2ª version
révisée de la fin du 1º tableau)
CAOUDAL
(à Jean)
Qu'avez-vous?
JEAN
Je vous mentais, oui!
depuis un an, auprès de cette femme
j'avilissais mon âme, grisé par le
mensonge,
et lui donnant mon coeur,
croyez-moi! j'ignorais tout, ma parole
d'honneur!
Je vous avais menti, mais vrai Dieu!
je vous jure que tout est fini désormais,
Je la méprise autant qu'autrefois je
l'aimais.
(Fanny à ce moment, paraît, radieuse.
Jean, à sa
vue, a poussé un cri et s'est enfui
comme un fou.)
CAOUDAL
Grands Dieux! Sapho!
FANNY
Ah! vous avez parlé?
Vous lui avez tout dit?
LA BORDERIE, CAOUDAL, AMIS
Mais non... non...
FANNY
Oh! les lâches! les lâches! les lâches!
Mais maintenant... qu'il est parti...
Messieurs les beaux parleurs, les malins,
les bravaches,
Non! je ne vous crains pas, vous êtes tous
des lâches!
CAOUDAL
Voyons! Fanny! calme-toi!
LA BORDERIE
Calme-toi!
LES AMIS
... nous somme tes amis! Fanny!
LA BORDERIE, CAOUDAL
... calme-toi!
FANNY
Et vous... savez... pourquoi...
Mon bonheur... vous a fait... envie...
Cet enfant dont l'amour avait changé ma
vie,
Par votre faute m'a quittée.
Ici l'on s'est vanté
Racontant tout, ma honte, ma misère,
Etalant au grand jour autant de lâcheté!
(à La Borderie; violent)
Et toi, vipère,
Toi qui m'as fait tant pleurer, tant
souffrir,
Ta haine est donc inassouvie,
Puisqu'en brisant mon coeur qui se
régénérait,
Tu me prends plus que la vie!
Hélas!
Je cachais mon amour comme on cache un
trésor,
Vous me l'avez volé mais je veux vivre
encor,
Pour vous maudire tous,
Et vous faire souffrir ce que souffre mon
être!
LA BORDERIE, CAOUDAL, AMIS
Sapho!
FANNY
Laissez-moi, désormais
mon âme est morte pour aimer...
Mais, je vous hais!
Canailles! canailles!
2d Tableau
(A Ville d'Avray; dans la petite chambre)
(Jean Gaussin est seul. De
l'armoire entr'ouverte, il
arrache fiévreusement des
vêtements, du linge, qu'il
entasse maladroitement dans
une malle.)
JEAN
Ah! oui... partir très loin, m'évader,
m'enfuir...
Ne plus penser à rien, ah! ne plus
souffrir...
Dès demain, je serai là-bas, dans ma
Provence,
Et le rude mistral saura vite chasser
L'âpre désespérance
Que laisse un mauvais rêve avant de
s'effacer!
(Il découvre un coffret de laque aux
ferrures ciselées.
Il le prend et le regarde avec
mépris, avec dégoût.)
Son coffret! reliquaire impur du souvenir...
Tout son passé, toute sa vie!
Fermé, parbleu!
Dieu sait ce qu'il doit contenir!
(La porte s'ouvre brusquement. Fanny
paraît)
FANNY
Jean! tu t'en vas!
Reste... je t'en supplie!
JEAN
Tout est fini désormais entre nous!
FANNY
Ils t'ont menti car ils étaient
jaloux...
Ce n'est pas vrai!
JEAN
Sapho!!! quelle infamie!
Je t'ai tenue entre mes bras,
Et je t'appelais mon amie! non! non!
Je ne me doutais pas, hélas, qu'une femme
pouvait ainsi briser une âme! ah! j'ai
honte! je souffre,
oui, mais je vais partir,
Rachetant mon erreur par un cruel martyr,
En te maudissant toi, que j'appelais ma
femme!
Fanny moi qui t'aimais,
Fanny, maintenant je sais tout:
Je connais d'aujourd'hui ton passé
misérable
Que tu m'avais caché.
En captivant mon coeur, tu surprenais ma
foi...
Fanny! Fanny!
Ma tendresse... est changée en dégoût,
Redeviens la Sapho, redeviens leur
maîtresse,
Tu m'entends,
Je sais tout! Je sais tout!
FANNY
Eh bien... oui, là... c'est vrai...
Mais va, que nous importe
Après tout, si le hasard nous a fait tous
les deux nous rencontrer trop tard!
La «Sapho» d'autrefois, je te le jure, est
morte...
JEAN
A d'autres tes serments!
FANNY
Je t'aime... rien que toi... toi seul!
JEAN
Tu mens... tu mens!
FANNY
Mais je t'adore!
JEAN
Si tu m'aimais, garderais-tu encore...
FANNY
Quoi?
JEAN
(lui montrant le coffret)
Ce coffret...
FANNY
Tu sais?
JEAN
Il est resté toujours
(Il désigne l'armoire.)
Là-haut...
FANNY
Laisse, je t'en supplie.
Il ne renferme rien.
JEAN
Rien!
FANNY
Ah! quelle folie!
JEAN
Ce sont tes archives d'amour!
FANNY
Sois bien méchant... fais moi bien de la
peine...
Je t'aime assez, vois-tu, pour supporter ta
haine!
JEAN
(brutal)
La clef...
FANNY
Je ne l'ai plus!
JEAN
Je saurai bien l'ouvrir...
FANNY
A quoi bon te faire souffrir!
JEAN
Regarde... elles sont là... toutes et bien
serrées...
(Il prend une lettre)
Du relent de ta honte, elles sont
imprégnées!
FANNY
Brûle-les... c'est à toi!
JEAN
A moi! A moi... Sapho...
FANNY
Non... dis: Fanny...
oui, brûle... ou bien... déchire!
après... me croiras-tu m'ami!
Tes doutes, nos chagrins, mes détresses
passées,
Laisse les sous tes yeux s'envoler en
fumées,
Nuages très lointains qui cachaient un ciel
pur
Resplendissant d'avoir reconquis son azur;
oui, m'ami brûle... brûle... ah! déchire!
Brûle!
JEAN
Je voudrais lire!
FANNY
Enfonce bien le chagrin dans mon coeur!
JEAN
Ah! le geste de ton sculpteur!
Et cette cigarette que tu roules entre tes
doigts!
Et tes mots d'atelier, tes propos de
guinguette,
Tous tes amants, je les entends et je les
vois!
FANNY
Comme tu es cruel!
JEAN
Toutes ces écritures...
Ces vieux billets jaunis et cassés aux
pliures...
FANNY
Passe-les moi... je vais les brûler sous
tex yeux!
JEAN
Je veux lire, te dis-je... je veux!
(prenant une lettre au hasard; il lit)
«Pour animer le marbre orgueilleux de ta
chair,
O Sapho, j'ai donné tout le sang de mes
veines,
Comme un trésor sacré, je veux garder mes
peines...»
FANNY
Donne!
(Elle lui prend le papier des mains
et le jette dans la cheminée)
JEAN
(prenant une autre lettre)
«A l'être le plus cher...»
(Il lit à la muette. Sa physionomie
prend
à mesure une expression de
dégoût.)
FANNY
(Elle
lui prend le papier des mains
et
le jette dans la cheminée)
Donne! je t'en prie...
C'était une plaisanterie...
Une farce de rapin...
JEAN
Et ce dessin!
Toi... dans le temps...
Pas mal.
«A mon amie... Fanny Legrand,
auberge de Dampierre, un soir qu'il pleuvait
tant!»
FANNY
Je ne l'avais gardé que pour la
signature...
donne encore...
JEAN
(lui rendant le croquis)
Tu peux le conserver!
FANNY
Non, je veux tout brûler!
(Elle le jette au feu.)
Mais ne lis plus abrège ma souffrance!
Je t'en conjure!
Si tu savais, m'ami, ce que fut mon enfance!
J'étais comme on le dit... une fleur du
faubourg,
Traînant au long du jour dans la rue!
Ma mère... c'est à peine si je l'ai
connue...
Un père qui, très tard, rentrait à la
maison
Et lorsqu'il avait bu me battait sans
raison!
Je grandis.
A quinze ans... j'étais, dit-on très
belle...
Je m'enfuis de chez nous, et je devins
modèle;
Ces gens dont j'ai gardé l'inlassable
rancoeur...
Je leur livrai mon corps, mais je gardai mon
coeur...
Ce coeur qui t'appartient, ce pauvre coeur
qui t'aime.
Ce coeur...
Va tu peux le briser il est à toi quand
même!
Ce coeur qui t'appartient,
Ce pauvre coeur qui t'aime, tu peux le
briser!
Il est à toi! à toi!
JEAN
Quel est donc ce dernier paquet
Soigneusement caché tout au fond du
coffret.
FANNY
Non, non... ne lis pas ça.
JEAN
Tu dis!
FANNY
Rends-moi vite ces lettres.
JEAN
Allons donc!
FANNY
Je les veux tout de suite...
(Lutte de chat-tigre à la fin Fanny
vaincue)
Tant mieux... tu sauras tout maintenant!
JEAN
Un timbre de prison...
(Il ouvre l'enveloppe, prend la lettre
et va droit à la signature.)
De Froment, le faussaire!
FANNY
De Froment, le graveur, un homme de talent.
S'il a volé, ce fut poussé par la misère!
JEAN
Froment... un bandit... quelle honte
suprême!
FANNY
M'ami!
JEAN
“M'ami”
Ce nom dont tu me caressais:
M'ami!! à ce voleur... aussi... tu le
donnais.
FANNY
Va, n'en dis pas de mal puisque c'est toi
que j'aime!
JEAN
Voyons! que dit-il?
«C'est bien à toi, Fanny d'être venue.»
Et la date?
Vingt deux Avril...
De cette année...
Alors... il t'a revue
Depuis que nous vivons ensemble tous les
deux?
FANNY
C'était par charité, il est si malheureux!
JEAN
«Je pense à notre enfant... il est à la
campagne,
M'as-tu dit...»
Un enfant de lui, de ce forçat!
ah! ah! ah! ah!
C'est complet!
FANNY
Eh bien, oui, j'ai un fils!
JEAN
Je vois ça! ah! ah! ah! ah!
Un enfant de voleur... de la graine de
bagne.
FANNY
Assez, va-t-en! va-t-en!
JEAN
Tu pourras lui donner pour exemple son
père...
Le fils de la Sapho et d'un faussaire!
Ce doit être joli!
FANNY
Tais-toi, je te défends
D'insulter mon enfant.
JEAN
C'est bien!
FANNY
Retourne chez les tiens.
Il fallait que ça se termine;
C'est fait,
Va donc retrouver ta cousine,
à moi, tu ne penseras pas,
Tu seras plus heureux là-bas;
Tu vivras tranquille
Entre ton papa, ta maman... allons,
décampe, file,
Je te donne congé... Va-t-en!
JEAN
Ah! gueuse!
FANNY
Et maintenant,
Tu ne m'ennuieras plus avec tes lauriers
roses,
Tes félibres, ton Rhône.
«escoute oun tambourin...»
Tes cigales... Divonne, Irène...
JEAN
(levant la main sur Fanny qui hausse les
épaules)
Ah! ça, tu oses...
FANNY
Dépêche-toi, tu vas manquer ton train...
Prends malle, va donc, te dis-je... file...
file!
JEAN
Misérable!
FANNY
Bourgeois.
JEAN
(sur la porte)
Sale fille!
FANNY
Imbécile!
ACTE
IV
(En
Avignon)
VOIX D'HOMMES ET DE FEMMES
(dans le très lointain. Jean rêve,
prensif, triste)
O magali, ma tant aimado,...
... mete latesto au fenestroun!
(Au loin joueurs de flageolets et
tambourinaires,
encore plus éloignées)
Escouto un pau aquesto aubado
De tambourin e de viouloun,
DIVONNE
(frappant doucement sur l'épaule de
Jean)
Eh bien?
JEAN
Mère!
DIVONNE
Pitchoun! Tu détournes la tête!
Réponds-moi, voyons qui t'arrête?
JEAN
Je ne sais...
DIVONNE
Vé, ne mens pas!
Raconte un peu... là-bas, quelque chose,
j'en suis bien sûre...
JEAN
Rien, rien, je vous l'assure...
DIVONNE
Té, ce brusque retour! Tu le sauvais...
JEAN
Non! non!
DIVONNE
Quelque mauvaise femme qui me prenait ton
âme,
quelque méchant amour!
ne cache rien à ta maman Divonne,
tu sais comme elle t'aime, et qu'au fond
elle est bonne...
JEAN
Eh bien, vous m'avez deviné. Mais, est
fini.
DIVONNE
Tu crois?
JEAN
C'était une folie qu'aujourd'hui
je regrette et que j'oublie.
Dites, maman. m'avez vous pardonne?
DIVONNE
Te pardonner, petit! C'est déjà fait, je
t'aime.
Et mon coeur, pour le tien, donnerait tout
son sang.
JEAN
Si vous lisiez au profond de moi-même, ah!
vous verrier ce que le mien ressent.
DIVONNE
Une maman devine tout,
les chagrins, les alarmes...
JEAN
Pour les partager.
DIVONNE
... oui, pour les chasser,
Et d'un fils effacer les larmes
Par un baiser!
Allons pas de faiblesse
Et si par instants la tristesse te prend
encor,
Dis-moi tout n'est-ce pas?
JEAN
Ouvrez-moi donc bien grands vos bras...
DIVONNE
Viens, mon petit, que je te presse,
que je te presse comme autrefois,
comme autrefois lorsqu'à ma voix tu
t'endormais
chaque soir dans ta berce.
Calme-toi, mon pauvre enfant!
Plus de regrets, plus de colères.
Nous resterons, toujours ensemble!
Toujours nous nous aimerons!
Toujours! toujours! Toujours!
JEAN
... comme autrefois... à votre voix...
Je ne sens plus, enfin, de chagrin!
C'est fini! c'est fini!
Plus de regrets, plus de regrets, plus de
colères.
... ensemble! ensemble nous nous aimerons!
Toujours! toujours! Toujours!
DIVONNE
Courons prévenir ton père; ah!
qu'il sera joyeux de voir enfin
renaître dans tes yeux.
L'espoir des jours meilleurs
et des moment heureux!
Mon chéri!
JEAN
Ma bonne mère!
(Divonne s'éloigne. Irène va vers Jean)
IRENE
Vous souffrez donc? pourquoi songer ainsi?
Dites-moi.
JEAN
Pas à vous!
IRENE
Mais je suis votre amie, souvenez-vous:
«Saint-Joseph et Marie...»
Quel est votre souci?
Si j'avais un jour quelque peine,
Pour la conter je m'en irais vers mon ami,
je lui dirais
Le Chagrin dont mon âme est pleine.
Si j'avais un jour quelque peine j'irais...
vers mon ami.
J'irais! sans doute il me prendrait la main,
Il me dirait une parole qui fait sourire,
vous console...
Et rend plus doux le lendemain.
Ce serait un rayon d'aurore
Qui dissiperait mes tourments, ah!
Mon coeur refleurirait encore
Sous le clair baiser du printemps!
Si j'avais un jour quelque peine j'irais...
vers mon ami.
J'irais!
(Césaire accourt, bouleversé.)
CESAIRE
Jean!
JEAN
Mon père!
CESAIRE
(à Irène)
Va-t-en vite retrouver Divonne!
IRENE
Mais qu'avez-vous?
CESAIRE
Rien! rien! obéis, ma petite!
IRENE
Vous semblez en courroux. Et...
CESAIRE
Va, va donc... et laisse nous!
(Irène s'éloigne.)
(à Jean, toujours avec
agitation)
Mon pauvre enfant! là! chez
nous, elle arrive!
JEAN
Elle est là,
CESAIRE
... le demandant.
JEAN
Sapho!
CESAIRE
Pour ignorer ton amour imprudent,
je n'ai pas l'âme assez naïve.
Du courage, surtout!
JEAN
Oh! désormais, je serai courageux...
je tremblais tout à l'heure,
Mais maintenant, qu'elle menace ou pleure,
Je ne faiblirai pas... père... je le
promets!
(Césaire s'éloigne.)
(Fanny, qui s'avance lentement)
FANNY
Ne m'en voix pas d'être venue.
L'on ne se quitte pas sans les derniers
adieux.
Loin de toi je souffrais d'une peine
inconnue
Maintenant, je te vois, je vais mieux.
JEAN
Je ne vous en veux pas.
FANNY
Tu dis vous!
Je suis lasse...
J'ai tant pleuré,
Je ne sais pas comment je suis vivante
et parle encor en ce moment.
Toute autre en fut morte à ma place.
Je suis changée?
(Jean ne répond rien.)
... oui... n'est-ce pas?
JEAN
Toujours vous habitez là-bas?
FANNY
Mais où veux-tu que j'aille?
J'ai là des souvenirs qui me font espérer.
Et parfois, cessant de pleurer,
Le matin, ne pensant à rien,
Je travaille. Quelquefois... je m'éveille
en riant:
C'est quand le ciel est pur et le soleil
brillant.
Alors, je prends ma robe blanche.
J'arrange mes cheveux comme tu les aimais,
A la fenêtre je me mets.
Et jusqu'au soir, je me penche,
Pour guetter ton retour, pour entendre tes
pas,
C'est en vain que j'espère...
Et m'ami ne vient pas!
JEAN
L'hiver est toujours triste,
il serait préférable de rentrer à Paris.
FANNY
Qu'y ferai-je, sans toi?
Ces gens que je connais,
ce monde misérable où j'ai vécu,
tout est pour moi un sujet de douleur et de
cruel émoi.
Pendant un an je fus ta femme
Et j'entends rester à toi pour toujours;
pour toujours;
Tu vas revenir, tu vas revenir,
les beaux jours viendront à nouve
au parfumer mon âme.
Viens, m'ami, je serai si douce et si bonne
pour toi,
que ton coeur s'ouvrira...
Et que ta main qui me repousse
Tendrement me caressera.
Viens! car tu m'aimes encore
Vois ma douleur, seul, tu peux l'apaiser.
Cède à mon amour qui t'implore,
Ta bouche ne saurait oublier mon baiser.
Viens! viens! viens! m'ami! viens!
JEAN
Non! je ne puis!
FANNY
Pourquoi?
JEAN
Je ne puis!
Si grande est ma faiblesse, que si je te
suivais,...
je ne m'en irais plus.
FANNY
Vois mon chagrin,
JEAN
Non!
FANNY
Vois ma tendresse,
JEAN
Non!
FANNY
Vois mon attachement!
JEAN
Non! non! Espoirs superflus!
Et ton passé?
FANNY
Mais... ce n'est pas ma faute,
Et je l'ai tant maudit qu'il devrait être
mort.
Pitié!
JEAN
Ton passé?
Il existe toujours et nous ôte,
A moi le droit de vivre avec toi sans
remord,
A toi, celui d'aimer sans scrupule et sans
honte!
D'ailleurs, je dois partir.
FANNY
Je sais la vérité...
Ici, contre moi l'on te monte...
L'on veut te marier et toi sans volonté,
Faisant fi de mes pleurs...
riant de ma détresse tu brises froidement
le coeur de ta maîtresse... C'est mal...
JEAN
Tu dis...
FANNY
J'ai tort! pardonne-moi...
Je crois, j'espère et je ne veux que toi...
Viens, m'ami, je serai si douce et si bonne
pour toi,
que ton coeur s'ouvrira...
JEAN
Tout est fini... désormais...
FANNY
Et que la main que me repousse
Tendrement me caressera.
JEAN
Non! tu le sais... non c'est impossible!
non!
c'est impossible! désormais non!
c'est impossible, hélas! non! tout est
fini!
Fanny!
FANNY
Je t’aime! Et jamais tune me fus plus
cher,
Pitié! pitié! Vous ma peine!
Pitié! pitié! Je tombe à tes genoux!
CESAIRE
(paraissant avec Divonne)
Mon fils!
JEAN
...ah! mon père!
CESAIRE
Rentre chez nous!
FANNY
Je ne te quitte pas!
DIVONNE
(à Fanny, grande et calme)
Partez!
FANNY
Mais qui donc êtes-vous?
DIVONNE
Sa mère!
FANNY
Ah! madame pardonnez-moi... je ne savais...
Jean... là... je m'en vais...
... je m'en vais... je m'en vais...
DIVONNE
(à part, gravement)
La pauvre femme!
ACTE
V
(C'est
l'hiver dans la chambre déserte
de la petite maison, à Ville
d'Avray.
Fanny, seule, pensive,
triste, résignée)
FANNY
Demain, je partirai, puis qu'il le faut
Allons, mon coeur, me meurs pas à la
tâche...
Je pleure vraiment comme je suis lâche!
Pauvre Sapho!
A jamais j'ai perdu ma vie,
toute espérance m'est ravie...
Tant bonheur a fui, désormais je disparais
du monde,
Je m'exile.
Je ne dois rien espérer maintenant;
Oublier sera difficile,
Je t'aimais tant!
Je l'aimais tant!
Ses lettres...
(En
lisant)
«Ma Fanny, ma femme bien aimée,
le temps est pur et clair,
la campagne embaumée nous appelle...
demain...»
Je vais encor pleurer... ne les relisons
pas...
mieux vaut les déchirer...
(Elle déchire les lettres. Puis continue
à chercher dans le tiroir.)
Un tas d'objets à lui... ces pauvres fleurs
fanées...
C'est lui, jadis, qui me les a données...
Faut-il avoir aimé pour un jour tant
souffrir!
Faut-il avoir vécu de si douces journées,
Pour renoncer à tout, s'en aller... et
mourir.
Sans l'espoir consolant des fautes
pardonnées.
Hélas! je l'aimais tant! Je l'aimais tant!
Je comprends aujourd'hui, j'aurais perdu son
âme,
C'était le condamner à l'amère douleur,
J'aurais fait son malheur:
Hélas, je blasphémais en me disant sa
femme!
Là bas... là bas, un tout petit être
frêle, innocent,
M'appelle d'une voix qui m'attire et me
touché,
Ce petit, c'est mon fils, cet être,
c'est mon sang: je veux le retrouver,
entendre de sa bouche ce doux nom de maman!
Tout mon bonheur futur est là, je le sens
bien...
Et dans l'espoir suprême de faire de mon
fils
le coeur honnête et pur je n'ai pas été
moi-même.
JEAN
(en entrant)
Fanny!
FANNY
C'est vous!
JEAN
C'est moi!
Je ne pouvais rester... plus longtemps loin
de toi!
FANNY
Vous êtes revenu, pourquoi?
JEAN
Ma maîtresse chérie,
C'est toi qui me dis: vous... maintenant...
FANNY
Je t'en prie, Jean, laisse-moi.
Je m'en vais, tu dois m'oublier.
JEAN
Si tu pars, c'est pour te lier, hélas, avec
un autre!
FANNY
Non! non!
JEAN
Je l'ai dit.
FANNY
Je te le jure!
JEAN
Je l'ai dit.
Ainsi pour toi je fus parjure!
J'ai tout brisé là-bas, pour revenir,
Le coeur des miens mon avenir!
J'ai quitté notre vigne et ses beaux
lauriers roses,
Oui, j'ai quitté de douces choses...
J'ai vu pleurer ma mère, et j'ai senti sa
main
Me retenir encore au détour du chemin.
Tout s'écroule pour moi, amour, espérance!
Tout!
Ah! tu veux m'oublier, partir... en ce
moment.
Va! ne prolonge pas plus longtemps ma
souffrance
Et cours rejoindre ton amant!
FANNY
Ah! tu m'aimes encore!
Non! ne t'en défends pas,
je lis dans tes yeux l'amour des jours
délicieux.
Je reste, je t'adore!
FANNY, JEAN
Je t'adore!
(Ils restent enlacés.)
FANNY
Mais tu pâlis... m'ami...
JEAN
(subitement, se redressant, nerveux et
égaré)
Qu'as-tu dit? m'ami!
Rien que ce mot... rappelle... un souvenir
affreux!
FANNY
Vas-tu recommencer à me tenailler
en parlant du passé?
Est-ce doux pour cela que tu venais vers
celle
Que croyait au pardon en sentant ton baiser!
JEAN
Ah! c'est vrai... je suis fou...
FANNY
Tu me fais peur... ta lèvre tremble...
et tex yeux sont tout rouges de fièvre...
JEAN
Je suis... brisé.
FANNY
Calme-toi... maintenant...
JEAN
Je n'avais plus dormi...
FANNY
Repose doucement.
JEAN
Reste-là...
FANNY
Si tu veux.
JEAN
O ma Fanny! je t'aime...
FANNY
Oublie et sois heureux.
JEAN
Oui... c'est l'oubli... suprême!
(Jean
dort)
FANNY
Comme il dort!
Vais-je rester ici?
Mais non, mieux vaut partir ainsi...
Gardant étroitement dans mon âme blessée
Son cher baiser d'amour, sa dernière
pensée!
Jamais il n'oubliera, je le sens maintenant.
Chaque baiser sera suivi d'un mot méchant.
Allons! c'est l'heure!
(Elle écrit.)
«Adieu, m'ami,
Je pars à tout jamais...
Ne m'en veux pas... car je t'aimais
Je t'aime toujours et je pleure.
J'accomplis mon devoir, et j'en suis toute
fière;
S'il est vrai que là-haut il existe un bon
Dieu,
Je pourrai maintenant lui faire une prière
Et lui parler de toi... c'est tout...
adieu.»
Un baiser... le dernier... et de toute mon
âme...
JEAN
(en rêvant)
Ma femme!
FANNY
Il se réveille?
Non! non! toujours endormi...
Adieu, m'ami!
(s'éloignant)
Adieu! adieu.. m'ami...

|
ACTO
I
(Sala de
estar precedente al taller del escultor
Caoudal. Una velada de
baile de disfraces)
(A lo lejos, en el taller, se oyen conversaciones
muy animadas, mezcladas con exclamaciones
muy fuertes. Algunos invitados entran en la sala
de estar. Una orquesta gitana anima el baile que
se desarrolla en el taller.)
LA MUCHEDUMBRE
(gritando, alegremente)
¡Uno! ¡Dos!
(Caoudal y La Borderie, acompañados de
amigos y chicas de vida ligera disfrazadas,
salen del taller entre risas)
CAOUDAL
¡Eh! ¡Jóvenes, mirad!
ALGUNOS
¡Miradlo!
CAOUDAL
¡Los viejos son ahora los más alegres y alocados!
ALGUNOS
¡Los viejos son los más locos!
LA BORDERIE
(intentando marcharse)
¡No doy para más!
TODOS
¡Ah!
LA BORDERIE
¡No puedo más, querido maestro!
CAOUDAL
(reteniéndolo)
¿Acaso vas a desertar?
LA MUCHEDUMBRE
(burlándose de La Borderie)
¡Ya no puede más! ¡Ya no puede más!
CAOUDAL
(a La Borderie)
¡Vamos! ¡Vamos!
(señalando a las muchachas)
¡Mira, mira a tu alrededor!...
Bayadera de ojos negros...
Colombina encantadora...
¡Andaluza gentil, Arlequín inquietante!
Andaluza, Colombina... Arlequín, Bayadera...
¡Acercaos a mí!
¡Ah, la juventud!
TODOS
(a La Borderie)
¡Ah, la juventud!
TODOS, CAOUDAL
¡Eh, vamos, divirtámonos!
¡Que los besos cosechen las caricias!
LA BORDERIE
¡Delirad, divertiros!
¡Pero dejadme ir
antes de que amanezca!
TODOS, CAOUDAL
(alrededor de La Borderie)
¡Eh!
LA BORDERIE
¡No! ¡No! ¡Buenas noches!
CAOUDAL
(Riéndose y mientras le impide el paso)
¡Detenedlo, que no se vaya!
TODOS
(Impidiéndole el paso)
¡No dejaremos que te marches!
¡No! ¡No! ¡No puedes marcharse!
CAOUDAL
¡No, antes de que amanezca!
¡Detenedlo, que no se marche!
¡No! ¡no! ¡No puedes marcharte!
LA BORDERIE
(intentando salir)
¡Ah, dejadme salir!
¡Ah, dejadme salir!
¡No! ¡No! ¡Dejadme!
¡Caoudal, pareces que tienes veinte años!
CAOUDAL
¡No! ¡Sesenta primaveras!
LA BORDERIE
(dejándose aferrar por el grupo de muchachas)
¡No puedo más!
CAOUDAL
(compadeciéndolo, mientras se ríe)
¿Y a esto se llama la juventud?
(Más invitados llegan del taller, entre ellos Juan,
que se dirige hacia la salida. Caoudal lo detiene)
CAOUDAL
¿Tú también huyes del baile?
Sin embargo, a tu edad, uno está lleno de osadía...
JUAN
No sé bailar...
(La Borderie aparece rodeado de las muchachas)
... y bien que me gustaría.
CAOUDAL
¡Esto es muy distinto a tu Provenza!
JUAN
¡Ah, no sabes cuánto!
LA BORDERIE
(acercándose divertido a Juan)
¡Muchachito!... ¡Qué bien te veo!
CAOUDAL
¡Vamos! ¡Valor! ¡Ten confianza!
LA BORDERIE
El primer paso lo es todo, lo demás llega solo...
MUCHACHAS
(algunas muchachas al pasar
le dicen al oído a Juan)
¡Llega solo!
CAOUDAL
(a Juan, con buen humor)
¿Conoces a estas hermosas muchachas?
JUAN
No, señor.
CAOUDAL
¿Qué te parecen?
JUAN
Pues... bellas.
CAOUDAL
¿Quieres conocerlas?
JUAN
Se reirán de mí...
ALGUNAS MUCHACHAS
(algunas muchachas se detienen a escuchar
y hablan entre ellas riéndose)
¡Ja, ja! ¡Desde luego que sí!
JUAN
¡Las mujeres me asustan!
LA BORDERIE
(a Juan)
¿Por qué?
ALGUNAS MUCHACHAS
(a Juan)
¿Por qué?
LA BORDERIE
(A las mujeres, mientras se marcha con ellas)
¡Es un poco ingenuo!
CAOUDAL
(a Juan)
¿Vienes?
JUAN
¡No, me quedo!
(Todos se dirigen al taller a excepción de Juan. Solo, para
sí mismo)
¿Es realmente un sueño,
lo que perturba mi mente e indigna a mi corazón?
¿Esto es lo que llaman felicidad?
¡Mentira!
TODOS
(Lejos, en el taller, a gritos)
¡Silencio! ¡Silencio! ¡Canta! ¡Canta!
¡Canta!
LA VOZ DE FANNY
(se oye la canción desde el taller)
La reina de las modelos,
(Las damas del coro repiten al unísono
el estribillo hasta el final de la canción.)
la más bella...
TODOS
¡La más bella!...
FANNY
... la que posa desnuda,
¡es Safo!
TODOS
¡Es Safo!
FANNY
Zoé, Paulette, Angèle,
la gran Adela y Rebecca
¡Son muy poco a su lado!
¡La más hermosa, es Safo!
LA MUCHEDUMBRE
Zoé, Paulette, Angèle,
la gran Adela y Rebecca
¡Son muy poco a su lado!
MUCHEDUMBRE, FANNY
¡La más hermosa... es Safo!
(Se oye una estruendosa ovación)
JUAN
Todo lo que veo, las canciones que escucho,
el baile...
¡Todo me perturba y me indigna!...
¡Ah, qué lejos está... mi país!
¡Ah, qué lejos está mi país, lleno de sol!
¡Qué lejos está mi país!
¡Allí, donde en los prados mil flores aromáticas
exhalan sus aromas penetrantes!
¡Ah, qué lejano está mi luminoso país!
Donde el impetuoso Ródano, salta y corre,
y sus olas de color azul ¡son la envidia del cielo!
Mi país... donde al atardecer, en el verde sauzal,
se puede ir a soñar sin temor alguno.
Donde se oye al viento, entre los
grandes árboles,
silbar poderosamente
durante los cortos inviernos... ¡mi país!
¡Mi país! ¡Mi país donde todo habla
de amor y esperanza!
¡Ah, qué lejos está, lejos de mis ojos!
¡Qué lejana está mi Provenza!
¡Qué lejana está! ¡Ay, qué
lejana está!
(Se oyen exclamaciones prolongadas, mezcladas
con risas, que surgen del taller. Inmediatamente,
todos entran en tumulto encabezados por Fanny
seguida de Caoudal y La Borderie)
INVITADOS
(excitados, alrededor de Fanny)
¡Un beso!
¡Un beso!
FANNY
(buscando liberarse de todos los hombres
que la rodean)
¡No! ¡No! ¡Por favor!
LA BORDERIE
... ¡Un beso!... ¡Uno sólo!
CAOUDAL
... ¡Uno sólo!
FANNY
¡Silencio! ¡Vamos a ver! ¡No! ¡No!
¡Qué bromistas sois! ¡Sí, desde luego!
¡Me hacéis reír!
¡Ja, ja!
¡Aduladores, cortesanos,
¡Ja, ja! ¡Poetas, amantes, zalameros, chismosos!
¡Cortesanos... aduladores!
¡Amantes... zalameros!
Mal ocultáis vuestras intenciones
bajo esa encantadora sonrisa. ¡Ja, ja!...
INVITADOS, CAOUDAL, LA BORDERIE
(implorando y riendo)
... ¡Un beso!
FANNY
... ¡Vamos! ¡Vamos! ¡No!
¡Ja, ja! ¡Vamos! ¡Qué bromistas sois!
¡Me hacéis reír! ¡Ja, ja!
¡Sí, desde luego!
(Algunos muestran signos de descontento,
otros de desilusión y otros de indiferencia.
Todos van y vienen. Juan mira a Fanny turbado.
En su rostro parece despertar un nuevo
sentimiento que lo conmueve y lo transfigura.
Fanny se acerca a Caoudal y le señala a Juan.)
(a Caoudal, aparte)
¿Quién es ese atractivo muchacho?
CAOUDAL
(distraído)
No sé...
FANNY
¡Mira!
¡Es necesario que le hable!
CAOUDAL
(Hace una señal como diciendo: “incorregible ")
¡Bien, vamos! ¡Siempre la misma Safo!
(Se aleja riéndose. Fanny, un poco vacilante
a pesar de su decisión, se acerca dulcemente
a Juan.)
FANNY
(a Juan)
¿Cómo te llamas?
JUAN
Juan Gaussin.
FANNY
¿De Provenza?
JUAN
¿Es adivina?
FANNY
(sonriendo)
No mucho. Eres artista... creo...
JUAN
¡No, señora!
FANNY
¡Ah, mucho mejor!
Pero, ¿por qué bajas los ojos?...
Yo no soy mala...
JUAN
¿Usted se burla de mí?
FANNY
¿Yo, burlarme de ti?
¡No eres artista!
¡Y eso me encanta!
LA BORDERIE
(saliendo del taller, alegre)
¡La mesa está servida!
CAOUDAL
¡La mesa está servida!
FANNY
(por lo bajo, a Juan)
¡Nos vemos luego!...
LA BORDERIE
(a un grupo de invitados)
¡Eh, amigos!
CAOUDAL
(Animando a los invitados a entrar en el taller)
¡Amigos! ¡A la mesa!
¡A la mesa!
TODOS
(entrando en el taller)
El placer de la buena mesa,
¡Una verdadera felicidad!
El placer...
LA BORDERIE
¡Basta ya!
(Todos entran al taller)
LA VOZ DE CAOUDAL
(llamando a Fanny)
¡Safo! ¡Safo!
FANNY
(anhelante, bloqueando el paso de Juan
que intenta entrar en el taller)
¡No vaya allí! ¡no vaya allí! ¡no!
¡Ven conmigo! ¡Ven! ¡Ven conmigo!
JUAN
(para sí, muy turbado)
Siento vértigo...
FANNY
Ven te digo...
JUAN
¡Ah! ¡Siento que a pesar mío...
voy... detrás de ti!
FANNY
¡Ven, amigo!
LOS INVITADOS
(dentro del taller)
La más bella de todas: ¡es Safo!
La más bella de todas: ¡es Safo!
FANNY
¡Ah!
¡Ven!
(Ambos salen hacia la calle.)
GRITOS DESDE EL TALLER
¡Safo! ¡Safo! ¡Safo!
ACTO II
(Albergue de
Juan Gaussin en París,
calle Ámsterdam)
JUAN
(cantando, mientras trabaja, una canción en
dialecto provenzal con texto de Frédéric Mistral)
¡Oh Magali, mi muy amada!
Asoma tu cabeza por la ventana...
CÉSAR
... y escucha atenta esta canción
con pandereta y violín.
JUAN
(a César)
Me haces poner nostálgico, padre...
CÉSAR
(encogiéndose de hombros)
¡No digas nada!
JUAN
(mirando un cuadro de paisaje provenzal)
Nuestra casa...
Los prados de arrayanes en la llanura
y el sol en el horizonte...
Mamá Divonne está en la puerta.
Viéndola, trabajo mejor;
su presencia me reconforta.
CÉSAR
¿Pensarás en nosotros?
JUAN
Sí, padre...
Pero ¿dónde está mi madre?
CÉSAR
Fue al convento,
a buscar a Irene allí,
la huérfana, nuestra sobrina.
JUAN
¡Ah, lo imaginaba!
¡La adoptaréis!
CÉSAR
Si, la adoptaremos.
Ella nos hará compañía,
reemplazando al hijo que añoraremos.
JUAN
(lanzando un beso al cuadro
en memoria de Divonne)
Por tu bondad, madre, bendita seas.
(Divonne entra con Irene.)
DIVONNE
¡Somos nosotras!
¡Jesús! ¡Qué ciudad ésa, París!
¡Tantos lugares por visitar! ¡Ay, Jesús!
¡Y la gente que pasa, que pasa, que pasa!
¡Toda esa gente con tanta prisa!
¡Todos como enloquecidos!
¡Yo prefiero estar aquí! ¡ah!
(elevando los brazos al cielo)
¡Buen Dios! ¡Ah, buen Dios! ¡Qué cansada estoy!
¡Buen Dios!¡Buen Dios! ¡Qué cansada estoy!
(mirando a su alrededor y cambiando
de repente de voz y tono)
¡Ah! ¿Qué?
¡Aún no has terminado de acomodar todo!
¡Pobre pequeño!
CÉSAR
¡Hemos terminado!
¡No regañes!
JUAN
(a Divonne)
¡Buenos días, mamá!
DIVONNE
¡Buen día, Pichoncito! ¡Ella es Irene, tu prima!
IRENE
¡Buenos días primo!
DIVONNE
(a Juan)
¿Eh? ¿Qué me dices? ¡Fresca como un lirio
y hermosa como una reina!
¡Os conocéis desde niños!
(a César)
¡César,
¡Será necesario partir dentro de poco!
¡Vamos, mientras tanto,
revisemos para ver si falta algo!
(a Juan)
¡Vaya, por Dios! ¡Dame un beso! ¡Bribón!
(Divonne y César salen.)
JUAN
¡Queridos padres!
(a Irene)
Envidio que vayas a compartir su vida con ellos.
¡Volver a ver mi país luminoso, soleado,
lleno de amor y esperanza!
¡Ah, qué lejano está mi país!
¡Qué lejana está mi Provenza!
IRENE
¡Qué bello era
pasear junto a ti por el bosque!
¡Cuando paseábamos juntos por el bosque!
¡Con Blanchet, nuestro asno fiel...
¡Íbamos al bosque montados sobre él!
¡Las campanas sonaban, y él trotaba!
¡Yo me sentía orgullosa sobre su montura! ¡Ah!
¡Íbamos los dos juntos a pasear por los bosques!
JUAN
Entonces, yo te sostenía de la mano...
y me decía: ¡Qué hermosa es!
IRENE
¡Qué dulce era pasear
junto a ti por el bosque!
¡Pasear los dos juntos!
¿Te acuerdas cuánto nos divertía
imitar los pasajes de la Biblia?
JUAN
¡La huida a Egipto!
IRENE
Cuando hacíamos:
tú, de San José; y yo, de la Virgen María.
JUAN
(con una sonrisa)
Lo recuerdo bien, pequeña.
IRENE
Y...
¡Lográbamos escapar de la orden de Herodes,
salvándonos del terrible rey
que hizo masacrar por sus centuriones
a los pobres Inocentes!
JUAN
(sonriendo)
¡Ah, cómo temblábamos!...
IRENE, JUAN
¡Ah, cómo temblábamos!
IRENE
¿Te acuerdas cuando regresábamos?
¡Qué hermoso era en la pradera,
escuchar la llamada del chorlito,
o el viento que lanzaba su silbido feliz!
JUAN
Lo recuerdo, pequeña mía.
IRENE
Y, a la noche, revivían ante
nuestros ojos
todas las historias de miedo...
Y entonces, al menor ruido,
yo me agarraba a tu brazo, temblando, asustada...
Y sin decir palabra regresábamos a casa.
JUAN
(sonriendo)
¡Ah, cómo temblábamos!...
IRENE, JUAN
(uno cerca del otro)
...¡Ah, cómo temblábamos!...
JUAN
Y luego, cuando llegamos al umbral,
como por casualidad,
Irene me besó... dulcemente.
IRENE
Una hermana, sin pecar puede besar
a su hermano, y tú lo eras para mí...
JUAN
¿He cambiado para ti?
IRENE
(bajando los ojos)
¡Ah!
JUAN
Entonces, si te beso, no te disgustarás... ¿No?
IRENE
No... pues es una hermana que besa su hermano...
JUAN
Como aquella vez...
IRENE
¡Como aquella vez!
IRENE, JUAN
Por los senderos... y los bosques...
¡Como aquella vez... como aquella vez!
(Se besan cuando César y Divonnes aparecen.
Los muchachos se muestran avergonzados.)
DIVONNE
(a César, alegre)
¡Míralos, buen Dios!
(Divonne que traía una lámpara encendida
va a ponerla en la mesa.)
CÉSAR
¡No se lo reprocho!
¡No! ¡Por la Sangre de Cristo! ¡Al contrario!
DIVONNE
(a Juan)
¡Debemos despedirnos!
JUAN
Os acompañaré...
DIVONNE
No es necesario, quédate aquí.
Ante tu mesa de trabajo, aquí... no te molestes...
El trabajo te preservará
de los peligros de la ciudad.
CÉSAR
¡Oh, mi valerosa Divonne!
DIVONNE
¡Pequeño, aquí está tu lámpara!
¡Es antigua pero es buena!
¡Antaño, iluminada por ella
en las sombrías tardes otoñales,
yo remendaba tus ropas...
con espíritu sereno y corazón feliz,
mientras tú dormías en tu cuna,
iluminado por su resplandor
detrás de las cortinas,
¡sonriendo como un ángel del Paraíso!
Y hoy... por última vez...
te llamaré mi dulce bebé...
JUAN
¡Mamá!
CÉSAR
¡Divonne!
DIVONNE
¡Adiós! ¡Adiós! ¡Trabaja!
¡Ten fe, y sé un hombre
bajo la constante mirada de Dios!
¡Oraremos por ti! ¡Rogaremos al
buen Dios por ti!
¡Mi querido niño, le pediremos a Dios por ti!
¡Por ti! ¡Mi amado niño! ¡Hasta pronto! ¡Adiós!
IRENE
¡Rogaremos a Dios por ti!
¡Rogaremos a Dios por ti! ¡Ah! ¡Por ti!
¡Por ti! ¡Ah! ¡Rogaremos a Dios! ¡Ay! ¡Adiós!
CÉSAR
¡Rogaremos a Dios por ti!
¡Rogaremos a Dios por ti! ¡Por ti!
¡Al buen Dios por ti! ¡Por ti!
¡Mi querido hijo! ¡Hasta pronto! ¡Adiós!
JUAN
¡Adiós, queridos padres! ¡Adiós!
¡Os quiero mucho! ¡Ay! ¡Adiós!
¡Madre! ¡Adiós! ¡Adiós! ¡Adiós!
¡Queridos padres! ¡Ay! ¡Adiós!
(César y Divonne toman sus maletas)
IRENE
(a Juan, con sentimiento, a punto de salir)
Te dejamos solo aquí... estás triste...
DIVONNE
(a César, lista para partir)
¡Eh, no vas a llorar también tú!...
IRENE
¡Pobre hermano!...
JUAN
¡Adiós, queridos padres! ¡Mamá! Hermanita...
IRENE, DIVONNE, JUAN, CÉSAR
¡Hasta pronto!
(Irene, Divonne, y César salen.)
JUAN
(a solas)
¡Se han ido! ¡Se han ido... es la soledad!
Ahora que ya los he visto,
y que respiré este aire de quietud...
y de felicidad casi suprema,
¡me gustaría volver a mi querida casa!
¡Ah! ¿Por qué hay que partir
cuando se necesita desesperadamente amar?
Estoy solo en París, en medio de la multitud
que ruge a mi alrededor como furiosas olas...
¡Tanta gente
y nadie a mi lado!
Ellos regresan a nuestra querida casa...
¡Siento frío en el corazón, me entristezco
y lloro!
¡Ay, se han ido y ya estarán lejos! ¡Lejos de mí!
(Juan se prepara para trabajar;
toma sus libros y suspira)
¡Al trabajo!
(interrumpiendo su labor)
Pobre mamá,...
que siempre estás junto a tu hijo...
para decirle con ternura:
(repitiendo las palabras de Divonne)
"¡El trabajo te preservará de los peligros
de la gran ciudad!"
¡El trabajo será fácil,
mientras te escucho!
Y mi buen padre, y mi hermosa Irene...
Ella es tan dulce, tan bonita...
Su beso tan casto
y puro ha llenado de perfume mi alma;
Podría ser feliz si la hiciera mi esposa...
(Fanny acaba de entrar si llamar
y se acerca dulcemente.)
FANNY
¡Buen día, amigo mío!
JUAN
¡Cómo! ¡Eres tú, Fanny!
FANNY
¡Yo!
¿Creíste que habíamos acabado?...
¡No!
Cuando amo, lo hago mucho tiempo.
Y si dejé de visitarte por algún tiempo
fue porque sabía que estabas con tus padres
y esa muchachita...
No está mal del todo.
¿Es tu hermana? ¡Enhorabuena!
JUAN
No, es mi prima.
FANNY
Es bonita.
Hace un momento vi marcharse a tu familia;
aguardé su partida y aquí estoy.
JUAN
¡Mi madre quiso que me instalara aquí!
En esta casita...
... para que pueda trabajar mejor.
FANNY
Entiendo.
Ahora debo marcharme...
JUAN
A veces he trabajado cuando tú estabas allí...
FANNY
Entonces... me quedaré ... y serás sabio. ¡Ya está!
(Fanny examina la habitación.)
Hermosos muebles...
Qué lindo paisaje...
(con gesto de entendida)
es de estilo realista.
JUAN
¡Esa es nuestra casa!
FANNY
¡Qué frondoso es ese
árbol!
Me gustaría estar allí...
(viendo la escultura de Safo de Caoudal)
Vaya. ¿Tú tienes esta estatuilla?
JUAN
Pero... sí... es posible.
FANNY
Les tengo
a los artistas un odio eterno...
¡No quiero ni oír hablar de ellos!
Me han hecho tanto daño...
JUAN
Sin embargo, el arte anima la vida,
hace que el corazón
sea más generoso y el camino más florido...
FANNY
(avanza y pone su rostro junto al de Juan)
Lo que yo llamo hermoso, es tener
tus veinte años,
y como tú, amor mío, tu valentía y bravura,
y sentir tu corazón tan firme
que hace que no reconozca obstáculos,
que nadie pueda frenar sus impulsos sublimes.
Eso es lo que yo llamo hermosura,
Toda
criatura
que por amor se eleva por encima del rencor,
o que se somete a la ley de la eterna naturaleza,
En resumen,
¡dos seres unidos por los latidos de sus corazones!
¡Eso es lo que yo llamo belleza ¡Tus
veinte años!
(señalando la mesa y llevándolo hacia ella)
¡Trabaja!
JUAN
¡Ven!
FANNY
(sonríe y juiciosamente, obliga a Juan
a que se siente a la mesa)
¡Trabaja!...
(Fanny deja a Juan y, se apresta a salir,
como asaltada por un súbito pensamiento)
Esta es una ilusión que llega como
un pájaro sutil, que mece mi corazón y lo acaricia.
¡No es más que un sueño!
¡Ay! ¿Una caricia vana y breve?
Pobre Safo, ¿no es más que un sueño?
¡Oh Magali, mi muy amada,
asoma tu cabeza por la ventana!
JUAN
(para sí, escuchando fascinado)
¡La vieja canción de mi tierra!
FANNY
Escucha esta canción
de pandereta y violín.
¡El cielo estrellado apareció!
El aire está fresco.
¡Las estrellas palidecen, cuando te ven!
¡Las estrellas palidecen, cuando te ven!
JUAN
(entusiasmado y acosando a Fanny)
¡Oh mi Fanny, cómo me gusta,
quisiera estar siempre
oyéndote cantar esta canción de
amor!
" Oh Magali, mi muy amada"
¡Mientras te escucho, yo no soy el mismo!
¡Te amo! ¡Te amo!
FANNY
¡Me ama!
Y sin embargo, es necesario decirnos adiós.
Será mejor terminar todo de inmediato.
¡Ay!... ¿Tendré fuerzas para marcharme?
JUAN
¿Acaso no eres libre?
FANNY
¡Por Dios! Libre de todo amor,
soy yo quien se entrega a ti.
JUAN
(reteniéndola)
¡Eres mía, Fanny!
FANNY
Yo no soy de nadie.
JUAN
¿De nadie?
FANNY
¡Solo tuya, si tú eres mío! ¡Ah!
¡Mírame siempre así... siempre contigo, así!
JUAN
Yo soy pobre.
FANNY
¡Eso no importa!
JUAN
¡Oh! ¿Será posible?
Mientras tú trabajas,
yo, yo me ocuparé
de la casa.
Cuando tú me mires,
coquetearé con mi delantal blanco,
y me amarás
mucho más.
Y el domingo iremos
al estanque de Villebon,
para pasear por los bosques de
Meudon, y Sèvres.
¡Ah, cuánto nos reiremos!
Luego, almorzaremos sobre el césped,
y de regreso del bosque de Meudon...
te juntaré un hermoso ramillete
de lilas y jazmines.
FANNY
… ¡En el
bosque
me juntarás un hermoso ramillete
de lilas y jazmines.
FANNY, JUAN
¡Un domingo!
… ¡Ah, deja que te ame con toda mi ternura, ah!
Estoy aquí, en tus brazos,
tus amados ojos en mis ojos.
¿Quién puede ser más feliz que nosotros?
Recibe la caricia de mis besos!
JUAN
¡Amémonos!
FANNY
¡Amémonos! ¡Amarse, es tan dulce!
JUAN
¡Amar es tan dulce!
¡Cerremos con llave!
FANNY
Se ha hecho de noche...
¡Cerremos con llave!
JUAN
¡Cerremos con llave!
ACTO
III
Cuadro Primero
(Jardín
de una posada en
la ciudad de Avray. Es domingo)
LA VOZ DE FANNY
(desde el interior de una
pequeña cabaña)
¡Y el domingo iremos
al estanque de Villebon!
(Fanny sale de la cabaña
cantando feliz)
¡La! ¡La! ¡La, la!
¡La! ¡La! ¡La, la!
Yo te juntaré un hermoso ramillete
de lilas y jazmines. ¡La, la!
(baja los escalones de la cabaña)
¡Hermoso sol para el amor!
(a Juan, que aparece junto a ella)
¿Salimos?
JUAN
¡Salgamos!
(La besa)
FANNY
(sonriendo, para sí)
Ten cuidado...
una casa respetable... nos mira.
JUAN
¡Un año en esta casa!
Los días han pasado rápidamente.
¡Oh, Fanny, mi esposa, soy todo tuyo!
FANNY
¡Ah, es demasiado!
Te quiero más que a mí misma,
quiero que mi ternura anule
las preocupaciones pasadas.
JUAN
Es por eso que me gusta este sitio;
durante la temporada de verano
en esta cabaña
podemos vivir juntos y alejados de todo...
FANNY
¡Tu compañera cada tarde te esperará!
Cundo tú,
mi amigo, regreses,
soñaremos con besos y canciones...
JUAN
Sí, soñaremos...
FANNY, JUAN
¡Por los bosques pasearemos soñando,
bajo las altas ramas oscilantes,
con el dulce gorjeo de los mirlos y pinzones,
pasearemos soñando!
¡Soñando!
JUAN
¡Ah, Fanny!
FANNY
¡Seamos prudentes!...
Dame tu brazo,
¡Para sentirte muy cerca de mí!
Como ahora ¡Así! ¡Así!
Estoy muy satisfecha, mi amigo.
JUAN
¡Ven!
FANNY
¡Ven!
JUAN
Que en nuestros rostros,
más radiantes que este hermoso día...
FANNY,JUAN
… los que nos
vean descubran nuestro amor.
JUAN
¡Ven!
FANNY
Vamos a soñar bajo los bosques,
FANNY, JUAN
Ven, soñemos con besos y canciones.
Por los bosques pasearemos soñando,
bajo las altas ramas oscilantes,
¡con el dulce gorjeo de los mirlos, y
pinzones,
pasearemos soñando!
¡Soñando!
(Se marchan despacio.)
¡Vamos soñando! ¡Vamos a soñar!
(ambos se pierden de vista)
¡Vamos a soñar! ¡Vamos soñando!
¡Ven!
(Aparece Caoudal por el fondo. observa el cartel
de una posada, y hace señas, alegremente, a sus
amigos que aún no están visibles. La Borderie lo
sigue de cerca y hace señas igual que él.)
CAOUDAL
¡Por aquí! ¡Por aquí!
LA BORDERIE
¡Por aquí! ¡Por aquí!
CAOUDAL
(señalando y leyendo el cartel)
"Una fritura sin igual”
LA BORDERIE
(continuando la lectura del letrero)
"Esta posada es excelente "
CAOUDAL, LA BORDERIE
¡Lo pasaremos estupendamente!
(haciendo señas de nuevo a los amigos)
¡Por aquí!
(Llega un grupo de amigos, todos muy alegres
y bullangueros. Llama a viva voz y golpeando
las manos)
¡Eh! ¡Posadero!
LOS AMIGOS
¡Eh! ¡Posadero!
CAOUDAL
¡Dese prisa, tenemos la garganta seca!
LA BORDERIE, CORO
¡No! ¡No! ¡No! ¡El mozo, no!
¡Que venga el posadero!
CAOUDAL, LA BORDERIE, CORO
¡El posadero!
EL POSADERO
¡Buen día,
señores! ¡Buenos días, señoras!
(reconociendo a un cliente habitual)
¡Ah! ¡Señor Caoudal!
¿Quiere almorzar bajo el árbol
o en la glorieta?
CORO
¡Oh, sí, bajo el árbol!
¡No! ¡No! ¡En la glorieta!
LA BORDERIE
¡No! ¡No! ¡En la glorieta!
CAOUDAL
¡No! ¡Bajo el árbol!
CORO
¡No! ¡Bajo el árbol!
POSADERO
¡Bien!
CAOUDAL
¡Rápido, tráenos tu mejor vino!
¡Vive Dios!
LA BORDERIE, CORO
¡Te conocemos muy bien, vive Dios!
POSADERO
Como gustéis.
CAOUDAL
¡Trae blanco!
LA BORDERIE
¡Pero no azul!
CORO
¡Pero no azul!
POSADERO
¡No del azul!
(a Caoudal, con aire de suficiencia)
¡Quédese tranquilo, será bien servido!
CAOUDAL
(confidencial)
Entonces, esta noche... ¡regresaremos
para cenar!
LA ABORDERIE, CORO
¡Regresaremos!
CAOUDAL
¿Qué nos va a cocinar?
POSADERO
Pues... todo lo que ustedes quieran...
CAOUDAL
¡Una enorme fritura!
POSADERO
Dos pollos Marengo,
LA BORDERIE, AMIGOS
¡Tres!
POSADERO
Y además una
buena pata de cordero.
CAOUDAL
¿Estará sabrosa?...
POSADERO
¡Se lo juro!
LA BORDERIE
¡Está bien!
¡Que así sea!
CAOUDAL
¡Está bien!
POSADERO
¡De acuerdo!
LA BORDERIE, CAOUDAL, CORO
¡Está bien!
¡Que así sea!
CAOUDAL
(histriónico)
¡Y en cuando a ti, posadero del diablo!
Si no encontramos puesta la mesa
con delicadeza, exquisitez y abundancia...
¡con furia y frenesí
te trincharemos, te cortaremos,
te cortaremos y te comeremos!...
convirtiéndote en una salsa tártara.
Así pues, haz lo mejor que puedas
para aliviar nuestros estómagos vacíos.
¡Sé el anfitrión de la laguna Estigia o del Tártaro!
LA BORDERIE, CORO
¡Caeremos sobre
ti con furia y frenesí!
CAOUDAL, LA BORDERIE, CORO
¡Te trincharemos, te cortaremos,
te cortaremos y te comeremos!
POSADERO
(de prisa y queriendo volver a su trabajo)
¡Se lo prometo!
(El posadero es retenido por La Borderie.)
LA BORDERIE
¡Te va la vida en ello!
CAOUDAL
Escucha bien:
es necesario que nuestra mesa
esté lista a las siete o de lo contrario...
¡la muerte!
LA BORDERIE, CAOUDAL, CORO
De lo contrario...
¡Ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja! ¡ay!
POSADERO
... ¡La muerte!
(a los sirvientes)
¡Traed pan y vino de inmediato!...
¡Vamos! ¡Corred!
CAOUDAL
¡Aquí, el pan!
POSADERO
¡De prisa, servid!
LA BORDERIE
¿Y el vino?
POSADERO
¡Aquí está! ¡aquí está!
CAOUDAL
A mi edad de lo único que me
arrepiento
es de no tener ya veinte años...
Divertiros mientras aún estéis a tiempo.
(alzando la copa)
¡A la salud de la juventud!
LA BORDERIE, CORO
¡A la salud de la juventud!
LA BORDERIE, CAOUDAL, CORO
¡Ohé! ¡ohé! ¡ohé! ¡ohé! ¡ohé! ¡Adelante!
(Algunos músicos ambulantes llegan
y se sitúan en el fondo del jardín
comenzando a tocar. Juan aparece
y es visto por Caoudal.)
CAOUDAL
(a Juan)
¡Qué sorpresa!, ¿Tú por aquí?
JUAN
(se acerca y saluda)
¡Señores!
CAOUDAL
¡Qué encuentro tan oportuno!
Por esos cabellos...
y esa piel tan bronceada, tersa y sonrosada,
¡daría toda mi fortuna!
LA BORDERIE
(a Juan)
¿Vives aquí?
JUAN
¡Allí, muy cerca!
Amo los bosques y sus sombras frescas,
aquí vivimos mejor que en París,
se respira un aire más tranquilo y sosegado.
CAOUDAL
¿Todavía vives con Safo?
JUAN
(sorprendido y no entendiendo.)
¿Safo?
CAOUDAL
¡Sí hombre, Fanny!
¡Fanny Legrand!
¡Safo, esa modelo tan hermosa!
JUAN
¡Qué! ¿Safo, mi Fanny?
¡Safo, era ella!
(titubeando)
No... eso se terminó...
Hace tiempo que no la veo.
CAOUDAL
Es hermosa... ¡y perversa!
No se la abandona tan fácilmente ¿eh?
Ella se ata a ti y uno sufre por ella.
¡El amor de Safo causó más de una locura!
LA BORDERIE
Su ruptura conmigo fue terrible y cruel.
JUAN
(para sí, turbado)
¡Ah, Dios mío!
LOS AMIGOS
(entre sí, sonriendo)
¡Vaya con Safo!
CAOUDAL
Y es que en
su hogar ella no fue feliz...
Un día, ese grabador, su esposo...
LA BORDERIE
¡Froment!
CAOUDAL
Tuvo la loca idea
de hacer un billete falso... y fue a la cárcel...
¡Ah! Parece que aún la veo enviándole un beso
a ese pobre muchacho y gritando:
¡Te amo, te adoro!
¡Ten valor, nos encontraremos de nuevo!
¡Querido, siempre seré tu esposa!
¡Te amo con toda mi alma!
¡Sí, pronto nos volveremos a ver!
JUAN
(para sí)
¡Mi amigo!
CAOUDAL
(a La Borderie, riéndose)
¿Y sabes qué final tuvo la historia?
LA BORDERIE
¡Adelante, cuenta!
CAOUDAL
Pues que ella se
marchó a la casa de su padre,
en el campo, con su hijito...
LA BORDERIE
¡El
hijo del pobre Froment!
JUAN
¡Su hijo!
CAOUDAL
(A Juan)
¿Qué te sucede?
JUAN
¡Yo les mentí ¡Sí! Desde hace un año,
por esa mujer degradé mi alma,
manchándola con la mentira,
y dándole mi corazón,
¡Deben creerme! ¡Yo lo ignoraba todo!
¡Doy mi palabra de honor! No mentí,
pero
juro que todo está terminado y que a partir de hoy
la desprecio tanto como una vez la amé.
(Fanny aparece radiante.)
CAOUDAL
(viéndola)
¡Gran Dios! ¡Safo!
JUAN
(va a abalanzarse sobre Fanny, pero se detiene)
¡Safo!
LA BORDERIE, CORO
¡Safo!
FANNY
(comprendiendo todo, para sí)
¡Ellos se lo han contado! ¡Canallas!
JUAN
¡Qué infamia!
Te tuve entre mis brazos
y te consideré mi amiga ¡No! ¡No!
¡Ah, nunca sospeché que una mujer
fuera capaz de destruir un alma!
¡Ah, estoy avergonzado!
Sufro, quisiera desaparecer de aquí,
expiar mi error con el martirio,
¡y maldecir por siempre el nombre de esta mujer!
¡Fanny, yo que tanto te amé! ¡Fanny, lo sé todo!
Hoy conozco tu miserable pasado
que habías intentado ocultarme.
Cautivando mi corazón, sorprendiste mi buena fe.
¡Fanny! ¡Fanny! ¡Te reíste de mí!
Mi ternura se ha transformado en odio,
puedes volver a ser Safo,
vuelve a ser su amante.
¿Me oyes? ¡Lo sé todo! ¡Todo!
FANNY
¡Calla, basta,... estás enfadado... calla!
Tranquilízate...
¡Esto tenía que acabar, y acabó!
Ve en busca de tu prima.
No pienses más en mí...
Con ella serás muy feliz,
vivirás en paz con tu papá y tu mamá.
¡Vamos... vete!
Yo te doy permiso...
¡Vete ya!
LA BORDERIE, CORO
(a Safo, señalando a Juan)
¡Mira! ¡Safo! ¡Mira! ¡Él se va!
CAOUDAL
¡Mira! ¡Safo! ¡Mira! ¡Él se va!
JUAN
¡Sí, me
voy!
Me voy... para no volver a verte
jamás! ¡adiós!
FANNY
¡Ah!
(mientras Juan se marcha ella
le grita desesperada.)
¡Amigo mío! ¡Amigo! ¡Ellos te mintieron!...
Pero... ya se ha marchado.
Y vosotros, orgullosos canallas,
víboras lenguaraces...
¡Sabed que no os tengo miedo! ¡Cobardes!
LA BORDERIE, CAOUDAL, CORO
¿Tú, nos
insultas?
TODOS
¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!
FANNY
¿Sabéis lo que habéis
conseguido?
Habéis roto mi felicidad... ¡Envidiosos!
Ese muchacho, cuyo amor ha cambiado mi vida,
por vuestra crueldad me ha abandonado.
¡Disfrutasteis proclamando
mi vergüenza y mis miserias,
las revelasteis cobardemente!
(a La Borderie; violenta)
Y tú, víbora,
tú que me hiciste llorar tanto, sufrir tanto...
Tu profundo odio ha roto mi corazón
que se había regenerado.
¡Me has quitado más que la vida! ¡Ay!
Escondí mi amor como se esconde un tesoro,
vosotros me lo arrebatasteis.
Quiero seguir viviendo,
para maldeciros a todos,
para haceros sufrir
¡para que sufráis
lo que me habéis hecho sufrir a mí!
LA BORDERIE, CAOUDAL, CORO
¡Safo!
FANNY
¡Dejadme, no
quiero veros!
Mi alma ha muerto para el amor...
¡Os odio!
¡Canallas! ¡Canallas!
(2ª versión del final del primer cuadro)
CAOUDAL
(a Juan)
¿Qué te pasa?
JUAN
¡Yo les mentí ¡Sí! Desde
hace un año,
por esa mujer degradé mi alma,
manchándola con la mentira,
y dándole mi corazón,
¡Deben creerme! ¡Yo lo ignoraba todo!
¡Doy mi palabra de honor! No mentí, pero
juro que todo está terminado y que a partir de hoy
la desprecio tanto como una vez la amé.
(Fanny aparece, radiante. Juan, al verla,
lanza un grito y corre como enloquecido.)
CAOUDAL
¡Gran Dios! ¡Safo!
FANNY
¡Ah! ¿Hablasteis?
¿Le dijisteis todo?
LA BORDERIE, CAOUDAL, CORO
No... no...
FANNY
¡Cobardes! ¡Cobardes!
Él se ha marchado...
Sois unos orgullosos canallas, víboras...
¡Sabed que no os tengo miedo! ¡Cobardes!
CAOUDAL
¡Fanny! ¡Cálmate!
LA BORDERIE
¡Cálmate!
LOS AMIGOS
¡Somos tus amigos! ¡Fanny!
LA BORDERIE, CAOUDAL
¡... Cálmate!
FANNY
¿Sabéis lo que habéis conseguido?
Habéis roto mi felicidad... ¡Envidiosos!
Ese muchacho, cuyo amor ha cambiado mi vida,
por vuestra crueldad me ha abandonado.
¡Disfrutasteis proclamando
mi vergüenza y mis miserias,
las revelasteis cobardemente!
(a La Borderie; violenta)
Y tú, víbora,
tú que me hiciste llorar tanto, sufrir tanto...
Tu profundo odio ha roto mi corazón
que se había regenerado.
¡Me has quitado más que la vida!
¡Ay!
Escondí mi amor como se esconde un tesoro,
vosotros me lo arrebatasteis.
Quiero seguir viviendo para maldeciros a todos,
¡para que sufráis lo que yo he sufrido!
LA BORDERIE, CAOUDAL, CORO
¡Safo!
FANNY
¡Dejadme, no quiero veros!
Mi alma ha muerto para el amor...
¡Os odio!
¡Canallas! ¡Canallas!
Cuadro Segundo
(En la villa D'Avray; en una pequeña habitación)
(Juan Gaussin está solo. Del armario
entreabierto, ha extraído febrilmente sus
ropas, y las mete torpemente en un baúl.)
JUAN
¡Ah, sí... marcharme, irme lejos, huir!...
¡No pensar más en nada, ah! ¡No sufrir más!...
Mañana, estaré allí, en mi Provenza,
¡La desesperación del temporal amainará pronto,
haciendo desaparecer la amarga desesperación
que deja un mal sueño antes de desaparecer!
(descubre un cofre de laca con bisagras
cinceladas. Lo toma y lo mira con desprecio)
¡Su cofre! ¡Reliquia de impuros recuerdos!...
¡Todo su pasado, toda su vida está aquí!
¡Está cerrado!
¡Dios sabe lo que puede contener!
(La puerta se abre de repente y entra Fanny)
FANNY
¡Juan! ¿Te marchas?
¡Quédate... te lo ruego!
JUAN
¡Todo ha terminado entre nosotros!
FANNY
Ellos te mintieron porque tenían celos...
¡No es verdad lo que te dijeron!
JUAN
¡Safo! ¡Qué infamia!
¡Yo
que te tuve entre mis brazos!
¡Yo que te llamé mi esposa! ¡No! ¡No!
¡Ay, no sospeché que una mujer
podría romper así mi alma!
¡Ah, me avergüenzo!
Sufro, sí, y me marcho
para reparar mi error con una penitencia cruel.
¡Te maldigo por haberte llamado mí esposa!
¡Fanny,
yo que te amé tanto!
Fanny, ahora lo sé todo.
Hoy conozco
tu miserable pasado
que habías intentado
ocultarme cautivando
mi corazón, abusando de mi buena fe...
¡Fanny! ¡Fanny! ¡Te burlaste de mí!
Mi amor... se ha trocado en odio.
Vuelves a ser Safo, vuelves a ser la cortesana.
¿Me oyes? ¡Lo sé todo! ¡Todo!
FANNY
Pues sí... sí,... es verdad...
Pero ¿qué nos importa?
Después de todo el destino hizo
que nos encontráramos demasiado tarde.
¡La Safo de otrora, te lo juro, ya murió!...
JUAN
¡A
otros con tus juramentos!
FANNY
¡Yo te amo... a nadie más que a ti... sólo a ti!
JUAN
¡Mientes... mientes!
FANNY
¡Te adoro!
JUAN
Si me amas, escúchame...
FANNY
¿Qué?
JUAN
(señalando el cofre)
Ese cofre...
FANNY
¿Lo viste?
JUAN
Siempre estuvo allí...
(señalando el armario)
... allí.
FANNY
Déjalo, te lo imploro,
no contiene nada.
JUAN
¿Nada?
FANNY
¡Ah! ¡Qué locura!
JUAN
¡Ahí están tus recuerdos de amor!
FANNY
Eres cruel... me causas mucho dolor...
Pero te amo tanto, que puedo soportar tu odio.
JUAN
(brutal)
¡La llave!...
FANNY
¡No la tengo!
JUAN
Sabré abrirlo...
FANNY
¡Eso te hará sufrir!
JUAN
¡Mira!... ¡Aquí están!... Bien ordenadas...
(tomando una carta)
¡La prueba de tu deshonra!
FANNY
¡Quémalas... son tuyas!
JUAN
¿Mías? ¿Mías... Safo?
FANNY
¡No... llámame Fanny!
¡Sí, quémalas... o... rómpelas!
Así me creerás.
Tus dudas, nuestras penas, mis angustias,
deja que se vuelvan humo ante tus ojos,
como nubes muy lejanas que ocultaron
un cielo claro que recuperará su azul resplandor.
¡Sí, mi amigo, quémalas... quémalas... ah! ¡Destrúyelas!
¡Quémalas!
JUAN
¡Quiero leerlas!
ANNY
¡Aumentarás el dolor de mi corazón!
JUAN
¡Ah, ése es el gesto que hace tu escultor!
¡Y ese cigarrillo que tienes entre tus dedos!
¡Tus palabras en el taller, tu proceder en la posada,
tus amantes, los oigo y los veo!
FANNY
¡Qué cruel eres!
JUAN
Todas estas cartas...
Todas estas esquelas amarillentas y ajadas...
FANNY
¡Dámelas... voy a quemarlas ante tus ojos!
JUAN
¡Quiero leerlas, ya te lo he dicho... quiero leerlas!
(tomando una carta al azar; lee:)
“Para avivar el orgulloso mármol de tu carne,
¡oh, Safo! daría toda la sangre de mis venas
como un sagrado tesoro”...
FANNY
¡Dame!
(Le arrebata la carta
y la arroja a la chimenea)
JUAN
(tomando otra carta)
"Al ser más amado...
(lee en silencio. Su fisonomía va
adquiriendo una expresión de aversión.)
FANNY
(le arrebata la carta y
la arroja al fuego)
¡Dámela, por favor!...
Era una broma...
Una farsa de un aprendiz de pintor...
JUAN
¿Y este dibujo?
Eres tú... hace tiempo...
no estás mal.
"¡A mi amiga... Fanny Legrand, en la posada
de Dampierre, una tarde en que llovió mucho!"
FANNY
Lo he guardado sólo por la firma...
Dámela también...
JUAN
(devolviéndole el boceto)
¡Puedes conservarlo!
FANNY
¡No, quiero quemarlo todo!
(lo arroja al fuego)
¡No sigas leyendo, me haces sufrir!
¡Te lo imploro!
¡Si tú supieras, amigo, lo que fue mi niñez!
Yo era... ¡una flor de suburbio!
¡Vagando todo el día por las calles!
Mi madre... apenas si la conocí...
Mi padre regresaba muy tarde a casa
¡y cuando había bebido me golpeaba sin razón!
Así crecí.
A los quince años... era, muy bonita...
Huí de casa y me transformé en modelo;
me uní a esa gente a la que odio infinitamente...
Les entregué mi cuerpo, pero no mi corazón...
Este corazón que te pertenece,
este desgraciado corazón que te ama.
¡Puedes romperlo, después de todo es tuyo!
Este corazón que te pertenece,
¡Este corazón que te ama, puedes romperlo!
¡Es suyo! ¡Tuyo!
JUAN
¿Y qué contiene este último paquete
tan bien escondido en el fondo del cofre?
FANNY
¡No, nada... no leas eso!
JUAN
¡Qué!
FANNY
¡Dame esas cartas!
JUAN
¿Qué dices?
FANNY
¡Dámelas de inmediato!...
(Se
produce un forcejeo entre ambos)
¡Tanto mejor!... ¡Ahora lo sabrás todo!
JUAN
El remite es de la cárcel...
(abre el sobre, toma la carta
y lee la firma.)
¡De Froment, el grabador!
FANNY
De Froment, el grabador, un hombre de talento.
¡Si el robó, fue impulsado por la miseria!
JUAN
¡Froment... un delincuente... qué vergüenza!
FANNY
¡Mi muy querido amigo!
JUAN
“Muy querido amigo”
El nombre con el que me adulaste,
a ese ladrón... también... se lo diste.
FANNY
¡Sí, pero es a ti a quien amo!
JUAN
¿Veamos, qué dice?
"Qué alegría Fanny,
que hayas venido".
¿Y la fecha?
El veintidós de abril de este año...
¿Entonces?... ¡lo volviste a ver después
que nosotros viviéramos juntos!
FANNY
¡Me dio lástima, es tan desgraciado!
JUAN
"Pienso en nuestro hijo... que está en el campo,
Tú me has dicho”...
¿Un hijo de él? ¿De ese convicto?
¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!
¡Es el colmo!
FANNY
¡Pues bien, sí, tengo un hijo!
JUAN
¡Ya lo veo! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!
El hijo de un ladrón... el engendro de la prisión.
FANNY
¡Basta, vete! ¡Vete ya!
JUAN
Podrías darle el ejemplo de su padre...
¡El hijo del Safo y un falsificador!
¡Qué hermoso!
FANNY
¡No sigas hablando,
te prohíbo que insultes a mi hijo!
JUAN
¡Está bien!
FANNY
Vuelve con los tuyos.
Lo nuestro tenía que acabarse.
Corre, ve a recuperar a tu prima,
no pienses más en mí.
Allí serás feliz
y vivirás tranquilo
entre papá y mamá...
Márchate, hijito, vete,
yo te autorizo...
¡Vete ya!
JUAN
¡Ah! ¡Miserable!
FANNY
Y ahora no
me fastidies más hablando
de tus rosas, tus poesías folclóricas
y tu rió Ródano.
“Escucha la pandereta”...
Tus cigarras... Divonne, Irene...
JUAN
(levanta la mano para golpearla)
¡Ah, te atreves a...
FANNY
Apresúrate, vas a perder tu tren...
¡Toma tu maleta, vete, corre... corre!
JUAN
¡Miserable!
FANNY
Burgués.
JUAN
(en la puerta)
¡Puta!
FANNY
¡Imbécil!
ACTO IV
(En
Aviñón)
CORO DE CAMPESINOS
(desde muy lejos. Juan sueña, pensativo y triste)
¡Oh Magali, mi muy amada,...
asómate a la ventana!
(a lo lejos se oye el sonar de flautas y
tamboriles provenzales)
Escucha un esta canción
con pandereta y violín.
DIVONNE
(tocando ligeramente el hombro de Juan)
¿Y bien?
JUAN
¡Madre!
DIVONNE
¡Pichoncito! ¡Mírame!
Contéstame, ¿qué es lo que tienes?
JUAN
No sé...
DIVONNE
¡Vamos, no me mientas!
Dime algo... algo,
estoy segura de que...
JUAN
Nada, no me pasa nada, te lo aseguro...
DIVONNE
¡Tu regreso tan inesperado! Tú te...
JUAN
¡No! ¡no!
DIVONNE
¿Una mala mujer que me robó tu alma?
¡Un mal amor!
No le ocultes nada a tu madre Divonne,
tú sabes como ella te ama y que es buena...
JUAN
Sí, lo adivinaste. Pero, está terminado.
DIVONNE
¿Tú crees?
JUAN
Fue una locura de la que me arrepiento.
¡Debo olvidarla!
Dime, mamá. ¿me perdonas?
DIVONNE
¿Perdonarte, pequeño? ¡Ya lo hice!
Daría toda la sangre de mi corazón por ti.
JUAN
Si leyeras en lo más profundo de mí, ¡ah!
sabrías lo que sintiendo.
DIVONNE
Una madre lo adivina todo,
las penas, las inquietudes...
JUAN
Para compartirlas.
DIVONNE
... sí, para disiparlas,
y enjugar las lágrimas de un hijo
¡con un beso!
No por flaqueza,
sino para superar este momento de tristeza,
¿no me dirás lo que ha pasado?
JUAN
Ábreme tus brazos...
DIVONNE
Ven, mi pequeño, para que te estreche
en mis brazos como cuando eras niño,
Cuando mi voz te arrullaba
cada noche en tu cuna.
¡Cálmate, mi pobre niño!
No más penas, no más ira.
¡Permaneceremos, siempre juntos!
¡Siempre nos querremos!
¡Siempre! ¡Siempre! ¡Siempre!
JUAN
... como entonces... con oír tu voz...
¡ya no siento penas!
¡Se terminó! ¡Se terminó!
No más amarguras, no más pesares, ni enojos.
¡Juntos! ¡Juntos nos querremos!
¡Siempre! ¡Siempre! ¡siempre!
DIVONNE
Corramos a avisar a tu padre; ¡ah!
Él se pondrá contento
al ver que tus ojos brillan de nuevo.
¡Vendrán días mejores
y momentos felices!
¡Mi querido hijo!
JUAN
¡Mi buena madre!
(Divonne se marcha. Irene se acerca a Juan)
IRENE
¿Estás preocupado? ¿Por qué estás tan pensativo?
Cuéntame.
JUAN
¡No por ti!
IRENE
Soy tu amiga.
¿Lo recuerdas? "San José y María...”
¿Qué te preocupa?
Si un día yo tuviera alguna pena,
iría junto a mi amigo para compartirla
y le contaría el pesar que llena mi alma.
Si un día tuviera algún dolor,
iría junto a mi amigo.¡Sí, iría!
Y seguro que él me tomaría de la mano,
me diría una palabra que
me haría sonreír,
me consolaría y haría más dulce el nuevo día.
Sería como un rayo de la aurora
que haría desaparecer mis tormentos, ¡ah!
¡Mi corazón volvería a florecer
bajo el cálido beso de la primavera!
Si yo, un día, tuviera alguna pena
iría junto a mi amigo.¡Sí, iría!
(César acude alterado.)
CÉSAR
¡Juan!
JUAN
¡Padre mío!
CÉSAR
(a Irene)
¡Ve de inmediato con Divonne!
IRENE
Pero ¿qué sucede?
CÉSAR
¡Nada! ¡Nada! ¡Obedece, pequeña!
IRENE
Usted parece enojado y...
CÉSAR
¡Ve, ve... y déjanos solos!
(Irene se marcha)
(a Juan, siempre muy agitado)
¡Pobre muchacho! ¡Ahí! ¡Ella está ahí!
JUAN
¿Ella está aquí?
CÉSAR
¡Y te busca!
JUAN
¿Safo?
CÉSAR
No soy tan ingenuo
como para ignorar tu imprudente amor.
¡Mantente firme!
JUAN
¡Oh, no te preocupes, seré fuerte!
Antes estaba dominado por ella
pero ahora, aunque ella amenace o llore,
yo no cederé... padre... ¡te lo prometo!
(César se marcha.)
(Fanny entra lentamente)
FANNY
No me reproches haber venido,
no nos dejaremos sin un últimos adiós.
Lejos de ti sentí un desconocido dolor;
ahora que te veo, me siento mejor.
JUAN
No estoy enfadado contigo.
FANNY
¿De verdad?
Estoy cansada...
Lloré tanto
que no sé como sigo viva
y puedo estar hablando este momento.
Cualquier otra mujer hubiese muerto en mi lugar.
¿He cambiado?
(Juan no contesta nada.)
Sí... ¿no es verdad?
JUAN
¿Sigues viviendo allí?
FANNY
¿Pero a dónde quieres que vaya?
Allí tengo recuerdos que me dan esperanza,
y a veces, cuando no lloro,
por la mañana no pienso en nada y trabajo.
Sólo a veces... me despierto riendo:
es cuando el cielo está claro y el sol brillante.
Entonces, tomo mi vestido blanco,
arreglo mis cabellos como a ti te gustaba,
me asomo a la ventana,
y me quedo hasta la tarde
esperando tu regreso y oír tus pasos.
En vano espero...
¡Pues mi amigo no viene!
JUAN
El invierno siempre es triste,
sería preferible que regresaras a París.
FANNY
¿Y qué haré allí yo sin ti?
Las personas que yo conozco,
ese mundo miserable dónde viví,
son para mí un motivo de dolor y angustia.
Durante un año fui tu esposa
y tengo la intención de seguir siéndolo
por siempre y para siempre.
Tú vas a regresar, vas a regresar,
y los hermosos días volverán
a perfumar mi alma nuevamente.
Ven, amigo, seré tan dulce y buena para ti
que tu corazón se volverá a abrir...
Que tu mano que ahora me rechaza
me acaricie tiernamente de nuevo.
¡Ven, porque tú aún me amas!
Mira mi dolor, sólo tú puede aplacarlo.
¡Ríndete a mi amor que te implora!
Tu boca no podrá olvidarse de mis besos.
¡Ven! ¡ven! ¡Ven, mi amigo! ¡Ven!
JUAN
¡No! ¡No puedo!
FANNY
¿Por qué?
JUAN
¡No puedo!
Tan grande es mi debilidad
que si yo te siguiera... ya no podría dejarte.
FANNY
¡Mira mi penar!
JUAN
¡No!
FANNY
¡Mira mi ternura!
JUAN
¡No!
FANNY
¡Mira mi amor!
JUAN
¡No! ¡No! ¡Esperanzas superfluas!
¿Y tu pasado?
FANNY
Pero... no fue mía toda la culpa
y he maldecido tanto ese pasado
que debe estar muerto. ¡Ten piedad!
JUAN
¿Tu pasado, muerto?
¡Siempre existirá y no podré borrarlo!
Para mí, poder vivir contigo sin remordimientos;
para ti, el de amar sin escrúpulos y sin vergüenza.
¡De todo eso debo salir!
FANNY
Conozco la verdad...
Aquí, contra mí todo se confabula...
Quieren casarte y tú no quieres,
haciendo caso omiso de mis lágrimas...
riéndote de mi dolor,
rompes el corazón de tu esposa... es un error...
JUAN
¡Qué dices!...
FANNY
¡Estoy equivocada! Perdóneme...
Yo creo, espero, sólo quiero que tú...
¡Ven, mi amigo, seré tan dulce
y tan buena contigo que tu corazón se abrirá...
JUAN
Todo ha terminado...
FANNY
… y la mano que ahora me rechaza
de nuevo me acariciará tiernamente.
JUAN
¡No! ¡tú lo sabes... es imposible! ¡No!
¡No, es imposible!
¡Es imposible, ay! ¡No! ¡Todo ha terminado!
¡Fanny!
FANNY
¡Yo te amo, y jamás te amé tanto!
¡Piedad! ¡Piedad! ¡Mira mi dolor!
¡Piedad! ¡Piedad! ¡Me arrodillo!
CÉSAR
(LLegando con
Divonne)
¡Hijo mío!
JUAN
¡Ah, padre mío!
CÉSAR
¡Entra en la casa!
FANNY
¡No lo dejo!
DIVONNE
(a
Fanny)
¡Vete!
FANNY
Pero ¿quién diablos es usted?
DIVONNE
¡Su madre!
FANNY
¡Ah! Señora perdóneme... yo no sabía...
Juan... allá... voy...
... Me voy... me voy...
DIVONNE
(para sí)
¡Pobre mujer!
ACTO V
(Invierno
en el desolado cuarto de la
casa de la Villa de Avray. Fanny, sola,
pensativa, triste y resignada)
FANNY
Mañana, partiré es necesario que lo haga.
Mi corazón muere de dolor...
Lloro... ¡me siento tan cobarde!
¡Pobre Safo!
No tengo fe en la vida,
toda esperanza ha desaparecido...
La felicidad huyó de aquí
al igual que yo desapareceré.
Debo marcharme.
Ya no espero nada más.
Olvidar será muy difícil.
¡Lo amé tanto! ¡Lo amé tanto!
Sus cartas...
(Leyendo)
"Mi Fanny, mi esposa muy amada,
el tiempo es puro y claro,
la balsámica campiña nos llama... mañana...”
Voy a volver a llorar... no las releeré más...
Mejor será destruirlas...
(rasga las cartas y continúa
buscando en el cajón)
¡Cuánto
recuerdos de él!...
Estas flores marchitas...
fue él, quien en otro tiempo me las dio...
¿Es necesario amar para sufrir tanto?
Después de haber vivido días tan dulces,
renunciar a todo, irme... y morir
sin la esperanza de lograr su perdón.
¡Ay! ¡Lo amé tanto! ¡Lo amé tanto!
Ahora lo comprendo: yo habría perdido su alma,
lo hubiera condenado a un dolor amargo,
no habría logrado hacerlo feliz.
¡Ay, él blasfemaba al llamarme su esposa!
Allá... allá, un ser pequeño, frágil e inocente,
me llama con voz conmovedora.
¡Ese pequeño, es mi hijo, hijo de mi sangre!
¡Quisiera recuperarlo para oír de su boca
el dulce nombre de mamá!
¡Toda mi felicidad está allí!...
Tengo la esperanza de hacer de mi hijo
un ser de corazón honrado y puro... no
como yo.
JUAN
(entrando)
¡Fanny!
FANNY
¡Eres tú!
JUAN
¡Sí, soy yo!
¡No podía estar más tiempo alejado de ti!
FANNY
Has regresado, ¿por qué?
JUAN
Mi querida esposa,
¿y eres tú quien me pregunta eso? Tú... ahora...
FANNY
Te lo ruego, Juan, déjame.
Voy a marcharme de aquí, olvídate de mí.
JUAN
Si te marchas, ¡es para unirte, ay, con otro!
FANNY
¡No! ¡No!
JUAN
Estoy seguro.
FANNY
¡Te juro que no!
JUAN
Estoy seguro de ello.
¡Y yo que por ti fui perjuro!
Que abandoné todo, para regresar a aquí...
El corazón de los míos, mi futuro.
Que dejé las viñas y los hermosos rosales,
¡Sí, abandoné todo!...
Vi llorar a mi madre y sentí su mano
que me retenía por el recodo del camino.
¡Todos se derrumba: amor y esperanza!
¡Todo!
¡Ah, me olvidas y te marchas! ...
¡Vete! No prolongues mi sufrimiento.
¡Corre a reunirte con tu amante!
FANNY
¡Ah! ¡Tú aún me amas!
¡No, no digas más, he leído en tus ojos
el amor de los días dichosos!
¡Me quedo, te adoro!
FANNY, JUAN
¡Te adoro!
(permanecen abrazados.)
FANNY
Pero estás pálido... mi amigo...
JUAN
(de repente, se pone de pie, nervioso y ofuscado)
¿Qué dijiste? ¿Mi amigo?
Esa palabra... me
trae... recuerdos horribles!
FANNY
¿Vas a volver a torturarme
hablándome del pasado?
¿Es por eso que llegué a creer
en el perdón de tus besos?
JUAN
¡Ah, es verdad... estoy loco!...
FANNY
Me asustas... tus labios tiemblan...
y tus ojos están febriles...
JUAN
Estoy... muy cansado.
FANNY
Cálmate...
JUAN
No he dormido nada...
FANNY
Descansa dulcemente.
JUAN
Quédate a mi lado...
FANNY
Si tú quieres.
JUAN
¡Oh, Fanny, te amo!...
FANNY
Duérmete y descansa.
JUAN
Sí... el perdón... supremo...
(Juan
se duerme)
FANNY
¡Se ha dormido!
¿Voy a permanecer aquí?
No, será mejor que me marche y
mantenga
dentro de mi alma herida
sus besos amorosos
¡Su último deseo de amor!
Él nunca podrá olvidar mi pasado.
A cada beso le seguirá una palabra de reproche.
¡Vamos! ¡Es la hora!
(escribe una nota de despedida.)
"Adiós, mi amigo, me
marcho para siempre...
No te enfades conmigo... porque te amo
y te amaré por siempre... lloro.
Cumplo con mi deber
y estoy orgullosa de hacerlo.
Si es verdad que existe un Dios bueno,
puedo hacerle ahora una plegaria
y hablarle de ti... Eso es todo... adiós".
Un beso... el último... con toda mi alma...
JUAN
(soñando)
¡Mi esposa!
FANNY
¿Se despierta?
¡No! ¡No! Todavía está soñando...
¡Adiós, mi amigo!
(marchándose)
¡Adiós! ¡Adiós.. mi amigo!...
Traducido y digitalizado por:
José Luis Roviaro 2012.
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