ACTE UNIQUE
(Une salle basse dans un château de
province, ameublement riche, un peu
sévère. Une table de travail. Au fond,
large baie ouvrant sur une place de
village, elle est encadrée de feuillages
et de fleurs)
Scène Première
(Aurore, le chur, dans la coulisse, puis Des
Grieux. Au lever du rideau, la scène est vide;
on entend au dehors les chants des villageois)
LE CHUR
Hardi! Hardi! les jeunes filles,
Dansez, gentilles!
Celle qui dansera le mieux
Aura le plus bel amoureux;
Hardi! Hardi! les jeunes filles!
Vous aurez bien le temps
De filer la quenouille
Quand s'envolera le printemps,
Lorsque l'automne rouille
Les bois mystérieux
C'est l'heure d'être sérieux,
Mais les froids hivers sont finis,
L'amour chante dans tous les nids,
Hardi! Hardi! les jeunes filles,
Dansez, gentilles.
Celle qui dansera le mieux
Aura le plus bel amoureux;
Hardi! Hardi! les jeunes filles!
DES GRIEUX
(il entre pensif, il écoute les chants)
L'amour, toujours l'amour maudit!...
Donnez-lui votre cur,
chantez-le, pauvres êtres!
Plus tard, vous pleurerez, mes maîtres,
C'est Des Grieux qui vous le dit.
LE CHUR
Hardi! Hardi! les jeunes filles,
Dansez, gentilles!
Celle qui dansera le mieux
Aura le plus bel amoureux.
Hardi! Hardi!
les jeunes filles.
AURORE
Les baisers sont des papillons
Dont nos deux lèvres sont les ailes;
Semblables à des oisillons
Nés avec les roses nouvelles,
Les baisers sont des papillons
Dont nos deux lèvres sont les ailes.
Les baisers sont un doux parfum
Qui nous pénètre jusqu'à l'âme;
Pour ranimer l'amour défunt,
Il suffit d'un peu de leur flamme,
Les baisers sont un doux parfum
Qui nous pénètre jusqu'à l'âme.
DES GRIEUX
(a écouté très troublé)
N'écoutons plus!... Oh! Cette voix
Qui m'enchante et, tout à la fois,
Me désespère;
En mon cur éperdu,
Elle réveille la chimère
Du paradis perdu.
Faudra-t-il donc, toujours, lutter
contre moi-même?
Par mes larmes vaincu,
mon père a pardonné.
Dois-je souffrir encore, et le calme suprême,
Par la mort seulement me sera-t-il donné?
Mon repentir, ta fin terrible,
N'ont-ils donc pas su désarmer,
O Manon, le ciel inflexible?
N'ai-je pas le droit de t'aimer?
(Il ouvre un coffret qui se trouve sur
la table de travail et en tire une
miniature de Manon)
Voilà ton image chérie,
Oui, c'est ainsi que je te vis,
Pour la première fois, dans cette hôtellerie,
T'offrant, timide et pure,
à mes regards ravis.
Tes yeux d'azur brûlaient
sous ta mante de soie,
Et ta bouche exhalait un souffle parfumé;
Je t'ai dû la première joie
D'aimer et d'être aimé.
Puis c'est notre petite table
Où nous étions si bien tous deux,
Jusqu'au jour où je fus coupable
De ne pas te comprendre mieux.
Pour souffrir tu n'étais point faite,
Ce qu'il fallait à tes seize ans,
C'était le plaisir et la fête
Interminable du printemps.
Ce fut alors que ma famille,
Me voyant prêt à succomber,
Entre nous deux mit une grille;
Un seul baiser la fit tomber.
Hélas! que de fautes, de crimes
Je me reproche dès ce jour!...
Nous fûmes tous deux les victimes,
Toi du plaisir, moi de l'amour.
Sur mon front que l'automne glace,
Je sens parfois comme un baiser.
Manon, c'est ton âme qui passe
Et vient sur moi se reposer!
Voilà ton image chérie;
Oui, c'est ainsi que je te vis
Pour la première fois dans cette hôtellerie
T'offrant, timide et pure,
à mes regards ravis.
Mais quelqu'un vient.
C'est Jean sans doute.
C'est le gentil sauveur
que Dieu mit sur ma route,
Pour éloigner un rêve décevant.
(Il remet le portrait dans
le coffret et le referme)
Scène Seconde
(Des Grieux, Jean)
JEAN
(salue en s'inclinant très
respectueusement)
Monsieur le chevalier!
DES GRIEUX
(très paternel)
Bonjour, mon cher enfant!
Êtes-vous bien heureux?
JEAN
Si le bonheur sur terre
Pouvait se refléter, monsieur,
je vous dois tant,
que votre front austère
En serait radieux.
DES GRIEUX
Votre père, en mourant, confia votre enfance
A son ami fidèle, à moi;
ma récompense est de vous voir joyeux.
Mais voici que l'heure s'avance;
Reprenons nos leçons.
JEAN
Oui, monsieur, commençons.
(Il ouvre un gros livre et lit :)
En l'an deux cent onze de Rome,
Scipion l'Africain,
Guerrier fameux et fort bon gentilhomme,
Vainquit le peuple ibérien,
Et, lorsqu'il eut conquis la plaine,
Il s'empara de Carthagène.
Le soir, après un grand festin,
On se partagea le butin,
Et comme il avait droit à la part la plus belle,
On vint amener au vainqueur
Une très noble demoiselle
Qui pleurait à fendre le cur.
Scipion l'Africain,
ému par sa souffrance,
Au jeune Allucius, qu'il savait son amant,
Sans rançon, la rendit immédiatement,
Et l'on vanta très fort sa continence.
DES GRIEUX
C'est très bien!
Le héros, comme vous pouvez voir,
Au-dessus de l'amour sut mettre son devoir.
C'est un exemple à suivre.
JEAN
(rêveur)
Sans amour comment vivre?
DES GRIEUX.
Hein? j'ai mal entendu?
JEAN
Hélas! Je suis perdu!
Oh! mon cher secret qui s'envole
Sur les ailes d'une parole!...
Je fais appel à vos bontés.
Monsieur, je vais mourir,
si vous ne m'écoutez!
J'aime!... J'aime, et mon existence
Dépend de vous...
DES GRIEUX
Mon indulgence
Vous enhardit, vicomte, je le vois.
Un tel aveu!...
JEAN
Monsieur, je crois
Que vous êtes la bonté même,
Je n'ai plus de mère; à genoux
Quand je viens vous dire que j'aime...
DES GRIEUX
Assez, monsieur, relevez-vous!
JEAN
Oh! je sens toute l'étendue
De la faute que je commets;
Toute ma joie en est perdue,
Et, s'il le faut, je me soumets,
Mais me jugez-vous si coupable,
O mon vénéré bienfaiteur?
Et m'estimez-vous responsable
De l'amour qui naît en mon cur?
A l'heure où la rose s'éveille,
Sous le mignon baiser d'avril,
Au bois, quand le rossignol veille
Avide d'aimer, se peut-il
Que la raison puisse défendre
A la fleurette d'embaumer,
Au doux oiselet d'être tendre,
Au cur de dix-huit ans
d'aimer?
DES GRIEUX
Ainsi voilà ma récompense!
Voilà le fruit de mes leçons!
JEAN
Chevalier! ma reconnaissance...
DES GRIEUX
N'en parlons pas, vicomte, finissons!
Peut-on savoir au moins quelle est la femme
Dont le charme vainqueur
Fit naître une si vive flamme,
Malgré mes soins, dans votre cur?
JEAN
Sous un front charmant, que couronne
Sa chevelure aux reflets d'or,
Brillent les yeux bleus que Dieu donne
Quand il les a longtemps cherchés
dans son trésor.
Sa voix qui semble une caresse,
Sort d'une bouche enchanteresse.
DES GRIEUX
(à part)
[Perfide et séduisant mirage
Qui trouble les curs innocents,
Amour, c'est bien là ton langage,
Je reconnais après tant de jours
tes accents.
Ces mots inspirés par ta fièvre
Quand j'aimais, ont brûlé ma lèvre.]
C'est ainsi qu'autrefois je parlais de Manon
A mon père irrité!
(Haut)
Mais vous taisez son nom!
JEAN
Elle a seize ans, elle s'appelle Aurore.
DES GRIEUX
Grand Dieu!
Gardez-vous bien de plus
songer encore
A cette fille qui n'a rien!
Je vous ai fait riche et mon bien
N'est pas pour une aventurière.
Tout vous promet une belle carrière,
Vos illustres aïeux,
au combat redoutés,
De moi n'auront pas à se plaindre;
Vicomte de Morcerf,
je saurai vous contraindre
A respecter le nom que vous portez!
Oui, de moi, vos aïeux
n'auront pas à se plaindre!
JEAN
O mes pauvres amours,
De qui réclamer le secours?
(Tiberge entre et lui fait un signe
d'intelligence. Avec joie)
Monsieur Tiberge.
DES GRIEUX
Allez!
(Jean se retire)
Scène Troisième
(Des Grieux, Tiberge)
TIBERGE
(à part)
Mon camarade
A la mine maussade;
Il vaudrait mieux, je crois,
Remplir une autre fois
Mon ambassade.
DES GRIEUX
(brusquement)
Que voulez-vous, Tiberge?
TIBERGE
Oh! rien! Vous consulter
Sur quelques vers,
s'il vous plaît m'écouter!
(Des Grieux fait un geste d'impatience)
« La rose est douce à regarder
« Sa fraîcheur est pareille à la vôtre, madame,
« Elle a des traits piquants pour se garder,
« La rose est femme.
« Le lis a la blancheur... »
DES GRIEUX
(l'interrompt)
Mais c'est tout un jardin,
déplorable rimeur!
Je ne suis pas d'humeur
A goûter vos sornettes.
TIBERGE
Au moins vos jugements
ont des allures nettes.
DES GRIEUX
Tiberge, c'est qu'aussi vous lassez à la fin
Toute ma patience,
Je vous connus, jadis, ne parlant qu'en latin,
Plein de vertu,
plein de science!
Austère puritain,
On vous citait comme exemplaire.
Maintenant, débauché vulgaire...
TIBERGE
Je prouve de mon mieux,
En dépit de la Fable,
Que quand il devient vieux
L'ermite se fait diable.
Dans le puits où jadis
logeait la Vérité,
En costume assez court,
à ce qu'on a conté,
Sans qu'elle en eût de honte,
L'un des seaux remontait
Quand l'autre descendait,
Moi, je remonte...
Nous ne valons pas mieux
l'un que l'autre, mon cher.
DES GRIEUX
Tout autant que le mien
votre langage est clair,
Mais votre raillerie
est d'un goût détestable,
Tiberge, allez au diable!
TIBERGE
Vous, vous en revenez,
montrez-moi le chemin.
Vous parliez, chevalier,
d'un ton plus débonnaire,
Quand vous veniez, le lendemain
De vos... adieux au séminaire,
Trouver l'ami Tiberge
avec votre Manon!
DES GRIEUX
Manon, toujours Manon!
Je vous ai défendu
de prononcer ce nom!
De ce passé que je déteste
Dont un affreux chagrin me reste,
Pourquoi donc m'obséder?
Pourquoi ces mots cruels?
Mes dernières années
Sont-elles destinées
Pour la faute d'un jour
aux remords éternels?
Et c'est vous qui pouvez raviver
ma souffrance!
TIBERGE
Ami, pardonnez-moi.
Je viens très sottement
Vous offenser quand justement
J'avais à recourir à
votre bienveillance.
DES GRIEUX
Qu'est-ce encore?...
De l'argent!
TIBERGE
Oh! chevalier!...
DES GRIEUX
Je vous offense.
Excusez-moi, Tiberge,
à votre tour,
Et parlez sans tarder...
TIBERGE
Vous connaissez l'amour
De votre beau vicomte
et de ma douce Aurore,
Et le dessein que je formais
Était de les unir...
DES GRIEUX
(ironique)
La démarche m'honore!...
(Brusquement)
Je ne me prêterai jamais
A pareille mésalliance!
Votre pupille Aurore
est sans naissance!
TIBERGE
Si vous saviez!
DES GRIEUX
Quoi?
TIBERGE
Rien! consentez à la voir,
Je la faisais venir ici dans cet espoir.
DES GRIEUX
Ici? Vous avez de l'audace!
TIBERGE
Tenez, la voici!
DES GRIEUX
Sur ma foi,
Je ne suis plus maître chez moi.
Monsieur, je vous quitte la place.
TIBERGE
Oh! chevalier!
DES GRIEUX
Adieu!
(Il sort)
TIBERGE
Les pauvres chers enfants!
Scène Quatrième
(Tiberge, Jean et Aurore, entrent
joyeux, se tenant par la main)
JEAN, AURORE
Bon monsieur,
vous avez réussi sans nul doute,
Le chevalier, qui vous écoute,
Unit nos deux curs triomphants.
Quand aura lieu le mariage?
Nous sommes bien impatients.
Que voulez-vous, c'est de notre âge.
TIBERGE
Hélas! mes pauvres chers enfants,
Combien votre erreur m'est pénible!
Le chevalier reste inflexible!
Je vais tenter encore un effort cependant;
Demeurez, ne pleurez pas trop
en m'attendant.
(Il sort, Jean et Aurore tombent en
sanglotant chacun sur un siège)
Scène Cinquième
(Jean et Aurore)
JEAN
(toujours pleurant)
Aurore, il faut mourir!
AURORE
(de même)
Oui, j'allais vous le dire.
JEAN
Je ne pourrai supporter le martyre
De vivre sans Aurore.
AURORE
Et moi non plus sans vous!
Il faut mourir!
JEAN
Oh! oui, mais
comment mourrons-nous?
Cherchons donc!
AURORE
Si nous nous jetions dans la rivière,
Bravement, tous les deux?
JEAN
Oui, c'est une manière,
Mais j'ai vu des noyés,
ils faisaient peur à voir,
Avec leur corps gonflé,
leur visage tout noir.
AURORE
Quelle horreur! taisez-vous!
N'avons-nous pas encore le poison?
JEAN
C'est qu'on souffre abominablement,
Et je ne pourrai pas vous voir souffrir,
Aurore!
AURORE
Oh! comme vous m'aimez!...
Il faut mourir pourtant!
JEAN
Oui!
AURORE
Si nous nous pendions
au chêne sur la place?
JEAN
Fi! l'on tire une langue!...
Et puis la corde casse,
Et l'on est ridicule!
AURORE
Ah! ne le soyons pas!
Pour en finir cherchons
un plus noble trépas.
Attendez, j'ai trouvé!
Vous avez votre épée!...
JEAN
Mais je n'aurai jamais l'âme
assez bien trempée,
Pour percer votre cur,
ce cur qui m'appartient.
AURORE
C'est que je ne trouve plus rien!
JEAN
Pourtant il faut que la mort nous délivre.
AURORE
Il eût été si bon de vivre!
JEAN
Aurore, à qui le dites-vous?
Les yeux dans vos yeux, à genoux,
J'aurais passé toute ma vie,
Sans avoir jamais d'autre envie,
Que de couvrir de baisers fous
Votre petite main jolie.
Les yeux dans vos yeux, à genoux,
J'aurais passé toute ma vie.
AURORE
Et moi, je vous aurais permis
De vous lever, tant je suis bonne!
Vous attachant à ma personne,
J'aurais, à votre front soumis
De baisers fait une couronne.
Et moi, je vous aurais permis
De vous lever, tant je suis bonne!
JEAN, AURORE
Oui, mais hélas! il faut mourir,
Voici que va s'évanouir
Le doux rêve qui nous enivre!...
AURORE
Laissant à d'autres le souci
Qui nous enlaidit de ses rides,
Sans trêve jamais, ni merci,
Courant dans les clairières vides,
Nous aurions, sans les voir finir,
Partagé les jeux des chevrettes,
Pendant que, pour nous réjouir
Auraient gazouillé les fauvettes.
Ensuite on se serait assis sur le gazon,
Et je vous aurais dit
une belle chanson,
Que m'apprit ma grand'mère.
Je la sus bien plus vite, hélas!
Que ma prière.
« Au jardin, Colin
« S'en vint au matin,
« L'âme radieuse.
« Le givre habillait
« D'un très fin duvet
« La terre frileuse.
« Voyant que Lucette a suivi ses pas,
« Il veut l'embrasser, mais il n'ose pas,
« Il marche vers elle, il se sauve ensuite,
« Et finalement voici, vite, vite,
« Que déjà bien loin le sot s'est enfui.
« Les merles siffleurs se moquaient de lui.
« Mais le soir d'après,
« Il revient exprès,
« Dès lors sans faiblesse;
« Car l'obscurité
« A notre effronté
« Rend la hardiesse;
« Lucette pourtant croit à son dédain,
« Pour la rassurer, lui disant soudain,
« Ces mots dont jamais
« fille ne s'irrite,
« Il prend un baiser, puis deux, vite, vite...
« La belle aima fort ce jeu tout nouveau,
« Et les rossignols crièrent : « bravo! »
JEAN
La chanson est charmante,
L'exemple de Colin me tente,
Je veux vous embrasser!
AURORE
Non! Gardez-vous-en bien.
Monsieur, je vous conjure!...
JEAN
Oh! je n'écoute rien!
Il me faut un baiser!
AURORE
Mais c'est abominable!
Ayez pitié de moi,
Jean, soyez raisonnable!
(Elle veut s'échapper, il la poursuit
autour de la table. Ils font tomber le
coffret qui s'ouvre, le portrait en sort)
AURORE
Ah! mon Dieu,
nous avons fait ouvrir le coffret.
JEAN
(ramasse la miniature)
Le chevalier toujours me cacha ce portrait.
AURORE
(regardant avec lui)
Comme cette dame est jolie!
JEAN
Ce doit être, à coup sûr,
la sur du chevalier.
Tout respire en ses traits
la sagesse accomplie.
(Entre Tiberge)
Scène Sixième
(Les memes, Tiberge)
JEAN, AURORE
Eh! bien, monsieur?
TIBERGE
J'ai beau le supplier,
J'épuise en vain mon éloquence,
Des Grieux reste sourd!...
Mais que cachez-vous donc?
(Jean lui donne la miniature. A part)
Eh! c'est le portrait de Manon!
Oh! le sournois!
(Haut)
Enfants, calmez votre souffrance,
Car le bonheur
encor vous peut être rendu.
Ne fermez pas vos curs à l'espérance,
Peut-être tout n'est pas perdu.
Viens, Aurore, avec moi!
Vicomte, à cette place,
Veuillez m'attendre... Allons!
Je permets qu'on s'embrasse!
(Aurore embrasse Jean et sort avec Tiberge)
Scène Septième
(Jean seul, puis Des Grieux)
JEAN
Ils me laissent tout seul!
Qu'est-ce qu'il adviendra,
Quand le chevalier rentrera?
Ah! combien je crains sa colère!
C'est lui!...
DES GRIEUX
Vous méritez un châtiment sévère.
Malgré mes ordres absolus,
Non content de voir cette Aurore,
Vicomte, vous osez encore
Me l'amener!
JEAN
Monsieur, je...
DES GRIEUX
Pas un mot de plus!
Dans votre chambre allez attendre
Que je vous dise
où vous devrez vous rendre :
Vous partirez ce soir.
JEAN
C'en est fait! plus d'espoir!
(Il sort. La nuit est venue insensiblement.
Quand l'obscurité s'épaissit, un valet
apporte un flambeau à plusieurs
branches. La baie du fond s'éclaire
d'un rayon de lune)
Scène Huitième
(Des Grieux seul, puis Aurore)
DES GRIEUX
Le pauvre enfant! combien je le tourmente!
Mais je dois préserver sa jeunesse
imprudente, des maux que j'ai soufferts!
O toi, qui nous vins des enfers,
Amour, à la trompeuse joie,
Amour! amour!
Monstre enivrant, aux griffes de vautour,
Non, tu n'auras pas cette proie!
Je te disputerai le cur de cet enfant!
Contre moi tu fus triomphant,
Au temps de ma folle jeunesse,
Mais je sais aujourd'hui ce que vaut
ton ivresse
Amour!
tu n'auras pas le cur de cet enfant!
Je lui dirai l'histoire de ma vie,
Hélas! combien me coûtera
Cette confession de ma honte suivie,
Mais mon aveu le sauvera.
Il saura que lorsque l'on aime,
Tout en notre âme est en danger,
Que l'on risque son honneur même
Pour un délire passager.]
Toi qui partageas mon martyre,
Tu lui parlerais comme moi,
Manon!
Manon!
(A ce moment, Aurore paraît à
l'extérieur de la baie encadrée de
fleurs; un rayon de lune éclaire son
visage; elle porte le costume de
Manon au premier acte de cet ouvrage)
Mais je délire.
Manon! Manon! Manon! c'est toi!...
(Il la regarde extasié et épouvanté à
la fois. Aurore chante, le chur
l'accompagne très discrètement, à
bouche fermée, dans la coulisse)
AURORE
L'amour, ineffable mystère!
Nous fut donné par l'Éternel.
Pour nous consoler de la terre
Et pour nous rappeler le ciel.
Tout ici-bas
subit ses charmes,
Le maudire, c'est blasphémer,
Et l'on bénit jusqu'à ces larmes,
Car pleurer, c'est encore aimer.
L'amour, ineffable mystère,
Nous fut donné par l'Éternel,
Pour nous consoler de la terre
Et pour nous rappeler le ciel.
(Aurore se retire)
DES GRIEUX
La raison n'est qu'un sacrilège,
L'amour est vérité.
Je me rends à tes vux.
Manon! Ceux que ton souvenir protège,
Je les unirai! Tu le veux!
Scène Neuvième
(Des Grieux, Tiberge, Jean, Aurore)
DES GRIEUX
(court vers la porte et ramène Jean
et Aurore qui entrent un peu timides,
suivis de Tiberge)
Enfants! mes chers enfants!
votre peine est finie,
Votre union par Dieu soit
à jamais bénie!
JEAN, AURORE
Monsieur! nous voudrions vous prouver
tous les deux notre reconnaissance!
Mais nous ne savons pas hélas!
DES GRIEUX
Soyez heureux!
(A Tiberge)
Vous, Tiberge, je vous écoute,
Car vous allez sans doute,
Maintenant, il le faut
Me livrer le secret de cette ressemblance.
TIBERGE
Il le faut?
DES GRIEUX
Il le faut!
TIBERGE
Un mot vous suffira, je pense!
Pour père, Aurore eut le sergent Lescaut,
Quand il mourut, elle était sans ressource,
Pour l'élever, je dépensai mon bien;
Plus tard, lorsque je n'eus plus rien,
Je fis appel à votre bourse
Sans rougir, c'était la nièce de Manon.
Ne vous étonnez plus de la voir si jolie.
DES GRIEUX
Moi qui blâmais votre folie,
Mon véritable ami, pardon!
Comment ai-je pu méconnaître
Votre simple bonté!...
Mais cet ajustement...
TIBERGE
J'ai trouvé le renseignement,
Vous allez vous fâcher, peut-être,
Dans ma mémoire autant
que dans certain coffret,
Où le hasard m'a fait découvrir un portrait...
Voilà tout le mystère!
DES GRIEUX
Chut!
Ces enfants sont là!
Tiberge, taisez-vous!
TIBERGE
Je n'ai pas besoin de me taire,
Ils s'occupent trop d'eux
pour s'occuper de nous.
JEAN
Aurore!
AURORE
Jean! Quel bonheur nous enivre.
JEAN, AURORE
Ah! combien il est bon de vivre!
JEAN
Les yeux dans vos yeux, à genoux...
AURORE
Vous passerez toute la vie,
Sans avoir jamais d'autre envie...
JEAN
Que de couvrir de baisers fous,
Votre petite main jolie!
TOUS
Ah! Quel bonheur enivrant!
Quelle joie!
|
ACTO
ÚNICO
(Habitación en planta baja de un castillo
de provincias, rica decoración, un poco
severa. Una mesa de trabajo. En el fondo,
una gran terraza que se abre a la plaza de
un pueblo, y que está enmarcada por plantas
y flores)
Escena Primera
(Aurora, el coro, fuera de escena, luego Des
Grieux. Cuando se levanta el telón, el escenario
está vacío; se escuchan los cantos de los aldeanos)
EL CORO
¡Atrevidas! ¡Sin vergüenza!
¡Jóvenes, bailad, alegres!
Aquella que mejor baile
tendrá el amante más apuesto.
¡Atrevidas!
¡Sin vergüenzas, jovencitas!
Ya tendréis tiempo de hilar la rueca
cuando se vaya la primavera.
Cuando el otoño vista de ocre
los misteriosos bosques,
será la hora de que os pongáis serias.
Pero ahora, los fríos inviernos han pasado,
y el amor canta en todos los nidos.
¡Atrevidas! ¡Sin vergüenza!
¡Jóvenes, bailad, alegres!
Aquella que mejor baile
tendrá el amante más apuesto.
¡Atrevidas, sin vergüenzas, jovencitas!
DES GRIEUX
(entra pensativo y oye las canciones)
¡El amor, siempre el maldito amor!...
¡Entregadle vuestro corazón,
cantadle, pobres humanos!
Más tarde lloraréis, señores míos,
es Des Grieux quien os lo dice.
EL CORO
¡Atrevidas! ¡Sin vergüenza!
¡Jóvenes, bailad, alegres!
Aquella que mejor baile
tendrá el amante más apuesto.
¡Atrevidas!
¡Sin vergüenzas, jovencitas!
AURORA
Los besos son mariposas
de las que nuestros labios son las alas.
Como los pajaritos que nacen
con las rosas nuevas,
los besos son mariposas
cuyas alas son nuestros labios.
Los besos son un dulce perfume
que nos penetra hasta el alma;
para revivir el amor muerto
basta un poco de su llama.
Los besos son un dulce perfume
que nos penetra hasta el alma.
DES GRIEUX
(escuchando muy turbado)
¡No escuchemos más!...
¡Ah! Esas voces que me encantan y,
al mismo tiempo, me desesperan.
En mi corazón delirante
despiertan la quimera
del paraíso perdido.
¿Tendré que luchar siempre
contra mí mismo?
Vencido por mis lágrimas,
mi padre me perdonó.
¿Debo seguir sufriendo y sólo
la muerte me dará la calma suprema?
¿Mi arrepentimiento, tu terrible final,
no supieron desarmar,
oh Manón, al cielo inflexible?
¿No tengo el derecho de amarte?
(Abre un cofrecillo que está sobre
la mesa de trabajo y saca un
pequeño retrato de Manón)
Aquí está tu querida imagen,
sí, así te vi, por primera vez,
en esa hostería,
ofreciéndote, tímida y pura,
a mi mirada hechizada.
Tus ojos azules ardían
bajo tu manto de seda
y tu boca exhalaba un aliento perfumado.
Te debo desde entonces
la primera alegría de amar y ser amado.
Luego. en nuestra mesita,
donde nos sentíamos tan felices,
hasta el día en que fui culpable
de no comprenderte.
No estabas hecha para sufrir,
lo que necesitaban tus dieciséis años
era el placer y las fiestas
interminables de la primavera.
Fue entonces cuando mi familia,
al verme a punto de sucumbir,
puso una valla entre nosotros.
Un solo beso la derribó.
¡Ay de mí! ¡Cuántas faltas y crímenes
me reprocho desde aquel día!...
Los dos fuimos víctimas:
tú, del placer; y yo, del amor.
En mi frente, que el otoño blanquea,
a veces siento como un beso.
¡Manón, es tu alma la que pasa
y viene a posarse en mí!
Aquí está tu amada imagen.
Sí, así te vi por primera vez
en esa hostería,,
ofreciéndote, tímida y pura,
a mi mirada hechizada.
Pero alguien viene.
Si dudas es Jean.
Es el bondadoso salvador
que Dios puso en mi camino,
para alejar un sueño frustrado.
(Devuelve el retrato
al cofre y lo cierra)
Escena Segunda
(Des Grieux y Jean)
JEAN
(Saluda con una reverencia
muy respetuosa)
¡Señor, caballero!
DES GRIEUX
(muy paternal))
¡Hola, mi querido hijo!
¿Eres feliz?
JEAN
Si la felicidad en la tierra
pudiera reflejarse, señor,
tanto os debo
que vuestra frente austera
resplandecería.
DES GRIEUX
Tu padre, al morir, confió tu infancia
a su fiel amigo, a mí.
Mi recompensa es verte feliz.
Pero se hace tarde...
Reanudemos nuestras lecciones.
JEAN
Si señor, comencemos.
(abre un libro grande y lee)
En el año doscientos once de Roma,
Escipión el Africano,
célebre guerrero y buen caballero,
venció a los íberos,
y, cuando hubo conquistado la llanura,
se apoderó de Cartagena.
Por la noche, después de una gran fiesta,
repartieron el botín de guerra,
y como él tenía derecho a la mejor parte,
trajeron al vencedor una joven noble
que lloraba desconsoladamente.
Escipión el Africano,
conmovido por su sufrimiento,
al joven Alucio,
que sabía que era su amante,
sin rescate, la devolvió inmediatamente,
y su actitud fue muy elogiada.
DES GRIEUX
¡Está muy bien!
El héroe, como puedes ver,
supo poner su deber por encima del amor.
Es un ejemplo a seguir.
JEAN
(soñador)
Sin amor ¿cómo se puede vivir?
DES GRIEUX
¿Qué? ¿He oído mal?
JEAN
¡Pobre de mí! ¡Estoy perdido!
¡Oh, mi querido secreto que vuela
en las alas de una palabra!...
Apelo a su bondad.
¡Señor, me voy a morir
si usted no me escucha!
¡Amo!... Amo, y de usted
depende mi existencia...
DES GRIEUX
Veo que mi indulgencia
lo enardece a usted, vizconde.
¡Qué confesión!...
JEAN
Señor, creo que usted
es la bondad misma.
No tengo madre; de rodillas vengo
a decirle que estoy enamorado...
DES GRIEUX
¡Basta, señor, levántese!
JEAN
¡Oh, siento toda la magnitud
de la falta que estoy cometiendo!
Toda mi alegría se pierde
y, si es necesario, me retracto,
pero ¿me considerará usted culpable,
oh, mi venerable benefactor?
¿Me considerará responsable
del amor que nace en mi corazón?
A la hora en que la rosa despierta
bajo el dulce beso de la primavera,
en el bosque, cuando
el ruiseñor vigila ávido de amor,
¿es posible que la razón
pueda impedir que la flor huela
y que un dulce pájaro,
con su corazón de dieciocho años,
pueda amar?
DES GRIEUX
¡Así que, esta es mi recompensa!
¡Este es el fruto de mis lecciones!
JEAN
¡Señor, mis respectos...
DES GRIEUX
¡No hablemos de eso, vizconde, terminemos!
¿Podemos, al menos, saber cuál es la mujer
cuyo encanto victorioso hizo nacer
una llama tan viva, a pesar de mis cuidados,
en vuestro corazón?
JEAN
Debajo de una frente encantadora,
coronada de cabellos dorados,
brillan sus ojos azules
que Dios da cuando los ha buscado
mucho tiempo en su tesoro.
Su voz, que parece una caricia,
sale de una boca hechicera.
DES GRIEUX
(para sí)
Espejismo pérfido y seductor
que turba los corazones inocentes.
Amor, ese es tu lenguaje,
reconozco tus palabras
después de tantos años.
Esas palabras inspiradas por tu pasión,
cuando amaba, quemaron mis labios.
¡Así es como solía hablarle de Manón
a mi enojado padre!
(en vos alta)
¡Pero ocultas su nombre!
JEAN
Tiene dieciséis años, su nombre es Aurora.
DES GRIEUX
¡Buen Dios!
¡Cuídese de no pensar más
en esa chica que no tiene nada!
Yo lo hice rico y mis bienes
no son para una aventurera.
Ante usted se abre
un futuro prometedor.
Sus ilustres antepasados,
tan temidos en la batalla,
de mí no tendrán de qué quejarse;
¡Vizconde de Morcerf,
puedo obligarlo
a respetar el nombre que lleva!
¡Sí, de mí, sus antepasados
no tendrán de qué quejarse!
JEAN
¡Oh, mi pobre amor!
¿A quién puedo pedir ayuda?
(Tiberge entra y le hace una señal
de inteligencia. Con alegría)
Señor Tiberge.
DES GRIEUX
¡Vete!
(Jean se retira)
Escena Tercera
(Des Grieux, Tiberge)
TIBERGE
(para sí)
Mi camarada
parece estar enfadado.
Creo que sería mejor,
postergar mi visita
para otro momento.
DES GRIEUX
(de repente)
¿Qué quieres, Tiberge?
TIBERGE
¡Oh! ¡Nada!
Sólo quiero consultarte sobre
unos versos, por favor escúchame!
(Des Grieux hace un gesto de impaciencia)
La rosa es agradable a la vista,
su frescura es como la vuestra, señora,
tiene espinas afiladas para protegerse,
la rosa es mujer.
El lirio tiene la blancura...
DES GRIEUX
(lo interrumpe)
¡Eso es un jardín,
deplorable poeta!
No estoy de humor
para degustar tus tonterías.
TIBERGE
Al menos tus juicios
son claros.
DES GRIEUX
Tiberge, finalmente
has agotado toda mi paciencia.
¡Te conocí hace mucho tiempo,
hablando sólo en latín,
pleno de virtud y de ciencia!
Puritano austero,
te consideraba un ejemplo,
y ahora, eres un vulgar libertino...
TIBERGE
Hago lo mejor que puedo,
a pesar del dicho que dice,
que cuando se hace viejo
el ermitaño se vuelve diablo.
En el pozo donde
una vez se alojaba la Verdad,
con un traje bastante corto,
según se ha dicho,
sin vergüenza alguna,
uno de los cubos subía
cuando el otro bajaba.
Yo vuelvo a subir...
No somos mejores
el uno que el otro, querido amigo.
DES GRIEUX
Tu lenguaje es tan claro
como el mío,
pero tus burlas
son de un gusto detestable,
Tiberge, ¡vete al diablo!
TIBERGE
Tú, que estás de regreso,
muéstrame el camino.
Tú hablabas, caballero,
con un tono más afable,
cuando viniste, el día después que...
dejaste el seminario,
¡para encontrar
a tu amigo Tiberge con Manón!
DES GRIEUX
¡Manón, siempre Manón!
¡Te prohibí
pronunciar ese nombre!
Hablar de ese pasado que detesto,
y del que me queda
una pena terrible.
¿Por qué entonces me lo recuerdas?
¿Por qué esas crueles palabras?
¿Mis últimos años
están destinados
al remordimiento eterno?
¡Y eres tú quien viene
a reavivar mi sufrimiento!
TIBERGE
Amigo, perdóname.
Vengo a ofenderte
cuando precisamente
tengo que recurrir
a tu benevolencia.
DES GRIEUX
¿Qué más quieres?...
¡Dinero!
TIBERGE
¡Oh! ¡Caballero!...
DES GRIEUX
Te ofendo.
Discúlpame, Tiberge,
es tu oportunidad,
habla sin rodeos...
TIBERGE
Sabes del amor
entre tu apuesto vizconde
y mi dulce Aurora...
El único deseo que me impulsa
es unirlos...
DES GRIEUX
(irónico)
¡La propuesta me honra!...
(bruscamente)
¡Jamás me prestaré
a tal apaño!
¡Tu pupila, Aurora.
no tiene alcurnia!
TIBERGE
¡Si supieras!
DES GRIEUX
¿Qué?
TIBERGE
¡Nada! Acepta verla,
la traje aquí con esa esperanza.
DES GRIEUX
¡Aquí! ¿Tienes esa osadía?
TIBERGE
¡Aquí la tienes!
DES GRIEUX
A fe mía,
ya no soy dueño de mi propia casa.
Señor, me voy.
TIBERGE
¡Oh! ¡Caballero!
DES GRIEUX
¡Adiós!
(sale)
TIBERGE
¡Pobres muchachos!
Escena Cuarta
(Tiberge, Jean y Aurora que entran
alegres, tomados de la mano)
JEAN, AURORA
Buen señor,
sin duda habéis tenido éxito,
el caballero, que os escucha,
unirá nuestros corazones.
¿Cuándo será la boda?
Estamos impacientes.
Es muy lógico, a nuestra edad.
TIBERGE
¡Ay de mí! Mis pobres muchachos,
¡cuán doloroso es para mí vuestro error!
¡El caballero permanece inflexible!
Sin embargo, haré un esfuerzo más.
Aguardad, no lloréis mucho
mientras me esperáis.
(Él sale, Jean y Aurora caen
sollozando en un sillón)
Escena Quinta
(Jean y Aurora)
JEAN
(todavía llorando)
¡Aurora, debemos matarnos!
AURORA
(igualmente)
Sí, te lo iba a decir.
JEAN
No podría soportar el martirio
de vivir sin Aurora.
AURORA
¡Y yo tampoco sin ti!
¡Debemos morir!
JEAN
¡Oh! sí, pero,
¿cómo lo haremos?
¡Busquemos la forma!
AURORA
¿Nos tiramos al río,
valientemente, los dos juntos?
JEAN
Sí, es una forma,
pero he visto gente ahogada,
y daba miedo verlos,
Los cuerpos hinchados
y las caras totalmente negras.
AURORA
¡Qué horror! ¡Calla!
¿No tenemos veneno?
JEAN
Con el veneno se sufre mucho,
y yo no podría verte sufrir,
¡Aurora!
AURORA
¡Oh! ¡Cómo me amas!...
¡Pero debemos morir!
JEAN
¡Sí!
AURORA
¿Si nos ahorcamos
en el roble de la plaza?
JEAN
¡Quita! ¡Con la lengua fuera!...
Y luego, si la cuerda se rompe,
uno queda en ridículo.
AURORA
¡Ay! ¡No, no, tampoco así!
Para ponerle fin a nuestra situación,
busquemos una muerte más noble.
¡Espera, la encontré!
¡Tienes tu espada!...
JEAN
Pero nunca tendré mi alma
lo suficientemente templada
para traspasar tu corazón,
ese corazón que me pertenece.
AURORA
¡No encuentro otra forma!
JEAN
Sin embargo, la muerte debe liberarnos.
AURORA
¡Hubiera sido tan bueno vivir!
JEAN
Aurora, ¿a quién se lo dices?
Con mis ojos en tus ojos, de rodillas,
hubiera pasado toda mi vida,
sin tener jamás otro deseo,
que el de cubrir de besos
tu linda manita.
Con mis ojos en tus ojos, de rodillas,
hubiera pasado toda mi vida.
AURORA
Y yo, te habría mimado,
¡porque soy muy buena!
acercándote a mí,
hubiera hecho una corona de besos
sobre tu frente sumisa.
Y yo, te habría mimado,
¡porque soy muy buena!
JEAN, AURORA
Sí, pero ¡ay! debemos morir.
¡He aquí que se desvanecerá
el dulce sueño que nos embriaga!...
AURORA
Que sean otros los que carguen
con la preocupación de las arrugas
que tanto afean.
Corriendo por los descampados,
habríamos compartido, sin verlas,
los juegos de las cabras,
mientras, para regocijarse,
las currucas habrían cantado.
Entonces, nos habríamos sentado
en la hierba y te habría cantado
una hermosa canción
que me enseñó mi abuela.
La aprendí mucho antes, ¡ay de mí!
que mis oraciones.
En el jardín, Colin
llegó por la mañana,
su alma radiante.
La escarcha cubrió
la tierra fría
con un fino manto.
"Al ver que Lucette ha seguido sus pasos,
quiere besarla, pero no se atreve,
camina hacia ella, luego sale corriendo,
y finalmente he aquí, que pronto, pronto,
el tonto se encuentra muy lejos...
Los mirlos silbando se rieron de él.
Pero a la noche siguiente,
Él regresa a propósito,
de ahora en adelante sin flaquezas;
Porque la oscuridad
ha convertido
nuestra vergüenza en atrevimiento;
Lucette, sin embargo, cree en su desdén,
para tranquilizarla, de repente
él le dice palabras
que nunca irritan a las muchachas,
le da un beso, luego dos, rápido, rápido...
A la bella le encanta mucho este flamante
juego... y los ruiseñores gritan: ¡Bravo!»
JEAN
La canción es encantadora,
el ejemplo de Colin me tienta.
¡Quiero besarte!
AURORA
¡No! Guárdate de hacerlo.
¡Señor, te lo imploro!...
JEAN
¡Oh, no se escucha nada!
¡Necesito un beso!
AURORA
¡Qué descarado!
¡Ten piedad de mí!
¡Jean, sé razonable!
(Ella quiere escapar, él la persigue
alrededor de la mesa. Tiran el cofre
que se abre y deja ver el retrato)
AURORA
¡Ay, Dios mío!
El cofre se ha abierto.
JEAN
(tomando el retrato)
El Caballero siempre me ocultó este retrato.
AURORA
(Mirándolo junto a él)
¡Qué hermosa es esta dama!
JEAN
Seguro que debe ser
la hermana del Caballero.
Todo en sus facciones revela
una gran sagacidad
(Entra Tiberge)
Escena Sexta
(Los mismos, Tiberge)
JEAN, AURORA
¡Ah! ¿Y bien, señor?
TIBERGE
¡En vano le he suplicado,
en vano agoté mi elocuencia,
des Grieux sigue sordo!...
Pero, ¿qué escondes?
(Jean le da el retrato. Para sí)
¡Ah, es el retrato de Manón!
¡Oh, el muy reservado!
(en voz alta)
Muchachos, calmad vuestro sufrimiento,
la felicidad aún os puede ser devuelta.
No cerréis los corazones a la esperanza,
tal vez no todo esté perdido.
¡Ven, Aurora, conmigo!
Vizconde, en este lugar,
por favor espérame...
¡Vamos!
¡Os autorizo a besaros!
(Aurora besa a Jean y se va con Tiberge)
Escena Séptima
(Jean solo, luego Des Grieux)
JEAN
¡Me dejan solo!
¿Qué pasará
cuando el Caballero regrese?
¡Ay, cómo temo su ira!
¡Es el!...
DES GRIEUX
Mereces un severo castigo.
A pesar de mis órdenes absolutas,
no contento con ver a esa Aurora,
vizconde, todavía te atreves.
a traerla aquí.
JEAN
Señor, yo...
DES GRIEUX
¡Ni una palabra más!
Ve a tu habitación y espera
a que te diga
a dónde debes ir.
Saldrás esta noche.
JEAN
¡Ya no me queda esperanza!
(Se va. La noche ha llegado Cuando
la oscuridad aumenta, un ayuda de
cámara trae un candelabro de múltiples
brazos. La terraza del fondo se ilumina
con un rayo de luna)
Escena Octava
(Des Grieux solo, luego Aurora)
DES GRIEUX
¡Pobre muchacho! ¡Cómo lo atormento!
Pero debo preservar su juventud temeraria,
de los males que yo he sufrido.
¡Oh, tú, que viniste a nosotros del infierno,
Amor, alegría engañosa!
¡Amor! ¡Amor!
Monstruo embriagador con garras de buitre,
no, ¡no obtendrás esta presa!
¡Lucharé contigo por el corazón del niño!
Contra mí triunfaste
en los días de mi loca juventud,
pero yo sé hoy lo que significa
tu embriaguez.
¡Amor!
¡No tendrás el corazón del muchacho!
Le contaré la historia de mi vida,
¡ay! cuánto me costará
la confesión de mi eterna vergüenza,
pero mi confesión lo salvará.
Él sabrá que cuando amamos,
todo en nuestra alma está en peligro,
que incluso arriesgamos nuestro honor
por un delirio pasajero.
Tú, que compartiste mi martirio,
le hablarías igual que yo:
¡Manón!
¡Manón!
(En este momento, Aurora aparece
en la terraza rodeada de flores;
un rayo de luz de luna ilumina
su rostro; viste el traje que usaba
Manón en el primer acto)
¿Estoy delirando?
¡Manón! ¡Manón! ¡Eres tú!...
(Él la mira extasiado y aterrorizado
al mismo tiempo. Aurora canta, el coro
la acompaña muy discretamente, con
la boca cerrada, entre bastidores)
AURORA
Amor, misterio inefable,
nos fue dado por el Señor
para consolarnos en la tierra
y recordarnos el cielo.
Todo, aquí abajo,
se somete a sus encantos,
y maldecirlo es blasfemar.
Yo lo bendigo con mis lágrimas,
porque llorar también es amar.
El amor, misterio inefable,
nos fue dado por el Eterno,
para consolarnos en la tierra
y recordarnos el cielo.
(Aurora se retira)
DES GRIEUX
La razón no es más que un sacrilegio,
sólo en el amor está la verdad.
Me entrego a tus deseos.
¡Manón, me uno a tu memoria!
¡Tú así lo quieres!
Escena Novena
(Des Grieux, Tiberge, Jean, Aurora)
DES GRIEUX
(corre hacia la puerta y hace venir a
Jean y Aurora que entran un poco
tímidos, seguidos por Tiberge)
¡Muchachos! ¡Mis queridos hijos!
Se acabó vuestro penar,
que vuestra unión sea por Dios
siempre bendecida.
JEAN, AURORA
¡Señor! Nos gustaría
demostrarle nuestra gratitud.
pero, ¡ay! no sabemos cómo hacerlo.
DES GRIEUX
¡Siendo felices!
(A Tiberge)
Y a ti, Tiberge, quiero escucharte,
porque sin duda
ahora me vas a decir
el secreto de esta semejanza.
TIBERGE
¿Es necesario?
DES GRIEUX
¡Lo es!
TIBERGE
Creo que unas palabras serán suficiente.
Por padre, Aurora tuvo al sargento Lescaut,
y cuando él murió, ella quedó en la indigencia.
Para criarla, gasté mis bienes;
después, cuando ya no me quedaba nada,
recurrí a tu ayuda sin sonrojarme.
Siendo la sobrina de Manón,
por eso es tan bonita.
DES GRIEUX
Yo que culpé tu locura,
mi verdadero amigo, ¡perdóname!
¡Cómo podría dejar de reconocer
tu natural bondad!...
Pero este atuendo...
TIBERGE
Encontré la información.
Te enojarás, tal vez...
Tanto en mi memoria
como en un cofrecillo,
donde por casualidad descubrí un retrato...
¡Ese es todo el misterio!
DES GRIEUX
¡Cállate!
¡Estos muchachos están aquí!
¡Tiberge, cállate!
TIBERGE
No es necesario. Ellos están
demasiado preocupados por ellos mismos
como para preocuparse de nosotros...
JEAN
¡Aurora!
AURORA
¡Jean, cuánta felicidad!
JEAN, AURORA
¡Ay, qué bueno es vivir!
JEAN
Mis ojos en tus ojos, de rodillas...
AURORA
Pasarás toda la vida
sin tener otro deseo...
JEAN
... ¡que el de cubrir con besos
tu lindas manitas!
TODOS
¡Ay, qué felicidad embriagadora!
¡Qué alegría!
Digitalizado y traducido por
José Luis Roviaro 2023 |