ACTE PREMIER
Premier Tableau
(Une mansarde. Porte à gauche du spectateur ; à
droite, sur le premier plan, une table, deux chaises)
Scène Première
(Lescaut puis le Marquis)
LESCAUT
(après avoir frappé plusieurs
fois, entr'ouvrant la porte)
On ne répond pas! la clef est à la serrure...
je pense, monsieur Le Marquis
que nous pouvons entrer.
LE MARQUIS
(entrant)
Personne, et la porte ouverte!
il faut que les habitants de celte mansarde
soient bien confiants.
LESCAUT
Ou n'aient rien qu'on puisse voler!
c'est comme chez moi!
je me croirais ici dans mon hôtel!
LE MARQUIS
Personne à qui s'adresser... et nous aurons
encore perdu les traces de ma gentille grisette.
LESCAUT
Non, mon colonel...
je crois être sûr de mon fait...
vous me connaissez?
LE MARQUIS
Le plus mauvais sujet dp mon régiment...
mais actif, adroit, plein d'entregent et de génie,
pour mal faire.
LESCAUT
Mon colonel me flatte.
LE MARQUIS
Du reste, ivrogne, ferrailleur, joueur!
LESCAUT
Et gentilhomme!... Mon père, Boniface de Lescaut
que le malheur des temps avait réduit à être
huissier à Amiens, était d'une noblesse d'épée
qui remonte aux croisades.
LE MARQUIS
(s'asseyant sur une chaise, près de la table, a droite)
Je le veux bien!
LESCAUT
Et c'est pour relever l'éclat de mon blason
que je me suis engagé soldat...
LE MARQUIS
Peu m'importe!... pourvu que tu me serves
comme tu nie l'as promis...
LESCAUT
Un gentilhomme n'a que sa parole!
« Lescaut m'avez-vous dit, vingt pistoles pour toi
si tu me découvres, rue Saint-Jacques, la demeure
d'une jolie fille dont je raffole... et que j'ai
rencontrée pour la première fois rue de la
Ferronnerie, vis-à-vis un magasin de modes...
« Pas d'au très renseignements!
LE MARQUIS
Et le signalement exact que je t'ai donné.
LESCAUT
Charmante, séduisante, piquante!...
Signalement d'amoureux... elles se ressemblent
toutes... et malgré cela je crois être sur la trace;
mais ce qu'il me faudrait, monsieur Le Marquis
ce sont les détails circonstanciés de l'anecdote.
LE MARQUIS
A quoi bon?
LESCAUT
Pour savoir, avant d'aller plus loin...
si mon honneur de gentilhomme me permet
de m'embarquer dans une telle aventure...
LE MARQUIS
Je croyais l'avoir dit vingt pistoles?
LESCAUT
J'ai bien entendu.
LE MARQUIS
(souriant)
C'est là, je pense... le côté moral.
LESCAUT
Il se peut que ma moralité exige davantage!
LE MARQUIS
(riant)
C'est différent...
(Se levant)
Avant-hier... mon cocher qui, e crois, était gris...
LESCAUT
Je parierais pour!... je le connais!
LE MARQUIS
(souriant)
Tu l'admets à l'honneur de trinquer avec toi!...
Mon cocher avait renversé, près d'une boutique
de modes, une jeune fille immobile d'admiration
devant un bonnet rose!
Aux cris d'effroi que j'entends,
je m'élance de la voiture... je prends la pauvre
enfant dans mes bras, et la fais entrer,
à moitié évanouie, dans la boutique,
où l'on s'empresse autour d'elle...
et quand elle eut repris ses couleurs...
Air
Vermeille et fraîche,
C'était de la pèche
Le doux incarnat!
La rose nouvelle
Placée auprès d'elle,
Aurait moins d'éclat!
Par mon ordre, en peu d'instants
sa corneille chiffonnée,
sa robe par sa chaule et noircie et fanée,
se changent en vêtements Elégants!
Y compris, et pour cause,
Le joli bonnet rose,
Bonnet fatal,
Cause heureuse de tout le mal!
Qu'elle était belle alors!
Vermeille et fraîche, etc.
Non jamais les duchesses,
Qui règnent en maîtresses
Au palais de nos rois,
N'auront de ma grisette
Ni la grâce coquette
Ni le piquant minois!
LESCAUT
Je comprends, mon colonel.
LE MARQUIS
Ce que tu ne pourrais comprendre...
c'est la joie de celte jeune fille en se voyant
si belle-, c'était un ravissement, si vrai, si naïf,
que je restais en extase devant son bonheur!
« Dans une pareille toilette, m'écriai-je,
vous ne pouvez retourner chez vous à pied,
voulez-vous me permettre de vous reconduire?
Bien volontiers. »
Et nous voilà assis sur les coussins
de ma voilure,
elle radieuse et séduisante;
moi, admirant sa grâce, son esprit, son babil...
«Où vous conduirai-je, mademoiselle?
Rue Saint-Jacques.
Et le numéro?
Le numéro?...
j'arrive à Paris, je l'ai oublié;
c'est égal... allez toujours,
je reconnaîtrai la maison.
La rue est longue...
Tant mieux...
je serai plus longtemps en voiture...
Et moi, mademoiselle,
plus longtemps près de vous! »
Et, dans ce boudoir roulant,
près de cette jeune fille folle et rieuse,
dont la gaîlé m'enhardissait,
impossible de ne pas parler d'amour!
LESCAUT
(chantant)
Aisément cela se peut croire.
LE MARQUIS
Mais d'un amour que je ressentais réellement
et qu'elle écoutait à peine!... distraite, préoccupée
par tous les objets extérieurs...
« Ah! regardez donc, monsieur, comme c'est
éclatant, éblouissant, ces beaux magasins...
Oui, mademoiselle, ceux d'un joaillier!
il y a là telle parure qui, j'en suis sûr, vous irait
à merveille et vous rendrait plus belle encore,
si c'est possible... le voulez-vous?
Si je veux être belle?... eh! mais...
Cocher, arrêtez!...
dans l'instant, mademoiselle, je suis à vous! »
El je descends, laissant mon cocher sur le siège
el ma nouvelle conquête dans ma voiture...
je dis ma conquête, car ses yeux...
brillants de joie, d'émotion... et de reconnaissance,
promettaient plus que de l'espoir...
et le cur me battait pendant
que je choisissais pour elle à la hâte des boucles
d'oreilles... des bracelets, un collier,
jouissant d'avance de sa surprise
et ne me doutant guère de celle qui m'attendait!
Ma piquante grisette n'était plus là!
disparue!... évanouie!...
comme une sylphide, une fée qu'elle était,
et mon cocher, endormi sur son siège,
n'avait rien vu!
Depuis ce jour-là je, ne rêve qu'à elle!...
je la vois partout
et ne la rencontre nulle part.
Voilà mon histoire.
LESCAUT
Laquelle n'offre rien jusqu'ici dont la
susceptibilité
d'un gentilhomme puisse être blessée!
Moi, de mon côté, voici ce que j'ai fait :
depuis avant-hier que je bats le pavé de Paris,
je n'avais rien découvert,
moi, répandu comme je le suis,
ayant des relations avec le guet,
et même avec monsieur le lieutenant de police,
par les maisons de jeu
que je fréquente habituellement...
c'était à confondre!...
lorsque passant, ce matin, rue
de la Ferronnerie... j'entre dans le magasin où
s'est passé le premier chapitre de votre roman...
Madame Duflos, femme très-distinguée...
la marchande de modes...
LE MARQUIS
Tu la connais?
LESCAUT
Je les connais toutes!... Madame Duflos...
qui cause très-volontiers, me raconte,
entre autres détails, votre histoire...
dont elle ignorait le héros et l'héroïne ;
mais elle avait trouvé dans la poche de la robe
d'indienne... laissée chez elle...
LE MARQUIS
C'est vrai...
LESCAUT
Un papier appartenant,
à mademoiselle Manon..
LE MARQUIS
Manon!... quel joli nom...
LESCAUT
N'est-ce pas?
LE MARQUIS
(avec jalousie)
Une lettre d'amour, peut-être?
LESCAUT
Non! une sommation adressée à mademoiselle
Manon.. rue Saint-Jacques, n° 443...
sommation de payer un demi terme d'avance!
LE MARQUIS
(souriant)
Preuve que Manon n'est pas aussi riche que jolie!
LESCAUT
Quel malheur!
LE MARQUIS
(vivement)
Quel bonheur, au contraire!
LESCAUT
C'est juste... rue Saint-Jacques, 443,
tout au haut de la rue...
le sixième étage de la maison,
toujours au plus haut...
le domicile des anges...
Nous y voici!
l'ange a déployé ses ailes, il s'est envolé,
cela lui arrive souvent... attendons son retour.
LE MARQUIS
(A qui Lescaut vient d'avancer
une chaise à gauche, s'assied)
Attendons! car cette fille-là
me fait perdre la tète...
cela ne ressemble en rien aux beautés
pour lesquelles nous nous ruinons d'ordinaire,
nous autres grands seigneurs.
Je suis riche, et maître de ma fortune, et les folies
que je ferai pour elle, chacun les approuvera;
(souriant)
excepté la marquise ma mère
qui est une sainte femme...
et j'aurai l'ennui de quelques sermons...
LESCAUT
Écoutez!... que vous disais-je?
on vient... c'est elle.
(Le marquis et Lescaut remontent le
théâtre et se tiennent A l'écs au fond
à gauche, près de la porte)
Scène Deuxième
(Les mêmes, Marguerite tenant une robe sur
le bras, et entrant sans voir le marquis et Lescaut)
MARGUERITE
(se dirigeant vers la table a droite,
où elle déploiera robe)
Ma voisine! ma voisine! mam'zelle Manon!...
LE MARQUIS
(avec découragement)
Ce n'est pas elle!
LESCAUT
(à demi-voix)
N'importe! une voisine...
on peut aller aux informations.
LE MARQUIS
(de même)
Tu as raison.
MARGUERITE
(se retournant)
Deux hommes...
chez mademoiselle Manon!
(Le marquis s'avance et la salue)
O ciel!... monsieur le marquis d'Hérignyï
LESCAUT
(passant à gauche)
Vous êtes connu... mon colonel!
MARGUERITE
Et ma noble protectrice, madame la marquise,
votre mère, qui a été si malade?
LE MARQUIS
(avec embarras)
Merci, mon enfant, merci... hors de danger!
je célèbre demain sa convalescence...
MARGUERITE
Et elle vous envoie... pour la remplacer!...
vous venez comme elle visiter les mansardes..
LESCAUT
Et y distribuer de l'or... précisément!
LE MARQUIS
(A Lescaut avec honte)
Tais-toi!
(Regardent Marguerite)
Mais voilà des traits qui
ne me sont pas inconnus...
où t'ai-je vue, ma jolie fille?
MARGUERITE
Ah! monsieur le marquis a peu de mémoire,
ou il lui arrive souvent des aventures pareilles!
Marguerite pauvre ouvrière qui,
il y a deux ans, travaillait en journée
au château de madame la marquise,
et monsieur Le Marquis..
LE MARQUIS
(l'interrompant)
Bien! bien! je me rappelle maintenant.
MARGUERITE
(continuant)
Qui, dans les intervalles de la chasse
ne savait à quoi s'occuper... s'était
mis à me faire la cour... pour passer le temps.
Parce qu'on plaisante et qu'on aime à rire,
monsieur le marquis s'était persuadé,
comme beaucoup d'autres, qu'une vertu gaie
et de bonne humeur est une vertu
pour rire... Erreur!
LE MARQUIS
C'est vrai... à telles enseignes
que lu n'as pas voulu m'écouter!
MARGUERITE
(faisant la révérence, en riant)
J'ai eu cet honneur.
LE MARQUIS
Une brave fille,
vertueuse en diable!
LESCAUT
Cela vous changeait!
MARGUERITE
Je dois dire aussi que monsieur le marquis
ne m'en a pas voulu; au contraire,
car il a du bon! il a tout raconté à sa mère.
LE MARQUIS
Qui, vu la rareté du fait,
a pris Marguerite en amitié...
MARGUERITE
M'a donné de l'ouvrage, sa pratique, celle de
quelques grandes dames, et j'ai établi
dans cette maison, sur le palier en face,
un atelier de couture, où non aiguille
est au service de monsieur le marquis
(saluant)
et, de sa société.
LE MARQUIS
Ce n'est pas de refus.
LESCAUT
(è demi-voix au marquis)
Elle est piquante, la jeune ouvrière, et si ce
n'étaient ses principes et ses six étages...
LE MARQUIS
(de mème, à Lescaut)
Oui! c'est trop élevé pour toi!
(haut à Marguerite)
Mais dis-moi, Marguerite toi à qui l'on peut se fier,
toi qui ne mens jamais, pourrais-tu me donner
des renseignements?...
je le demande cela...
MARGUERITE
De la part de votre mère?
(Allant chercher une chaise qu'elle offre au marquis)
LE MARQUIS
(s'asseyent à droite)
Oui, sur une jeune personne qui demeure ici.
MARGUERITE
Mademoiselle Manon ma voisine?
LESCAUT
Précisément.
MARGUERITE
Ah! la gentille! l'adorable fille!... quel dommage...
LE MARQUIS
(vivement)
Quoi donc?...
MARGUERITE
Il y a des destinées qu'on ne peut vaincre!
Imaginez-vous qu'arrivée récemment de sa
province en robe d'indienne, en cornette blanche,
un petit paquet sous le bras...
c'était tout son bagage...
on voulait la renvoyer de cette mansarde
pour quelques jours de loyer qu'elle devait déjà...
Dame... vous jugez bien...
LE MARQUIS
Que tu as payé pour elle?
MARGUERITE
Certainement!
Ce qui nous a liées ensemble...
Orpheline, sans fortune, on la destinait au
couvent... qui ne lui plaisait guère,
et le jour même où elle devait y entrer,
elle rencontra un jeune et honnête gentilhomme
de bonne maison...
Il fallait que ce fût écrit là-haut... car du premier
coup d'u'il tous les deux s'aiment,
s'adorent, jurent de ne jamais se réparer...
LE MARQUIS
(à part)
Ah! mou Dieu!
MARGUERITE
Et de partir pour Paris.
LE MARQUIS
Ensemble?
MARGUERITE
Non; elle-était arrivée la première avec six
livres
tournois dans sa poche, et il y a deux ou trois jours
j'entends rire et chanter dans la mansarde...
c'était lui.
LE MARQUIS
Qui, lui?
MARGUERITE
Le -chevalier, son frère, son ami,
que sa famille avait voulu retenir prisonnier,
et qui s'était échappé aussi de sa province...
un beau et grand cavalier,
ma foi.
LE MARQUIS
Et de son état, quel est-il?
MARGUERITE
Amoureux... comme un enragé!
LESCAUT
Que fait-il?
MARGUERITE
Rien que d'aimer.
LE MARQUIS
Et elle?
MARGUERITE
Elle aussi! ne songeant ni au malheur,
ni aux dangers, ni au lendemain...
enfin pas le sens commun,
c'est à mettre en colère contre eux!...
et dès qu'on les voit, dès qu'on les entend,
ou n'a pas la force de leur en vouloir! vous-même,
monsieur Le Marquis.. vous leur pardonneriez!
LE MARQUIS
(se levant et marchant avec colère)
Moi... jamais!
MARGUERITE
Ils se marieront! quand ils le pourront... mais
le chevalier Desgrieux qui est de naissance,
ne peut espérer le consentement de son père...
LE MARQUIS
Un honnête homme de père!
MARGUERITE
Qui ne veut pas lui envoyer d'argent.
LE MARQUIS
Il a raison!
MARGUERITE
(souriant)
Oh! oh! comme vous êtes devenu sévère!
le pauvre garçon n'a pour toute ressource
qu'une montre entourée de brillants
qui lui vient de sa mère et que Manon
ne veut pas lui permettre de vendre...
(Elle va replacer près do la table, la chaise
que le marquis vient de quitter)
LESCAUT
(bas, au marquis)
A merveille! l'amour a jeun...
ne peut se soutenir longtemps...
LE MARQUIS
Cela ne peut pas durer...
Manon ne peut pas rester dans celle mansarde...
LESCAUT
Nous l'enlèverons plutôt...
dans l'intérêt de la morale.
MARGUERITE
(près de la table)
Comment! l'enlever?
LE MARQUIS
Oui... car je suis furieux de ce que j'apprends.
MARGUERITE
Et moi j'y vois clair! ce n'est point pour madame
la marquise que vous prenez des renseignements,
c'est pour vous-même, monseigneur.
LE MARQUIS
Eh bien! oui, c'est plus fort que moi,
j'en perds la tète.
MARGUERITE
(souriant)
Juste ce que vous me disiez!
LE MARQUIS
Je n'espère qu'en toi, Marguerite...
si tu veux me protéger... me servir...
MARGUERITE
Allons donc! me laisser séduire pour une autre,
moi qui ai résisté pour mon compte, non pas!
et avec tout le respect que je vous dois, je vous
prie, monsieur Le Marquis de renoncer
à vos desseins sur mademoiselle Lescaut
LE MARQUIS
(poussent un cri)
Lescaut... dites-vous?
MARGUERITE
Oui, monsieur! elle a des amis, des protecteurs...
elle -est d'une bonnête famille...
une famille d'Amiens...
LESCAUT
D'Amiens!
MARGUERITE
D'où elle arrive...
LESCAUT
Ah! mon Dieu!
(bas, au marquis)
Monsieur Le Marquis allons-nous-en,
car nous sommes ici en famille!
LE MARQUIS
Eh bien?
LESCAUT
(toujours à vois basse)
Je ne peux pas enlever mademoiselle Manon
qui est ma cousine!
LE MARQUIS
(de même)
Je croyais que nous étions convenus
de vingt pisloles,
et qu'un gentilhomme n'avait que sa parole!
LESCAUT
(de même)
Certainement, mais l'honneur de ma maison...
LE MARQUIS
(de même et froidement)
Cinquante!
LESCAUT
(de même)
Et mes aïeux!...
LE MARQUIS
(de même)
Soixante...
LESCAUT
(de même)
Mais enfin...
LE MARQUIS
(de même)
Cent pistoles!
LESCAUT
(de même)
Vous en direz tant!...
LE MARQUIS
(de même)
Tais-toi! sortons!
(haut)
Tu le vois, Marguerite tu l'emportes encore...
je cède, je me retire...
je bats en retraite devant la vertu.
(il la salue et sort suivi de Lescaut )
Scène Troisième
(Marguerite seule et secouant la
tête en les regardant sortir)
MARGUERITE
Belles paroles auxquelles je ne crois pas...
car ils ont comploté tous les deux à voix basse!
Dans quel temps vivons-nous, mon Dieu!
voilà un grand seigneur qui est audacieux,
mauvais sujet...
et c'est un des meilleurs encore!
car au fond il a du cur, il est aimable,
généreux!
généreux surtout! ah! les pauvres filles
ont bien du mal à être honnêtes!
(soupirant)
Allons! retournons à notre ouvrage, et remettons
à demain le service que je voulais demander
à mademoiselle Manon...
(Allant à la table â droite reprendre
la robe qu'elle y a laissée. On entend
chanter en dehors)
Eh!... c'est elle que j'entends.
Scène Quatrième
(Marguerite et Manon avec une touffe de lilas)
MANON
Couplets
Premier couplet
Eveillée avec l'aurore,
Je viens des Prés-Saint-Gervais
Cueillir ces lilas si frais
Que Mai vient de faire éclore...
Du printemps qui nous invite
Profitons et vite... et vite...
Un jour voit fleurir, hélas!
La jeunesse et les lilas!
Tra la, la, la, la, la!
(Elle place des bouquets tout autour)
Deuxième couplet.
Plus doux que le musc et l'ambre,
Ces lilas dans mon grenier
Seront le seul mobilier
Qui garnira noire chambre!
Sa fraîcheur fait son mérite;
Profitons-en vite et vite!...
In jour voit passer, hélas!
Le plaisir et les lilas!»
Tra la, la, la, la, la!
MARGUERITE
Sortir de si grand matin pour cueillir des lilas!
quelle raison, je vous le demande?
MANON
Des raisons? les oiseaux en ont-ils besoin,
pour prendre f l'air et s'aimer au soleil?...
Tu raisonnes trop, Marguerite...
MARGUERITE
Et toi, pas assez.
(Regardant autour d'elle)
Eh mais, où est donc le chevalier?
MANON
Il avait une idée!... un ami qu'il s'est rappelé et
qui
lui prêtera, dit-il, l'argent dont nous avons besoin.
MARGUERITE
Ici, à Paris?...
MANON
Oui.
MARGUERITE
Un ami qui prête de l'argent!...
MANON
Tu ne crois à rien... et moi je crois à tout,
c'est là le bonheur!
Je suis donc revenue seule... et tu ne sais pas
qui je viens de rencontrer dans noire escalier
étroit et tortueux... devine!
MARGUERITE
Deux messieurs, qui sortaient d'ici.
MANON
Deux beaux messieurs...
dont l'un me saute au cou.
MARGUERITE
Le marquis!...
MANON
Non! l'autre!
«Ah! ma cousine... ma chère cousine;»
c'était Lescaut mon cousin,
le fils de Boniface Lescaut
mon oncle d'Amiens qui voulait me faire entrer
au couvent; son fils n'est pas dans ces idées-là,
au contraire!... comme ça se rencontre!
je ne suis plus seule à Paris... et sans répondants,
comme le disait le vieux commissaire
de notre quartier, monsieur Durozeau
Me voilà une famille! un protecteur!
MARGUERITE
(Lotissant les épaules)
Joliment!
MANON
Mais oui! mon cousin est un homme d'épée,
qui fera toujours respecter l'honneur de la famille...
il l'a dit en me présentant au marquis.
MARGUERITE
(de même)
Encore mieux!
si tu le connaissais, celui-là!...
MANON
Je le connais, et beaucoup!
MARGUERITE
Miséricorde!
MANON
Il m'a menée dans son carrosse.
MARGUERITE
Toi?...
MANON
Un carrosse tout étincelant de glaces
et de dorure...
ah! qu'on y était bien... au fond, à côté de lui!
MARGUERITE
En tète-â-tète?
MANON
Non! je te conterai cela... En fi j'y étais seule,
quand Desgrieux... vois le hasard...
Desgrieux qui passait dans la rue, m'aperçoit
et pousse un cri! sa figure était pâle,
ses lèvres tremblantes...
j'ai bien vile sauté à bas de la voiture.
«Quas-tu, mou chevalier? » ne crains rien!
je quitterais pour toi les carrosses du roi!
viens! viens! » et je l'entraîne en lui disant
à la hâte ce qui vient de m'arriver.
MARGUERITE
El le marquis?
MANON
Je lavais oublié, ainsi que sa voiture!...
j'étais à pied!.. mais près du chevalier, près de
lui,
qui serrait mon bras, qui riait, et nous rentrions
à notre mansarde... tous les deux!
MARGUERITE
Ah! Manon! tu es une drôle de fille!
le cur est bon, mais la tête est folle!
MANON
Qu'importe?
MARGUERITE
Il importe que tu agis d'abord, que tu raisonnes
après, et que, dans l'intervalle, il peut arriver...
MANON
Quoi?...
MARGUERITE
As-tu jamais pensé à ton avenir
avec le chevalier?
MANON
Non!
MARGUERITE
Est-ce que lu ne désires pas être sa femme?
MANON
Pourquoi?
MARGUERITE
Pour vous aimer toujours.
MANON
C'est vrai! Oh! mais,
à quoi bon lui donner une femme qui n'a rien,
à lui qui est sans fortune?
MARGUERITE
Et s'il cherchait à s'en faire une"?
S'il travaillait, et toi aussi?
MANON
Moi!... je ne sais pas travailler, cela m'ennuie
à périr Broder ou coudre me donne la migraine.
MARGUERITE
Que sais-tu donc faire?
MANON
Rire, causer, chanter, et racler de la guitare...
quand j'en ai une.
MARGUERITE
Mais à vivre ainsi, arrive la misère!
MANON
Tais-toi! ne prononce pas ce mot, il me fait peur.
MARGUERITE
Le moyen de. ne pas en avoir peur,
c'est de faire comme moi, de prendre une aiguille.
On gagne peu, mais on est sa maîtresse
à soi et l'on n'a besoin de personne.
MANON
C'est possible! Toi, Marguerite tu es née ouvrière,
moi, j'étais née duchesse!
L'éclat, le luxe, l'opulence, c'est là mon élément;
il me semble que je suis faite pour le satin,
les dentelles, les diamants!
Et tiens, l'autre jour,
en montant dans ce beau carrosse...
je n'ai élé ni surprise, ni gênée;
il me semblait que j'étais chez moi!
MARGUERITE
Mais avec ces idées-là, tu me fais trembler.
MANON
En quoi donc?...
MARGUERITE
Parce qu'elles amènent après elles les regrets,
les remords... on brille un instant,
et on est malheureuse toute sa vie.
MANON
Ah! je n'aime pas que l'on me parle ainsi.
MARGUERITE
Et moi je ne parle ainsi qu'à ceux que j'aime...
MANON
D'amitié...
car tu n'as jamais aimé d'amour.
MARGUERITE
Qu'en sais-tu?
MANON
(gaiement)
Tu aurais un amoureux?
MARGUERITE
Pourquoi pas?
MANON
(de même)
A la bonne heure, au moins!...
Raconte-moi cela.
MARGUERITE
Un brave garçon avec qui j'ai été élevée!...
Gervais qui est au Havre, où il travaille
de son côté, comme moi du mien; et quand nous
aurons, à force d'économies, amassé un petit
trésor, nous nous réunirons pour ne plus
nous séparer... nous nous marierons.
MANON
Pas avant?
MARGUERITE
Pas avant!
MANON
C'est du temps perdu!
MARGUERITE
N'importe!...
En attendant, voici une lettre
de lui qui m'arrive.
MANON
Que dit-elle?...
MARGUERITE
Je venais te le demander...
car je sais coudre, moi,
mais je ne sais pas lire.
MANON
(prenant la lettre)
Donne vite, donne!...
Duo
MANON
(lisant, pendant que Marguerite suit des yeux)
« Ma bonne Marguerite ô toi mon seul amour,
a Notre petit trésor augmente chaque jour;
« Chaque sou que je gagne
avanc' not' mariage.
« Pour toi... pour nos enfants...
j' travaille avec courage!... »
MARGUERITE
Ce bon Gervais!
MANON
(avec émotion)
Je comprends! je comprends!
(Continuant à lire pendant que Marguerite
passe un de ses bras autour du cou de Manon)
« Tu m'as donné l'exemple... et mon cour
qui t'adore Comme une honnête fille
et t'estime et t'honore!
« Et l'on doit ètre heureux et bien fier, je le sens,
D'aimer et d'estimer la mer' de ses enfants. »
(Manon baisse la tête et laisse tomber la
lettre que Marguerite remasse)
MARGUERITE
(se rapprochant de Manon et à demi-voix)
Pour que l'amour, ce bien suprême,
Au logis puisse demeurer, Il faut de celui
que l'on aime Avant tout se faire honorer!
MANON
(avec émotion)
Pour que l'amour, ce bien suprême, Au logis
puisse demeurer, Il faut de celui que l'on aime
Avant tout se faire honorer!
MARGUERITE
Il en est toujours temps! courage!... du courage!
Viens avec moi! viens travailler aussi!
MANON
(hésitant)
Oui... oui... je te promets...
de me mettre à l'ouvrage.
MARGUERITE
Quand cela?
MANON
Des demain!
MARGUERITE
Non pas! dès aujourd'hui!
(Lui montrant la robe qu'elle a posée
en entrant sur une chaise)
Vois ce manteau de cour, qu'à ce riche corsage
Il faut coudre...
(fouillant dans sa poche)
Voilà, pour toi, du fil... un dé!
(Lui montrant la table à droite)
Assieds-toi là! commence!
MANON
(s'asseyent)
Allons!
c'est décidé!
Mais c'e-'l bien ennuyeux!
MARGUERITE
Non pas! non pas!
Tu le verras!
Avec l'aiguille
Qui va toujours,
La jeune fille Rêve aux amours!
Son cur y pense
lui travaillant!
L'ouvrage avance En fredonnant!
Tra, la, la, la, la, la!
En fredonnant
Un nom charmant,
Le nom de son amant!
MANON
Bien vrai?
MARGUERITE
Bien vrai!
MANON
Allons!
j'en veux faire l'essai!
MARGUERITE, MANON
Avec l'aiguille,
Qui va toujours,
La jeune fille
Rêve aux amours!
Son co'ur y pense
En travaillai...
L'ouvrage avance
En fredonnant
Tra, la, la, la, la!
(Marguerite sort par la porte du fond)
Scène Cinquième
MANON
(seule, assise près de la table et travaillant)
Tra, la, la, la, la, la, la, la, la!
Air
Marguerite a raison!
il faut, prudente et sage,
Tra, la, la, la, la, la, la, la, la!
Devenir femme de ménage!
Et travailler!...
(S'arrètant)
Ah! ce dé trop étroit
Ne me va pas, et semble rude a mon doigt!...
(L'ôtant de son doigt qu'elle regarde)
A ce joli doigt qui n'en a pas l'habitude!
(Le remettant)
Mais j'ai promis... c'est sérieux, Et je jure,
quoi que l'on fasse, Que la sagesse...
Allons, voilà mon fil qui casse...
Que la sagesse... et puis l'ordre et la vertu!...
Dieux!
Que c'est ennuyeux De coudre
et d'attacher cette vilaine jupe!
(La regardant)
Vilaine!... mais pas tant!...
(La regardant toujours)
Un point me préoccupe:
Je crois que ce manteau de cour m'irait...
(Haussant les épaulée)
Allons!
Il serait trop grand!
(Regardant autour d'elle)
Bah!... je suis seule!... essayons!
(Elle défait son casaquin et attache
le manteau autour de sa taille)
Vous, que cette parure exquise Peut-être
devait embellir, Pardon, madame la marquise,
D'oser, avant vous, m'en servir!
Mais, si vous l'avez commandée
Comme un talisman séducteur,
En l'essayant, moi, j'ai l'idée
Que je lui porterai bonheur!
(Elle se regarde en marchant)
Eh oui! ce n'est vraiment pas mal!
La belle jupe!... ah! quel dommage
De n'avoir pas un petit page Pour la porter...
Mais c'est égal!.,.
Les dames de Versailles, Soit dit sans vanité,
N'ont pas plus noble taille, Ni plus de dignité
Pour moi, j'ignore comme On leur parle d'amour...
Mais... mais si j'étais homme,
Je me ferais la cour!
O bonheur!... o délire!
Quel chagrin de n'avoir Personne qui m'admire,
Personne pour me voir!
Pas même de miroir...
Mais... mais... le m'y connais...
Les dames de Versailles, etc.
(Elle a pris le corsage qu'elle va essayer)
Scène Sixième
(Desgrieux, entrant par la porte du fond)
MANON
(se couvrant les épaules avec ses mains)
Qui vient là? Ah! c'est toi, chevalier?
DESGRIEUX
Oui, Manon.. moi qui reviens près de toi
et le plus heureux des hommes.
MANON
De bonnes nouvelles? Raconte-moi cela!
DESGRIEUX
Tu sauras donc... que depuis que je t'ai quittée...
(La regardant)
Ah! Manon que tu as de jolies épaules!
MANON
Belles nouvelles! Et si tu n'en as pas d'autres...
RESGRIEUX.
Si vraiment... Mais qu'est-ce que je vois là?
MANON
Une robe que je fais...
il faut bien l'essayer!
une robe de duchesse!
Elle me va bien,
n'est-ce pas?
DESGRIEUX
Ah! tu es charmante ainsi!
MANON
C'est ce que je me disais.
Par malheur...
il faut quitter tout cela
et reprendre mon casaquin d'indienne...
Aide-moi donc.
DESGRIEUX
Et pourquoi renoncer à cette belle parure?
MANON
Parce que cela ne m'appartient pas.
DESGRIEUX
Je te l'achète!... je te la donne...
celle-là ou une autre pareille.
MANON
Toi, mon chevalier?
DESGRIEUX
Je suis riche!
MANON
Ah! que tu es gentil! que tu es aimable!
DESGRIEUX
Six cents livres dans cette bourse!
Tiens, prends! c'est à toi.
MANON
C'est à nous! C'est l'ami
dont tu me parlais qui te les a prêtées?
DESGRIEUX
Mieux que cela!
MANON
(étonnée)
Comment?
DESGRIEUX
(avec embarras)
Je veux dire que c'est mon bien...
une somme qu'il me devait et qu'il m'a rendue.
MANON
C'est très-bien à lui! Mais six cents livres...
qu'est-ce que nous ferons de tout cela?
DESGRIEUX
D'abord, nous achetons une belle robe.
MANON
(étourditnent)
C'est fait! c'est fini!... mais après'?
DESGRIEUX
Vois toi-même...
MANON
Voilà une heure que je travaille!
il faut bien se reposer un peu.
DESGRIEUX
C'est trop juste!
MANON
Si nous allions dîner tous les deux...
DESGRIEUX
Au boulevard du Temple!
MANON
Comme les seigneurs et les grandes dames.
DESGRIEUX
Au Cadran Bleu?
MANON
Ou chez Bancelin.
DESGRIEUX
En tête-à-tête?...
MANON
Oui, ce sera amusant...
Mais il serait peut-être mieux d'inviter
notre voisine, la petite Marguerite
qui est si bonne pour nous?
DESGRIEUX
C'est vrai!...
mais j'aimais mieux le tête-à-tête.
MANON
Bah!... Voyons, chevalier, ne fais pas la moue!
il ne faut pas être égoïste.
DESGRIEUX
Je comprends bien... mais un tiers...
c'est ennuyeux.
MANON
(gaiement)
Tu as raison!... Si nous invitions non-seulement
Marguerite mais ses jeunes ouvrières...
DESGRIEUX
C'est une idée!... Elles sont dix pour lé moins.
MANON
Et bavardes!...
Nous causerons, nous rirons!
DESGRIEUX
Quel tapage! ce sera charmant!...
Va les inviter.
MANON
Mieux que cela, allons-y tous détour
DESGRIEUX
Mais avant tout, embrasse-moi.
MANON
(tendant la joue)
C'est trop juste!
Scène Septième
(Lescaut paraissant à la porte du fond
où moment où Desgrieux embrasse Manon)
Trio
LESCAUT
(a part)
Mânes de mes aïeux!...
ma vue Serait-elle donc en défaut?
DESGRIEUX
(apercevant Lescaut)
Quel est donc ce monsieur?
MANON
(courant à lui)
C'est mon cousin Lescaut!
DESGRIEUX
( s'avançant)
Dont je veux avec vous fêter la bienvenue!
MANON
(présentant Lescaut à Desgrieux)
Soldai aux gardes!...
DESGRIEUX
C'est très-bien!
LESCAUT
(relevant sa moustache)
Et gentilhomme!
DESGRIEUX
Eh! mais cela ne gâte rien!
LESCAUT
(le poing sur la hanche)
Et je venais, monsieur, à ce sujet,
Pour une affaire...
DESGRIEUX
(cordialement)
Je suis prêt A vous servir!...
à vous mon bras et mon épée!
Mais nous devons dîner tantôt
au Cadran Bleu!...
MANON
Ou bien chez Bancelin!
DESGRIEUX
(lui tendant la main)
Venez-y...
LESCAUT
(a part et hésitant)
Ventrebleu!
DESGRIEUX
Notre attente par vous
ne sera pas trompée!
LESCAUT
(avec embarras)
Mais, monsieur...
DESGRIEUX
II le faut! sans façons... on ami!
C'est accepté?
LESCAUT
(à part)
Moi qui venais ici Pour lui chercher querelle!...
Après cela l'on dine!.
Et l'on s'explique après!...
(Haut)
Vous dites... un diné Chez Bancelin?
DESGRIEUX
Avec votre cousine. Quinze couverts!
LESCAUT
Un bon dîné? L'avez-vous ordonné?
DESGRIEUX
Pas encor!
LESCAUT
Je m'en charge!
DESGRIEUX
Ainsi donc, touchez là!
LESCAUT
(a part)
Il ont l'air opulent!
DESGRIEUX
(lui prenant la main)
Touchez là.
LESCAUT
Touchez là!
(A part)
Dînons d'abord! et plus lard, on verra!
Ensemble
MANON DESGRIEUX, LESCAUT
Doux liens de la famille,
Voix du sang qui parle au cur.
C'est par vous qu'à nos jeux brille
Le vrai bien, le vrai bonheur!
MANON
Ah! quelle ivresse l'on éprouve!...
LESCAUT
(lui prenant la main)
Près de parents jeunes... ou vieux.
DESGRIEUX
Qu'avec plaisir on les retrouve!
LESCAUT
(lui donnant une poignée de main)
Et surtout quand ils sont heureux!
Ensemble
MANON DESGRIEUX, LESCAUT
Doux liens de la famille,
Voix du sang, qui parle au cur,
C'est par vous qu'à nos yeux brille
Le vrai bien, le vrai bonheur!
Le plaisir nous rassemble,
Nous trinquerons ensemble
Au son des gais refrains!
Buvons à nos voisines,
Et vivent les cousines, et vivent les cousins!
LESCAUT
Le repas, à quelle heure?
MANON
A midi!
LESCAUT
C'est l'usage!
(A Desgrieux)
Quelle heure avons-nous?
DESGRIEUX
(avec embarras)
Mais je ne sais...
LESCAUT
(à part)
Je comprends La dernière ressource...
oui, la montre aux brillants,
Vendue ou mise en gage!
Il n'importe!
(haut)
A tantôt! Midi, chez Bancelin!
Je me charge de tout!
MANON
Grand merci, mon cousin!
Ensemble
MANON DESGRIEUX, LESCAUT
Le plaisir nous rassemble, Nous trinquerons
ensemble, Et prendrons pour refrains :
Buvons à nos voisines,
Et vivent les cousines, Et vivent les cousins!
(lis sortent tous trois par le fond)
Deuxième Tableau
(Le boulevard du Temple. Le jardin de Bancelin
est ou fond du boulevard; au fond est sa maison,
et au premier, le grand salon dont les fenêtres
sont ouvertes. A gauche, sur le boulevard,
un sergent et des soldats boivent devant la porte
d'un estaminet. A droite, des bourgeois dînent
en plein air près de leurs femmes, dans le jardin
de Bancelin. Madame Bancelin va et vient et fait
servir les différentes tables. Dam le salon au
premier, dont les fenêtres sont ouvertes, on
entend Manon Marguerite ses compagnes et
Desgrieux chanter en chur, ainsi que les soldats
à gauche et les bourgeois à droite)
Scène Huitième
LE CHOEUR
C'est à la guinguette
Que l'amour nous guette!
L'amour en goguette chancelle aisément!
Amant et grisette,
Que chacun répète :
Vivent la guinguette,
Le vin blanc Et le sentiment!
UN OUVRIER
Où l'ouvrier, le dimanche,
Trouve-t-il joie cl repos,
Le plaisir, l'amitié franche,
et l'oubli de tous ses maux?
C'est à la guinguette!...
TOUS
(en chur)
C'est à la guinguette, etc.
Mme BANCELIN
Où règne la gaité folle
Avec ses joyeux éclats?
LE SERGENT
(à gauche)
Où le sergent qui racole,
Trouve-t-il nouveaux soldats?
C'est à la guinguette!
Mme BANCELIN
C'est à la guinguette!
MANON
(seule au fond)
C'est à la guinguette...
TOUS
(en chur)
C'est à la guinguette, etc.
(M. Durozeau vient de s'asseoir à droite, devant
une petite table; madame Bancelin s'empresse de
lui servir une bouteille de bière. En ce moment, et
venant du boulevard à gauche, Lescaut entre en
rêvant. Il donne une poignée de main au sergent,
qui lui offre un verre de vin. Lescaut refuse et
continue, sans parler, à s'avancer an milieu
du jardin)
DESGRIEUX
(paraissant à la fenêtre du premier et
percèrent Lescaut)
Arrivez donc, mou cousin, nous vous attendons.
MANON
(paraissant à la croisée
à côté de Desgrieux)
El nous avons été obligés de nous mettre
à table sans vous.
LESCAUT
Je le vois bien!
DESGRIEUX
Venez vite, ou il ne restera plus de Champagne!
LESCAUT
J'y vais... mais je voudrais auparavant
dire un mol en particulier...
à ma cousine.
MANON
A moi?...
LESCAUT
A vous... pour affaires de famille!
MANON
Je descends,
(se retournant vers les convives)
Continuez toujours...
(s'adressant a Lescaut)
Le dîner que vous avez commandé
était excellent...
(Se retournant vers les convives)
N'est-ce pas, mesdemoiselles?... .
(Elle disparaît)
LESCAUT
(sur le devant du théâtre et à part)
J'aurais mieux fait d'y assister, exact
au rendez-vous, au lieu de m'arrêter
ici près... en passant sur le boulevard...
à l'hôtel Vendôme, où je gagne d'ordinaire,
et où j'ai perdu en une demi-heure, au biribi,
les cent pistoles du colonel...
sur une martingale qui allait réussir...
c'est évident... quand les fonds ont manqué!...
un dernier quitte ou double,
et je faisais sauter la banque!...
Mânes de mes aïeux!...
pas un rouge liard dans ma poche!...
quelle position de fortune pour un gentilhomme!
MANON
(entrant en scène)
Eh bien! mon cousin,
de quoi s'agit-il?
LESCAUT
(mystérieusement)
D'une importante affaire!...
MANON
Celle dont vous parliez ce matin?
LESCAUT
Précisément, cousine, une affaire
d'où dépend l'honneur de la famille!
MANON
(effrayée)
Ah! mon Dieu!
LESCAUT
Lequel honneur est ébréché, endommagé, perdu...
faute d'une douzaine de pistoles!
MANON
Est-il possible!...
LESCAUT
Douze pistoles que je vous rapporterai
dans une demi-heure.
MANON
N'est-ce que cela?
(Tirant sa bourse de sa poche)
Tenez... prenez vite,
car on m'attend pour la danse!...
on va danser!
DESGRIEUX
(paraissant a la fenêtre)
Allons donc, Manon!
MANON
(lui répondant)
Me voici!
DESGRIEUX
Je vais en inviter une autre!
MANON
(a Lescaut)
Prenez vous-même, cousin,
je n'ai pas le temps de compter.
LESCAUT
On ne compte pas avec ses amis.
MANON
Et pourvu, comme vous le dites, que vous
me rapportiez cela dans une demi-heure...
LESCAUT
(sortant virement)
Foi de gentilhomme!
LE CHOEUR.
C'est à la guinguette, etc.
Mme BANCELIN
(à M. Durozeau, qui achève sa bouteille
de bière, et lui montrant les croisées
du fond)
Quelle gaieté! quel tapage!
et surtout quelle dépense!
DUROZEAU
Cela vous charme, madame Bancelin?
Mme BANCELIN
Oui, monsieur Durozeau; et vous?
DUROZEAU
Moi, je n'aime pas le bruit... il ne m'aime pas...
il s'en va quand j'arrive.
Mme BANCELIN
Ici, par bonheur,
vous n'aurez pas à interposer votre autorité;
je vous réponds des convives.
DUROZEAU
Vous êtes bien hardie...
Mme BANCELIN
Que voulez-vous dire?
DUROZEAU
Qui a commandé le festin?
Mme BANCELIN
Ce monsieur Lescaut que vous venez de voir,
un soldai aux gardes!
DUROZEAU
Joueur! bretteur! et signalé sur mes notes
comme n'ayant jamais le sou.
Mme BANCELIN
Ce n'est pas lui qui paie,
c'est monsieur le chevalier Desgrieux.
DUROZEAU
Desgrieux!...
Mme BANCELIN
Descendu de voiture avec une jeune
et jolie fille... êtes-vous rassuré?
DUROZEAU
Pauvre madame Bancelin!...
Mme BANCELIN
Qu'est-ce que cela signifie?
DUROZEAU
Le chevalier Desgrieux!...
avec mademoiselle Manon...
(prenant son chapeau)
Adieu! madame Bancelin.
Mme BANCELIN
(le retenant)
Non pas! vous ne partirez pas ainsi.
Scène Neuvième
LE MARQUIS
Salut à la chère madame Bancelin!
Mme BANCELIN
Voire servante, monsieur Le Marquis
LE MARQUIS
Il nous faut un salon particulier
et un dîner fin... vous savez que nous
ne regardons pas à la dépense!...
Mme BANCELIN
(saluant)
Vous êtes bien honnête, monsieur Le Marquis
LE MARQUIS
Et vous aussi...
c'est connu!
Mme BANCELIN
(criant à la cantonade)
Le numéro un à monsieur le marquis
et à ses amis...
qu'on n'épargne rien!...
(Au marquis)
Ces trois messieurs sont-ils seuls?
LE MARQUIS
Peut-être!
Mme BANCELIN
(à haute voix)
Six couverts!
DUROZEAU
(bas à madame Bancelin)
Vous faites bien!... tâchez de vous rattraper
sur ceux-là si vous le pouvez... car les autres...
Mme BANCELIN
Vous m'effrayez...
(Elle salue le marquis et ses omis
qui sortent par le fond, et revient près
de Durozeau)
Vous dites donc que monsieur
le chevalier Desgrieux...
DUROZEAU
Est un chevalier d'industrie!
et mademoiselle Manon une petite personne
dont la fortune est comme la vertu...
Mme BANCELIN
Des plus médiocres!
DUROZEAU
Une vertu qui ne peut pas payer son terme...
j'ai mes notes comme commissaire...
et moi qui vous parle... si j'avais voulu...
Mme BANCELIN
Juste ciel!
DUROZEAU
Mais les murs.,, et ma dignité de magistral...
Mme BANCELIN
(apercevant Desgrieux)
C'est lui... c'est le chevalier.
DUROZEAU
Silence!... mon devoir est d'éclairer dans l'ombre!
et sans qu'il y paraisse!
Scène Dixième
(Desgrieux sortant de la porte du fond)
DESGRIEUX
(parlant à la cantonade et l'essuyant le front)
Oui, mesdemoiselles... c'est indispensable,
c'est de rigueur... après la danse!...
et puis Manon le veut!...
(à madame Bancelin)
Des rafraîchissements, des sorbets... des glaces...
Ce que vous aurez de mieux...
(à madame Bancelin, qui se croise les bras)
Eh bien! m'entendez-vous, madame Bancelin?...
vous restez là immobile...
et comme si vous ne compreniez pas...
Mme BANCELIN
J'ai compris, monsieur le chevalier,
que votre dépense était déjà très-considérable.
DESGRIEUX
Tant mieux pour vous!...
Mme BANCELIN
Tant pis peut-être!... car ici, monsieur,
avant de commencer un nouveau compte,
on solde le premier.
(Elle lui remet un mémoire)
DESGRIEUX
(étonné)
Comment?
Mme BANCELIN
C'est l'usage de la maison!
(Montrant Durozeau)
Monsieur vous le dira... monsieur
qui est un habitué et un ami...
DESGRIEUX
Me faire un pareil affront... à moi!
Scène Onzième
(Manon sortant de la porte
du fond en «'éventant)
MANON
On n'en peut plus!
on expire de chaleur!
et si les glaces n'arrivent pas...
DESGRIEUX
Nous les prendrons ailleurs...
donne-moi la bourse!...
MANON
Que veux-tu dire?...
DESGRIEUX
Ou règle toi-même avec madame Bancelin...
qui se défie de nous...
et veut être soldée sur-le-champ...
Allons, dépêche-toi!
MANON
(bas à Desgrieux avec embarras)
Mais c'est que...
DESGRIEUX
Quoi donc?...
MANON
C'est que la bourse...
je ne l'ai plus!
DESGRIEUX
Grand Dieu!
où donc est-elle?
MANON
Je l'ai remise... c'est-à-dire prêtée à Lescaut
notre cousin.
DUROZEAU
(bas à madame Bancelin)
Vous le voyez... ils se consultent.
MANON
Qui doit nous la rapporter dans une demi-heure.
DESGRIEUX
Et d'ici là... que devenir?
DUROZEAU
(de même â madame Bancelin)
Que vous disais-je?
ce sont des aigrefins qui ne paieront pas.
Mme BANCELIN
(bas à Durozeau)
Un dîner de quinze couverts!...
DUROZEAU
Monsieur, je vous invoque,
non plus comme ami,
mais comme commissaire.
DESGRIEUX
Un commissaire!...
MANON
(le regardant)
Le mien!...
(bas à Desgrieux)
Celui dont je me suis moquée l'autre jour.
DUROZEAU
Il est de fait
que ceci est de ma compétence.
Finale
DUROZEAU
(s'adressant aux soldats & gauche et leur
montrant Desgrieux)
En prison! en prison! en prison!
C'est un scandale
Que rien n'égale.
Il faut payer! sinon, sinon,
En prison! en prison! en prison!
De ce fripon j'aurai raison!
DESGRIEUX, MANON
En prison! en prison! en prison!
C'est un scandale Que rien n'égale.
Qui, nous? subir un tel affront!
En prison! en prison! en prison!
Ah! c'est a perdre la raison!
Mme BANCELIN, LES BOURGEOIS.
En prison! en prison! en prison!
C'est un scandale
Que rien n'égale.
Il faut payer! sinon, sinon.
En prison! en prison! en prisou!
Ah! quel affront pour la maison!
Scène Douzième
(Lescaut entrant brusquement
et entendant ces derniers mots)
LESCAUT
En prison! dites-vous? que prétendez-vous faire?
MANON
(courant à lui avec joie)
C'est Lescaut mon cousin!
LESCAUT
Quoi! c'est un commissaire
Qui voudrait entacher l'honneur de ma maison?
Déshonorer mou nom et mon blason?
Fi donc!
DESGRIEUX
Daignez nous écouter!
LESCAUT
Non, de par mon épée!
(Montrant Durozeau)
La trame de ses jours serait plutôt coupée!
MANON
(le calmant)
Modérez-vous!
DESGRIEUX
Eh oui! dans ce péril urgent, il ne s'agit pas
d'époque, Mon cousin! mais d'argent!
LESCAUT
D'argent!
Je n'en ai plus!
TOUS
O ciel!
LESCAUT
Une chance infernale, Au jeu m'a tout ravi!
je n'ai d'autre valeur Que la mienne!
DUROZEAU
Pas d'autre!
LESCAUT
Et surtout mon honneur
Qui garantit ma dette!
DESGRIEUX
O parenté fatale!
DUROZEAU, CHOEUR.
En prison! en prison! en prison! etc.
(Pendant que le commissaire donne des
ordres eu sergent et eux soldats qui sont à
gauche, Manon effrayée, 'approche de
Desgrieux qui est en proie à un profond désespoir)
MANON
Le désespoir où tu te livres me fait trembler!
(Elle aperçoit Marguerite et tes compagnes
qui paraissent aux croisées du fond,
elle leur fait signe de descendre)
LESCAUT
(s'adressant pendant ce temps à Desgrieux)
Allons! cousin, de la raison!
DESGRIEUX
Je n'y survivrai pas!
LESCAUT
Vous plaisantez?...
DESGRIEUX
Non! non!
(Froissant le mémoire entre ses mains)
Je donnerais ici mes jours pour deux cents livres!
LESCAUT
(vivement)
Bien vrai? vous les aurez!
DESGRIEUX
A l'instant?
LESCAUT
A l'instant! .
DESGRIEUX
Et comment?
LESCAUT
(regardant le sergent)
Comment?
Sur votre bonne mine et votre signature,
Le sergent en répond!
LE SERGENT
(sourient)
Eh oui! je vous le jure!
DESGRIEUX
(à Lescaut)
Ah! je vous devrai tout!
LESCAUT
(riant)
Non, c'est moi qui vous dois!
DESGRIEUX
(bas, à Manon)
Attends-nous!... je reviens!
(bas, à madame Bancelin)
On parla cette fois!
DUROZEAU
(bas, à madame Bancelin, en voyant
Desgrieux Lescaut et le sergent qui
entrent dans l'estaminet è gauche)
Je comprends!
mais d'ici j'ai l'il
sur notre gage,
Et mamzelle Manon nous servira d'otage!
(Marguerite et les jeunes ouvrières sont
descendues pendant la fin de cette scène)
MARGUERITE
(s'approchant de Manon qui s'est laissée
tomber sur une chaise à droite)
Qu'as-tu donc?
d'où vient ton chagrin?
MANON
(préoccupée)
Ce n'est rien, Marguerite!
(à part, et réfléchissant)
Oui, Lescaut mon cousin, Va pour nous,
dans le voisinage, Emprunter quelque argent...
Si je pouvais aussi De mon coté les aider?...
(Apercevant une chanteuse du boulevard
qui entre dans ce moment avec sa guitare,
elle pousse un cri' de joie)
M'y voici!
(A la jeune fille)
Un instant, prétc-moi celle vieille guitare...
MARGUERITE
(étonnée, en voyant Manon qui accorde la guitare)
Que fais-tu?
MANON
J'eus des torts!
MARGUERITE
(de même)
Eh bien?
MANON
Je les répare!
(Se levant et chantant à haute voix)
Tra, la, la, la, la, la, la, la!
Pour peu que la chanson vous plaise,
Ecoutez, grands et petits,
La nouvelle Bourbonnaise
Dont s'amuse tout Paris!
Tra, la, la, la, la, la, la!
(A ses accents, tous ceux qui sont en scène
se sont levés et se rapprochent de Manon Le
marquis et ses amis sortent du salon)
LE MARQUIS
Qu'esl-ce donc? messieurs, qu'est-ce donc?
Quelle est celle belle chanteuse,
A la voix brillante et joyeuse?
(A part)
Que vois-je? ô bonheur!... c'est Manon..
MARGUERITE
(bas à Manon)
C'est le marquis!
MANON
(jouant toujours de la guitare)
Ah! pour moi quelle gloire!
Un aussi noble auditoire!
MARGUERITE
(bas, à Manon qui joue toujours de la guitare)
Y penses-tu? chanter ainsi?...
Et devant lui!
MANON
(gaiement)
Eh oui! cela me sourit et me plaît.
(A voix haute)
Bourbonnaise
Premier couplet
Tra, la, la, la, la, la, la, la, la!
C'est lhistoire amoureuse,
Autant que fabuleuse,
D'un galant fier à bras!
Ah! ah! ah!
(Regardant Durozeau)
D'un tendre commissaire
Que l'on croyait sévère
et qui ne l'était pas!
Ah! ah! ah!
Il aimait une belle!
Il en voulait!... mais elle De lui ne voulait pas!
Ah! ah! ah! Or,
voulez-vous apprendre Le nom de ce Léandre.
Traître comme Judas!
Ah! ah! ah!
Son nom?... vous allez rire!
Je m'en vais vous le dire Bien bas...
tout bas... tout bas...
(Tout le monde s'approche, et Manon dit avec force: )
Non!... je ne le dirai pas!
(Riant)
Ah! ah! ah! ah! ah! ah!
Ah! ah! ah! ah! ah! ah!
LE MARQUIS
(applaudissant ainsi que le chur)
Brava! brava! brava!
DUROZEAU
(à part)
Une telle insolence aura sa récompense,
Et l'on me le paira!
MANON
(bas a Marguerite)
Tu le vois bien? mon triomphe est complet.
(à haute voix)
Seconde couplet!
Deuxième couplet
(Regardant Durozeau)
On le disait habile,
Car dans la grande ville Il est des magistrats!...
Ah! ah! ah!
Il est des réverbères,
Vantés pour leurs lumières,
Et qui n'éclairent pas!
Ah! ah! ah!
Au logis de la bele,
Un soir que sans chandelle
Il veut porter ses pas...
Ah! ah! ah!
L'escalier était ombre,
Et sur son nez, dans l'ombre, Il tombe!...
patatras!
Ah! ah! ah!
Son nom?... vous allct rire Je m'en vais vous
le dire Bien bas... tout bas... tout bas...
(Même jeu)
Non, je ne le dirai pas!
Ah! ah! ah! ah! ah! ah!
Ah! ah! ah! ah! ah! ah!
LE MARQUIS, LE CHOEUR.
Brava! brava! brava!
DUROZEAU
Ah! morbleu! l'on me le paira!
LE MARQUIS, LES SEIGNEURS.
Divin! charmant! sur mon honneur!
MANON
(prenant la sébile de la chanteuse, et faisant la
quête)
D'une main généreuse Donnez à la chanteuse!...
(Elle présente la sébile au commissaire
qui lui tourne le dos. Les bourgeois et les
seigneurs donnent, et Manon fait « chacun
une révérence)
Grand merci, monseigneur!
(Arrivée près du marquis)
Et vous, marquis?...
LE MARQUIS
(hors de lui)
Séduisante Manon!
Je n'y tiens plus!
(il l'embrasse)
MANON
(souriant)
Pardon!
(Montrant la place du baiser)
Ça, c'est pour la chanteuse ;
Et maintenant... donnez pour la chanson.
LE MARQUIS
(lui jetant une bonne pleine d'or)
Tiens! tiens!
MANON
(s'asseyent à droite et versant dans sa
robe le contenu de la sébile)
Ah! quel plaisir! que d'or! je n'y puis croire
(Rendant a la jeune fille sa
guitare et une poignée d'argent)
Merci, ma chère enfant!...
accepte sans façon.
(Se retournant fièrement)
Madame Bancelin, donnez votre mémoire,
Donnez! et rien par moi n'en sera retranché!
Oui, sans compter, je pairai tout, ma chère,
Le dîner et les vins!... même le commissaire.
Par-dessus le marché!
(Chantant)
Tra, la, la, la, la, la, la!
MARGUERITE
(à voix basse)
Manon!... quelle folie!
MANON
(chantant toujours)
Ah! ah! tra, la, la, la!
C'est à moi que je dois cette fortune-là!
Scène Treize
(Desgrieux pale et défait, sortant
de l'estaminet, suivi de Lescaut)
DESGRIEUX
(à part)
J'ai signé... c'en est fait!
(Jetant de l'argent dans le tablier de Manon)
Tiens, tiens, Manon voilà
De quoi nous acquitter!... partons!
MANON
(riant)
C'est inutile!
(pendant que Desgrieux interroge Manon le
marquis s'adresse à Lescaut qui est près de lui)
LE MARQUIS
(bas, à Lescaut)
Qu'as-tu donc fait?
LESCAUT
Ah! le coup est habile!
(Montrant Desgrieux)
Votre rival, par moi, s'est engagé
Dans votre régiment!
MANON
(à Desgrieux lui montrant re
qu'elle a dans son tablier)
Vois donc tout ce que j'ai!...
DESGRIEUX
Et. d'où te vient cet or?...
MANON
Tu le sauras.
(Lui prenant le bras)
Viens-t en, mon chevalier!
DESGRIEUX
Eh oui!... partons!
Scène Quatorze
(Le Sergent et quelques soldats
LE SERGENT,
(se mettant devant eux)
Non pas!
Soldat'... il faut nous suivre!
MANON
(étonnée)
Que dit-il?...
LE SERGENT.
Qu'il s'est engage!
MANON
Et moi, monsieur, je le délivre ;
Je vous arriole son congé!
LE MARQUIS
(bas, au sergent)
Et moi, je le défends d'accepter.
LE SERGENT
(à Manon qui lui offre de l'or)
Non, vraiment!
C'est impossible, mon enfant!
(Regardant son colonel)
Le règlement nous le défend!
(à Desgrieux)
Il faut nous suivre sur-le-champ!
MANON
(se jetant dans les bras de Desgrieux)
Nous séparer!... jamais... jamais!...
LE SERGENT.
El sur-le-champ!
À la caserne, on nous attend!
Ensemble
DESGRIEUX
O douleur mortelle!
Quand sa voix m'appelle,
Me séparer d'elle!
O fatal devoir!
Il faut, subalterne.
Porter la giberne,
et dans leur caserne,
M'enfermer ce soir, Ce soir.
MANON
(pleurant)
O douleur mortelle!
T'éloigner de celle Dont l'amour t'appelle,
Toi, mon seul espoir!
Tu vas, subalterne,
Portant la giberne,
Dans une caserne,
T'enfermer ce soir, Ce soir.
LE MARQUIS
(regardant Manon)
L'amour qui m'appelle,
Me promet près d'elle Conquête nouvelle;
Mon cur bat d'espoir!
(Regardant Desgrieux)
Rival subalterne,
Ma voix qui gouverne,
Dans une caserne,
T'enferme ce soir, Ce soir.
LESCAUT
(au marquis)
Conquête nouvelle Vous attend près d'elle,
L'amour vous appelle, Pour vous quel espoir!
Il va, subalterne, Portant la giberne,
Dans une caserne,
Gémir dés ce soir, Ce soir.
MARGUERITE, JEUNES FILLES.
O chance cruelle!
Qui sépare d'elle
Son ami fidèle!
Injuste pouvoir!
Il va, subalterne,
Portant la giberne,
Dans une caserne,
Gémir dès ce soir, Ce soir.
DUROZEAU, Mme BANCELIN
O chance nouvelle
Qui nous venge d'elle!
Cette péronnelle
Ne peut plus le voir.
Cela les consterne,
Il va, subalterne,
Dans une caserne
Gémir dès ce soir!
Ce soir!
SERGENT, SOLDATS,
(à Desgrieux)
O chance nouvelle!
Glorieuse et belle,
Viens! l'honneur t'appelle!
Fidèle au devoir.
Sa loi nous gouverne,
Portons la giberne,
Et dans la caserne
Nous boirons ce soir.
Ce soir!
DESGRIEUX
(tenant Manon serrée contre son cur)
Adieu, Manon mon amour et ma vie.
A tout prix, vers toi je reviens!
(à Lescaut)
Mon cousin, je vous la confie!
Veillez sur elle... et veillez. bien!
LESCAUT
(à Desgrieux)
Je défendrai l'honneur de la famille!
LE MARQUIS
(bas à Lescaut)
Songes-y bien!... d'elle tu me réponds,
Et sur l'honneur!
LESCAUT
C'est par là que je brille
TOUS
Partons! partons!
Ensemble
DESGRIEUX
O douleur mortelle! etc.
MANON
(pleurant)
O douleur mortelle!
LE MARQUIS
(regardant Manon)
L'amour qui m'appelle, etc.
LESCAUT
Conquête nouvelle, etc.
MARGUERITE, LES JEUNES FILLES.
O chance cruelle, etc.
DUROZEAU, Mme BACELIN.
O chance nouvelle, etc.
LE SERGENT, SOLDATS.
O chance nouvelle! etc.
(Le sergent et les soldats emmènent Desgrieux
Manon s'appuie pleurant sur Marguerite
Durozeau et madame Bancelin se frottent les
mains. Le marquis sort avec Lescaut)
ACTE DEUXIÈME
(Un petit salon élégant. Porte au fond; deux
portes latérales. Au fond, a droite, une croisée;
sur le premier plan, du même côté, une petite porte
secrète, et de l'autre côté, un canapé)
Scène Première
(Le Marquis assis à droite, près d'une table
couverte de cartons, d'étoffes déployées, etc.
Un valet de chambre achève de labeiller,
tandis qu un autre est debout près de la table)
LE MARQUIS
(tenant un écrin et un carton, s'adressant
au domestique qui est debout)
Je choisis décidément cet écrin
et ces dentelles!
porte-les sur la toilette de ma mère.
Le reste, on le rendra demain aux marchands
qui les ont envoyés... tu m'entends?
(Le domestique sort par la porte
adroite. Avec impatience)
Et toi, Jasmin, as-tu enfin achevé de m'habiller?
(Il se lève, ôte sa robe de chambre qu'il
jette sur un fauteuil, et Jasmin lui passe
son habit et lui présente une épée)
Non, l'autre...
celle à poignée de brillants?
(Tout en mettant son épée, il dit avec humeur)
Voila bien une idée
de grandes dames!
nos duchesses, nos marquises
et ma mère elle-même!...
vouloir que je leur donne un bal, moi garçon,
dans mou hôtel... pour le purifier sans doute!
quant à moi, ce que je trouve
de plus ennuyeux au monde...
(se retournant avec impatience vers Jasmin)
Laisse-moi! tu vois bien que je veux être seul.
(Jasmin sort par la droite. Se promenant)
Ce que je trouve de plus terrible, c'est d'avoir
à s'occuper d'un bal, d'une fête,
d'une chose joyeuse... enfin, quand on est
de mauvaise humeur, contrarié, furieux!...
Faire coucher hier soir mon rival à la caserne,
le l'aire mettre ce matin en prison,
et tout cela pour rien!
une injustice en pure perte!...
Mademoiselle Manon en proie â sa douleur,
Manon qui pleurait son chevalier,
n'a pas même voulu me recevoir!... morbleu!
et Lescaut qui me proposait de l'enlever!...
à quoi bon? pour qu'elle me brave encore
et se rie de mes tendresses!...
N'importe!... je la verrais du moins!
(s'arrêtant)
Ah çà! est-ce que décidément j'en
serais amoureux? moi!... allons donc!...
pour qui me prendrait-on?
Couplets
Premier couplet
Manon est frivole et l légère, Oui, légère!...
et même un peu plus!
Et je veux... je saurai lui plaire
De par l'amour!... ou par Plutus!
(Gaiement)
C'est un caprice, une folie;
Ce n'est rien qu'une fantaisie!
(D'un air triste)
Fantaisie! fantaisie!
Plus forte que l'amour!
Fantaisie! fantaisie!
Qui décide en un jour
Du destin de la vie!
Deuxième couplet
Manon, Manon! mon adorée,
Je brave tout pour tes beaux yeux!
Fût-ce d'une chaîne dorée,
L'amour nous unira tous deux!
C'est un caprice, une folie,
Ce n'est rien qu'une fantaisie!
(Reprenant un air sombre)
Fantaisie! fantaisie! etc.
Scène Deuxième
(Margarite un paquet à la main)
MARGUERITE
(à la cantonade)
Oui, oui, c'est pour madame la marquise.
LE MARQUIS
(vivement)
Ah! c'est Marguerite! quel bonheur!
MARGUERITE
(saluant)
Vous êtes bien bon, monsieur Le Marquis
LE MARQUIS
Je suis heureux de te voir!
tu viens de sa part?
MARGUERITE
(étonnée)
Comment?...
LE MARQUIS
De la part de Manon?
MARGUERITE
Du tout!... Adieu, monsieur.
LE MARQUIS
Où vas-tu donc?
MARGUERITE
Essayer à madame la marquise votre mère,
la robe qu'elle m'a commandée
pour le bal de ce soir.
LE MARQUIS
(avec indifférence)
Ah! c'est pour cela qua tu viens?
MARGUERITE
Avec d'autant plus d'empressement que madame
la marquise a, dit-elle, de bonnes nouvelles
à me donner, concernant Gervais.
LE MARQUIS
C'est bien! que je ne te retienne pas!
(Marguerite s'éloigne : la rappelant)
Marguerite?... as-tu vu Manon aujourd'hui?
MARGUERITE
Je la quitte à l'instant.
LE MARQUIS
Rien triste?
MARGUERITE
Elle chantait et riait dans sa mansarde.
LE MARQUIS
(avec indignation)
Par exemple!...
MARGUERITE
Elle allait voir le chevalier.
LE MARQUIS
(avec satisfaction)
Il est aux arrêts.
MARGUERITE
Raison de plus pour l'aller voir!
on laisse entrer près des prisonniers leurs femmes
ou leurs surs, surtout quand elles sont jolies!...
et l'idée d'aller à la caserne l'enchante!
l'idée de son pauvre chevalier l'attendrit,
de sorte quelle pleure et rit à la fois.
LE MARQUIS
(avec colère)
Morbleu!
MARGUERITE
Vous ne pouvez pas l'empêcher de pleurer.
LE MARQUIS
Si vraiment!
MARGUERITE
Alors, laissez-la rire, ou plutôt,
monsieur Le Marquis ne-vous occupez pas d'elle.
LE MARQUIS
Quand je la vois malheureuse!
MARGUERITE
C'est son bonheur! laissez-lui le sien
et gardez le vôtre
Hier soir, par exemple, et pendant
que ce pauvre Desgrieux se rendait à la caserne...
pourquoi chercher à voir Manon?
LE MARQUIS
Pour la rassurer!... pour la consoler!
MARGUERITE
N'étais-je pas là?
LE MARQUIS
C'est peut-être toi, alors,
qui l'as empêchée de me recevoir?
MARGUERITE
Précisément! est-ce que cela était convenable?...
se présenter à une pareille heure!
vous, jeune, aimable et séduisant...
car vous lêtes beaucoup, monseigneur,
vous le savez bien! et tout ce déploiement
de forces, contre une grisette, une jeune fille sans
appui! ce n'est pas brave!... ce n'est pas bien!
LE MARQUIS
(avec hauteur)
Marguerite!
MARGUERITE
Il vous faut des ennemis plus dignes de vous!
de grandes coquettes habituées
à l'attaque et à la défense!
mais mademoiselle Manon?... qu'est-ce que
c'est?... un caprice!... pas autre chose!
LE MARQUIS
C'est possible! mais rien ne ressemble
à une passion comme un caprice... contrarié.
MARGUERITE
Allons donc!
LE MARQUIS
Rien n'en peut détacher...
MARGUERITE
Qu'un autre, un nouveau!
ce soir, par exemple, toutes les jeunes
et belles duchesses qui ont voulu, dit-on,
voir votre nouvel hôtel.
LE MARQUIS
Oui, pour le connaître.
MARGUERITE
(souriant)
Vous croyez?
(vivement)
Enfin!... supposons que cela soit!
en voilà qui seraient fières de vos hommages!
détournez-les de ce côté, ce sera à la fois
un plaisir et une bonne action!
LE MARQUIS
(souriant)
En vérité!
MARGUERITE
Oui, n'allez plus sur les brisées de ce pauvre
chevalier qui n'a rien au monde
que le cur de Manon!
qu'il le garde, à lui tout seul, si c'est possible!
LE MARQUIS
(allant s'asseoir près de lu table, à droite)
Tu as peut-être raison! rien no dure ici-bas,
et en attendant qu'elle l'oublie...
MARGUERITE
En attendant... je serais généreux tout à fait!
c'est dans votre régiment qu'il est engagé,
c'est parce qu'il voulait, en dépit de la consigne,
sortir ce matin pour voir Manon
qu'on l'a mis aux arrêts...
LE MARQUIS
C'est probable!
MARGUERITE
J'agirais en gentilhomme!
je le rendrais à la liberté, à ses amours... et une
fois qu'ils seront réunis, qu'ils seront heureux...
A quoi pense monseigneur?...
LE MARQUIS
A ce que tu me dis là! c'est un moyen!
C'est une drôle de fille que Manon! Tant que.
le chevalier sera malheureux ou absent...
elle ne pensera qu'à lui et pas à d'autres!
(souriant)
Mais s'il lui était rendu à tout jamais...
MARGUERITE
Eh bien?...
LE MARQUIS
La plupart des femmes n'oublient leurs maris
que parce qu'ils sont toujours là.
MARGUERITE
Mauvaise pensée, monseigneur! mais si elle peut
amener une bonne action, peu importe!
LE MARQUIS
N'est-ce pas?
MARGUERITE
J'accepte votre promesse...
vous délivrerez Desgrieux?
LE MARQUIS
Oui.
MARGUERITE
Vous ne reverrez plus Manon.. jamais...
(Geste du marquis,)
Ou du moins de bien longtemps...
ce qui revient au même, car alors
vous l'aurez oubliée, et moi, pour le bouquet
de fête de votre mère, je vais lui raconter
un nouveau trait de générosité de son fils.
J'ai idée que cela lui fera plus de plaisir
encore que le bal de ce soir.
LE MARQUIS
(la retenant par la main et après
un instant de silence)
Sais-tu que lu es une terrible fille, Marguerite
et qu'au fond tu n'es pas aussi bonne
que tu en as l'air.
MARGUERITE
(avec émotion)
C'est la différence qu'il y a entre nous deux,
monsieur le marquis! Adieu, monseigneur!
LE MARQUIS
Adieu, Marguerite!
Scène Troisième
LE MARQUIS
(seul, la regardant sortir)
Oui, c'est une brave fille!...
déplus, fort agréable...
et certainement Gervais
ne sera pas malheureux!...
Allons, à quoi vais-je penser?
j'ai promis, je tiendrai ma parole.
Il n'en coûte pas tant que l'on croit
d'être honnête homme!...
il y a même du plaisir...
je sens là comme une satisfaction inconnue...
et Marguerite a raison, la résolution
que je viens de prendre doit me porter bonheur!...
(Poussant un cri)
Ah! Manon!... Qu'est-ce que je disais?...
Manon chez moi... à celte heure!
Scène Quatrième
MANON
Ah! quel bonheur de vous trouver!
LE MARQUIS
(avec joie)
Dis-tu vrai?
MANON
Vos gens prétendaient
que vous n'y étiez pour personne.
LE MARQUIS
Je les renverrai tous
MANON
Moi, j'ai répondu qu'il fallait absolument
me laisser entrer, que vous m'attendiez...
LE MARQUIS
C'est vrai, toujours!
MANON
Je n'ai donc pas menti?
LE MARQUIS
Non, car à l'instant encore, je pensais à toi.
MANON
Et moi à vous... comme ça se rencontre!
LE MARQUIS
Ah! dame! Manon...
j'avais promis... j'avais juré...
MANON
Quoi donc?...
LE MARQUIS
Rien! mais si lu viens me tenter...
ce n'est plus ma faute.
MANON
(regardant autour d'elle)
Dieu! que c'est joli ici!
les beaux salons... le beau canapé!...
(s'asseyant sur un canapé à gauche)
Comme on est bien sur celui-ci!...
(Tirant son mouchoir)
Allez, monsieur Le Marquis
j'ai bien du chagrin...
LE MARQUIS
Conte-moi cela...
MANON
(regardant l'étoffe du canapé)
C'est du lampas, n'est-ce pas?
LE MARQUIS
Je n'en sais rien!
MANON
(regardant toujours)
Avec des clous dorés... à la bonne heure,
au moins... au lieu de mes vilaines chaises
de paille... fi donc!...
(se remettant à pleurer)
Imagiez-vous, monsieur Le Marquis
que je viens de la caserne...
LE MARQUIS
Eh bien?
MANON
Pour voir ce pauvre chevalier
que j'aime plus que jamais.
Aussi le cur me battait rien qu'en arrivant dans
la rue, et quand je me suis présentée en faisant
au factionnaire ma plus belle révérence.
« On ne passe pas.
C'est pour voir un prisonnier.
On ne les voit pas.
C'est mon amoureux, monsieur le soldat,
laissez-moi passer,
au nom de votre bonne amie!
vous en avez une... j'en suis sûre... »
Il a souri et il a repris plus doucement :
« On ne passe pas sans permission.
Permission de qui?
Du colonel.
Quel cst-il?
Le marquis d'Hérigny. »
A ce nom, j'ai manqué tomber
de joie et de surprise...
le soldat m'a soutenue,
pauvre garçon! et m'a embrassée...
LE MARQUIS
(avec colère)
Lui!...
MANON
Dame! ce qui tombe dans le fossé est pour...
Je suis partie toujours courant, et me voici!
Et vite, monsieur Le Marquis il n'y a pas de temps
à perdre, donnez-moi un ordre... un permis...
LE MARQUIS
(froidement)
Pourquoi?
MANON
Comment, pourquoi? Mais depuis hier,
depuis un siècle que je ne l'ai vu,
je ne peux pas vivre ainsi... j'en deviendrais folle!
LE MARQUIS
Vous l'aimez donc toujours?...
MANON
Eperdument!
LE MARQUIS
Et moi, ingrate?
MANON
Vous aussi! vous êtes si bon, si généreux,
et puis vous allez me signer ce permis,
et alors je vous aimerai encore plus.
LE MARQUIS
Comme Desgrieux?
MANON
Non!
LE MARQUIS
Comment donc alors?
MANON
Je ne sais! vous avez des manières si gracieuses,
si élégantes, si avenantes, qu'on se sent
dès la première vue attiré vers vous.
LE MARQUIS
Rien de plus?...
MANON
Si vraiment...
(Avec embarras)
On se prend à se dire que vous seriez celui peut-être
à qui on donnerait son cur... si on l'avait!
(gaiement)
Mais on ne l'a plus... alors vous comprenez?
LE MARQUIS
Ah! Manon!
est-ce ma faute si je suis venu trop tard!
si je n'arrive qu'aujourd'hui!
MANON
(riant)
Il fallait arriver hier!
LE MARQUIS
Et demain!
demain ne peux-tu choisir encore?
MANON
Dès qu'on aime, monseigneur,
on ne choisit plus!
Duo
MANON
A vous les dons qui savent plaire,
A vous l'éclat et l'or d'un roi;
Et nous n'avons tous deux sur terre
Que moi pour lui, que lui pour moi!
LE MARQUIS
(souriant)
Si, moins farouche et moins sévère,
Tu jetais un regard sur moi,
A toi, Manon.. ma vie entière,
A toi mon cur, à toi ma foi!
MANON
Si je cédais à ce délire,
Je pairais trop cher mon orgueil!
LE MARQUIS
Trop cher?...
je ne veux qu'un sourire!
Je ne demande qu'un coup d'il!
(Avec amour)
Belle et parée,
Mon adorée,
Tu brillerais,
Quand rose et fraîche,
Dans ta calèche,
Tu t'étendrais!
Robes nouvelles,
Riches dentelles,
Bijoux coquets,
Rendraient ta vie
Douce et jolie
En ce palais!
En ce palais, où je serais
Le plus soumis de tes sujets!
Si tu voulais... si lu voulais...
Manon! Manon! si tu voulais!
Si lu voulais!
MANON
(qui l'a écouté malgré elle avec
plaisir, veut s'éloigner de lui)
Taisez-vous! taisez-vous!
Ce langage est trop doux.
A l'entendre, on s'expose...
De plaisir je frémis!
Je ne veux qu'une chose :
Mon permis! mon permis!
Oui, monsieur Le Marquis Mon permis!
Mon permis!
LE MARQUIS
Tu l'auras! tu l'auras! j'en jure ici ma foi!
Mais un instant... Manon!...
Manon écoute-moi.
Que de prestiges,
Que de prodiges Te souriraient!
Dans nos spectacles,
Que de miracles T'appelleraient!
Rien qu'à ta vue,
La foule émue De tant d'attraits,
Dirait : c'est elle!
C'est la plus belle!
Tu régnerais!
De loin, de près, tu régnerais!
Et je serais en ce palais
Le plus soumis de tes sujets,
Si tu voulais, Si tu voulais,
Manon, Manon si lu voulais!
MANON
(qui s'est bouché les deux oreilles avec sei
doigts, met sa main sur la bouche du Marquis)
Taisez-vous! taisez-vous! etc.
LE MARQUIS
Tu l'auras! tu l'auras!
comment te refuser?
MANON
(avec joie)
D'un cur reconnaissant,
ah! recevez l'hommage!
LE MARQUIS
Eh bien! si tu dis vrai,
j'en demande un seul gage.
MANON
(virement)
Parlez, monsieur, parlez!
LE MARQUIS
Eh bien! un seul baiser.
MANON
Taisez-vous! taisez-vous!
LE MARQUIS
Vois déjà quel courroux?
Je m'arrête et je n'ose...
A tes ordres soumis,
Je ne veux qu'une chose :
Un permis! Un permis!
MANON
(se défendant â peine)
Ah! monsieur le marquis!...
LE MARQUIS
Le mien est à ce prix!
Ensemble
MANON
(a part)
Mais il m'attend.
Et chaque instant
Nous causerait
Double, regret...
C'est par devoir...
C'est pour le voir,
Qu'ici, Manon
Ne dit plus non!
LE MARQUIS
Moment charmant!
Elle se rend!
Elle permet!
Elle se tait!
O doux espoir!
Oui, je crois voir,
Qu'enfin Manon
Ne dit plus non!
LE MARQUIS
(embrassant Manon)
Manon! Manon! J'en perdrai la raison!
C'est trop peu d'un baiser!...
un second... un second!
MANON
(avec impatience)
Alors... alors!... mais dépêches-vous donc!
Ensemble
MANON
(à part)
Car il m'attend, etc.
LE MARQUIS
Moment charmant! etc.
(il l'embrasse et tombe a ses genoux)
Scène Cinquième
(Marguerite rentrant par la porte du fond,
à droite, et s'arrêtent toute effrayée en
voyant le marquis aux genoux de Manon)
LE MARQUIS
(se relevant et à part)
Dieu! Marguerite!
MARGUERITE
(à part)
J'arrive à temps!
(Haut)
Madame la marquise, votre mère, à qui j'ai fait
part de vos généreuses intentions, vous prie,
monsieur Le Marquis
de vouloir bien passer près d'elle...
(Geste d'impatience du marquis)
à l'instant!
je ne fais que vous transmettre ses ordres!
LE MARQUIS
Il suffit... j'y vais,
(à Manon)
Ainsi que je vous l'ai promis, mademoiselle Manon
je reviens vous apporter ce permis...
attendez-moi, de grâce!
(il la salue et sort)
Scène Sixième
MARGUERITE
(vivement, aussitôt que le marquis est sorti)
Ne l'attends pas, et viens-ten!
MANON
C'est un permis dont je ne peux me passer...
pour voir Desgrieux.
MARGUERITE
Il aimera mieux que tu te passes
de la permission...
MANON
Mais il le fallait absolument,
et dans ce cas-là, on fait de nécessité...
MARGUERITE
Vertu!... allons donc! sans moi, tout à l'heure,
Dieu sait ce qui allait arriver...
MANON
Je te jure, Marguerite
que c'était à bonne intention!
MARGUERITE
Et justement!
ce sont les bonnes intentions qui nous perdent!
On se défie des autres, tandis que celles-là,
on s'y laisse aller... on y trouve du plaisir.
MANON
C'est vrai!
MARGUERITE
Quand je te le disais! Monseigneur lui-même
était de bonne foi quand il m'a juré ici ce matin...
de l'oublier... et il n'a pas pu!...
MANON
Le pauvre garçon!
MARGUERITE
Tu le plains! Tu vois bien!...
tu es perdue si lu le revois...
il n'y a qu'un moyen de salut.
MANON
Lequel?
MARGUERITE
Je suis si heureuse, qu'il faut bien
que tu partages mon bonheur!
Madame la marquise possède bien loin de France,
à la Louisiane, des terres, des forêts immenses,
exploitation importante,
qui demande un homme honnête et laborieux...
elle a pensé à Gervais dont je lui avais
si souvent parlé; elle lui a écrit, il y a quelques
jours, au Havre, de s'embarquer à l'instant
sur le Jean-Bart, un vaisseau qui était en partance,
et j'irai, dès demain,
le rejoindre pour partager
ses fatigues, ses travaux...
pour l'épouser!
Tu comprends bien alors que je ne peux garder
ici ni mes pratiques, ni mon état,
je te cède tout cela!
MANON
A moi!
MARGUERITE
Un bel et bon état, une fortune assurée!
avec du travail, de l'ordre, de l'économie;
pas de fausse honte, mets-toi à t'ouvrage :
Aide-toi, le ciel t'aidera!
Madame la marquise, à qui j'ai tout raconté,
te prend sous sa protection, et force son fils
à donner à Desgrieux son congé...
tu l'épouseras, et dès lors tu n'as plus rien
à craindre, rien à faire,
qu'à vivre en honnête femme.
MANON
Mais permets, ma bonne Marguerite..
MARGUERITE
Voilà déjà que tu trouves des difficultés!
MANON
Non, mais monsieur le marquis qui va revenir?
MARGUERITE
Nous ne l'attendrons pas, partons!
MANON
Il sera furieux!
MARGUERITE
De ce que tu es une brave et honnête fille!
Deux de suite qu'il rencontre!...
il peut se vanter d'avoir de la chance!
MANON
Mais le chevalier que nous ne pourrons pas voir
aujourd'hui, car il est aux arrêts!
MARGUERITE
Il n'y sera pas toujours,
nous le verrons demain...
Viens, te dis-je, ne restons pas en ce pavillon,
c'est ici qu'est le vrai danger.
(Elle entraîne Manon et toutes deux vont sortir)
Scène Septième
LESCAUT
(entrant, à moitié gris)
Bonnes nouvelles du chevalier, mon colonel.
MANON
C'est Lescaut!
LESCAUT
Tiens! ma cousine! et la petite couturière!
MARGUERITE
Bonnes nouvelles... disiez-vous?
MANON
De Desgrieux?... parlez donc!
LESCAUT
Quand je dis bonnes nouvelles... je veux dire
mauvaises... cousine... mauvaises pour la famille.
MANON
Comment cela?
LESCAUT
J'allais ce matin à la caserne voir le cousiu...
c'est dans le malheur que les parents
se montrent... et un soldat de son régiment,
à qui j'ai proposé une ou deux bouteilles...
je ne sais pas au juste...
c'est lui qui a payé... m'a appris... que...
MANON
(l'interrompant)
Qu'il est aux arrêts, nous le savons.
MARGUERITE
Et qu'on ne peut pas le voir.
LESCAUT
Aux arrêts!...
ah! bien oui, si ce n'était que cela!...
MANON
Qu'y a-t-il donc?...
LESCAUT
Il y a que, malgré la discipline,
il voulait sortir dès ce matin...
sortir pour voir mademoiselle Manon ma cousine,
dont il était inquiet et jaloux!
MANON
Est-il possible!
LESCAUT
Inquiet! je le conçois! jaloux... non pas!
parce qu'il doit savoir que notre famille...
est vétilleuse... sur le chapitre de la vertu...
MANON
(d'un air suppliant)
Enfin, Lescaut?...
MARGUERITE
(de même)
Achevez...
Vous dites?
LESCAUT
Je dis que les amoureux ne devraient jamais
s'engager... militairement s'entend!...
parce que l'amour est vif comme la poudre,
et la poudre faisant explosion...
MANON
Vous me faites mourir, mon cousin...
(vivement)
Eh bien! le chevalier?...
LESCAUT
Est entré en fureur contre le caporal...
qui voulait l'empêcher de sortir...
et il a lève la main sur un supérieur...
MANON
O ciel!
LESCAUT
Sur un caporal!...
MARGUERITE
Mais il est perdu!
LESCAUT
(froidement)
Fusillé!... pas autre chose!
C'est ce que je venais annoncer au colonel.
MANON
Et moi je cours lui parler.
MARGUERITE
(retenant Manon)
Demeure, le voici!
Scène Huitième
LE MARQUIS
(froidement)
Je reçois à l'instant de graves et d'importantes
nouvelles concernant le chevalier.
MARGUERITE
Ah! monsieur Le Marquis
LE MARQUIS
(de même)
Il suffit! Laissez-nous, Marguerite
il faut que je parle à mademoiselle Manon
MARGUERITE
(inquiète)
Mais, vous laisser avec elle...
LESCAUT
Est-ce que je ne suis pas là... pour protéger
et sauvegarder l'honneur de la famille?...
MARGUERITE
C'est juste!
(bas, à Manon)
Mais prends garde... prends bien garde...
et songe surtout...
MANON
(vivement)
Je ne songe qu'à lui et n'aime que lui!
MARGUERITE
A la bonne heure!
(Elle sort)
LESCAUT
(se rapprochant de Manon)
Soyez tranquille, cousine...
Scène Neuvième
LE MARQUIS
(après un instant de silence)
Lescaut!...
LESCAUT
Mon colonel!
LE MARQUIS
Il y a ce soir bal à l'hôtel;
et il doit y avoir, si je ne me trompe,
un buffet très bien garni... en viandes froides...
et en vins fins...
LESCAUT
Vous croyez?...
LE MARQUIS
Je le suppose!
mais je ne l'empêche pas de t'en assurer
par toi-même; que je ne te retienne pas!
LESCAUT
Et ma cousine?
LE MARQUIS
Sois tranquille;
je reste avec elle.
LESCAUT
Je vous le demande! car avant tout, notre nom
et notre blason...
LE MARQUIS
J'y veillerai...
LESCAUT
A la bonne heure!...
(Sortant por la porte du fond à droite)
Diable! il s'agit ici de marcher droit.
(il sort en chancelant)
Scène Dixième
LE MARQUIS
(froidement)
Daignez m'écouter; Desgrieux après avoir
rudement repoussé le caporal
qui voulait le retenir, a pris la fuite...
MANON
(à part)
Quel bonheur!
LE MARQUIS
Ajoutant ainsi au premier crime
celui de la désertion.
MANON
(effrayée)
Ah! mon Dieu!
que va-t-il devenir?
LE MARQUIS
Rien ne peut le soustraire
au châtiment qu'il a mérité!...
Moi seul, en cherchant bien,
pourrais peut-être trouver un moyen.
MANON
(virement)
Quel est-il? quel est-il?...
parlez! je vous en conjure!
LE MARQUIS
J'ai depuis hier entre les mains
l'engagement du chevalier,
lequel est bien signé par lui...
MANON
O ciel!
LE MARQUIS
Mais pas encore par moi.
MANON
(avec joie)
Je comprends.
LE MARQUIS
Jusque-là, il n'est pas encore soldat.
MANON
(virement)
Et pas coupable... c'est évident! quel bonheur!
vous le sauverez! n'est-ce pas?
LE MARQUIS
(souriant)
A certaines conditions,
qui ne dépendent pas de moi, mais de vous!
MANON
De moi?... lesquelles?...
LE MARQUIS
Je vais vous les dire.
Couplets
Premier Couplet
Je veux qu'ici vous soyez reine.
Que chacun soit à vos genoux, Que 'et hôtel
vous appartienne,
Que pour vous brillent ces bijoux.
(Geste de Manon)
Je le veux!... et vous, mon bel ange,
Vous ne pouvez me refuser,
Car je ne veux rien en échange.
Rien de vous! pas même un baiser.
Sans espoir et sans exigence,
En humble esclave, à vos genoux.
J'attendrai tout dans le silence.
De mes soins, du temps, et de vous.
MANON
(étonnée et baissant les yeux)
Il est de fait... monsieur Le Marquis..
que si vous ne demandez pas autre chose?...
LE MARQUIS
Pas autre chose... pour moi!...
mais pour d'autres, cest diférent!
MANON
Que voulez-vous dire?...
LE MARQUIS
Deuxième Couplet
Je veux qu'une absence éternelle
Eloigne un rival que je hais
Je veux la promesse formelle
Que vous ne le verrez jamais!
(Geste de Manon)
Je le veux!... de votre réponse
Son sort va dépendre aujourd'hui ;
Lorsqu'à vous, hélas! je renonce,
J'entends qu'il y renonce aussi!
Car, sans espoir, sans exigence,
En humble esclave, à vos genoux,
J'attendrai tout dans le silence,
De mes soins, du temps et de vous.
MANON
Quoi! ne plus le revoir!
LE MARQUIS
Par affection pour lui;
pour lui sauver la vie!
MANON
Jamais!
LE MARQUIS
Vous voulez donc qu'il meure?
MANON
(virement)
Non! non!
Scène Onzième
(Lescaut et deux valets entrent)
LESCAUT
Le buffet est splendide...
Voilà comme j'aime les bals... Je viens vous dire
que l'on arrive de tous les côtés...
LE MARQUIS
(à part)
Obligé de recevoir dans un pareil moment...
quel ennui!
(Haut, s'adressant aux domestiques qui
sont restés ou fond)
Que ce pavillon soit réservé...
que personne n'y pénètre...
et rappelez-vous bien que ce n'est plus à moi
(Montrent Manon)
mais à madame...
LESCAUT
(à part, avec joie)
Madame!...
LE MARQUIS
Que chacun doit obéir.
LESCAUT
(de mémé)
Déjà!
LE MARQUIS
(bas à Lescaut)
Oui! elle a daigné accepter ces bijoux,
ces dentelles et cet hôtel qui, désormais,
lui appartient, et dont je te nomme
l'intendant et le majordome!
LESCAUT
A la bonne heure! la famille est donc
enfin traitée selon son rang.
(Regardant les diamants qui sont sur
la table, à droite)
Tout cela est à nous! tout!
LE MARQUIS
(s'approchent de Manon et à demi-voix)
J'enverrai dès demain l'ordre de cesser
les poursuites contre le chevalier...
ce soir, d'autres soins me réclament...
un bal... une fête...
je ne pouvais prévoir, Manon votre arrivée...
chez vous! Je tâcherai de congédier tout ce monde
de bonne heure, et, au lieu de souper là-bas,
je vous demanderai avant de me retirer et de
prendre congé de vous... l'honneur de souper ici...
en ami... sans façon...
Vous me le permettez?...
(Pendant ce qui précède, Lescaut s'est approche
de la table, à droite, et a pris un écrin qu'il
regarde)
LESCAUT
Bijoux de famille!
LE MARQUIS
(aux deux domestiques)
Deux couverts dans ce petit salon,
vous servirez dès que
madame l'ordonnera.
(Se retournant vers Lescaut qui est près
de in table, à droite)
Lescaut!
LESCAUT
(mettant dans son chapeau
l'écrin qu'il tient à la main)
Mon colonel!
LE MARQUIS
Aie soin que l'on choisisse ce qu'il y aura
de plus délicat, de plus recherché.
LESCAUT
Soyez tranquille! je connais le buffet!
(aux domestiques)
Allez!
(Les retenant ou moment où ils vont sortir)
Un instant! après moi, vous autres!
(Il sort suivi des deux domestiques. Le Marquis
après avoir salué Manon se dirige vers le salon
à droite; on entend un commencement d'orage)
LE MARQUIS
(à Manon)
Voici un orage qui se prépare...
et seule ici, vous aurez peur peut-être...
je reste alors...
je reste!
MANON
(vivement)
Non, monsieur Le Marquis
tout ce monde qui vous attend... laissez-moi...
je vous le demande... je vous en prie...
LE MARQUIS
M'en prier!... vous êtes bien bonne...
vous pouviez l'ordonner!
(il la salue respectueusement et sort par la droite)
Scène Douzième
MANON
(seule, Le bruit de l'orage augmente,
puis diminue peu à peu)
Air
Plus du rêve qui m'enivre.
Plus d'espoir!
Ami, c'est mourir que vivre Sans te voir!
Oui, le Coeur bientôt se glace Sans amours,
Semblable au printemps qui passe
Sans beaux jours!
(Elle tombe assise près de la table à droite
sur laquelle elle jette un regard)
Autour de moi que d'opulence!
Hélas! qu'importent à mes yeux et ce luxe...
et cette élégance, Et ces objets si précieux?...
(Ouvrant l'écrin)
Et cet écrin... comme il scintille!
Je m'y connais peu, jeune fille;
Mais â ces feux étincelants,
Ce sont... je crois, des diamants...
Oui... oui... ce sont des diamants!
(Refermant l'écrin)
Mais pour que je les regarde,
Ah! je l'essaierais en vain!
Non, non, non, que Dieu m'en garde,
J'ai pour ça trop de chagrin!
(Pleurant)
Oui, oui, j'ai trop de chagrin!
(Elle se rapproche malgré elle de ta table
à droite et regarde les diamants)
Et vouloir que tout m'appartienne,
Et que j'ordonne en souveraine!
(Sans le vouloir, elle agite la sonnette
sur laquelle elle s'appuyait.
Les deux domestiques paraissent)
LES DEUX DOMESTIQUES.
Que veut madame?...
MANON
Rien!... laissez-moi.
(Les deux domestiques
sortent. Avec satisfaction)
C'est certain,
Tout m'obéit.., mais pour parler en reine,
Ah! j'ai bien trop de chagrin,
(Se mettant à pleurer)
Oui... oui!... j'ai trop de chagrin!
(Elle entend à droite une ritournelle
de danse. Elle essuie vivement ses yeux)
Qu'entends-je O ciel!... eh! oui... du bal
L'orchestre a donné le signal!
(Courant écouter à la porte à droite)
Doux bruit de la danse!
J'entends en cadence Que chacun s'élance...
Le sol retentit.
(Entr'ouvrant la porte)
O joie enivrante!
Leur délire augmente;
Et la foule ardente De plaisir frémit!
De ces pas pleins d'attraits
Que mou âme est émue, Je les suis de la vue,
(Piétinant)
Des pieds je les suivrais...
(Refermant la porte)
Mais... niais pour que je m'y hasarde,
Ah! je l'essairais en vain!
Non, non, non! que Dieu m'en garde,
J'ai pour cela trop de chagrin,
Oui, oui, J'ai trop de chagrin!
(En ce moment l'orage qui avait peu è peu
recommencé reprend avec force et se
combine avec le bruit de danse de
l'orchestre. Montrant la porte à droite)
Et pendant ce joyeux tapage...
(Montrant la fenêtre à droite)
La foudre gronde avec fureur!
Là le sourire... ici l'orage!
Hélas! c'est comme dans mon cur.
Oui, le plaisir et la douleur
Font à la fois battre mou cur!
(Manon va s'asseoir sur le canapé à gauche)
Scène Treizième
(Desgrieux s'élançant dans
l'appartement par la fenêtre à droite)
DESGRIEUX
(apercevant Manon et s'avançant vers elle)
C'est donc vrai!
MANON
(se retourne, l'aperçoit, pousse
un cri et s'élance vers lui)
Toi! mon chevalier.
DESGRIEUX
(la repoussant)
Vous, Manon.. dans ces lieux!...
je ne pouvais le croire.
MANON
Je n'y suis venue que pour te sauver.
DESGRIEUX
(avec ironie)
Oui! Marguerite que je viens de voir...
car c'est chez vous, d'abord, que j'ai couru,
Marguerite m'a conseillé de me hâter.
MANON
Mais je t'ai arraché aux dangers
qui te menaçaient;
j'ai obtenu ta grâce!
DESGRIEUX
Oui vous avait dit de la demander?
tait-ce moi?... et vous avez pu croire
que je l'accepterais à un tel prix?
MANON
On n'en a exigé aucun... je te le jure...
DESGRIEUX
El comment se fait-il alors que vous soyez ici,
à une pareille heure, chez le marquis?
MANON
Je suis chez moi... Lescaut te le dira!
Tout ici m'appartient... tout cela est à moi.
DESGRIEUX
Est-ce qu'une semblable générosité est possible?
à qui persuaderez-vous qu'elle est désintéressée?...
Vous allez tout quitter... tout abandonner...
et me suivre à l'instant...
MANON
Écoute-moi...
DESGRIEUX
(avec force)
Ou je crois tout!
MANON
(vivement et lui prenant le bras)
Viens! partons!
DESGRIEUX
(avec joie)
Est-il possible?...
(Tombant à ses pieds)
Manon.. Manon..
tu m'aimes donc?
MANON
(l'embrassent)
Toujours! et ça ne cessera jamais!
ce que nous deviendrons, je l'ignore!...
si tu fuis, je te suivrai... si tu meurs... je mourrai!
(Gaiement)
Tu as raison, cela vaut mieux...
nous ne nous quitterons pas!
DESGRIEUX
(l'entrainant vers le fond)
Oui, toujours ensemble!... partons!
MANON
Pas par là!
les antichambres sont remplies de domestiques
de la maison, ou de laquais étrangers.
DESGRIEUX
(l'entraînant vers la droite)
De ce côté alors...
MANON
Nous tomberions au milieu
d'un bal magnifique.
Mais cette fenêtre par laquelle tu es monté...
DESGRIEUX
Toi... y penses-tu? dans ce moment,
d'ailleurs, la pluie tombe par torrents,
jamais je ne t'exposerai à une pareille tempête.
MANON
Dans quelques instants cela sera passé...
attendons.
DESGRIEUX
Attendre... ici!...
MANON
Nous le pouvons sans crainte! personne...
je te le jure, n'y pénétrera Sans mon Ordre...
(Regardant Desgrieux qui
s'appuie sur un fauteuil)
Ah mon Dieu! qu'as-tu-donc?
comme tu es pâle... tu le soutiens à peine...
DESGRIEUX
Ce n'est rien!... l'émotion... la fatigue...
MANON
Le besoin, peut-être...
DESGRIEUX
(se soutenant à peine)
C'est possible... car depuis hier...
MANON
(vivement)
Tu n'as rien pris!...
DESGRIEUX
Qu'importe?...
MANON
Ce qu'il importe?
(Voyant qu'il tombe dans un fauteuil)
Ah! mon Dieu!... il se trouve mal!
c'est évident, la fatigue, la faiblesse!
(Elle sonne vivement. Les deux
domestiques paraissent)
Que lou serve! deux couverts et à l'instant!
(Les deux domestiques sortent.
Se retournant vers Desgrieux)
Ami... ami... reviens à toi...
il ouvre les yeux... ses couleurs renaissent.
(Aux domestiques qui viennent de rentrer,
portant une table richement servie
qu'ils placent à gauche)
C'est bien!... laissez-moi,
je n'y suis pour personne!
(voyant leur étonnement)
Ne m'avez-vous pas entendue?
laissez-nous... qu'est-ce qu'ils ont?...
ne dirait-on pas qu'on leur demande des choses...
(Les deux domestiques sont sortis par la
porte du fond qu'ils referment.
Sur la ritournelle du morceau suivant,
Manon va tirer les verrous qui sont à la
porte du fond et à la porte à droite)
Comme cela, je l'espère, on ne nous
dérangera pas! sans cela, il n'y aurait pas
moyen d'être un instant seule chez soi!
Scène Quatorzième
(Desgrieux peu à peu revenu
à lui, et ouvre les yeux)
DESGRIEUX
Ciel! où suis-je?...
MANON
(riant)
A souper chez Manon!
DESGRIEUX
(se levant avec indignation)
Moi! jamais!
MANON
(avec impatience)
Nous souperons d'abord!... nous partirons après;
Je l'ordonne! ou sinon, soit raison:, soit caprice,
Je ne pars plus!...
Tout à l'heure à vos vux Sans hésiter, j'ai
cédé...
Moi, je veux qu'à mou tour l'on m'obéisse!
(avec coquetterie)
Ce que l'on vous demande est-il donc si fâcheux?
Souper auprès de moi!... souper...
rien qu'à nous deux! Vous souriez!
DESGRIEUX
(doucement et d'un ton de reproche)
Manon! mais c'est une folie!
MANON
(gaiement)
Raison de plus!...
(Frappant du pied)
Je le veux! je le veux!
(Manon fait asseoir Desgrieux près d'elle
à la table, et tous deux font face aux spectateurs.
Elle lui déplie sa serviette, le sert, lui verse
à boire, et lai montre la fenêtre que la pluie
vient battre encore)
Couplets
Premier couplet
MANON
Lorsque gronde l'orage, Qui dans le voisinage
Sème partout l'effroi,
Ah! qu'il est doux et sage
D'être dans son ménage Et de souper chez soi!
Buvez, buvez, mon roi, C'est à vous que je bois!
DESGRIEUX
(la regardant tristement et avec tendresse)
Manon!... tu réjouis et mon cur et mes yeux!
MANON
(le regardant)
Alors,
pourquoi cet air sombre, mon amoureux?
(Elle lui tend la main que
Desgrieux saisit avec transport)
DESGRIEUX
Deuxième couplet
O charmante maîtresse,
Qu'avec toi la tristesse S'envole sans retour!
O fée enchanteresse!
Tout pour un jour d'ivresse
Tout pour un jour d'amour!
L'univers est à moi,
Tu m'aimes!... je suis roi!
(A la fin de ce couplet, on frappe
légèrement à l'une des portes dont
Manon a tiré les verrous)
DESGRIEUX
Ecoute donc!... on a frappé...
MANON
Qu'importe?
(Gaiement)
Je n'y suis pas! j'ai défendu ma porte!
Ensemble
MANON, DESGRIEUX
(reprenant à demi-voix le premier couplet)
Lorsque gronde l'orage, Qui dans le voisinage
Sème partout l'effroi,
Quil est prudent et sage
D'être dans son ménage Et de soupe chez soi!
MANON
Buvez, buvez, mon roi, C'est à vous que je bois!
DESGRIEUX
Oui, je suis près de toi.
(L'embrassant)
Je t'aime!... je suis roi!
(Pendant que Manon et Desgrieux assis
pris l'un de l'autre, chantent ensemble ce
couplet, une petite porte secrète cachée
dans la boiserie sur le premier plan
s'ouvre, et parait le marquis sans être
entendu ni vu. Il les regarde un instant,
cherche a contenir sa colère ; mais au
moment où Desgrieux embrasse Manon
il s'avance vivement)
DESGRIEUX, MANON
(l'apercevant et restant stupéfaits
en tenant leur verre a la main)
Le marquis!
LE MARQUIS
(avec ironie)
Desgrieux!...
qui par fraude s'installe
La nuit en mon logis!... la chose est peu loyale.!
Me voler ma maîtresse et son amour... d'accord!
Mais mon souper, monsieur...
ah! vraiment c'est trop fort!
DESGRIEUX
Monsieur, un tel discours...
MANON
(au marquis et lui montrant Desgrieux)
Ah! c'est le méconnaître!
DESGRIEUX
Vous m'en rendrez raison!
LE MARQUIS
(avec ironie)
Raison?... vous plaisantez!
(Il va tirer le verrou de la porte du fond, vet
plusieurs domestiques paraissent. S'adressent
à eux en leur montrant Desgrieux)
Que l'on jette à l'instant monsieur par la fenêtre!
DESGRIEUX
(apercevant l'épée qui, depuis la première
scène, est restée sur la toilette, la saisit, et
faisant reculer les domestiques)
Si vous faites un pas... oui, si vous le tentez...
Je vous châtierai tous!... les gens...
(Montrant le marquis)
Et puis le maître!...
(Regardant fièrement le marquis)
Si quand on le défie, il est trop grand siège
Pour daigner, par le fer, défendre son honneur!
LE MARQUIS
(tirent son épée)
Ah! c'en est trop!
LESCAUT
(paraissant à la porte du fond et voyant
les deux adversaires qui viennent de
croiser l'épée)
Qu'ai-je vu? le fer brille!
(Il s'approche de Manon et lui dit â demi-voix)
Un tel éclat compromet la famille;
Partons!
MANON
Non pas.
LESCAUT
(à part, regardant la table à droite
et frappant sur sa poche)
J'ai dû, c'était prudent,
Sur tous ses intérêts veiller en bon parent.
Ensemble
MANON
Dieu qui vois ma terreur... à toi seul j'ai recours!
Viens et veille sur lui! viens prolonger ses jours!
LE MARQUIS
Oui, pour te châtier, à moi seul j'ai recours.
Défends-toi! défends-toi! car il me faut tes jours
DESGRIEUX
A moi de châtier
tes insolents discours!
Défends-toi! défends-toi!
car il me faut tes jours!
LESCAUT
(à part et frappant sur sa poche)
Diamants! votre éclat a celui des amours,
Et le vôtre, de plus, dure et brille toujours!
DOMESTIQUES DU MARQUIS,
(courant sur le théâtre, ouvrant la porte
du fond et la porte à droite)
Au secours! au secours!
On attente à ses jours!
Le guet! le commissaire!
Au secours! au secours!
CAVALIERS, DAMES
(entrant par la porte à droite)
Au secours! au secours!
Que devenir? que faire?
Au secours! au secours!
(Pendant le chur précédent le marquis et
Desgrieux ont continué à s'attaquer avec
fureur. Tout à coup le marquis pousse un cri,
laisse échapper son épée et tombe dans
les bras de ses amis qui s'empressent de
lr soutenir. Manon s'est jetée au cou de
Desgrieux pâle, hors de lui l'épée sanglante
a la main. En ce moment, Durozeau
commissaire, et un groupe de soldats du
guet, conduits par un sergent, paraissent
à la porte du fond. Les seigneurs et les dames
accourent en désordre et en habit de bal)
TOUS
(poussant un cri)
O ciel!...
(A voix basse avec terreur)
C'est son colonel!
Par lui frappé d'un coup mortel!
(Avec force et montrant Desgrieux)
Non, non, point de grâce!
Lorsque son audace
De si noble race
A versé le sang!
De lui qu'on s'empare,
(Montrant Manon)
Et qu'on les sépare!
Que sa mort répare
Un forfait aussi grand!
DUROZEAU
(aux soldats et au sergent)
De ce drame sanglant,
de cet affreux scandale,
Qu'on arrête tous les auteurs!
(Montrant Manon)
Cette fille d'abord,
qu'ici je vous signale ; Je la connais!
DESGRIEUX
(voulant prendre sa défense)
Monsieur!...
DUROZEAU
(l'interrompant)
La justice, d'ailleurs, Saura l'interroger!
c'est là son ministère!
(Au sergent, montrant Desgrieux)
Quant à lui, tous délais deviendraient superflus...
Emmenez-le, sergent...
car son affaire est claire!
Frapper son colonel!...
LE MARQUIS
(à part)
Non, je ne l'étais plus!
(Il se soulève des bras de ses amis,
tire de son soin l'engagement de
Desgrieux et le déchire en morceaux
sans qu'on l'aperçoive)
Ensemble
MANON
Grâce pour lui... grâce!
La mort le menace,
j'implore sa place et son châtiment!
(Aux soldats qui veulent l'entraîner)
Mais qu'on nous sépare, Ah! c'est trop barbare!
Ma raison s'égare, C'est trop de tourment!
DESGRIEUX
Eh bien! point de grâce!
La mort me menace!
Je l'attends en face
Frappez hardiment.
(aux soldats)
Mais qu'on nous sépare,
Ah! c'est trop barbare.
Ma raison s'égare,
C'est trop de tourment
LESCAUT
Pour ma noble race!
Ah! quelle disgrâce On perdre une place
Qu'ici j'aimais tant!
Le destin avare, Hélas! m'en sépare,
(Frappant sur sa poche. )
Mais tout se répare Avec du talent!
LE CHOEUR.
Pour lui point de grâce!
Lorsque son audace,
De si noble race
A versé le sang!
Do lui qu'on s'empare,
Et qu'on les sépare;
Non, rien ne répare
Un malheur si grand!
(Le guet, les soldats, le commissaire
entraînent Desgrieux et Manon de deux
côtés différents. Le marquis est retombé
entre les bras de ses amis. Désordre général)
ACTE TROISIÈME
Premier Tableau
(Trois mois après, à la Louisiane. Une riche
habitation aux bords du Mississipi et sur la
route qui conduit à la Nouvelle Orléans. A
droite, les bâtiments d'exploitation et la
maison du colon. A gauche, une enceinte de
palissades qui sert de limite et de défense.
Au fond et derrière une rangée de pieux,
on aperçoit les champs et les forêts de
l'Amérique septentrionale, le cours du fleuve,
et dans le lointain les principaux édifices
de la Nouvelle-Orléans qui s'élèvent)
Scène Première
(Des indiens, esclaves nègres, hommes et
femmes y Zaby, entrent do différents côtés
avec empressement)
LE CHOEUR
Jour nouveau vient de renaître,
Et nous gaîment accourir!
Quand esclave avoir bon maître,
Bon maître il aime a servir!
Le défendre et le servir!
Est un plaisir!
(les Indiens et Indiennes amènent sur le
bord du théâtre Zaby, un jeune esclave
nègre, qu'ils prient de chanter)
ZABY.
Oui, moi chanter à vous, chanson du pays, oui.
(il chante pendant que les nègres et les
créoles dansent autour de lui)
Chanson
Mam'zclle Zizi, Mam'zclle Zizi,
Un peu d'espoir Au pauvre noir,
Pitié pour lui!
Le teint n'y fait rien,
Quoique noir, on aime bien.
Soleil ardent de nos climats
Noircit mes traits; mais vois-tu pas
Qu'ardent soleil de nos climats
Jusqu'à mon cur pénètre, hélas!
Ah! ah! ah! ah!
D'amour, d'ennuis Je me péris...
Mam'zclle Zizi, etc.
Souvent Bon blanc Est inconstant,
et pauvre noir toujours aimant!
Comme son teint, l'amour qu'il a
Jamais, jamais ne changera.
Ah! ah! ah! ah!
D'amour, d'ennuis, Je me péris...
Mam'zclle Zizi, etc.
LE CHOEUR
(se retournant vers le fond)
Mais c'est monsieur Gervais
oui, c'est notre bon maître,
Qu'avec sa fiancée
enfin l'on voit paraître.
Scène Deuxième
(Gervais, en habit de noce, et tenant
sous le bras Marguerite avec la robe
banche et la couronne de mariée)
Air
GERVAIS
O bonheur!
O jour enchanteur!
L'amour nous enchaîne!
A moi Sa foi!
Enfin, et non sans peine,
Elle est à moi, Pour toujours à moi!
Sur ces bords étrangers,
Sur celle lointaine rive,
Après tant de dangers
Marguerite enfin arrive.
O bonheur! etc.
O touchant souvenir
Du pays et de l'enfance!
Tous les deux nous unir, C'est encor rêver
la France et son doux souvenir!
O bonheur! etc.
LE CHOEUR
Quel beau jour pour nous va naitre!
Nous boire et nous divertir!
Quand esclave avoir bon maître, etc.
(ils sortent tous et sur le ritournelle du
chur précédent, Gervais los reconduit
en leur parlant)
Scène Troisième
GERVAIS
(à la cantonade)
Oui... ce matin à dix heures... aux premiers sons
do cloches de la chapelle... c'est convenu!
(Revenant près de Marguerite)
Eh bien! ma petite femme,
que dis-tu du local et des environs?
MARGUERITE
Que c'est un beau pays que la Louisiane!
GERVAIS
Et quel beau fleuve que le Mississipi!
c'est quasiment la mer!
MARGUERITE
Oui, c'est'plus grand que la Seine,
mème au Pont-Neuf!...
il ne manque à ce pays que des habitants.
GERVAIS
Tais-toi donc! il n'en viendra que trop!
voilà M. Law, le contrôleur des finances,
qui a mis en actions la Louisiane et le Mississipi,
et pour peu que les Français aient de l'esprit...
MARGUERITE
Ils en ont tant!
GERVAIS
Ils feront comme madame la marquise...
ils troqueront, puisqu'il ne tient qu'à eux,
leurs chiffons de papier de la rue Quincampoix
contre de belles et bonnes terres au soleil...
MARGUERITE
En vérité!
GERVAIS
Depuis trois mois à peine, que j'ai créé,
cette habitation où madame la marquise a voulu
me donner un intérêt... j'ai bien travaillé, par la
mon dieu!... mais je réponds de la fortune
de notre bienfaitrice et de la nôtre...
MARGUERITE
Déjà!...
GERVAIS
Fortune à laquelle il ne manquait que le bonheur!...
tu me l'apportes... le voilà,
et Dieu sait comme tu étais attendue!...
MARGUERITE
Dame! la tempête et les vents contraires
qui nous ont forcés de relâcher si longtemps...
ça ne t'effraie pas, Gervais un mariage
qui commence par une tempête?
GERVAIS
Je les aime mieux avant qu'après!
mais avec toi, Marguerite je suis toujours
sûr du beau temps! Et dis-moi!...
m'apportes-tu des nouvelles de France?
MARGUERITE
Aucune! pas même de ma meilleure amie,
la petite Manon.. à qui j'ai cédé mon fonds
de couturière... pour épouser Desgrieux...
de pauvres enfants que tu ne connais pas...
GERVAIS
Ainsi, tu n'as pas entendu parler
de noire nouveau gouverneur?...
on ne sait pas qui il est?
MARGUERITE
On doit donc en envoyer un?
GERVAIS
Eh oui!
avec des troupes! les établissements
français dans la Louisiane
ont pris une telle importance...
une ville superbe qui s'élève au bord du fleuve,
et qu'en l'honneur du régent...
on appelle la Nouvelle-Orléans.
MARGUERITE
Est-ce loin?...
GERVAIS
A une lieue... en remontant le fleuve...
et si ce n'étaient les tribus sauvages, les Natchez...
qui nous inquiètent parfois...
MARGUERITE
Des sauvages... il y en a donc ici?
GERVAIS
Tiens! à deux pas commence le désert...
mais nous serons bientôt protégés de ce côté
par un fort que l'on construit...
le fort Sainte-Rosalie, auquel
on fait travailler nuil et jour les détenus
qui arrivent de France...
ainsi, rien à craindre;
quant à moi, je n'ai qu'une peur...
MARGUERITE
Laquelle?
GERVAIS
Que notre mariage ne se fasse pas.
MARGUERITE
Quelle idée!... encore une heure...
et tu verras!
d'abord me voilà prête depuis le point du jour.
GERVAIS
Et moi aussi.
MARGUERITE
Monsieur le curé nous attendra à Sainte-Rosalie,
et dès que les cloches sonneront.,.
GERVAIS
Nous nous mettrons en route...
MARGUERITE
(passant son bras dans le sien)
Bras dessus! bras dessous!
GERVAIS
(se retournant)
Hein!... qui vient là nous déranger?...
(à Marguerite)
Tu vois bien déjà!...
Scène Quatrième
(Renaud entrant par la gauche)
RENAUD
(parlant a la cantonade)
Que la charrette attende quelques minutes à la
porte de l'habitation... Bras-de-Fer et Laramée
veilleront sur mes nouvelles pratiques!
(Entrant)
Que diable! on peut bien, par la chaleur
qu'il fait, se rafraîchir d'un doigt de vin...
il y en a ici... et du bon! du vin de France!
GERVAIS
A voire service, monsieur Renaud
(à Marguerite)
C'est monsieur Renaud ancien garde-chiourme,
surveillant des détenus
du fort Sainte-Rosalie...
et qu'on a surnommé Tapefort!
RENAUD
Il faut cela dans la position que j'occupe.
(Faisant le geste d'appliquer des coups
de canne. A Gervais qui lui verse un verre de vin)
Merci, mon voisin! Car si vous Saviez
(Faisant le geste de battre)
combien l'ouvrage est rude pour nous...
GERVAIS
Et pour eux?...
RENAUD
(continuant près de la table à
droite à se verser à boire)
C'est leur état!
(à Gervais)
A votre santé!
GERVAIS
A la leur!
RENAUD
(de même)
J'avais déjà bien assez de monde à gouverner,
lorsqu'est arrivée ce matin au fort Sainte-Rosalie,
une dépêche annonçant qu'un brick venait
de débarquer, à l'embouchure du fleuve,
un chargement considérable,
des provisions pour moi...
GERVAIS
De nouveaux détenus?
RENAUD
Non! cette fois il n'y a que des femmes!
une attention du gouvernement
qui nous les envoie pour peupler la colonie.
MARGUERITE
(s'avançant)
O ciel! ces pauvres femmes!
RENAUD
Allez! elles ne sont pas à plaindre!
elles riaient! fallait les entendre!
excepté une seule qui est jolie...
mais qui pleure toujours!
sans cela, et comme j'ai le droit de choisir,
je la prendrais pour moi!
MARGUERITE
(avec effroi)
O mon Dieu!
qu'est-ce qu'elle a donc fait pour ça?...
RENAUD
C'était, dit-on, la maîtresse d'un grand
seigneur...
qui, dans une querelle... dans une orgie...
aurait été blessé ou tué...
MARGUERITE
Par elle?
RENAUD
(froidement)
C'est possible!... on n'est pas parfait!...
on parle aussi de diamants
qui auraient disparu...
enfin! ça ne me regarde pas...
elle m'a été remise ce matin... avec les autres!
l'envoi était régulier... j'en ai donné un reçu...
et maintenant qu'elle est sous ma garde...
MARGUERITE
(d'un air suppliant)
Vous serez bon pour elle.
RENAUD
(durement)
Pourquoi faire?
MARGUERITE
(de même)
Bon et clément!
RENAUD
(de même)
A quoi bon?
(Avec ironie)
clément!
(Regardant Marguerite)
Qu'est-ce qu'elle a donc, celle-là?
GERVAIS
(vivement)
C'est ma femme!... une femme qui mérite
l'estime et le respect de chacun!
RENAUD
C'est différent! jusqu'ici, je n'avais encore
rien rencontré de pareil dans la société...
GERVAIS
(bas à Marguerite)
Je le crois bien! dans la sienne!
(Regardant à gauche pardessus les palissades)
Ah! mon Dieu! une longue charrette découverte...
RENAUD
C'est mon équipage!
GERVAIS
(regardant toujours)
Exposée à un soleil ardent... et gardée
par une escouade de soldats de la colonie.
RENAUD
Qui ont ordre de faire feu
à la moindre tentative d'évasion...
GERVAIS
Elle est bien impossible!
ces pauvres malheureuses sont attachées
deux à deux par le milieu du corps...
RENAUD
(buvant toujours)
C'est ma méthode à moi, pour fixer la beauté...
GERVAIS
(regardant toujours a gauche)
Eh! mais... je ne me trompe pas... en voilà une
qui penche la tète... elle se trouve mal.
MARGUERITE
(à droite, près de Renaud)
Monsieur!... monsieur!...
ordonnez qu'on la détache...
qu'on puisse Importer quelques secours...
RENAUD
(froidement)
Ce n'est pas dans mes instructions.
GERVAIS
C'est vrai, monsieur Renaud!
(Prenant la bouteille qui est sur la table)
mais la bouteille est vide,
et pendant que vous en boirez une seconde,
on pourra la rappeler à la vie!...
(Marguerite s'élance dans la cave à droite)
RENAUD
(souriant)
Une seconde bouteille, dites-vous?
GERVAIS
Oui! vous consentez, n'est-ce pas?
RENAUD
(remontent vers le fond et parlant á la cantonade)
Qu'on détache cette femme, et qu'on l'amène!
GERVAIS
Et puis qu'on mette la charrette là-bas, à l'ombre
sous ce grand hangar...
ainsi que les soldats qui ne la quitteront pas.
(Marguerite sort vivement de la cave dont
elle laisse la porte ouverte, et place une
bouteille sur la table devant Renaud)
RENAUD
(la débouchant)
Vous faites de moi tout ce que vous voulez,
madame Gervais!
(Levant son verre)
Hommage à la vertu!
Scène Cinquième
(Manon en robe de bure de couleur brune,
amenée de la gauche par deux negres qui
la soutiennent. Gervais lui approche une
chaise sur laquelle on l'assoit, et Marguerite
lui humecte le front et les tempes avec de l'eau
fraîche. Manon qui a tenu la tète penchée sur
sa poitrine, revient n elle peu à peu, relève la tète,
aperçoit Marguerite debout près d'elle en robe
blanche avec le bouquet et la couronne de mariée
toutes deux poussent un cri en même temps)
MARGUERITE
Dieu tout-puissant!
MANON
Dieu juste!
MANON, MARGUERITE
Ah! qu'est-ce que je vois?
MANON
(à Marguerite qui veut se jeter dans
ses bras, et à demi-voix)
Ne me reconnais pas, Marguerite
et pour toi,
tais-toi, tais-toi!
Scène Sixième
(On entend dans le lointain sonner les cloches
de la chapelle. Les Indiens, les nègres et
négresses accourent de tous côtés en dansant et
en se donnant le bras; ils entourent Gervais et
Marguerite a qui ils offrent des bouquets)
CHOEUR
(vif et bruyant)
Plaisir et joyeuse ivresse!
Le ciel, dans cet heureux jour,
Récompense la sagesse et le travail et l'amour!
(Manon se détourne et cache
sa tète dans ses maint)
UN NEGRE, UNE CREOLE
(à Gervais et à Marguerite)
Entendez-vous à la chapelle
Les doux époux que l'on appelle?
LE NÈGRE.
Bon cure vous attend.
LA CRÉOLE.
Et le bonheur aussi,!
GERVAIS
(prenant le bras de Marguerite qui
voudrait rester près de Manon)
On nous attend; partons... partons...
MARGUERITE
(résistant)
Mais... mon ami...
GERVAIS
Qu'as-tu donc?
MARGUERITE
Bien.
GERVAIS
Alors, viens vite.
MARGUERITE
(regardant toujours Manon)
Mais... c'est que...
GERVAIS
(vivement)
Tu le vois... je l'ai dit... elle hésite...
MARGUERITE
(vivement)
Moi! par exemple!...
GERVAIS
Eh bien?
MARGUERITE
(s'adressent a Renaud avec hésitation)
Pendant l'ardeur du jour... Si vous vouliez, ici,
jusqu'à notre retour, Attendre... à l'ombre!...
et du repas de noce Accepter votre part?
GERVAIS
(avec humeur à Marguerite)
Quoi, tu l'inviterais?...
RENAUD
Si ce n'est pas trop long...
MARGUERITE
(a part, avec joie)
Le voilà moins féroce.
RENAUD
La consigne un instant pourra s'oublier...
mais C'est pour vous, madame Gervais
(Levant son verre)
Hommage à la vertu!
LE CHOEUR.
Plaisir et joyeuse ivresse, etc.
(Gervais suivi des Indiens et des nègres,
entraine Marguerite dont il a pris le bras,
et qui sort en adressant à Manon des
regards d'amitié et de consolation)
Scène Septième
RENAUD
(suivant la noce des yeux)
Se marier!!... voilà une drôle d'idée!...
ce Gervais est un original!... enfin!...
il y en a comme ça... il en faut!
(Se retournant vers Manon qui,
assise è droite, cache toujours
sa tète dons ses mains)
Ah çà, dites donc, la belle éplorée...
ça commence à m'ennuyer... d'autant que
je veux bien te l'avouer...
j'ai des vues sur toi...
mais faut en être digne et mériter
ton bonheur par un air plus jovial!...
(Entendant du bruit et saisissant sa canne)
Hein? qu'esl-Ce que c'est?...
est-ce qu'on n'est pas content là-bas?
(s'appuyant sur la palissade et regardant)
Ah! c'est encore le même... il menace...
non... il supplie nos soldats... un jeune voyageur...
jolie tournure... tenue de gentilhomme, qui,
depuis trois lieues environ, et par le soleil
qu'il fait, suit de loin, à pied, et toujours courant,
notre charrette dont nos soldats l'empêchaient
d'approcher! Quel diable de plaisir!
lui, qui n'y est pas forcé! par la mon dieu!
à qui en veut-il?...
Je le saurai!
(Criant par-dessus la palissade)
Laissez-le passer!
Scène Huitième
{Desgrieux entre vivement par la porte à
gauche, regarde autour de lui aperçoit
Manon qui, au bruit de ses pas, lève la tète)
Trio
DESGRIEUX
(poussant un cri)
Manon!
MANON
(de même)
C'est lui!
DESGRIEUX
C'est elle!
MANON, DESGRIEUX
(se jetant dans les bras l'un de l'autre)
Enfin, te voilà! te voilà!
RENAUD
(à part, les regardant)
Quelle ardeur!...
(Haut)
C'est assez! à mon devoir fidèle,
Je dois vous séparer!
MANON, DESGRIEUX
Déjà!
RENAUD
Sur-le-champ! ou j'appelle!
DESGRIEUX
Ah! monsieur l'inspecteur, quelques instants
encor, Cinq minutes!
RENAUD
Discours frivole!
DESGRIEUX
Dussè-je les payer, monsieur, au prix de l'or!
RENAUD
(riant)
Ta, ta, ta, ta! c'est bon pour la parole!
DESGRIEUX
(avec chaleur)
Un louis d'or par minute?
RENAUD
(vivement)
Comptant!
DESGRIEUX
(portant la main à son gousset)
Les voici!
RENAUD
C'est différent!
DESGRIEUX
(les sortant de sa poche)
Les voici! les voici!
RENAUD
(tirant sa montre)
Quand on est ponctuel, moi, je le suis aussi.
DESGRIEUX
(comptant des pièces d'or sur la table à gauche)
Un, deux, trois, quatre, cinq!
(Quittant Renaud qui met les louis dans
sa poche, et courant près de Manon)
C'est toi, ma bien-aimée!
MANON
Toi, l'ami de mon cur!
DESGRIEUX
Mon âme ranimée
S'ouvre encore au bonheur!
MANON
Par toi l'infortunée
Dont on flétrit les jours,
N'est pas abandonnée...
DESGRIEUX
Moi! je t'aime toujours!
Tu le vois bien... toujours!
RENAUD
(tirant sa montre et comptant les minutes)
Une!
DESGRIEUX et MANON
Le malheur, l'infamie,
En vain brisent nos jours;
A toi, mon sang, ma vie!
A toi mes seuls amours!
A présent et toujours,
A toi mes seuls amours!
Toujours! toujours! toujours!
RENAUD
(comptant toujours)
Deux!
DESGRIEUX
(à Manon)
Le Marquis par moi, frappé d'un coup fatal,
Lu déchirant l'écrit signé par son rival,
M'a d'un cur généreux préservé du supplice!
RENAUD
(de même)
Trois!
DESGRIEUX
Sorti de prison!...
et libre, libre enfui,
Je te cherchais!...
Une horrible injustice
Te condamnait à ce climat lointain!
Sur le navire où l'on t'avait placée Je pris passage!
MANON
(avec reconnaissance)
Toi!
DESGRIEUX
Mais vois quel sort affreux!...
RENAUD
(de même)
Quatre,
DESGRIEUX
Près l'un de l'autre, et séparés tous deux,
Impossible, pendant toute la traversée,
Toi, prisonnière, toi, soustraite à tous les yeux,
De l'entrevoir... de te parler'... et toi?
Que faisais-tu?
MANON
Moi! je pensais à toi!
RENAUD
(regardant sa montre)
Cinq!
(S'approchent d'eux)
Cinq minutes!
DESGRIEUX, MANON
Ciel!
RENAUD
(brutalement)
Allons, qu'on se sépare!
MANON
(avec désespoir)
Déjà!
DESGRIEUX
(de même)
Déjà!
Quand j'avais tant encor de choses à te dire!
RENAUD
(brusquement)
Allons, qu'on se sépare! Sinon... j'appelle!
MANON
Ah! barbare! barbare!
DESGRIEUX
(frappant sur ses poches et poussant un
cri de joie, en s'adressent à Manon)
Rassure-toi!
je crois qu'il me reste de l'or!
RENAUD
(d'un air défiant)
En êtes-vous bien sûr?
DESGRIEUX
(tirant quelques pièces de sa poche)
La fin de mon trésor!
(Les comptant dans le chapeau de Renaud)
Un, deux, trois, quatre, cinq.
(Avec joie)
Pour nous quel heureux sort!
(Courant près de Manon;
reprise du premier motif)
O toi, ma bien-aimée!
MANON
Toi, l'ami de mon cur!
DESGRIEUX
Mon âme ranimée
S'ouvre encore au bonheur!
MANON
Par toi l'infortunée
Dont on flétrit les jours,
N'est point abandonnée!
DESGRIEUX
Moi! je t'aime toujours!
RENAUD
(regardant sa montre et comptant)
Une!
MANON, DESGRIEUX
Le malheur, l'infamie, etc.
RENAUD
(comptant sur sa montre)
Deux!
DESGRIEUX
J'oubliais l'important... cet écrin...
Tu sais...
MANON
Qu'on m'accusait
d'avoir fait disparaître!
Quelle infamie!
DESGRIEUX
Eh bien!
Je ferai reconnaître La vérité!
RENAUD
(comptant)
Trois!
DESGRIEUX
Oui! c'est Lescaut ton cousin!
Depuis j'en eus la preuve!
En France on écrira,
Et justice l'on nous rendra!
O toi ma bien-aimé!
MANON
O l'ami de mon cur!
DESGRIEUX
Sois enfin ranimée
Par l'espoir du bonheur.
MANON, DESGRIEUX
Enfin la destinée
Semble offrir à nos jours,
Chance plus fortunée
Et riantes amours!
RENAUD
(comptant toujours)
Quatre!
MANON, DESGRIEUX
Sur ton bras je m'appuie,
Et quels que soient nos jours,
A toi mon sang, ma vie!
A toi mes seuls amours!
A présent et toujours,
A toi mes seuls amours!
Toujours! toujours! toujours!
RENAUD
(regardant sa montre)
Cinq minutes!
DESGRIEUX, MANON
O ciel!
RENAUD
(montrant la montre à Desgrieux)
Cinq! vous le voyez bien!
Il faut partir!
DESGRIEUX
Et rien! il ne me reste rien!
Ensemble
DESGRIEUX
(à Manon qu'il presse
contra son cur)
O barbarie!
Te perdre encor,
Toi, ma chérie,
Mon seul trésor!
Tu resteras,
Dût le trépas
M'atteindre, hélas!
Entre tes bras!
MANON
O barbarie!
Te perdre encor,
Mon bien, ma vie,
Mon seul trésor!
Tu resteras,
Dût le trépas
M'atteindre, hélas!
Entre tes bras!
RENAUD
(comptant les louis d'or)
Un, deux, trois, quatre, cinq,
six, sept, huit, neuf et dix,
Les beaux louis,
Qu'ils sont jolis!
(Montrant son gousset)
En ce logis,
Mes chers amis,
Soyez admis!
(S'adressent à Desgrieux et à Manon)
Assez causé! la loi condamne
L'amour exclusif qui vous tient.
(Montrant Manon)
De droit, cette belle appartient
Aux colons de la Louisiane!
(Geste d'indignation de Desgrieux)
Rassurez-vous,
c'est moi qui la prends pour sultane!
DESGRIEUX
(le prenant au collet et le secouant)
Misérable!... crains mon courroux!
RENAUD
M'oser toucher!
(Courant prendre sa canne)
A genoux!
(S'avancent sur Desgrieux
et sur Manon la canne haute)
Tous les deux... à genoux!...
Ou je vous brise sous mes coups!
(Desgrieux tire de sa poche un pistolet
dont il présente le canon à Renaud qui
s'arrête immobile et abaisse sa canne.
En ce moment, Marguerite entre par le
fond à droite, mais elle n'avance pas
et reste cachée derrière la porte de la
cave qui est demeurée ouverte)
Ensemble
DESGRIEUX
(toujours menaçant Renaud qui recule
pas à pas)
Si tu t'avances,
Je punis, moi,
Tes insolences.
Tais-toi! tais-toi!
N'appelle pas,
Et pas un pas,
Ou, de mon bras,
Crains le trépas!
RENAUD
(reculant toujours vers la droite)
Fatale chance!
Je meurs d'effroi;
Et si j'avance,
C'est fait de moi!
Ne faisons pas
Vers eux un pas;
N'appelons pas,
Ou le trépas!
MANON
(pris de Desgrieux à gauche)
Quelle imprudence!
Modère-toi.
Plus d'espérance,
Je meurs d'effroi.
(A Renaud)
N'avance pas,
N'appelle pas, Ou, de son bras,
Crains le trépas!
MARGUERITE
(au fond, et derrière la porte de la cave)
Quelle imprudence!
Je meurs d'effroi.
Mais du silence,
Et restons coi.
N'avançons pas;
Mais sur son bras,
Mais sur leurs pas,
Veillons, hélas!
(Desgrieux présente toujours le pistolet à
Renaud qui recule devant lui, jusqu'aux
premières marches de la cave.
Au moment où il y entre, Marguerite qui
est derrière la porte la pousse, enferme
Renaud et se trouve face à face avec
Manon et Desgrieux étonnés)
Scène Neuvième
MARGUERITE
(à Desgrieux et à Manon qu'elle
regarde en se croisant les bras)
C'est donc vous que je revois... aussi insensés
et aussi malheureux que par le passé!
DESGRIEUX
(vivement et montrant Manon)
Elle n'est pas coupable! croyez-moi bien!
MARGUERITE
Mais vous l'êtes tous les deux
en ce moment envers M. Renaud
dont la vengeance sera implacable!...
Sur sa seule déclaration, on vous condamnera
sans vous entendre...
il n'y a pas de justice en ce pays!
et il y en aurait, que bien souvent encore...
(s'interrompent)
Enfin... il faut vous cacher...
mais ici... impossible!
DESGRIEUX
(montrant Manon)
Je l'emmène!
MARGUERITE
Où ça?
DESGRIEUX
Au fort Saint-Laurent, où j'ai des amis;
là, nous serons en sûreté.
MARGUERITE
Mais pour y arriver,
il faut traverser le désert.
DESGRIEUX
Qu'importe!...
MARGUERITE
Mais sans parler d'autres dangers,
comment sortir d'ici?
DESGRIEUX
Je suis libre!
MARGUERITE
(à Desgrieux)
Vous!...
(Montrant Manon)
mais elle?
MANON
(montrant la palissade à gauche, par-
dessus la quelle elle vient de regarder)
C'est vrai!... de ce côté, mes gardiens.
DESGRIEUX
(montrant la droite)
Et de celui-ci?...
MARGUERITE
C'est une fatalité! un détachement de soldats
vient d'arriver au-devant du gouverneur
dont on a signalé le vaisseau
et qui doit débarquer aujourd'hui...
MANON
(avec désespoir)
O mon Dieu! mon Dieu!
DESGRIEUX
(avec frayeur et regardant à droite)
On vient!... on vient...
MANON
(courant se jeter dans les bras de Desgrieux)
C'esl fait de nous!
MARGUERITE
Non!... c'esl mon mari!
Scène Dixième
GERVAIS
(allant à Marguerite sans
voir Desgrieux ni Manon)
Enfin, et non sans peine, ma femme est à moi,
et maintenant je ne la quitterai plus!
MARGUERITE
Si vraiment!
GERVAIS
(étonné)
Que dis-tu?
MARGUERITE
Qu'il faut parler!
GERVAIS
Moi!...
MARGUERITE
Sur-le-champ!
GERVAIS
El pourquoi?
MARGUERITE
Pour sauver des amis!... des amis malheureux
qui ne méritent pas leur sort!
et une bonne action, un jour de noce...
ça commence bien un ménage!
ça lui porte bonheur!
GERVAIS
Mais songe donc...
MARGUERITE
(vivement)
Et puis, tu seras revenu ce soir!
qu'est-ce que je dis donc?... bien avant!
GERVAIS
(se grattant l'oreille)
J'entends bien! c'est l'essentiel...
mais cependant...
MARGUERITE
Rien! bien!
tu consens!
GERVAIS
(après avoir un instant hésité)
Eh bien! oui...
(il embrasse Marguerite)
MARGUERITE
Où sont les soldats qui viennent
d'arriver de la ville?
GERVAIS
Dans la grande salle... où ils se reposent...
MARGUERITE
(à Desgrieux)
Celle grande salle... qu'il faut traverser...
GERVAIS
Et puis à la porte de l'habitation
ils ont placé plusieurs factionnaires.
MARGUERITE
(de même, à Desgrieux)
Devant lesquels il faudra passer...
MANON
(montrant son costume)
Et avec moi, c'est impossible.
MARGUERITE
Peut-être!
Quatuor
MARGUERITE
Courage! amis, Dieu nous regarde.
Avec nous il est de moitié.
Marchons sans crainte sous la garde
De l'amour et de l'amitié!
(à Desgrîeux)
Veillez au loin!
(à Manon)
Et nous... de cette robe brune,
Triste souvenir d'infortune,
Défaisons-nous d'abord...
(á Gervais qui s'avance)
Toi, ne regarde point...
MANON
(à Marguerite qui dénoue sa robe)
Mais quel est ton dessein, ma chère?
MARGUERITE
(détachant toujours la robe de Manon qui
reste en jupe de dessous blanche)
Qu'on ne raisonne pas et qu'on me laisse faire;
C'est là, pour moi, le premier point.
(Otant de sa tête à elle la
couronne et le voile de mariée)
Que ce long voile blanc te couvre... t'environne
Et le dérobe aux regards curieux!
Pour mieux l'assujettir, plaçons cette couronne...
MANON
(la repoussant)
Y penses-tu?
MARGUERITE
(avec impatience)
Je le veux! je le veux?
MANON
Qui? moi! porter ce noble signe?
Non! non! mon front n'en est pas digne!
MARGUERITE
Deux vertus l'ont purifié.
(Montrant Manon)
Le repentir!...
DESGRIEUX
(montrant Marguerite)
Et l'amitié!
Ensemble
TOUS LES QUATRE.
Du courage! Dieu nous regarde! etc.
MARGUERITE
(à Gervais lui montrant Manon à qui elle a
donné sa couronne et son bouquet de mariée)
Toi, maintenant, traverse la grand' salle,
Tenant ta femme sous le bras!
(à Desgrieux)
Vous, suivez-les... vous verrez nos soldats,
Du costume admirant la blancheur nuptiale,
(Montrant Manon)
Avec respect s'incliner sur ses pas!
GERVAIS
Mais ceux en faction
m'inspirent des alarmes...
MARGUERITE
(gaiement)
Devant les mariés ils porteront les armes.
(à demi-voix à Gervais)
Lorsque loin du danger tu les auras conduits,
Reviens!... pour qu'on te paie!
GERVAIS
(avec joie)
Oui! oui! je me dépêche!.
MARGUERITE
(au chevalier)
Et vous, pour le désert, tenez...
prenez ces fruits!
Emportez surtout cette eau fraîche.
(Lui présentant un panier de
provisions dont Gervais se saisit.
Gaiement et avec émotion)
Et maintenant... partez! mes trois amis.
Ensemble
TOUS LES QUATRE.
Du courage! Dieu nous regarde! etc.
(Gervais donnant lo bras a Manon
sort par la porte du fond à droite.
Desgrieux marche derrière eux)
Scène Onzième
MARGUERITE
(regardant par la porte qui est restée
ouverte et les suivant des yeux)
Ils s'avancent dans la salle... bien!
je m'en doutais!...
l'officier les salue... les soldais aussi!
ils sortent... aucun obstacle...
(Écoutant)
Toul aura réussi... car je n'entends rien!
(On entend un coup de canon)
Ah! mon Dieu!... Un coup do canon!...
est-ce pour signaler leur fuite!...
(Écoutant à gauche)
De Ce Côté quels Cris!...
(Écoutant à droite Renaud qui frappe
avec force á la porte de la cave)
Et de Celui-ci, quel tapage!
(Elle va ouvrir)
Scène Douzième
(Renaud apparaissant
sur le pas de la porte)
MARGUERITE
(jouant l'étonnement)
Dieu! monsieur Renaud!...
Par quel hasard étiez-vous là,
dans notre cave?
RENAUD
(avec colère)
J'y étais... j'y étais...
MARGUERITE
Pour chercher la fraîcheur?
RENAUD
(de même)
Non!
MARGUERITE
Pour chercher du vin!...
Il fallait nous le dire.
RENAUD
(brusquement)
Il s'agit bien de cela...
N'entendez-vous pas le bruit du canon?...
MARGUERITE
(avec effroi)
Eh bien?...
RENAUD
C'est le nouveau gouverneur qui débarque en
ce moment, le marquis d'Hérigny.
MARGUERITE
(poussant un cri de joie)
Le marquis d'Hérigny! vous en êtes sûr!...
RENAUD
(sortant vivement)
Eh oui! celui que le régent vient de nommer!
MARGUERITE
Ah! quel bonheur!...
Manon! Desgrieux! vous êles sauvés!
(Elle sort en courant par le fond)
Deuxième Tableau
(L'entrée d'une forêt dans
un désert de la Louisiane)
Scène Treizième
(Desgrieux, pale et blessé, soutient
Manon qui marche over peine.
Tous deux s'avancent lentement.
Duo
DESGRIEUX
Errants, depuis hier dans ces steppes sauvages
Nous avons de notre chemin Perdu la trace!
MANON
Et de ce ciel d'airain
L'ardeur me brûle!
DESGRIEUX
(lui montrant l'entrée de la forêt)
Viens! cl cherchons des ombrages
Là-bas sous ces forêts!... encore quelques pas!
MANON
C'est trop loin! je ne peux!... et puis...
je n'ose pas!
Romance
Premier Couplet
Je crois encor de ce tigre sauvage
Entendre le rugissement!
Tu m'as sauvée... ami, par ton courage!
(Montrant le bras de Desgrieux qui est
taché de sang)
Mais te fut au prix de ton sang!
Dans ces déserts la terreur m'environne.
Et j'ai beau faire... malgré moi...
(Portant la main à son cur)
Je me sens là mourir!
(Avec amour)
Non, non, pardonne!
(Se serrant contre lui)
Je suis bien!... je suis près de toi!
Deuxième Couplet
Autour de nous la solitude immense
S'étend toujours... toujours... hélas!
Et du désert rien ne rompt le silence... Rien!...
que le bruit sourd de nos pas!
Ce ciel de feu qui sur nos fronts rayonne
M'anéantit!...
Et malgré moi Je me sens là mourir...
(Avec amour)
Non, non, pardonne!
Je suis bien!... je suis près de toi!
(Elle le presse dans ses bras)
Mais toi-même?
(Le regardant)
O ciel! il chancelle!
(Elle l'aide à s'asseoir sur un quartier
de roche. Regardant sou bras)
Sa blessure d'hier!...
Une pâleur mortelle Couvre son front!
(Elle prend la gourde et lui
fait boire le peu d'eau qui y reste)
Reprends tes sens, ami!
(Le regardant)
Il revient... il renaît!
DESGRIEUX
(ouvrant les yeux)
Merci! merci!
(Se levant)
Ce n'était rien!... marchons, ma bien-aimée;
Le pourras-tu?
MANON
(s'efforcent de paraître forte)
Mais oui... je m'appuierai sur toi!
DESGRIEUX
(prenant la gourde)
Tiens! par cette eau d'abord
que la soif soit calmée!
(Avec terreur)
Plus rien!... rien!
MANON
(souriant)
A quoi bon?...
je n'ai pas soif!... crois-moi.
Ensemble
MANON
(s'efforçant de sourire)
Je ne souffre plus! je respire!
Je suis renaître, avec bonheur,
et sur mes lèvres le sourire,
Et l'espérance dans mon cur.
DESGRIEUX
Son sein plus doucement respire!
Je vois renaître, avec bonheur,
Et sur ses lèvres le sourire.
Et l'espérance dans son coeur.
(A la fin de cet ensemble, Manon qui
a jusque-là cherché à se contra
succombe à ses souffrances. )
DESGRIEUX
(se précipitant vers elle)
Ah! qu'as-tu donc?...
MANON
Ma force expire.
Je succombe!... va-t'en! va-ten!
DESGRIEUX
Qu oses-tu dire?.,.
MANON
(mourante)
Cest ici que ma vie...
Doit s'éteindre... et finir.
Va-t'en, je t'en supplie,
Et laisse-moi mourir!
DESGRIEUX
(avec force)
Non, non... unis pendant la vie,
La mort doit nous unir!
A tes côtés, amie,
Je reste pour mourir,
(il soutient dans ses bras et étend sur
le sol Manon qui n'a pas quitte sa main et
qui l'attire vers elle)
MANON
(à Desgrieux qui se
penche pour l'écouter)
Plus près... plus près encore...
un seul instant me reste.
(joignant les mains)
Pardonne-moi les maux
qu'hélas! je t'ai causés.
Je n'ai jamais aimé que toi...
je te l'atteste :
Que par ce mot mes torts
soient excusés!
Ensemble
MANON
Oui... je sens... que ma vie
va s'éteindre et finir...
Va-t'en, je t'en supplie!
Et laisse-moi mourir!
DESGRIEUX
Unis pendant la vie,
La mort doit nous unir!
A tes côtés, amie,
Je reste pour mourir!
(sanglotant)
Mon cur se brise!
MANON
Allons! sèche les pleurs,
Je suis heureuse, ami,
car dans tes bras je meurs,
Et n'aurais dans mon âme Rien...
rien à désirer!... si je mourais ta femme!
DESGRIEUX
(avec exaltation)
Ce sera!...
par le Dieu qui doit lire en nos curs!
MANON
Et comment? seuls, ici?...
dans ce désert immense...
DESGRIEUX
(de même)
Où tout d'un Dieu vivant
atteste la puissance!
Dans ces vastes forêts
Dont les dômes épais
Nous serviront de temple,
A la face du ciel
Et devant l'Eternel,
Qui tous deux nous contemple,
À genoux! à genoux!
(Manon se soulève, s'appuie
d'une main sur In terre et lève
l'autre au ciel)
Mon Dieu,
jette sur nous un regard favorable!
MANON
(priant à demi-voix)
Pardonnez-nous!
DESGRIEUX
Tu fis du repentir
la vertu du coupable!
MANON
Pardonnez-nous!
DESGRIEUX
Le malheur châtia notre coupable flamme.
MANON
Pardonnez-nous!
DESGRIEUX
Accepte nos serments,
et qu'elle soit ma femme!
(Les harpes retentissent a l'orchestre
comme annoncent la réponse qui
descend du ciel)
MANON
(avec exaltation)
Sa femme!... je suis sa femme!
Comme un doux rêve.
Ce jour s'achève.!
Mon cur s'élève
Vers l'Eternel!
Je suis sa femme!
Je sens mon âme.
Rayon de flamme,
Monter au ciel.
Oui... je vais... moi, ta femme,
T'attendre dans le ciel!
(Sa voix expire, sa tète
tombe sur sa poitrine)
DESGRIEUX
(au désespoir, se jette sur son corps, baise
ses mains, ses cheveux, la regarde, lui
parle et veut se faire entendre d'elle)
Manon! Manon..
c'est moi qui t'appelle et qui t'aime;
Ecoute-moi!... réponds!
(Avec désespoir)
Soins superflus Rien! rien!...
ton cur du moins...
(Il met la main sur son cur et écoute
quelque temps, puis s'écrie, éperdu et
hors de lui)
Ah! son cur même
Ne me répond plus!
(On entend au loin dans le désert un
air de marche. Desgrieux se relève
et écoute)
Qu entends-je? ô ciel '
Scène Quatorzième
MARGUERITE, GERVAlS
(entrant les premiers et apercevant
Manon et Desgrieux)
Les voilà! ce sont eux!
(Courant à eux)
Sauvés!
GERVAIS
(à Desgrieux)
Le gouverneur, ennemi généreux...
MARGUERITE
(à Manon)
M'envoie, et c'est enfin le bonheur qu'on t'apporte!
(Se penchant sur le corps de Manon)
Libre... justifiée... entends-tu?...
DESGRIEUX
(montrant Manon)
Morte!
TOUS
(avec effroi)
Morte!
(Les uns s'entourent et se penchent vers
elle, d'autres se mettent à genoux et
prient)
TOUS
Pauvre enfant, que l'orage
Brisa sur son passage.
Tu cesses de souffrir!
Et Dieu, dans sa clémence,
A placé l'espérance
Auprès du repentir!
|
ACTO
PRIMERO
Cuadro Primero
(Una buhardilla. Puerta a la izquierda;
en primer plano, una mesa y dos sillas)
Escena Primera
(Lescaut luego el Marqués)
LESCAUT
(después de llamar varias
veces, abre la puerta y entra)
¡No responden! La llave está en la cerradura...
Creo, señor marqués,
que podemos entrar.
EL MARQUÉS
(entrando)
¡No hay nadie, y la puerta está abierta!
Los ocupantes de esta buhardilla
deben ser muy confiados.
LESCAUT
¡O no tienen nada que les puedan robar!
¡Como mi casa!
¡Me siento como en mi propia casa!
EL MARQUÉS
Nadie... una vez más hemos perdido el rastro
de mi bonita muchacha.
LESCAUT
No, mi coronel...
Creo que sé lo que hago...
Usted me conoce.
EL MARQUÉS
Eres el peor sujeto del regimiento...
pero activo y un genio
para salir de cualquier situación.
LESCAUT
Mi coronel, me halaga.
EL MARQUÉS
¡Además de borracho, camorrista y jugador!
LESCAUT
¡Y gentilhombre!... Mi padre, Bonifacio de Lescaut
a quien los malos tiempos lo transformaron
en alguacil de Amiens, era un noble caballero
cuyo abolengo se remonta a las Cruzadas.
EL MARQUÉS
(sentado en una silla, cerca de la mesa, a la derecha)
¡Bien lo veo!
LESCAUT
Y por realzar el esplendor de mi escudo
me alisté como soldado...
EL MARQUÉS
¡Perfecto!... Siempre y cuando
me sirvas como prometiste...
LESCAUT
¡Un caballero sólo tiene su palabra!
Lescaut me dijisteis, veinte monedas de oro,
si descubres, en la calle Saint-Jacques,
la casa de una bonita muchacha a la que adoro...
y a quien conocí por primera vez
en la calle Herrería, frente a una tienda de modas...
¡Sin mayor información!
EL MARQUÉS
Y la descripción exacta que te di.
LESCAUT
¡Encantadora, seductora, agraciada!...
La típica amante, todas se parecen...
Pero a pesar de eso...
creo que estoy sobre la pista;
pero necesito, señor marqués, más detalles.
EL MARQUÉS
¿Y para qué?
LESCAUT
Para saber, antes de seguir adelante...
si mi honor de caballero me permite
embarcarme en semejante aventura...
EL MARQUÉS
Creí haber dicho veinte monedas de oro...
LESCAUT
Lo escuché bien.
EL MARQUÉS
(sonriendo)
Entonces... es el lado moral.
LESCAUT
¡Quizás mi moralidad exija más!
EL MARQUÉS
(riendo)
Eso es diferente...
(levantándose)
Anteayer... mi cochero, que creo estaba ebrio...
LESCAUT
¡Apuesto por ello!... ¡Lo conozco bien!
EL MARQUÉS
(sonriendo)
... atropelló, frente a una tienda de modas,
a una muchacha que estaba
mirando un sombrerito rosa.
Ante los gritos de espanto que oí,
bajé del carruaje...
tomé a la pobre niña en mis brazos,
y la llevé, medio desmayada,
dentro de la tienda, donde la gente
se apresuró a rodearla...
Cuando se recuperó...
Aria
Rubicunda y fresca,
¡era la dulce encarnación
del pecado!
¡Un capullo de rosa
colocado cerca de ella,
tendría menos brillo!
Por orden mía,
su sombrero arrugado,
su vestido ennegrecido y descolorido por la caída,
se transforman en elegantes ropajes.
Incluyendo, y por una buena razón,
el bonito sombrerito rosa,
¡El sombrerito fatal!
¡Feliz causa de todos los males!
¡Qué hermosa estaba!
Rubicunda y fresca, etc.
¡No, las duquesas,
que reinan como señoras
en el palacio de nuestros reyes,
no tienen como mi muchacha
su graciosa coquetería
ni su rostro agraciado!
LESCAUT
Entiendo, mi coronel.
EL MARQUÉS
Lo que no puedes imaginarte...
es la alegría de la joven al verse tan bella,
fue un rapto, tan real, tan ingenuo,
¡que quedé en éxtasis ante su felicidad!
"Con semejante atavío", grité,
no puedes regresar a tu casa a pie,
¿me permitirás llevarte de regreso?"
Con mucho gusto.»
Y he aquí que ambos nos sentamos
en mi carruaje,
ella radiante y seductora;
yo, admirando su gracia, su ingenio y su charla...
¿A dónde la llevo, señorita?
A la calle Saint-Jacques.
¿Cuál es el número?
¿El número?...
Acabo de llegar a París, lo olvidé;
No importa...
porque siempre reconoceré la casa.
El trayecto es largo...
Tanto mejor...
Estaré más tiempo en el coche...
¡Y yo, señorita,
más tiempo cerca de usted!»
Y en aquel albergue rodante,
cerca de esa linda y risueña joven,
cuya alegría me daba valor,
¡era imposible no hablar de amor!
LESCAUT
(cantando)
Esto se puede creer fácilmente.
EL MARQUÉS
¡Sentí un amor, que ella apenas notó!...
Distraída, entretenida con todas
las cosas que la rodeaban...
¡Ah, mire señor, qué resplandecientes, qué
deslumbrantes son esas hermosas vidrieras!...
Sí, señorita, son las de una joyería.
Hay allí un adorno que, estoy seguro,
le sentará maravillosamente y le hará aún más bella.
¿Lo quiere?
¿Si, quiero estar bella?... ¡Ah! Pero...
¡Cochero, deténgase!...
En un momento, señorita, estaré con usted»
Y me bajé, dejando a mi cochero en su puesto
y a mi nueva conquista en el carruaje...
Digo mi conquista, porque sus ojos...
brillando de alegría y emoción...
me daban más que esperanzas...
Mi corazón se aceleraba mientras
elegí apresuradamente unos aretes para ella...
¡y pulseras y un collar!
Disfrutaba de su sorpresa con antelación
y apenas sospechando lo que me esperaba.
¡Mi agraciada muchacha ya no estaba allí!
Había desaparecido... se había esfumado...
¡Como una sílfide, como el hada que era!
Y mi cochero, dormido en su asiento,
no había visto nada.
Desde aquel día no he hecho más que soñar con ella...
La veo en todas partes
y no la encuentro en ningún lugar.
Esta es mi historia.
LESCAUT
¡Lo cual, hasta el momento, no muestra nada
que pueda herir la susceptibilidad de un caballero!
Yo, por mi parte, he estado recorriendo
las calles de París desde anteayer,
sin averiguar nada.
Siendo tan experimentado como soy,
y teniendo contactos con la guardia,
e incluso con un teniente de policía,
a través de las casas de juego
que ambos solemos frecuentar...
¡me siento confundido!...
Pero al pasar, esta mañana,
por la calle de la Herrería...
entré en la tienda donde transcurrió
el primer capítulo de su romance...
Madame Duflos, una mujer muy distinguida...
EL MARQUÉS
¿La conoces?
LESCAUT
¡Yo las conozco a todas!... Madame Duflos...
que estaba muy dispuesta a hablar,
me contó, entre otros detalles, su historia...
de la que desconocía al héroe y la heroína.
Pero encontró, en el vestido de la muchacha
abandonado en su tienda...
EL MARQUÉS
¿Qué?...
LESCAUT
Un documento perteneciente
a la señorita Manón.
EL MARQUÉS
¿Manón?... ¡Qué bonito nombre!...
LESCAUT
¡Así es!
EL MARQUÉS
(celoso)
¿Una carta de amor, tal vez?
LESCAUT
¡No! Una citación dirigida a la señorita Manón..
Rue Saint-Jacques, n° 443...
¡Para que pague medio trimestre por adelantado!
EL MARQUÉS
(sonriendo)
¡Prueba de que Manón no es tan rica como bonita!
LESCAUT
¡Qué desgracia!
EL MARQUÉS
(con vivacidad)
Al contrario, ¡qué felicidad!
LESCAUT
Saint-Jacques, 443,
en lo alto de la calle...
el sexto piso de la casa,
siempre en lo más alto...
el domicilio de los ángeles...
¡Aquí estamos!
El ángel extendió sus alas, se fue volando,
esto pasa a menudo... esperemos su regreso.
EL MARQUÉS
(a quien Lescaut le acerca una silla,
se sienta a la izquierda)
¡Esperemos!
Porque pierdo la cabeza por esta muchacha.
No tiene nada que ver con las bellezas
por las que normalmente
nos arruinamos los grandes señores.
Soy rico y dueño de mi fortuna, y las locuras
que hago con ella, todos las aprueban;
(sonríe)
menos la marquesa, mi madre,
que es una santa mujer...
y me aburrirá con unos cuantos sermones...
LESCAUT
¡Escuche! ..., ¿Qué os he dicho?
¡Ya viene... es ella!
(El Marqués y Lescaut se dirigen al
fondo de la escena y se ubican a la
izquierda, cerca de la puerta)
Escena Segunda
(Los anteriores. Margarita, con un vestido en el
brazo, entra sin ver al Marqués ni a Lescaut)
MARGARITA
(Avanzando hacia la mesa de la
derecha, donde desdobla el vestido)
¡Mi vecina! ¡Mi vecina! ¡La señorita Manón!...
EL MARQUÉS
(con desánimo)
¡No es ella!
LESCAUT
(en voz baja)
¡No importa! Es una vecina...
Nos puede informar.
EL MARQUÉS
(de igual modo)
Tienes razón.
MARGARITA
(dándose vuelta)
¡Dos hombres...
en la casa de Manón!
(el marqués se adelanta y la saluda)
¡Oh, cielos!... ¡Pero si es el Marqués de Hérigny!
LESCAUT
(pasando a la izquierda)
Sois muy conocido... ¡mi coronel!
MARGARITA
¿Y mi protectora, la marquesa, su madre?
¿Se ha recuperado de su enfermedad?
EL MARQUÉS
(avergonzado)
Gracias hija mía, gracias... ¡está fuera de peligro!
Celebraré su convalecencia mañana...
MARGARITA
¡Y ella os envía... en su lugar!
Venís, como ella, a visitar los áticos...
LESCAUT
Y a repartir oro... ¡desde luego!
EL MARQUÉS
(a Lescaut, avergonzado)
¡Calla!
(Mirando a Margarita)
Pero tu rostro
no me es desconocido...
Querida, ¿dónde te he visto antes?
MARGARITA
¡Ah! El señor marqués
tiene mala memoria.
Soy Margarita, una trabajadora que
hace dos años trabajaba en el castillo
de la señora Marquesa
y el señor Marqués...
EL MARQUÉS
(interrumpiéndola)
¡Bien! ¡Bien! Ahora lo recuerdo.
MARGARITA
(continúa)
En los intervalos de la cacería
no sabiendo qué hacer...
empezasteis a cortejarme... para pasar el tiempo.
Como bromeamos y me gusta reír,
el señor Marqués pensó, como muchos otros,
que una muchacha virtuosa y alegre
es una buena oportunidad para divertirse...
¡Pero se equivocaba!
EL MARQUÉS
Es verdad... Pero,
¡no quisiste escucharme!
MARGARITA
(haciendo una reverencia, riendo)
Tuve ese honor.
EL MARQUÉS
¡Una muchacha valiente
y tan virtuosa como el diablo!
LESCAUT
¡Y eso te cambió!
MARGARITA
Debo decir que el Marqués
no me lo reprochó; al contrario,
se le contó todo a su madre.
EL MARQUÉS
Quien, dada la extrañeza de la situación,
tomó a Margarita bajo su protección...
MARGARITA
Me puso en contacto con
algunas grandes damas y he montado
un taller de costura en esta casa.
En el rellano de enfrente, donde mi aguja
está al servicio del señor Marqués.
(saludando)
y de su círculo social.
EL MARQUÉS
No lo puedo negar.
LESCAUT
(en voz baja, al Marqués)
La joven es mordaz,
y si no fuera por sus principios y sus seis pisos...
EL MARQUÉS
(de manera similar, a Lescaut)
¡Sí! ¡Eso es demasiado alto para ti!
(en voz alta, a Margarita)
Pero dime, Margarita, tú que nunca mientes,
¿en quien puedo confiar?
¿Podrías darme alguna información?...
Te pregunto esto...
MARGARITA
¿De parte de vuestra madre?
(Va a buscar una silla que ofrece al marqués)
EL MARQUÉS
(sentándose a la derecha)
Sí, sobre una joven que vive aquí.
MARGARITA
La señorita Manón ¿mi vecina?
LESCAUT
Así es.
MARGARITA
¡Ah! ¡Tan linda! ¡La niña adorable!... qué
pena...
EL MARQUÉS
(impulsivo)
¿Qué quieres decir?...
MARGARITA
¡Hay destinos que no se pueden vencer!
Imagínesela recién llegada de su provincia,
con un vestidito de tela, un sombrero blanco
y un paquetito bajo el brazo...
ese era todo su equipaje...
La quisieron despedir de esta buhardilla
por unos días de alquiler que debía...
¡Virgen Santa!...
EL MARQUÉS
¿Tú pagaste por ella?
MARGARITA
¡Así fue! Y eso nos unió como hermanas...
Huérfana y sin fortuna,
la habían destinado a un convento...
lo que no le gustaba mucho.
El mismo día que iba a ingresar,
conoció a un joven y honesto caballero
de buena familia...
Tenía que estar escrito allá, en el cielo...
porque desde el primer momento
se amaron y juraron no separarse nunca...
EL MARQUÉS
(aparte)
¡Ah, Dios mío!
MARGARITA
Se vinieron a París.
EL MARQUÉS
¿Juntos?
MARGARITA
No; ella llegó primero
con seis libras en el bolsillo,
y hace unos días escuché risas en el ático...
era él.
EL MARQUÉS
¿Quién es él?
MARGARITA
Un caballero a quien su familia
había querido retener en su casa y
que también se había fugado...
Un esbelto y buen caballero,
en mi opinión.
EL MARQUÉS
¿Y cuál es su condición?
MARGARITA
Enamorado... ¡como un loco!
LESCAUT
¿A qué se dedica?
MARGARITA
Nada más que al amor.
EL MARQUÉS
¿Y ella?
MARGARITA
¡Ella también! No piensa ni en las desdichas,
ni en los peligros, ni en el mañana...
En definitiva, unos locos sin cabeza,
es como para enfadarse con ellos...
Pero en cuanto se les ve, en cuanto les oímos,
¡no se tienen fuerzas para culparlos!
Usted mismo, señor Marqués... ¡los perdonaría!
EL MARQUÉS
(levantándose y caminando enojado)
Yo... ¡nunca!
MARGARITA
¡Se casarán! Cuando puedan...
Pero el caballero Desgrieux, que lo es por nacimiento,
no puede esperar el consentimiento de su padre...
EL MARQUÉS
¡Un padre honesto!
MARGARITA
¿Quién no querría ayudarles?
EL MARQUÉS
¡El padre tiene razón!
MARGARITA
(sonriente)
¡Oh! ¡Oh! ¡Qué severo os habéis vuelto!
El único recurso del pobre muchacho
es un reloj rodeado de diamantes
que le regaló su madre
y que Manón no quiere que lo venda...
(Se acerca a colocar la silla que acaba de
dejar el Marqués cerca de la mesa)
LESCAUT
(por lo bajo, al marqués)
¡Maravilloso! El amor con el estómago vacío
no puede sostenerse por mucho tiempo...
EL MARQUÉS
Esto no puede durar...
Manón no debe quedarse en este ático...
LESCAUT
Nos la llevaremos de aquí...
en interés de la moralidad.
MARGARITA
(cerca de la mesa)
¡Cómo! ¿Llevársela de aquí?
EL MARQUÉS
Sí... estoy furioso por lo que acabo de oír.
MARGARITA
¡Ya lo veo claro! No es para la señora
marquesa para quien requerís información,
es para vos mismo, señor.
EL MARQUÉS
¡Está bien, sí, así es!
Pierdo la cabeza por ella.
MARGARITA
(sonriente)
¡Justo lo que me imaginaba!
EL MARQUÉS
Sólo confío en ti, Margarita...
si quisieras ayudarme...
MARGARITA
Entonces hice bien en resistir
y no dejarme seducir por vos.
Pero con todo el respeto que os debo,
señor marqués, os ruego que renunciéis
a vuestras pretensiones sobre la señorita Lescaut
EL MARQUÉS
(gritando)
¿Lescaut?... Pero ¿qué dices?
MARGARITA
¡Sí, señor! Ella tiene amigos, protectores...
viene de una buena familia...
una familia de Amiens...
LESCAUT
¡De Amiens!
MARGARITA
De donde ella procede...
LESCAUT
¡Ah, Dios mío!
(en voz baja, al Marqués)
¡Señor Marqués, vámonos,
que estamos en familia!
EL MARQUÉS
¿Qué quieres decir?
LESCAUT
(siempre en voz baja)
No podemos raptar a la señorita Manón
¡es mi prima!
EL MARQUÉS
(de igual modo)
¡Pensé que habíamos acordado
veinte monedas de oro,
y que un caballero sólo tenía una palabra!
LESCAUT
(asimismo)
Ciertamente, pero el honor de mi casa...
EL MARQUÉS
(de manera similar y fríamente)
¡Cincuenta!
LESCAUT
(asimismo)
¡Y mis antepasados!...
EL MARQUÉS
(de igual modo)
Sesenta...
LESCAUT
(igualmente)
Pero en definitiva...
EL MARQUÉS
(asimismo)
¡Cien monedas de oro!
LESCAUT
(de igual modo)
¡Sois generoso!...
EL MARQUÉS
(de igual modo)
¡Calla! ¡Salgamos!
(en voz alta)
Ya lo ves, Margarita ganas otra vez...
Me rindo, me retiro...
Me bato en retirada ante la virtud.
(La saluda y sale seguido de Lescaut)
Escena Tercera
(Margarita sola y sacudiendo
la cabeza mientras los ve irse)
MARGARITA
Hermosas palabras que no me creo...
¡Ambos conspiraban en voz baja!
¿En qué época vivimos, Dios mío?
Un gran señor que es un mal sujeto...
¡Y eso que es uno de los mejores
que conozco!
En el fondo tiene un corazón bondadoso,
¡generoso sobre todo!
¡Ah, a las chicas pobres les cuesta ser honestas!
(suspirando)
¡Vamos! Volvamos a nuestro trabajo
y pospongamos, para mañana, el favor
que le quería pedir a la señorita Manón...
(Acercándose a la mesa de la derecha
recoge el vestido que dejó allí. Se escuchan
cantos fuera de escena)
¡Ah!... ¡Es ella!
Escena Cuarta
(Margarita y Manón con un ramito de lilas)
MANÓN
Cuplés
Primer cuplé
Despierto con el alba,
vengo de Le Prés-Saint-Gervais
de recoger estas frescas lilas
que mayo hace florecer...
¡La primavera nos llama!
¡Aprovechémosla rápido... rápido!
En un día florecen, ¡ay!
la juventud y las lilas.
¡Tra la, la, la, la, la!
(Esparce las flores por la buhardilla)
Segundo cuplé
Más fragantes que el almizcle y el ámbar,
¡Estas lilas serán
los únicos muebles
que habrá en mi habitación!
Su frescura es su encanto;
¡disfrutémoslo, rápido y rápido!...
El día ve pasar, ¡ay!
El placer y las lilas.
¡Tra la, la, la, la, la!
MARGARITA
¡Tan temprano por la mañana recogiendo lilas!
¿Para qué, te pregunto?
MANÓN
¿Razones? ¿Acaso los pájaros las necesitan
para tomar aire fresco y disfrutar del sol?...
Piensas demasiado, Margarita...
MARGARITA
Y tú, no lo suficiente.
(Mirando a su alrededor)
¿Dónde está el caballero?
MANÓN
¡Tuvo una idea!... Recordó a un amigo que
nos prestará el dinero que necesitamos.
MARGARITA
¿Aquí, en París?...
MANÓN
Sí.
MARGARITA
¿Un amigo que presta dinero?...
MANÓN
Tú no crees en nada... y yo creo en todo,
¡eso es la felicidad!
Así que regresé y... ¿no sabes a quién me acabo
de encontrar en nuestra vieja escalera?...
¡Adivina!
MARGARITA
A dos caballeros...
MANÓN
Dos caballeros elegantes...
Uno de ellos se dirigió a mí...
MARGARITA
¡El marqués!
MANÓN
¡No! ¡El otro!
¡Ah, prima... mi querida prima!»
Era Lescaut mi primo,
el hijo de Boniface,
mi tío de Amiens,
quien quería hacerme entrar en el convento.
Su hijo no es de estas ideas, ¡al contrario!...
Al parecer ya no estoy sola y sin amparo en París...
Como decía el antiguo comisario
de nuestro vecindario, el señor Durozeau.
¡He aquí un familiar, un protector!
MARGARITA
(levantando los hombros)
¡Maravilloso!
MANÓN
Mi primo está en el ejército,
y siempre defenderá el honor de la familia...
Así lo dijo al presentarme al Marqués.
MARGARITA
(de igual modo)
¡Mejor aún!
Si conocieras a ese...
MANÓN
¡Lo conozco y mucho!
MARGARITA
¡Misericordia!
MANÓN
Me llevó en su carruaje.
MARGARITA
¿A ti?...
MANÓN
Un carruaje reluciente de espejos y dorados...
¡Ah, qué bien se estaba allí...
a su lado!
MARGARITA
¿Solos?
MANÓN
Bueno, me había quedado sola en el carruaje
cuando Desgrieux...
¡mira qué coincidencia!...
que pasaba por la calle, me vio y me llamó.
Su rostro estaba pálido y sus labios temblaban...
Rápidamente salté del carruaje.
«¿Qué te sucede, mi gentil caballero?
¡Yo dejaría los carruajes del rey por ti!
¡Ven! ¡Ven!»
Y le conté lo que me acababa de suceder.
MARGARITA
¿Y el Marqués?
MANÓN
¡Lo olvidé y también a su carruaje!...
Seguí a pie... cerca del caballero,
muy cerca de él, cogida a su brazo y,
entre risas, volvimos a nuestra buhardilla.
MARGARITA
¡Ah, Manón, eres una chica divertida!
¡Tienes un buen corazón, pero una cabeza loca!
MANÓN
¿Qué importa?
MARGARITA
Tú, primero actúas y luego razonas,
sin pensar las consecuencias...
MANÓN
¿Qué?...
MARGARITA
¿Alguna vez has pensado
en tu futuro con el caballero?
MANÓN
¡No!
MARGARITA
¿No te gustaría ser su esposa?
MANÓN
¿Para qué?
MARGARITA
Para amaros siempre.
MANÓN
¡Es cierto! Pero ¿qué sentido tiene
darle una esposa a quien no tiene nada,
al que no tiene fortuna?
MARGARITA
¿Y si él estuviera buscando mejorar su situación?
¿Y si, tanto él como tú, buscarais un trabajo?
MANÓN
¿Yo?... No sé trabajar, me aburre muchísimo.
Bordar o coser me da migraña.
MARGARITA
Entonces, ¿qué sabes hacer?
MANÓN
Reír, charlar, cantar y rasguear la guitarra...
cuando tengo una.
MARGARITA
Pero, vivir así conduce a la miseria...
MANÓN
¡Calla! No digas esa palabra, me da miedo.
MARGARITA
El modo de no tenerle miedo
es hacer como yo: tomar una aguja.
Ganas poco, pero eres tu propia patrona
y no necesitas a nadie.
MANÓN
¡Es posible!
¡Tú, Margarita naciste trabajadora, yo duquesa!
El brillo, el lujo, la opulencia, ese es mi elemento.
Me parece que fui hecha
para el satén, los encajes, los diamantes...
Ahí tienes, el otro día,
cuando me subí a ese hermoso carruaje...
ni me sentí cohibida ni me avergoncé.
¡Parecía que estaba en casa!
MARGARITA
Con esas ideas me haces estremecer.
MANÓN
¿Por qué?...
MARGARITA
Porque traen arrepentimientos, remordimientos...
brillamos por un momento
y luego somos infelices toda la vida.
MANÓN
¡Ah, no me gusta que hables así!
MARGARITA
Yo solo hablo así a quienes amo...
MANÓN
Por amistad... porque nunca has conocido
el verdadero amor.
MARGARITA
¿Qué sabes tú?
MANÓN
(alegre)
¿Tienes algún amante?
MARGARITA
Quizás...
MANÓN
(igualmente)
¡Espero que en el momento adecuado!...
Cuéntamelo.
MARGARITA
¡Un buen muchacho con el que crecí!...
Se llama Gervais y vive en El Havre.
Él, como yo, se mata a trabajar y,
cuando ahorremos un pequeño tesoro,
nos uniremos para no volver a separarnos...
Nos casaremos.
MANÓN
¿Y por qué no antes?
MARGARITA
¡Antes no!
MANÓN
¡Estáis desperdiciando vuestro tiempo!
MARGARITA
¡No importa!...
Mira... me acaban de entregar
una carta suya.
MANÓN
¿Qué te dice?...
MARGARITA
Quiero que la leas...
Porque sé coser,
pero no sé leer.
MANÓN
(tomando la carta)
¡Dámela, dámela!...
Dúo
MANÓN
(lee, mientras Margarita la sigue con la mirada)
Mi buena Margarita ¡oh tú, mi único amor!
nuestro pequeño tesoro aumenta cada día.
"Cada centavo que gano
acerca nuestro matrimonio".
Por ti... por nuestros hijos...
¡Trabajo con denuedo!...
MARGARITA
¡Qué bueno es Gervais!
MANÓN
(con emoción)
¡Entiendo! ¡Entiendo!
(Sigue leyendo mientras Margarita coloca
su brazo alrededor del cuello de Manón)
¡Tú me diste el ejemplo...
y mi corazón te adora como
la muchacha honesta que eres!
Debes saber que estoy muy orgulloso
del amor siento por la madre de mis hijos.»
(Manón baja la cabeza y deja caer
la carta que Margarita recoge)
MARGARITA
(acercándose a Manón y en voz baja)
Para que el amor, ese bien supremo,
pueda permanecer en casa, ¡es necesario que
los amantes seamos sinceros entre nosotros!
MANÓN
(con emoción)
Para que el amor, ese bien supremo, pueda
permanecer vigente, ¡aquel a quien amamos
debe, sobre todo, honrarte!
MARGARITA
¡Estamos a tiempo! ¡Coraje!... ¡Coraje!
¡Ven conmigo! ¡Ven a trabajar tú también!
MANÓN
(vacilando)
Sí... sí... te prometo...
voy a ponerme a trabajar.
MARGARITA
¿Cuando?
MANÓN
¡Mañana!
MARGARITA
¡No, no, hoy!
(Mostrándole el vestido que dejó
en una silla al entrar)
A este vestido hay que coserle
un corpiño...
(hurgando en su bolsillo)
Aquí tienes hilo... ¡y un dedal!
(se sienta en la mesa de la derecha)
¡Siéntate ahí! ¡Y comienza!
MANÓN
(sentándose)
¡Vamos!
¡Está decidido!
Pero... es que es tan aburrido...
MARGARITA
¡No, no! ¡no, no!
¡Ya lo verás!
Con la aguja
que siempre va,
¡La joven sueña con el amor!
¡Su corazón piensa
en él trabajando!
La tarea avanza ¡tarareando!
¡Tra, la, la, la, la, la!
Tarareando
¡Un nombre encantador,
el nombre de su amante!
MANÓN
¿Es cierto?
MARGARITA
¡Muy cierto!
MANÓN
¡Vamos!
¡Quiero intentarlo!
MARGARITA, MANÓN
Con la aguja,
Que siempre va,
¡La joven sueña
con el amor!
Su corazón piensa
Mientras trabaja...
El trabajo avanza
Mientras tararea:
¡Tra, la, la, la, la!
(Margarita sale por la puerta trasera)
Escena Quinta
MANÓN
(a solas, sentada cerca de la mesa)
¡Tra, la, la, la, la, la, la, la, la!
Aria
¡Margarita tiene razón!
Es necesario que sea prudente y sabio,
¡Tra, la, la, la, la, la, la, la, la!
¡Convertirse en ama de casa!
¡Y trabajar!...
(Se levanta)
¡Ah! Este dedal es demasiado estrecho.
No me queda bien, ¡me hace daño en el dedo!...
(Se lo quita mientras mira el dedo)
¡Este lindo dedo no está acostumbrado!
(se lo vuelve a poner)
Pero lo prometí... y lo juré,
hágase lo que se haga... La sabiduría...
¡Vaya, ahora el hilo se rompe!
¡Sabiduría... y luego orden y virtud!...
¡Dioses!
¡Qué aburrido es coser
y arreglar esta fea falda!
(mirándola)
Un poco rústica... ¡Pero no tanto!
(sigue mirándola)
Una cosa me preocupa:
¿me vendrá bien ese vestido de gala!...
(encogiéndose de hombros)
¡Vamos!
¡Parece demasiado grande!
(mirando a su alrededor)
¡Bah!... ¡Estoy sola!... ¡Probemos!
(se desabrocha el casaquín y se
coloca el abrigo sobre la cintura)
Perdóneme, señora marquesa,
por atreverme, ante vos, a utilizarlo.
Este exquisito adorno tal vez
lo pueda embellecer aún más.
¡Pero, si vos lo encargasteis
como un talismán seductor,
creo que yo os traeré suerte!
(se mira mientras camina)
¡Sí! ¡Realmente no está mal!
¡La falda preciosa!... ¡Ah, qué pena
no tener un paje para llevarla!...
¡Pero da igual!
Las damas de Versalles, dicho sea sin vanidad,
no tienen más nobleza ni más dignidad.
Por mi parte, no sé cómo se les habla de amor.
pero... pero si yo fuera un hombre,
¡me cortejaría a mí misma!
¡Oh, felicidad! ¡Oh, delirio!
¡Qué pena no tener a nadie que me admire,
a nadie que me vea!
Ni siquiera un espejo...
Pero... pero... ya sé...
Las damas de Versalles, etc.
(toma el corpiño que se va a probar)
Escena Sexta
(Desgrieux entra por la puerta trasera)
MANÓN
(cubriéndose los hombros con las manos)
¿Quién viene ahí? ¡Ah! ¿Eres tú, caballero?
DESGRIEUX
Sí, Manón... soy yo que regreso junto a ti,
el más feliz de los hombres.
MANÓN
¿Traes buenas noticias? ¡Cuéntamelas!
DESGRIEUX
Desde que te dejé...
(mirándola)
¡Ah, Manón, qué hombros tan bellos!
MANÓN
¡Has dicho buenas noticias!
DESGRIEUX
Sí, es verdad... Pero, ¿qué veo ahí?
MANÓN
Un vestido que estoy haciendo...
¡Hay que probarlo!
¡El vestido de una duquesa!
Me queda bien,
¿no es verdad?
DESGRIEUX
¡Ah! ¡Qué encantadora estás con ese vestido!
MANÓN
Eso es lo que me dije a mí misma.
Desafortunadamente...
tengo que dejar todo esto de lado
y volver a ponerme mi vestido de tela...
Así que, ayúdame.
DESGRIEUX
¿Y por qué renunciar a este hermoso ropaje?
MANÓN
Porque no me pertenece.
DESGRIEUX
¡Te lo compro!... Te lo regalo...
Este mismo u otro similar.
MANÓN
¿Tú, mi caballero?
DESGRIEUX
¡Soy rico!
MANÓN
¡Ah! ¡Qué amable y adorable eres!
DESGRIEUX
¡Hay seiscientas libras en este bolso!
¡Toma, tómalo todo es tuyo!
MANÓN
¿Es nuestro? ¿Te lo ha prestado
ese amigo del que me hablaste?
DESGRIEUX
¡Mejor que eso!
MANÓN
(sorprendida)
¿Cómo?
DESGRIEUX
(con turbación)
Quiero decir que todo es mío...
Él me debía dinero y me lo ha devuelto.
MANÓN
¡Muy bien por él! Pero seiscientas libras...
¿qué haremos con todo este dinero?
DESGRIEUX
Primero compraremos un hermoso vestido.
MANÓN
(aturdida)
¡Hecho! ¡Se acabó!... Pero ¿y después?
DESGRIEUX
Decide tú misma...
MANÓN
¡He estado trabajando durante una hora!
Necesito descansar un poco.
DESGRIEUX
¡Es muy justo!
MANÓN
Si nos fuéramos a cenar...
DESGRIEUX
¡En el bulevar del Templo!
MANÓN
Como los señores y las grandes damas.
DESGRIEUX
¿En la Esfera Azul?
MANÓN
O a la casa de Bancelin.
DESGRIEUX
¿Los dos a solas?...
MANÓN
Sí, será divertido...
¿Pero quizás sería mejor invitar
a nuestra vecina Margarita,
que es tan buena con nosotros?
DESGRIEUX
¡Es verdad!...
Pero yo prefiero un tête-à-tête.
MANÓN
¡Bah!... ¡Vamos, mi caballero, no te enfades!
No debes ser egoísta.
DESGRIEUX
Lo entiendo... pero un tercero...
es enojoso.
MANÓN
(alegremente)
¡Tienes razón!... ¿Si invitáramos no sólo a
Margarita sino a sus jóvenes trabajadoras?...
DESGRIEUX
¡No es mala idea!... Pero son al menos diez.
MANÓN
¡Y charlaremos!...
¡Hablaremos, reiremos!
DESGRIEUX
¡Qué conmoción! ¡Será encantador!...
Ve a invitarlas.
MANÓN
Mejor que eso, vayamos los dos juntos.
DESGRIEUX
Pero, antes que nada, bésame.
MANÓN
(le ofrece la mejilla)
¡Lo tienes merecido!
Escena Séptima
(Lescaut aparece en la puerta del fondo
mientras Desgrieux está besando a Manón)
Trío
LESCAUT
(aparte)
¡Melenas de mis antepasados!...
¿Me estará fallando la vista?
DESGRIEUX
(viendo a Lescaut)
¿Quién es este señor?
MANÓN
(corriendo hacia él)
¡Es mi primo Lescaut!
DESGRIEUX
(dando un paso adelante)
¡A quien quiero dar la bienvenida junto contigo!
MANÓN
(presentando a Lescaut a Desgrieux)
¡Soldado de la Guardia!...
DESGRIEUX
¡Está muy bien!
LESCAUT
(levantándose el bigote)
¡Y caballero!
DESGRIEUX
¡Eh! ¡Pero eso no hace ningún daño!
LESCAUT
(poniendo el puño en la cadera)
Y vine, señor, a verlo,
por un asunto...
DESGRIEUX
(cordialmente)
¡Estoy dispuesto a servirle!...
¡A usted le ofrezco mi brazo y mi espada!
¡Pero debemos ir a cenar
al Cadran Bleu!...
MANÓN
¡O al Bancelin!
DESGRIEUX
(extendiéndole su mano)
Venga usted también...
LESCAUT
(aparte y vacilante)
¡Diablos!
DESGRIEUX
¡Nuestras expectativas respecto de usted
no serán defraudadas!
LESCAUT
(con vergüenza)
Pero señor...
DESGRIEUX
¡Así será! Sin problemas... ¡Amigo!
¿Acepta usted?
LESCAUT
(aparte, para sí)
¡Yo que vine a buscar pelea!...
¡Entonces, cenemos!
¡Y luego vendrán las explicaciones!...
(en voz alta)
Dice usted... ¿una cena en Chez Bancelin?
DESGRIEUX
Con su prima. ¡Quince cubiertos!
LESCAUT
¿Una buena cena? ¿Ya la habéis ordenado?
DESGRIEUX
¡Aún no!
LESCAUT
¡Yo me encargo!
DESGRIEUX
Entonces, ¡deme su mano!
LESCAUT
(aparte)
¡Parece acomodado!
DESGRIEUX
(tomando su mano)
¡Choca los cinco!
LESCAUT
¡Chócalos!
(aparte)
¡Cenemos primero! y luego ya veremos!
Conjunto
MANÓN, DESGRIEUX, LESCAUT
Dulces lazos familiares,
voz de la sangre que habla al corazón.
¡Es por ti que en nuestros ojos brillan
el verdadero bien y la verdadera felicidad!
MANÓN
¡Ah! ¡Qué embriaguez nos invade!...
LESCAUT
(tomando su mano)
Junto a parientes jóvenes
o viejos.
DESGRIEUX
¡Qué felices estamos!
LESCAUT
(dándole un golpe de puño)
¡Y sobre todo cuando ellos están felices!
Conjunto
MANÓN, DESGRIEUX, LESCAUT
¡Dulces lazos familiares,
voz de la sangre, que habla al corazón,
es a través de ti que el verdadero bien,
la verdadera felicidad brilla en nuestros ojos!
¡El placer nos une,
brindaremos juntos
al son de alegres canciones!
¡Brindemos por nuestros vecinos,
y vivan los primos, y vivan las primas!
LESCAUT
¿A qué hora es la comida?
MANÓN
¡Al mediodía!
LESCAUT
¿Lo usual!
(a Desgrieux)
¿Qué hora es?
DESGRIEUX
(con vergüenza)
No lo sé...
LESCAUT
(aparte)
Comprendo... el último recurso.
Sí, el reloj de brillantes,
¡vendido o empeñado!
¡No importa!
(en voz alta)
¡Hasta luego! ¡Al mediodía, en Bancelin!
¡Yo me ocupo de todo!
MANÓN
¡Muchas gracias, primo mío!
Conjunto
MANÓN, DESGRIEUX, LESCAUT
El placer nos une, brindaremos juntos,
y entonaremos canciones.
¡Brindemos por nuestros vecinos,
y que vivan las primas, y vivan los primos!
(los tres salen por el fondo de la escena)
Cuadro Segundo
(En el paseo del Templo. El jardín Bancelin
está ubicado al fondo del paseo; allí está su
casa y, en el primer piso, el gran salón cuyas
ventanas se encuentran abiertas. A la izquierda,
en el paseo, un sargento y unos soldados beben
ante la puerta de un bar. A la derecha, los
burgueses cenan. al aire libre, junto con sus
mujeres, en el jardín de Bancelin. La señora
Bancelin va y viene sirviendo las diferentes
mesas. En el salón del primer piso, cuyas
ventanas están abiertas, oímos cantar a coro
a Manón, Margarita y sus compañeras y a
Desgrieux)
Escena Octava
CORO
¡Es en la taberna
donde nos espera el amor!
¡El amor en juerga se tambalea fácilmente!
Amantes y muchachas,
que todos repitan:
¡Viva la taberna,
el vino blanco y los sentimientos!
UN OBRERO
¿Dónde encuentra el trabajador,
el domingo, alegría y descanso,
placer, amistad franca
y olvido para todos sus males?
¡Es en la taberna!...
TODOS
(a coro)
Es en la taberna, etc.
Sra. BANCELIN
¿Dónde reina la loca alegría
con sus alegres destellos?
EL SARGENTO
(a la izquierda)
¿Dónde recluta el sargento
a los nuevos soldados?
¡En la taberna!
Sra. BANCELIN
¡En la taberna!
MANÓN
(sola, al fondo de la escena)
En la taberna...
TODOS
(a coro)
En la taberna, etc.
(El señor Durozeau va a sentarse a la
derecha; la señora Bancelin se apresura
a servirle una botella de cerveza. En ese
momento, y procedente del exterior, Lescaut
entra meditabundo. Le da la mano al Sargento
quien le ofrece una copa de vino. Lescaut la
rechaza y continúa, sin hablar, avanzando
Hacia el centro del jardín)
DESGRIEUX
(apareciendo por la ventana del primer
piso y viendo a Lescaut)
¡Ya llegaste primo, te estamos esperando!
MANÓN
(aparece en la ventana
junto a Desgrieux)
¡Nos hemos tenido que sentar
a la mesa sin ti!
LESCAUT
¡Ya lo veo!
DESGRIEUX
¡Ven rápido o no te quedará champaña!
LESCAUT
Voy... pero primero me gustaría decirle
unas palabras especiales...
a mi prima.
MANÓN
¿A mí?...
LESCAUT
A ti... ¡asuntos familiares!
MANÓN
Ya bajo.
(volviéndose hacia los invitados)
Sigan ustedes sin mí...
(dirigiéndose a Lescaut)
La cena que pediste
fue excelente...
(Volviéndose hacia los invitados)
¿No es así, señoras?...
(Ella desaparece)
LESCAUT
(para sí)
Hubiera sido mejor venir aquí,
a la hora prevista, que ir a jugar,
al pasar por el paseo...
en el Hotel Vendôme, donde suelo ganar.
¡He perdido en media hora
las cien monedas del coronel!...
Estaba a punto de triunfar...
¡cuando se acabaron los fondos!...
O abandonaba o apostaba el doble,
¡haciendo quebrar la banca!...
¡Dioses de mis ancestros!...
¡Ni un céntimo en el bolsillo!...
¡Qué posición para un caballero!
MANÓN
(entrando en escena)
Y bien, primo,
¿de qué se trata?
LESCAUT
(misteriosamente)
¡Un asunto importante!...
MANÓN
¿De la que hablabas esta mañana?
LESCAUT
¡Precisamente, prima, es un asunto
del que depende el honor de la familia!
MANÓN
(atemorizada)
¡Ah, Dios mío!
LESCAUT
Ese honor está mellado, destruido, perdido...
¡por falta de una docena de monedas de oro!
MANÓN
¡Es eso posible!...
LESCAUT
Doce monedas que yo
te traeré de vuelta en media hora.
MANÓN
¿Es sólo eso?
(Sacando una bolsa del bolsillo)
Toma... ¡toma rápido,
Que va a comenzar el baile...
¡Vamos a bailar!
DESGRIEUX
(apareciendo en la ventana)
¡Vamos, Manón!
MANÓN
(le responde)
¡Ya voy!
DESGRIEUX
¡Voy a invitar a bailar a otra!
MANÓN
(a Lescaut)
Tómalas primo,
no tengo tiempo para contar.
LESCAUT
A veces no contamos con los amigos...
MANÓN
Pero conmigo sí, y además, como tú dices,
me las devolverás en media hora...
LESCAUT
(saliendo impetuosamente)
¡Palabra de caballero!
CORO
En la taberna, etc.
Sra. BANCELIN
(al señor Durozeau, que está terminando
su botella de cerveza le señala las ventanas
del fondo)
¡Qué alegría! ¡Qué alboroto!
Y sobre todo ¡cuánto gasto!
DUROZEAU
¿Esto le gusta, señora Bancelin?
Sra. BANCELIN
Sí, señor Durozeau; ¿y a usted?
DUROZEAU
No me gusta el bullicio... no me agrada...
se va cuando llego.
Sra. BANCELIN
Aquí, afortunadamente,
no tendrá imponer su autoridad;
respondo por los invitados.
DUROZEAU
Es usted muy osada...
Sra. BANCELIN
¿Qué quiere decir?
DUROZEAU
¿Quién ordenó la fiesta?
Sra. BANCELIN
¡El señor Lescaut al que acaba de ver,
un soldado de la Guardia!
DUROZEAU
¡Jugador! ¡Bravucón! Anotado en mis registros
como que nunca tiene un centavo.
Sra. BANCELIN
No es él quien paga,
es el Caballero Desgrieux.
DUROZEAU
¡Desgrieux!...
Sra. BANCELIN
Llegó con una muchacha guapa...
¿Lo tranquiliza eso?
DUROZEAU
¡Pobre señora Bancelin!...
Sra. BANCELIN
¿Qué quiere decir?
DUROZEAU
¡El Caballero Desgrieux...
con la señorita Manón!...
(tomando su sombrero)
¡Adiós! Sra. Bancelin!
Sra. BANCELIN
(reteniéndolo)
¡No, no, no se irá así!
Escena Novena
EL MARQUÉS
¡Hola, mi querida señora Bancelin!
Sra. BANCELIN
A vuestro servicio, señor Marqués.
EL MARQUÉS
Necesitamos una sala privada
y una buena cena...
¡Sin reparar en gastos!
Sra. BANCELIN
(saludando)
Sois muy generoso, señor marqués.
EL MARQUÉS
Y usted también...
¡Todos lo dicen!
Sra. BANCELIN
(gritando a todos)
¡El salón número uno para el Marqués
y sus amigos!...
¡No escatimemos nada!...
(al marqués)
¿Solamente tres personas?
EL MARQUÉS
¡Tal vez!
Sra. BANCELIN
(en voz alta)
¡Seis cubiertos!
DUROZEAU
(en voz baja a Madame Bancelin)
¡Atiéndelo bien!... Trata de ponerte al día con esos,
si puedes... porque los demás...
Sra. BANCELIN
Me asustáis...
(Saluda al marqués y a sus amigos
que salen por el fondo y regresa junto
a Durozeau)
Entonces, usted dice que el señor,
el caballero Desgrieux...
DUROZEAU
¡Un caballero peligroso! Que vive de la estafa
y la señorita Manón una personita
cuya fortuna es como la virtud...
Sra. BANCELIN
¡De lo más mediocre!
DUROZEAU
... una virtud que no puede dar frutos...
Como comisario tengo sus antecedentes...
y le digo... si yo hubiese querido...
Sra. BANCELIN
¡Dios Santo!
DUROZEAU
Pero la moral..., y mi dignidad como autoridad...
Sra. BANCELIN
(viendo a Desgrieux)
Es él... es el caballero.
DUROZEAU
¡Silencio!... ¡Mi deber es iluminar en las sombras!
¡Y sin que se note!
Escena Décima
(Aparece Desgrieux por la puerta del fondo)
DESGRIEUX
(secándose la frente)
Sí, señoras... es imprescindible,
es de rigor... ¡después del baile!...
¡y Manón lo quiere!...
(a la señora Bancelin)
Refrescos, sorbetes... helados...
Lo mejor que se pueda conseguir...
(Madame Bancelin se cruza de brazos)
¡Bien! ¿Me escucha, señora Bancelin?...
Permanece inmóvil...
como si no me entendiera...
Sra. BANCELIN
Tengo entendido, señor caballero,
que sus gastos ya son muy considerables.
DESGRIEUX
¡Tanto mejor para usted!...
Sra. BANCELIN
¡Peor tal vez!... Porque aquí, señor,
antes de abrir una nueva cuenta,
se paga la primera.
(Le entrega una factura de gastos)
DESGRIEUX
(sorprendido)
¿Cómo?
Sra. BANCELIN
¡Es la política de la casa!
(señalando a Durozeau)
El Señor le dirá... el señor que es un cliente
habitual y un amigo...
DESGRIEUX
¡Hacerme tal afrenta... a mí!
Escena Undécima
(Manón entra por la puerta
posterior, abanicándose)
MANÓN
¡No se puede soportarlo más!
¡Moriremos de calor!
si no llega el helado...
DESGRIEUX
Lo tomaremos en otro lugar...
¡Dame la bolsa!...
MANÓN
¿Qué quieres decir?...
DESGRIEUX
Mejor, arréglalo tú misma con Madame Bancelin...
que desconfía de nosotros...
y quiere que le paguemos inmediatamente...
¡Vamos, date prisa!
MANÓN
(por lo bajo, a Desgrieux con vergüenza)
Pero es que...
DESGRIEUX
¿Qué de qué?...
MANÓN
Es que la bolsa...
ya no la tengo!
DESGRIEUX
¡Gran Dios!
¿Dónde está?
MANÓN
Se la entregué... es decir,
se la presté a Lescaut nuestro primo.
DUROZEAU
(en voz baja, a Madame Bancelin)
Ya lo ve... se consultan entre ellos.
MANÓN
Nos la devolverá en media hora.
DESGRIEUX
Y hasta entonces... ¿qué pasará?
DUROZEAU
(de igual modo a la señora Bancelin)
¿Qué le dije a usted?
Son unos sinvergüenzas que no pagarán.
Sra. BANCELIN
(por lo bajo, a Durozeau)
¡Una cena para quince cubiertos!...
DUROZEAU
Señor, lo convoco,
ya no como amiga,
sino como comisario.
DESGRIEUX
¡Un comisario!...
MANÓN
(mirando al comisario)
¡Él!...
(en voz baja, a Desgrieux)
Es del que me burlé el otro día.
DUROZEAU
Es un hecho
que esto es de mi competencia.
Final
DUROZEAU
(dirigiéndose a los soldados de la
izquierda y señalando a Desgrieux)
¡A la prisión! ¡A la prisión! ¡Llévenlo a la
prisión!
Es un escándalo
que nada puede igualar.
¡Tiene que pagar! De lo contrario, de lo contrario,
¡a la prisión! ¡a la prisión! ¡a la prisión!
¡Daré cuenta de este sinvergüenza!
DESGRIEUX, MANÓN
¡A la prisión! ¡A la prisión! ¡A la prisión!
Es un escándalo que nada puede igualar.
¿Quiénes, nosotros? ¡Sufrir tal afrenta!
¡A la prisión! ¡A la prisión! ¡A la prisión!
¡Ah, es para perder la cabeza!
Sra. BANCELIN, BURGUESES.
¡A la prisión! ¡A la prisión! ¡A la prisión!
Es un escándalo
que nada iguala.
¡Tiene que pagar! De otra manera, de otra manera.
¡a la prisión! ¡a la prisión! ¡a la prisión!
¡Ah, qué afrenta para la casa!
Escena Duodécima
(Lescaut entrando de repente
y oyendo estas últimas palabras)
LESCAUT
¿A la prisión, decís? ¿Qué pretendéis hacer?
MANÓN
(corriendo hacia él con alegría)
¡Es Lescaut, mi primo!
LESCAUT
¡Qué! ¿Es un comisario
el que quiere manchar el honor de mi casa?
¿Deshonrar mi nombre
y mi escudo de armas?
DESGRIEUX
¡Dígnese escucharnos!
LESCAUT
¡No, por mi espada!
(señalando a Durozeau)
¡Sus días están contados!
MANÓN
(calmándolo)
¡Modérate!
DESGRIEUX
¡Sí! En este peligro inminente, no es cuestión
de tiempo, primo mío! ¡sino de dinero!
LESCAUT
¿Dinero?
¡No tengo!
TODOS.
¡Oh, cielos!
LESCAUT
¡Suerte infernal! ¡El juego me embrujó!
¡No tengo otro valor que yo mismo!
DUROZEAU
¡Ningún otro!
LESCAUT
Y sobre todo mi honor,
¡que garantiza mi deuda!
DESGRIEUX
¡Oh, parentesco fatal!
DUROZEAU, CORO
¡A la prisión! ¡A la prisión! ¡A la prisión!
etc.
(Mientras el comisario da órdenes al
sargento y a los soldados que están a la
izquierda, Manón se acerca a Desgrieux
presa de una profunda desesperación)
MANÓN
¡La desesperación me hace temblar!
(Ve a Margarita y a sus compañeros
aparecer por las ventanillas traseras y
les hace un gesto para que bajen)
LESCAUT
(Mientras tanto habla con Desgrieux)
¡Vamos! ¡Primo, razona!
DESGRIEUX
¡No sobreviviré!
LESCAUT
¿Estás bromeando?...
DESGRIEUX
¡No! ¡No!
(Arrugando la factura entre sus manos)
¡Daría mi vida por doscientas libras!
LESCAUT
(con fuerza)
¿Realmente es así? ¡Pues las tendrás!
DESGRIEUX
¿Ahora mismo?
LESCAUT
¡Ahora mismo!
DESGRIEUX
¿Y cómo?
LESCAUT
(mirando al sargento)
¿Cómo?
¡Por tu buena apariencia y tu firma,
el sargento responde!
EL SARGENTO
(sonriendo)
¡Sí! ¡Os lo juro!
DESGRIEUX
(a Lescaut)
¡Ah! ¡Todo te lo debo!
LESCAUT
(riendo)
¡No, soy yo quien está en deuda contigo!
DESGRIEUX
(en voz baja, a Manón)
¡Espéranos!... ¡Volveré!
(en voz baja, a Madame Bancelin)
¡Ya hablaremos!
DUROZEAU
(en voz baja, a Madame Bancelin, que ve
a Desgrieux, Lescaut y el sargento
entrando en la taberna de la izquierda)
¡Entiendo!
Pero desde aquí tengo un ojo puesto
sobre nuestra prenda,
¡Y la señorita Manón nos servirá de rehén!
(Margarita y las muchachas
bajan al final de esta escena)
MARGARITA
(acercándose a Manón que se ha dejado
caer en una silla a la derecha)
Entonces, ¿qué tienes?
¿A qué se debe tu preocupación?
MANÓN
(preocupada)
¡No es nada, Margarita!
(aparte y pensando)
Sí, mi primo Lescaut vela por nosotros.
Irá a pedir prestado algo de dinero...
¿Y si yo también pudiera ayudar?...
(al ver a una cantante del que entra en
ese momento con su guitarra,
suelta un grito de alegría)
¡Ahí voy!
(a la joven)
Un momento, dame esa vieja guitarra...
MARGARITA
(sorprendida al ver a Manón afinando la guitarra)
¿Qué estás haciendo?
MANÓN
¡Tengo problemas!
MARGARITA
(de igual modo)
¿Y bien?
MANÓN
¡Verás como lo soluciono!
(Levantándose y cantando en voz alta)
¡Tra, la, la, la, la, la, la, la!
Mientras os guste la canción,
escuchad, grandes y pequeños,
la nueva Bourbonnaise
con la que todo París se divierte.
¡Tra, la, la, la, la, la, la!
(Ante su canto, todos se levantan y
se acercan a Manón. El marqués y
sus amigos salen del salón)
EL MARQUÉS
¿Qué es esto? Señores, ¿Qué es?
¿Quién es esta bella cantante,
con una voz brillante y alegre?
(aparte)
¿Qué veo? ¡Oh, qué felicidad!... ¡Es Manón!..
MARGARITA
(en voz baja, a Manón)
¡Es el marqués!
MANÓN
(todavía tocando la guitarra)
¡Ah, qué honor!
¡Qué audiencia tan noble!
MARGARITA
(en voz baja, a Manón que sigue tocando)
¿Piensas tú? ¿Cantar así?...
¡Y delante de él!
MANÓN
(alegre)
¡Sí, me sonríe y me agrada!
(En voz alta)
Bourbonesa
Primer cuplé
¡Tra, la, la, la, la, la, la, la, la!
¡Es la historia de amor,
por demás fabulosa,
de un galán fier à bras!»
¡Ah! ¡ah! ¡ah!
(observando a Durozeau)
De un tierno comisario
del que se pensaba que era severo,
¡pero que no lo era!
¡Ah! ¡ah! ¡ah!
¡Amaba a una mujer!
¡Él la quería!... ¡Pero ella no lo quería!
¡Ah! ¡ah! ¡ah! Ahora bien,
¿queréis saber el nombre de esta Leandra?
¡Traidora como Judas!
¡Ah! ¡ah! ¡ah!
¿Su nombre?... ¡Os reiréis!
Os lo voy a decir por lo bajo...
muy bajo... muy bajo...
(Todos se acercan y Manón dice en voz alta)
¡No!... ¡No lo diré!
(Ríe)
¡Ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja!
¡Ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja!
EL MARQUÉS
(aplaudiendo junto con el coro)
¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo!
DUROZEAU
(aparte)
Tal insolencia tendrá su merecido.
¡Me las pagará!
MANÓN
(en voz baja, a Margarita)
¿Lo ves? Mi triunfo es completo.
(en voz alta)
¡Segundo cuplé!
Segundo cuplé
(Mirando a Durozeau)
Se decía que era inteligente,
¡pues en la ciudad hay magistrados!...
¡Ah! ¡ah! ¡ah!
¡Hay farolas,
alabadas por sus luces,
y que no iluminan!
¡Ah! ¡ah! ¡ah!
Al hogar de la bella mujer,
una tarde sin vela
quiso llevar sus pasos...
¡Ah! ¡ah! ¡ah!
La escalera era una sombra,
y sobre su nariz, en la sombra, ¡él cayó!...
¡patatrás!
¡Ah! ¡ah! ¡ah!
¿Su nombre?... Os reiréis, os lo voy a decir
en voz baja... muy baja... muy baja...
(de igual manera)
¡No, no lo diré!
¡Ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja!
¡Ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja! ¡ja!
MARQUÉS, CORO
¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo!
DUROZEAU
¡Ah! ¡Diablos! ¡Me las pagarán!
MARQUÉS, CABALLEROS.
¡Divina! ¡Encantadora!
MANÓN
(toma un cuenco y realiza la colecta)
¡Con mano generosa dadle a la cantante!...
(Le presenta el cuenco al comisario, que le
da la espalda. Los burgueses y los señores
ponen su dinero en el cuenco, y Manón hace
una reverencia cada uno)
¡Muchas gracias, señor!
(al llegar junto al marqués)
¿Y vos, marqués?...
EL MARQUÉS
(fuera de sí)
¡Manón, seductora!
¡No puedo aguantar más!
(la besa)
MANÓN
(sonriente)
¡Perdón!
(señalando el lugar del beso)
Eso es para la cantante;
y ahora... dé dinero por la canción.
EL MARQUÉS
(le da gran cantidad de monedas de oro)
¡Toma! ¡toma!
MANÓN
(se sienta a la derecha y vierte el
contenido del cuenco en su vestido)
¡Ah! ¡Qué placer! ¡Cuánto oro! No puedo creerlo.
(Devolviéndole a la muchacha su
guitarra y un puñado de dinero)
¡Gracias, mi querida niña!...
Acepta sin miramientos.
(Regresando con altivez)
Señora Bancelin, ¡deme su factura!
¡Démela! ¡Y nada será descontado!
Sí, sin revisar la cuenta, pagaré todo, querida,
¡la cena y los vinos!... incluso lo del comisario.
¡Como si fuera barato!
(cantando)
¡Tra, la, la, la, la, la, la!
MARGARITA
(en voz baja)
¡Manón!... ¡Qué locura!
MANÓN
(sigue cantando)
¡Ja! ¡ja! ¡tra, la, la, la!
¡Gracias a mí, tenemos una fortuna!
Escena Decimotercera
(Desgrieux, pálido y abatido, viniendo
de la taberna, seguido de Lescaut)
DESGRIEUX
(aparte)
Firmé... ¡ya está!
(Da el dinero que ha conseguido a Manón)
Bueno, bueno, Manón
¡con eso es suficiente para pagar!... ¡vamos!
MANÓN
(riendo)
¡No hace falta!
(Mientras Desgrieux interroga a Manón,
el Marqués habla con Lescaut)
EL MARQUÉS
(en voz baja, a Lescaut)
Entonces, ¿qué has hecho?
LESCAUT
¡Ah, un golpe inteligente!
(señalando a Desgrieux)
¡Tu rival, por mi mediación,
se ha alistado en tu regimiento!
MANÓN
(a Desgrieux, mostrándole lo
que tiene en el delantal)
¡Mira todo lo que tengo!...
DESGRIEUX
¿Y de dónde sacaste este oro?...
MANÓN
Ya lo sabrás.
(Tomándolo del brazo)
¡Ven, mi caballero!
DESGRIEUX
¡Sí!... ¡Vamos!
Escena Decimocuarta
(El Sargento y algunos soldados)
EL SARGENTO
(se planta frente a ellos)
¡No, no!
Soldado... ¡debes seguirnos!
MANÓN
(sorprendida)
¿Qué dice?...
SARGENTO
¡Qué está enrolado en el ejército!
MANÓN
Y yo, señor, lo libero;
¡Te daré su cédula de baja!
EL MARQUÉS
(en voz baja, al sargento)
Y yo le prohíbo aceptarla.
EL SARGENTO
(a Manón, que le ofrece oro)
¡No, de verdad!
¡Es imposible, niña mía!
(mirando a su coronel)
¡El reglamento nos lo prohíbe!
(a Desgrieux)
¡Debes seguirnos inmediatamente!
MANÓN
(arrojándose en los brazos de Desgrieux)
¿Separarnos?... ¡Nunca... nunca!...
SARGENTO
¡Ya mismo!
¡En el cuartel nos están esperando!
Concertante
DESGRIEUX
¡Oh, dolor mortal!
¡Cuando su voz me llama,
separarme de ella!
¡Oh, deber fatal!
Hay que hacerlo, ser disciplinado.
Llevar las cartucheras,
y en vuestro cuartel,
encerrarme esta tarde, esta tarde.
MANÓN
(llorando)
¡Oh, dolor mortal!
¡Alejarte de aquel cuyo amor te llama,
tú, mi única esperanza!
Tú vas, disciplinado,
cargas la cartuchera,
y en un cuartel,
te encerrarás esta tarde, esta tarde.
EL MARQUÉS
(mirando a Manón)
El amor que me llama,
me promete cerca de ella una nueva conquista.
¡Mi corazón late de esperanza!
(mirando a Desgrieux)
Rival subordinado.
Mi voz ordena,
que en un cuartel,
esta noche te encierren, esta noche.
LESCAUT
(al Marqués)
Nueva conquista os espera cerca de ella.
El amor os llama, ¡Qué esperanza!
Él va, disciplinado, llevando las cartucheras
y en un cuartel
gemirá esta tarde, esta tarde.
MARGARITA, JÓVENES.
¡Oh, suerte cruel!
¡Que lo separas de ella
su fiel amiga!
¡Poder injusto!
Él va, subordinado,
llevando las cartucheras,
a un cuartel,
gimiendo estará esta tarde, esta tarde.
DUROZEAU, Sra-BANCELIN.
¡Oh, nueva oportunidad
de vengarme de ella!
Esta cotorra parlanchina
ya no podrá verlo.
Eso la aflige.
¡Él va, subordinado,
a un cuartel
donde gemirá esta tarde!
¡Esta tarde!
SARGENTO, SOLDADOS,
(a Desgrieux)
¡Oh, nueva oportunidad!
Gloriosa y bella.
¡Ven, el honor te llama!
Fiel al deber,
su ley nos gobierna.
Llevemos la cartuchera,
al cuartel
donde beberemos esta tarde.
¡Esta tarde!
DESGRIEUX
(estrechando a Manón junto a su pecho)
¡Adiós Manón, mi amor y mi vida!
¡A toda costa, volveré a ti!
(a Lescaut)
¡Primo, te la confío!
Cuídala... y vela bien sobre ella.
LESCAUT
(a Desgrieux)
¡Defenderé el honor de la familia!
EL MARQUÉS
(en voz baja, a Lescaut)
¡Piénsalo bien!... Me respondes por ella
¡y por tu honor!
LESCAUT
Esto es lo que mejor se me da.
TODOS.
¡Vamos! ¡Vámonos!
Conjunto
DESGRIEUX
¡Oh, dolor mortal! etc.
MANÓN
(llorando)
¡Oh, dolor mortal!
EL MARQUÉS
(mirando a Manón)
El amor que me llama, etc.
LESCAUT
Nueva conquista, etc.
MARGARITA, JÓVENES.
¡Oh, suerte cruel, etc.
DUROZEAU, Sra BACELIN.
¡Oh, nueva oportunidad, etc.
SARGENTO, SOLDADOS.
¡Oh, nueva oportunidad! etc.
(El sargento y los soldados se llevan a
Desgrieux. Manón se apoya en Margarita
llorando. Durozeau y la Sra. Bancelin se
frotan las manos. El Marqués sale con Lescaut)
ACTO SEGUNDO
(Un salón pequeño y elegante. Puerta en el fondo;
dos puertas laterales. Al fondo, a la derecha, una
ventana; en primer plano, del mismo lado, una
pequeña puerta secreta y del otro lado, un sofá.
Escena Primera
(El Marqués sentado a la derecha, cerca de
una mesa cubierta de cajas, telas desdobladas,
etc. Un criado termina de vestirlo, mientras
que otro está de pie cerca de la mesa.
EL MARQUÉS
(Sosteniendo un estuche y una caja,
se dirige a un sirviente que está de pie)
¡Definitivamente elijo este estuche
y estos encajes!
Llevadlos al baño de mi madre.
El resto lo devolveremos mañana a los
comerciantes que los enviaron... ¿me oyes?
(el criado sale por la puerta
derecha. con impaciencia)
Y tú, Jazmín, ¿por fin terminaste de vestirme?
(se levanta, se quita la bata y la deja
sobre un sillón. Jazmín le da un
abrigo y le entrega una espada)
No, la otra...
La que tiene un puño de diamantes.
(Mientras se coloca la espada, dice enojado)
¡Esta ha sido una idea
de las grandes damas!
¡Nuestras duquesas, nuestras marquesas
y mi propia madre!...
Quieren que les dé un baile, yo, un muchacho,
en mi mansión... ¡para purificarla sin duda!
En cuanto a mí, es lo que más aburrido
encuentro en el mundo...
(Volviéndose impaciente hacia Jazmín)
¡Déjame! Quiero estar solo.
(Jazmín sale por la derecha)
Lo que me parece más terrible, es tener
que ocuparme de un baile, una fiesta,
de algo divertido... en definitiva,
¡cuando estoy de mal humor, alterado, furioso!...
Hice dormir a mi rival en el cuartel anoche,
lo metí en prisión esta mañana,
¡y todo por nada!
¡una injusticia, una idiotez!...
La señorita Manón presa de su dolor...
Manón, que estaba de luto por su caballero,
¡ni siquiera quiso recibirme!... ¡Diablos!
¡Y Lescaut que me sugirió que la secuestrara!...
¿Y eso para qué? ¡Para que volviera a desafiarme
y a reírse de mi ternura!...
¡No importa!... ¡Al menos la veré!
(se detiene)
¡Ah. qué!
¿Decididamente estaré enamorado?
¡Yo!... ¡Vamos pues!... ¿Por quién me tomarían?
Cuplés
Primer cuplé
Manón es frívola y coqueta, ¡Sí, coqueta!...
¡Y hasta algo más!
Y yo quiero... sabré complacerla
¡Por el amor!... ¡o por Plutón!
(alegremente)
Es un capricho, una locura;
¡No es más que una fantasía!
(con tristeza)
¡Fantasía, fantasía!
¡Más fuerte que el amor!
¡Fantasía, fantasía!
¡Que decide en un día
el destino de una vida!
Segundo cuplé
¡Manón, Manón! Amada mía,
¡lo desafío todo por tus hermosos ojos!
Aunque sea una cadena de oro,
el amor nos unirá a ambos.
Es un capricho, una locura,
¡No es más que una fantasía!
(Volviendo a adoptar un aire sombrío)
¡Fantasía! ¡Fantasía! etc.
Escena Segunda
(Llega Margarita con un paquete en mano)
MARGARITA
(fuera de escena)
Sí, sí, es para la señora Marquesa.
EL MARQUÉS
(con ímpetu)
¡Ah! ¡Es Margarita! ¡Qué felicidad!
MARGARITA
(Entra saludando)
Sois muy bueno, señor marqués.
EL MARQUÉS
¡Estoy feliz de verte!
¿Vienes de parte de ella?
MARGARITA
(sorprendida)
¿Cómo?...
EL MARQUÉS
¿De parte de Manón?
MARGARITA
¡En absoluto!... Adiós, señor.
EL MARQUÉS
Pero, ¿adónde vas?
MARGARITA
A probarle a la señora Marquesa, su madre,
el vestido que me encargó
para el baile de esta noche.
EL MARQUÉS
(con indiferencia)
¡Ah! ¿Es por eso que vienes?
MARGARITA
Con mucho entusiasmo pues la Sra. Marquesa
dice que tiene buenas noticias que darme
sobre Gervais
EL MARQUÉS
¡Está bien! ¡No quiero entretenerte!
(Margarita se aleja y él la llama)
¡Margarita!... ¿Hhas visto hoy a Manón?
MARGARITA
La dejé hace un momento.
EL MARQUÉS
¿Estaba triste?
MARGARITA
Cantaba y reía en su ático.
EL MARQUÉS
(Con indignación)
¡A raíz de qué!...
MARGARITA
Ella iba a ver al caballero.
EL MARQUÉS
(con satisfacción)
Él está arrestado.
MARGARITA
¡Razón de más para ir a verlo!
Dejan entrar a sus mujeres o hermanas para ver
a los presos, ¡sobre todo cuando son bonitas!...
¡Y la idea de ir al cuartel le encanta!
Pero cuando piensa en su caballero se enternece,
de modo que llora y ríe al mismo tiempo.
EL MARQUÉS
(airadamente)
¡Diablos!
MARGARITA
No podéis vos evitar que llore.
EL MARQUÉS
¡Sí, es verdad!
MARGARITA
Así que déjela reír, o, mejor dicho,
señor marqués, no os preocupéis por ella.
EL MARQUÉS
Cuando la veo infeliz...
MARGARITA
¡Es su felicidad! Dejadla con la suya
y quedaos vos con la suya.
Anoche, por ejemplo,
mientras el pobre Desgrieux iba al cuartel...
¿Por qué intentasteis ver a Manón?
EL MARQUÉS
¡Para tranquilizarla!... ¡Para consolarla!
MARGARITA
¿No estaba yo ahí?
EL MARQUÉS
¿Tal vez fuiste tú quien
le impidió verme?
MARGARITA
¡Precisamente! ¿Era lo apropiado?...
¡Presentaros a esa hora!
Vos, joven, amable y seductor...
porque lo sois, señor.
¡Vos bien que lo sabéis! ¡Y todo ese despliegue,
contra una muchacha, una joven sin apoyo!
¡No es decoroso!... ¡No está bien!
EL MARQUÉS
(con altura)
¡Margarita!
MARGARITA
¡Necesitáis mujeres más dignas!
¡Coquetas, acostumbradas a ser
asediadas y a defenderse!
¿Pero la señorita Manón?... ¿Qué es?...
¡Un capricho!... ¡Nada más!
EL MARQUÉS
¡Es posible! Pero nada se parece más
a una pasión que un capricho... frustrado.
MARGARITA
¡Vamos entonces!
EL MARQUÉS
Nada me puede separar de ella...
MARGARITA
¡Otra dama, una nueva!
Esta noche, por ejemplo, todas las jóvenes
y bellas duquesas que, según se dice,
quieren ver su nueva residencia.
EL MARQUÉS
Sí, para conocerla.
MARGARITA
(sonriente)
¿Creéis eso?
(con ímpetu)
¡En fin!... Supongamos que así es.
¡Están las que les gusta ser halagadas!
¡Dejarlas, será a la vez
un placer y una buena acción!
EL MARQUÉS
(sonriente)
¡Es verdad!
MARGARITA
¡Sí, no persigáis más a ese pobre caballero
que no tiene nada en el mundo,
excepto el corazón de Manón!
¡Que se lo quede para él solo!
EL MARQUÉS
(va a sentarse cerca de la mesa, a la derecha)
¡Puede que tengas razón! Aquí abajo nada es
duradero, mientras esperamos que ella lo olvide...
MARGARITA
¡Mientras tanto... yo sería totalmente generosa!
En vuestro regimiento donde está enrolado,
lo han puesto bajo arresto, porque quiso,
a pesar de las órdenes recibidas,
salir esta mañana para ver a Manón.
EL MARQUÉS
¡Es probable!
MARGARITA
¡Yo que vos me comportaría como un señor!
Le devolvería la libertad y sus amores...
y una vez que se reencuentren, que sean felices...
¿Qué estáis pensando mi señor?...
EL MARQUÉS
¡Lo que me dices es una posibilidad!
¡Manón es una chica extraña! Mientras que
el caballero sea desdichado o esté ausente...
¡Ella sólo pensará en él y no en ningún otro!
(Sonriendo)
Pero si él volviera con ella para siempre...
MARGARITA
¿Y bien?...
EL MARQUÉS
La mayoría de las mujeres se olvidan de
sus maridos porque ellos están con ellas.
MARGARITA
¡Es una idea malvada, mi señor! Pero si puede
conducir a una buena acción, ¡no importa!
EL MARQUÉS
¿No es cierto?
MARGARITA
Acepto su promesa...
¿Liberaréis a Desgrieux?
EL MARQUÉS
Sí.
MARGARITA
Nunca volveréis a ver a Manón... Nunca...
(gesto de disgusto del Marqués)
O al menos durante mucho tiempo...
Que es lo mismo, porque entonces
la habréis olvidado, y yo, para el regalo
de cumpleaños de vuestra madre,
le contaré el rasgo de generosidad de su hijo.
Tengo la sensación de que eso le dará aún
más placer que el baile de esta noche.
EL MARQUÉS
(tomándole la mano y tras
un momento de silencio)
¿Sabes que eres una muchacha terrible,
Margarita, y que en el fondo
no eres tan buena como pareces?
MARGARITA
(con emoción)
¡Ésa es la diferencia entre nosotros dos,
señor marqués! ¡Adiós, señor!
EL MARQUÉS
¡Adiós, Margarita!
Escena Tercera
EL MARQUÉS
(a solas, mientras la mira irse)
¡Sí, es una buena chica!...
Además, muy agradable...
¡y seguro que a Gervais
no lo hará desdichado!...
Vamos, ¿en qué estoy pensando?
Hice una promesa, cumpliré mi palabra.
¡No cuesta tanto como se cree
ser un hombre honesto!...
incluso produce placer...
Siento una satisfacción desconocida...
Margarita tiene razón, ¡la resolución
que acabo de tomar debe traerme suerte!...
(gritando)
¡Ah, Manón!... ¿Qué estaba diciendo?...
Manón en mi casa... ¡a esta hora!
Escena Cuarta
MANÓN
¡Ah, qué alegría encontraros!
EL MARQUÉS
(con alegría)
¿Lo dices de verdad?
MANÓN
Vuestros lacayos afirmaban
que no estabais para nadie.
EL MARQUÉS
Los despediré a todos.
MANÓN
Yo les dije que era absolutamente necesario
que me dejaran entrar, que vos me esperabais...
EL MARQUÉS
Es verdad, ¡siempre!
MANÓN
Entonces, ¿no mentí?
EL MARQUÉS
No, porque justo ahora estaba pensando en ti.
MANÓN
Y yo en vos... ¡cómo os encontráis!
EL MARQUÉS
¡Ah, Virgen Santa!
Manón.. lo prometí... lo juré...
MANÓN
¿Qué jurasteis?...
EL MARQUÉS
¡Nada! Pero si vienes a tentarme...
Ya no será culpa mía.
MANÓN
(mirando a su alrededor)
¡Dios, qué bonito es todo:
el salón... el sofá...
(se sienta en un sofá a la izquierda)
¡Qué bien se está aquí!...
(sacando su pañuelo)
Mirad, señor Marqués,
estoy muy triste...
EL MARQUÉS
Cuéntame...
MANÓN
(mirando la tela del sofá)
Son flores de lampote, ¿no?
EL MARQUÉS
¡No sé nada de flores!
MANÓN
(sigue mirando)
Con tachuelas doradas... queda muy bien-
¡En lugar de mis feas sillas de paja!...
¡ay!...
(comenzando a llorar de nuevo)
Imaginaos, señor marqués,
que vengo del cuartel...
EL MARQUÉS
¿Y bien?
MANÓN
Fui a ver a este pobre caballero
al que amo más que nunca.
Mi corazón latía con fuerza
cuando me presenté,
haciendo mi más hermosa reverencia,
al centinela.
No se puede pasar.
Es para ver a un prisionero.
No se le puede ver.
¡Es mi amante, señor soldado, déjeme pasar
en nombre de su buena amiga!
Pues tiene una... estoy segura..."
Él sonrió y continuó un poco menos seco:
No se puede pasar sin un permiso.
¿Permiso de quién?
Del coronel.
¿Quién es el coronel?
El marqués de Hérigny.»
Ante este nombre casi me desplomo
de alegría y sorpresa...
El soldado me sostuvo,
pobre muchacho... ¡y me besó!
EL MARQUÉS
(furioso)
¡Cómo!...
MANÓN
¡Virgen Santa!
¡Salí corriendo, y aquí estoy!
Y rápido, señor marqués, no hay tiempo que
perder, deme una orden... un permiso...
EL MARQUÉS
(fríamente)
¿Para qué?
MANÓN
¿Cómo, para qué? Pero si desde ayer,
desde hace un siglo que no lo veo,
no puedo vivir así... ¡Me volveré loca!
EL MARQUÉS
Entonces ¿todavía lo amas?...
MANÓN
¡Desesperadamente!
EL MARQUÉS
¿Y a mí... ingrata?
MANÓN
¡A vos también! Es tan bueno, tan generoso,
y si me firma ese permiso,
entonces os amaré aún más.
EL MARQUÉS
¿Cómo a Desgrieux?
MANÓN
¡No!
EL MARQUÉS
¿Cómo, entonces?
MANÓN
¡No sé! Vuestros modales son tan elegantes,
tan agradables, que una se siente
atraída hacia vos a primera vista.
EL MARQUÉS
¿Nada más?...
MANÓN
Si, de verdad...
(con vergüenza)
Empecé a pensar que sería a vos a quien
le daría mi corazón
¡si lo tuviera!
(alegremente)
Pero ya no lo tengo... ¿me entiende?
EL MARQUÉS
¡Ah, Manón!
¿Es acaso mi culpa llegar demasiado tarde?
¡Pero aún estoy a tiempo!
MANÓN
(riendo)
¡Era necesario llegar ayer!
EL MARQUÉS
¿Y mañana?
¿Mañana no puedes elegir de nuevo?
MANÓN
¡Tan pronto como se ama,
mi señor, ya no se puede elegir!
Dúo
MANÓN
Vos tenéis los dones que producen agrado:
el esplendor y el oro de un rey.
¡Y nosotros no tenemos otra cosa
que yo para él y él para mí!
EL MARQUÉS
(sonriente)
Si, menos cruel y severa,
lanzas una mirada sobre mí,
a ti, Manón... toda mi vida,
¡a ti mi corazón y mi fidelidad!
MANÓN
¡Si cediera a este delirio,
debería pagar demasiado por mi orgullo!
EL MARQUÉS
¿Demasiado caro?...
¡Solo quiero una sonrisa!
¡Solo pido una mirada!
(con amor)
Bella y galante,
amada mía,
brillarías,
cuando radiante y fresca
te acomodaras
en tu carruaje.
Vestidos nuevos,
ricos encajes,
joyas coquetas,
¡harían tu vida
dulce y bonita
en este palacio!
¡En este palacio, donde yo sería
el más sumiso de tus súbditos!
Si quisieras... si quisieras...
¡Manón! ¡Manón! ¡Si quisieras!
¡Si quisieras!
MANÓN
(que lo estaba escuchando a pesar suyo
con placer, busca alejarse de él)
¡Callaos! ¡Callaos!
Vuestras palabras son demasiado gentiles.
¡Al oírlas...
me estremezco de placer!
Sólo quiero una cosa:
¡Mi permiso! ¡Mi permiso!
Sí, señor marqués, ¡Mi permiso!
¡Mi permiso!
EL MARQUÉS
¡Lo tendrás! ¡Lo juro por mi honor!
Pero un momento... ¡Manón!...
Manón escúchame.
¡Cuánto prestigio,
cuántas maravillas te sonreirían!
En nuestras fiestas,
¡cuántos milagros te rodearían!
Sólo ante tu mirada,
la multitud conmovida se sentiría atraída:
Diría ¡Es ella!
¡Es la más bella!
¡Tú reinarías!
¡De lejos, de cerca, reinarías!
Y yo sería en este palacio
el más sumiso de tus súbditos,
si tú quisieras, si tú quisieras,
Manón, Manón, si tú quisieras.
MANÓN
(Que se había tapado los oídos, coloca
la mano en la boca del marqués)
¡Callaos! ¡Callaos! etc.
EL MARQUÉS
¡Lo tendrás! ¡Lo tendrás!
¿Cómo negártelo?
MANÓN
(con alegría)
¡De un corazón agradecido,
¡ah! recibid el mayor de los respetos!
EL MARQUÉS
¡Bien! Si dices la verdad,
te pido sólo una cosa.
MANÓN
(vivaz)
¡Hablad, señor, hablad!
EL MARQUÉS
Sólo un beso...
MANÓN
¡Callaos! ¡Callaos!
EL MARQUÉS
¿Puedes ver cómo no me enfado?
Me detengo y no me atrevo...
A tus órdenes sumiso,
sólo quiero una cosa:
¡un permiso! ¡un permiso!
MANÓN
(Apenas se defiende)
¡Ah, señor marqués!...
EL MARQUÉS
¡Mi permiso tiene ese precio!
Ambos
MANÓN
(aparte)
Él me está esperando.
y cada momento de retraso
le causa
doble pesar...
¡Es por obligación...
es para verlo,
que aquí Manón
ya no dice que no!
EL MARQUÉS
¡Momento encantador!
¡Ella se rinde!
¡Acepta!
¡Ella calla!
¡Oh, dulce esperanza!
¡Sí, me parece ver
que Manón finalmente
ya no dice que no!
EL MARQUÉS
(besando a Manón)
¡Manón! ¡Manón! ¡Perderé la cabeza!
¡Es un beso muy pequeño!...
¡Un segundo beso!... ¡Un segundo!
MANÓN
(impaciente)
Vamos
¡Vamos!
¡Rápido!
Ambos
MANÓN
(aparte)
Él me está esperando, etc.
EL MARQUÉS
¡Momento encantador! etc.
(La besa y cae de rodillas ante ella)
Escena Quinta
(Margarita entrando por la puerta trasera,
a la derecha, se detiene sorprendida al ver al
Marqués arrodillado ante Manón)
EL MARQUÉS
(levantándose y dispuesto a salir)
¡Dios, Margarita!
MARGARITA
(aparte)
¡Llego a tiempo!
(en voz alta)
La señora Marquesa, vuestra madre,
a quien he manifestado vuestras buenas
intenciones, os ruega, señor Marqués,
que tengáis a bien reuniros con ella...
(Gesto de impaciencia del Marqués)
¡Ahora mismo!
¡Solo os transmito sus órdenes!
EL MARQUÉS
Es suficiente... me voy,
(a Manón)
Como te prometí, señorita Manón
volveré para traerte el permiso...
¡Espérame por favor!
(La saluda y se va)
Escena Sexta
MARGARITA
(Tan pronto como el Marqués sale)
¡No lo esperes, vámonos!
MANÓN
Necesito un permiso
para ver a Desgrieux.
MARGARITA
Él preferiría que te olvidaras
del permiso...
MANÓN
Pero es absolutamente imprescindible,
y en este caso lo hago por necesidad...
MARGARITA
¿Virtud?... ¡Vamos! Si no fuera por mí,
Dios sabe lo que habría pasado...
MANÓN
¡Te lo juro, Margarita,
que es con buenas intenciones!
MARGARITA
¡Precisamente!
¡Son las buenas intenciones las que nos pierden!
Desconfiamos de algunas, mientras que por otras
nos dejamos llevar... se encuentra placer en ello.
MANÓN
¡Es verdad!
MARGARITA
¡Te lo dije! El mismo Marqués
esta mañana, de buena fe me juró...
que te olvidaría... ¡y no ha podido!
MANÓN
¡Pobre muchacho!
MARGARITA
¿Le tienes lástima? ¡Mira que bien!...
Si lo vuelves a ver, estás perdida...
Sólo hay un camino de salvación.
MANÓN
¿Cual?
MARGARITA
¡Soy muy feliz y tienes que
compartir mi felicidad!
La señora Marquesa posee tierras y bosques,
lejos de Francia, en Luisiana,
Una propiedad importante
que requiere un hombre honesto y trabajador...
Ha pensado en Gervais, de quien
le he hablado muchas veces.
Ella le escribió, hace algunos días, a El Havre,
para que se embarque en el Jean-Bart,
un barco que está por zarpar,
y mañana iré a reunirme con él
para compartir sus fatigas y su trabajo...
¡Y para casarme con él!
Comprende que no puedo conservar
ni mis obligaciones ni mi profesión,
¡todo te lo cedo!
MANÓN
¿A mí?
MARGARITA
¡Un buen negocio, un futuro asegurado!
Trabajo, orden, dinero;
no te avergüences, ponte a trabajar.
¡Ayúdate tú misma y el cielo te ayudará!
La señora Marquesa, a quien le conté todo,
te toma bajo su protección y obliga a su hijo
a otorgarle la libertad a Desgrieux.
Te casarás con él y ya no tendrás
nada que temer, nada de preocupaciones,
nada más que vivir como una mujer honesta.
MANÓN
Pero permíteme, mi buena Margarita.
MARGARITA
¿Ya estás buscando excusas?
MANÓN
No, pero ¿el señor Marqués, va a volver?
MARGARITA
¡No lo esperaremos, vámonos!
MANÓN
¡Se pondrá furioso!
MARGARITA
¿De que seas una chica valiente y honesta?
¡Es la segunda vez que te encuentra!...
¡Puede presumir de que tiene suerte!
MANÓN
¡Pero al caballero no lo podré ver hoy,
está arrestado!
MARGARITA
No siempre estará arrestado,
lo veremos mañana...
Ven, te digo, no nos quedemos en este lugar,
es aquí donde reside el verdadero peligro.
(Ambas salen)
Escena Séptima
LESCAUT
(Entra, algo embriagado)
Buenas noticias del caballero, mi coronel.
MANÓN
¡Es Lescaut!
LESCAUT
¡Caramba, prima! ¡Y también la costurera!
MARGARITA
Buenas noticias... ¿dijiste?
MANÓN
¿De Desgrieux?... ¡Habla!
LESCAUT
Cuando digo buenas noticias... quiero decir
malas... prima... malas para la familia.
MANÓN
¿Cómo es eso?
LESCAUT
Fui esta mañana al cuartel a ver al primo...
es en la desgracia cuando aparecen los parientes...
Un soldado de su regimiento,
al que le ofrecí una o dos botellas...
no, sé exactamente cuántas...
porque fue él quien las pagó... me dijo... que...
MANÓN
(interrumpiéndolo)
¡Que está arrestado ya lo sabemos!
MARGARITA
Y que no podemos verlo.
LESCAUT
¡Arrestado!...
¡Ah! ¡Si, si fuera solo eso!...
MANÓN
Entonces ¿qué más hay?...
LESCAUT
El caso es que, a pesar del castigo,
él quería salir esta mañana...
¡Salir a ver a la señorita Manón, mi prima,
por quien estaba preocupado y celoso!
MANÓN
¡Es posible!
LESCAUT
¡Preocupado! ¡Puedo imaginarlo! Celoso... ¡no!
Porque debe saber que nuestra familia... es
particularmente estricta... en materia de virtud...
MANÓN
(suplicante)
¿En definitiva, Lescaut?...
MARGARITA
(de la misma manera)
Concluye...
¿Qué ha sucedido?
LESCAUT
Los enamorados nunca deberían contraer
obligaciones... ¡militares, claro está!...
Porque el amor es tan vivo como la pólvora,
y la pólvora explota...
MANÓN
Me estás matando, primo...
(vivaz)
¡Y bien! ¿Y el caballero?...
LESCAUT
Se enfureció con el cabo...
que le impedía salir...
¡y le levantó la mano a un superior!...
MANÓN
¡Oh, cielos!
LESCAUT
¡A un cabo!...
MARGARITA
¡Está perdido!
LESCAUT
(fríamente)
¡Será fusilado!... ¡Ni más ni menos!
Esto es lo que vine a anunciarle al coronel.
MANÓN
Corro a hablar con él.
MARGARITA
(reteniendo a Manón)
¡Espera, que aquí viene!
Escena Octava
EL MARQUÉS
(fríamente)
Acabo de recibir noticias serias e importantes
sobre el caballero.
MARGARITA
¡Ah, señor Marqués!...
EL MARQUÉS
(de igual modo)
¡Es suficiente! Déjanos, Margarita
tengo que hablar con la señorita Manón
MARGARITA
(preocupada)
Pero quedarse a solas con ella...
LESCAUT
¿No estoy yo aquí... para proteger y salvaguardar
el honor de la familia?...
MARGARITA
¡Así es!
(en voz baja, a Manón)
Pero ten cuidado
ten cuidado
y sobre todo piensa
MANÓN
(enérgica)
¡Sólo pienso en él y sólo lo amo a él!
MARGARITA
¡En buena hora!
(Se va)
LESCAUT
(acercándose a Manon)
Quédate tranquila, prima...
Escena Novena
EL MARQUÉS
(después de un momento de silencio)
¡Lescaut!...
LESCAUT
¡Mi coronel!
EL MARQUÉS
Esta noche hay un baile en la residencia
y tiene que haber, si no me equivoco,
unas mesas muy bien surtidas...
con embutidos... y buenos vinos.
LESCAUT
¿Eso creéis?...
EL MARQUÉS
¡Supongo que sí!
Y no te impediré que lo compruebes
por ti mismo; ¡No quiero detenerte!
LESCAUT
¿Y mi prima?
EL MARQUÉS
Quédate tranquilo;
yo me quedo con ella.
LESCAUT
¡Yo os lo ruego! Sobre todo, por nuestro buen
nombre y nuestro prestigio...
EL MARQUÉS
Me ocuparé de ello...
LESCAUT
¡En buena hora!...
(saliendo por la puerta trasera derecha)
¡Demonios! Debo caminar derecho.
(sale tambaleándose)
Escena Décima
EL MARQUÉS
(fríamente)
Dígnate escucharme.
Desgrieux, después de haber
reducido al cabo con violencia, huyó...
MANÓN
(aparte)
¡Qué alegría!
EL MARQUÉS
Sumando así al primer delito otro:
el de deserción.
MANÓN
(atemorizada)
¡Ah, Dios mío!
¿Qué será de él?
EL MARQUÉS
¡Nadie podrá salvarlo
del castigo que merece!...
Sólo yo, si busco bien,
tal vez pueda encontrar una manera.
MANÓN
(vivaz)
¿Cuál es? ¿Cuál es?...
¡Hablad! ¡Os lo imploro!
EL MARQUÉS
Desde ayer tengo en mis manos
el compromiso militar del caballero,
que efectivamente está firmado por él...
MANÓN
¡Oh, cielos!
EL MARQUÉS
Pero todavía no por mí.
MANÓN
(con alegría)
Entiendo.
EL MARQUÉS
Así pues, él todavía no es un soldado.
MANÓN
(vivaz)
Y no es culpable... ¡es obvio!
¡Qué felicidad! ¡Lo salvaréis ¿No es así?
EL MARQUÉS
(sonriente)
¡Bajo determinadas condiciones,
que no dependen de mí, sino de ti!
MANÓN
¿De mí?... ¿Cuáles?...
EL MARQUÉS
Te las diré.
Cuplés
Primer Cuplé
Quiero que aquí tú seas la reina.
Que todos te reverencien,
que esta residencia te pertenezca,
que estas joyas brillen para ti.
(gesto negativo de Manón)
¡Yo lo quiero!... Y tú, mi hermoso ángel,
no puedes rechazarme,
porque no quiero nada a cambio.
¡Nada de ti! Ni siquiera un beso.
Sin esperanzas y sin exigencias,
como un humilde esclavo, de rodillas ante ti.
esperaré todo en silencio.
De mis atenciones, del tiempo y de ti.
MANÓN
(sorprendida y bajando la mirada)
Acepto... señor Marqués...
¿si no pedís nada más?...
EL MARQUÉS
Nada más... ¡para mí!...
Pero de los otros, ¡es diferente!
MANÓN
¿Qué queréis decir?...
EL MARQUÉS
Segundo Cuplé
Quiero una ausencia eterna
que aleje a mi rival, al que odio.
¡Quiero tu promesa formal
que nunca más lo verás!
(gesto de desagrado de Manón)
¡Yo así lo quiero!...
De tu respuesta dependerá su destino hoy.
En cuanto a ti, ¡ay! ¡Si yo renuncio,
espero que él también lo haga!
Porque, sin esperanzas, sin exigencias,
como humilde esclavo, de rodillas ante ti,
todo lo esperaré en silencio,
de mis atenciones, del tiempo y de ti.
MANÓN
¡Qué! ¿Nunca volverlo a ver?
EL MARQUÉS
Por el cariño que le tienes;
¡para salvarle la vida!
MANÓN
¡Nunca!
EL MARQUÉS
Entonces ¿prefieres que muera?
MANÓN
(impetuosamente)
¡No! ¡No!
Escena Undécima
(Lescaut y dos criados entran).
LESCAUT
El banquete es espléndido...
Así me gustan los bailes... Vengo a decirle
que está llegando gente de todos lados...
EL MARQUÉS
(aparte)
Estoy obligado a atenderlos en un momento así...
¡Qué fastidio!
(en voz alta, dirigiéndose a los sirvientes
que permanecen en el fondo)
Que este pabellón quede reservado...
que nadie entre en él...
y recordad que ya no es para mí.
(Señalando a Manón)
sino que está reservado para la señora...
LESCAUT
(aparte, con alegría)
¡La señora!...
EL MARQUÉS
A la que todos deben obedecer.
LESCAUT
(del mismo modo)
¡Qué bien!
EL MARQUÉS
(por lo bajo, a Lescaut)
¡Sí! ¡Se dignó aceptar estas joyas,
estos encajes y esta residencia
que en adelante le pertenece y de la que
te nombro mayordomo y administrador!
LESCAUT
¡En buena hora! por lo tanto, la familia
es finalmente tratada según su rango.
(Mirando los diamantes sobre
la mesa, de la derecha)
¡Todo esto es nuestro! ¡Todo!
EL MARQUÉS
(se acerca a Manón, en voz baja)
Enviaré mañana la orden para que cese
el proceso contra el caballero...
Esta tarde, otras cosas me reclaman...
un baile... una fiesta...
Manón, no podía haber previsto tu llegada...
Intentaré despedir a todos temprano, y,
en lugar de cenar con ellos,
te pido que antes de retirarme...
pueda tener el honor de cenar aquí...
como un amigo... sin ceremonias...
¿Me lo permites?...
(Mientras tanto, Lescaut se ha acercado a la mesa
y ha tomado un estuche que observa atentamente)
LESCAUT
¡Joyas familiares!
EL MARQUÉS
(a los dos sirvientes)
Preparad dos cubiertos en este salón,
La cena la serviréis tan pronto como
la señora lo ordene.
(Volviéndose hacia Lescaut que está
cerca de la mesa, a la derecha
¡Lescaut!
LESCAUT
(mete dentro de su sombrero
el estuche que tiene en la mano)
¡Mi coronel!
EL MARQUÉS
Procura que se elija todo
de o más delicado y refinado.
LESCAUT
¡Quedaos tranquilo! ¡Conozco el oficio!
(a los sirvientes)
¡Vamos!
(reteniéndolos cuándo van a salir)
¡Un momento! ¡Vosotros, detrás de mí!
(Sale seguido de los dos sirvientes. El Marqués,
tras saludar a Manón, se dirige hacia el salón de
la derecha. Se desata una tormenta)
EL MARQUÉS
(a Manón)
Se avecina una tormenta...
Aquí, sola, quizás tengas miedo...
Entonces me quedo...
¡Me quedo!
MANÓN
(vivaz)
No, señor marqués,
toda esa gente está esperándoos...
dejadme... os lo pido... por favor...
EL MARQUÉS
¡Me lo pides por favor!... Eres muy buena...
¡Podrías habérmelo ordenado!
(La saluda respetuosamente y sale)
Escena decimosegunda
MANÓN
(Sola, El fragor de la tormenta aumenta
y luego disminuye gradualmente)
Aria
No más sueño embriagador.
¡No más esperanzas!
¡Amigo, es la muerte vivir sin verte!
Sí, el corazón pronto se congela sin amor,
como la primavera que pasa
sin días hermosos.
(se sienta cerca de la
mesa de la derecha)
¡Qué opulencia a mi alrededor!
¡Ay! ¿Qué me importa este lujo...
y esta elegancia, y estos objetos preciosos?...
(abriendo un estuche)
Y este estuche... ¡cómo brilla!
No sé mucho sobre eso, soy muy joven,
pero estas joyas brillantes, son...
creo, diamantes...
Sí... sí... ¡son diamantes!
(Cerrando el estuche)
Pero, aunque yo los mire, ¡Ah!
¡Lo intentaría en vano!
No, no, no, Dios no lo quiera,
¡Me siento muy triste!
(llorando)
¡Sí, sí, estoy muy triste!
(Se acerca, a su pesar, de la mesa
de la derecha y mira los diamantes)
¡Y él quiere que todo esto sea mío,
y que yo gobierne como soberana!
(Sin querer, hace sonar la campanilla
en la que estaba apoyada.
Aparecen los dos sirvientes)
LOS DOS SIERVOS.
¿Qué desea la señora?...
MANÓN
¡Nada!... Dejadme.
(Los dos sirvientes se van.
Con satisfacción)
Es cierto,
Todos me obedecen..., pero por hablar
como una reina, ¡ah! estoy demasiado triste
(empieza a llorar)
¡Sí... sí!... ¡Estoy muy triste!
(Escucha un estribillo del baile.
Rápidamente se seca los ojos)
¿Qué escucho? ¡Oh, cielos!... ¡Oh, sí!...
¡La orquesta da la señal de empezar el baile!
(corre a escuchar en la puerta derecha)
¡Dulce sonido del baile!
Escucho la cadencia que todos bailan...
El suelo vibra.
(Entreabriendo la puerta)
¡Oh, qué alegría embriagadora!
El delirio aumenta.
¡La multitud se estremece de placer!
Con estos movimientos llenos de encanto
se conmueve mi alma, los sigo con la mirada,
(zapatea)
Los seguiría con mis pies...
(cierra la puerta)
Pero... sería estúpido arriesgarme.
¡Ah, lo intentaría en vano!
¡No, no, no! Dios no lo quiera,
tengo demasiada pena para eso!
¡Sí, sí, tengo demasiada pena!
(En ese momento la tormenta que poco a
poco había amainado se reanuda con
fuerza y se combina con el sonido del
baile de la orquesta)
Qué alegre alboroto...
(señalando la ventana de la derecha)
¡El rayo ruge furiosamente!
Allí las sonrisas... ¡aquí la tormenta!
¡Ay! es como en mi corazón.
Sí, ¡tanto el placer como el dolor
hacen latir mi corazón!
(Se sienta en el sofá de la izquierda)
Escena Decimotercera
(Desgrieux entra en el apartamento
por la ventana de la derecha)
DESGRIEUX
(Viendo a Manón)
Entonces, ¡es cierto!
MANÓN
(Se da vuelta, lo ve, da
un grito y corre hacia él)
¡Tú, mi caballero!
DESGRIEUX
(rechazándola)
Tú, Manón... ¡en este lugar!
No lo podía creer.
MANÓN
Sólo vine aquí para salvarte.
DESGRIEUX
(con ironía)
Sí, Margarita, a quien acabo de ver...
porque fui a su casa primero,
Margarita me aconsejó que me diera prisa.
MANÓN
Pero te he salvado
de los peligros que te amenazaban;
¡He obtenido tu indulto!
DESGRIEUX
Sí, me dijiste que lo pedirías...
¿Y creíste que lo aceptaría
a este precio?
MANÓN
No me exigieron nada... lo juro...
DESGRIEUX
¿Y cómo es entonces que estás aquí,
a estas horas, en casa del Marqués?
MANÓN
Estoy en mi casa... ¡Lescaut te lo dirá!
Todo aquí me pertenece... todo esto es mío.
DESGRIEUX
¿Es posible semejante generosidad?
¿A quién quieres convencer de que todo
esto te lo dio desinteresadamente?...
Vas a dejar todo esto... y vas seguirme...
MANÓN
Escúchame...
DESGRIEUX
(con fuerza)
¡O me lo creeré todo!
MANÓN
(vivamente y tomándole del brazo)
¡De acuerdo! ¡Vamos!
DESGRIEUX
(con alegría)
¿Es posible?...
(cayendo a sus pies)
Manón... Manón...
Entonces ¿me amas?
MANÓN
(lo besa)
¡Siempre! ¡Y nunca dejaré de hacerlo!
¡En dónde terminaremos, no lo sé!...
Si huyes, te seguiré... si mueres... ¡moriré!
(alegremente)
Tienes razón, es mejor...
¡Nunca nos separaremos!
DESGRIEUX
(la lleva hasta el fondo)
¡Sí, siempre juntos!... ¡Vamos!
MANÓN
¡No, por allí no!
Las antecámaras están llenas
de sirvientes y lacayos.
DESGRIEUX
(conduciéndola hacia la derecha)
Por este lado entonces...
MANÓN
Nos encontraríamos en medio
de un baile magnífico.
Salgamos por la ventana por la que entraste...
DESGRIEUX
¿Crees que sería prudente?
En este momento la lluvia cae a torrentes,
jamás te expondría a una tormenta como esta.
MANÓN
En unos momentos la tormenta cesará...
esperemos.
DESGRIEUX
Esperar... ¡aquí!
MANÓN
¡Podemos hacerlo sin temor!
Nadie... te lo juro, entrará aquí sin mi orden...
(Mirando a Desgrieux que
está apoyado en un sillón)
¡Ay, Dios mío! ¿Qué te pasa?
Estás pálido... apenas te sostienes...
DESGRIEUX
¡No es nada!... La emoción...
MANÓN
Debilidad, tal vez...
DESGRIEUX
(apenas se sostiene en pie)
Es posible... porque desde ayer...
MANÓN
(vivaz)
¡No has comido nada!...
DESGRIEUX
¡Qué importa!...
MANÓN
¿Qué importa?
(Al ver que se desploma en un sillón)
¡Ah! ¡Dios mío!
¡Te sientes mal!
¡Se nota el cansancio, la debilidad!
(Toca rápidamente la campanilla y
aparecen los dos sirvientes)
¡Que sirvan dos cenas... ¡ahora mismo!
(Los dos criados se van. Ella se
vuelve hacia Desgrieux)
Amigo... amigo... vuelve en ti...
Abre los ojos... recobra el color.
(A los sirvientes, que acaban de regresar,
trayendo una mesa ricamente servida que
colocan a la izquierda)
¡Qué bien!... Dejadme a solas,
¡no estoy para nadie!
(al ver el gesto de asombro de los criados)
¿No me escuchasteis?
Dejadme
¿Qué os pasa?
Parece que no me entendierais...
(Los dos criados salen por la
puerta del fondo que cierran.
Mientras suena la siguiente canción,
Manón cierra con llave la puerta del
fondo y de la derecha)
¡Así no nos molestarán!
¡La única manera
de estar a solas en esta!
Escena Decimocuarta
(Desgrieux poco a poco recupera
el sentido y abre los ojos)
DESGRIEUX
¡Cielos! ¿Dónde estoy?...
MANÓN
(riendo)
¡En una cena en casa de Manón!
DESGRIEUX
(levantándose indignado)
¿Yo? ¡Jamás!
MANÓN
(impaciente)
¡Cenaremos primero!... Nos iremos después.
¡Lo ordeno! O sino, sea con razón o por capricho,
¡no me iré!...
He cedido a tus deseos sin dudarlo...
yo, quiero, ahora, ser obedecida.
(con coquetería)
¿Te resulta tan molesto lo que te pido?
¡Cenar conmigo!... Cenar...
¡Solos nosotros dos! ¿Sonríes?
DESGRIEUX
(En voz baja y en tono de reproche)
¡Manón! ¡Esto es una locura!
MANÓN
(alegremente)
¡Con más razón!...
(golpeando con fuerza con el pie)
¡Yo lo quiero! ¡Lo quiero!
(Manón hace que Desgrieux se siente a
su lado en la mesa y ambos quedan de
frente a los espectadores. Ella le desdobla
la servilleta, le sirve, le llena una copa y le
señala la ventana donde todavía llueve)
Cuplés
Primer Cuplé
MANÓN
Mientras ruge la tormenta,
que siembra miedo por todas partes,
¡ah, qué dulce y sabio es
quedarse cenando en casa!
¡Bebe, bebe, rey mío, brindo por ti!
DESGRIEUX
(mirándola con tristeza y ternura)
¡Manón!... ¡Alegras tanto mi corazón!
MANÓN
(mirándolo)
Entonces,
¿por qué esa mirada sombría?
(Extiende la mano, que
Desgrieux toma con embeleso)
DESGRIEUX
Segundo Cuplé
¡Oh, encantadora amante,
que la tristeza se vaya y no regrese!
¡Oh, hada encantadora!
Todo por un día de embriaguez
¡Todo por un día de amor!
El universo es mío,
¡Tú me amas!... ¡Soy el rey!
(Al final de este cuplé, se oyen ligeros
golpes en una de las puertas a la que
Manón había puesto los cerrojos)
DESGRIEUX
¡Escucha!... Han llamado...
MANÓN
¿Qué importa?
(alegremente)
¡No estoy para nadie! ¡Trabé la puerta!
Ambos
MANÓN, DESGRIEUX
(reanudando el primer cuplé, en voz baja)
Mientras ruge la tormenta,
que siembra miedo por todas partes,
¡ah, qué dulce y sabio es
quedarse cenando en casa!
MANÓN
¡Bebe, bebe, rey mío, brindo por ti!
DESGRIEUX
Sí, estoy a tu lado.
(besándola)
¡Te amo!... ¡Soy el rey!
(Mientras Manón y Desgrieux,
sentados, cantan este cuplé, se
abre una pequeña puerta secreta
y el Marqués aparece sin ser
visto ni oído. Mira a la pareja un
momento, intenta contener su ira;
pero en el momento en que
Desgrieux besa a Manón se
adelanta con ímpetu)
DESGRIEUX, MANÓN
(viéndolo y quedando atónitos
mientras sostienen las copas en la mano)
¡El marqués!
EL MARQUÉS
(con ironía)
¡Desgrieux!...
¡Entra clandestinamente a mi casa!...
¡No es muy leal por su parte!
Arrebatarme a mi amor... ¡vale!
Pero mi cena, señor...
¡Ah, realmente es demasiado!
DESGRIEUX
Señor, tales palabras...
MANÓN
(al Marqués y señalando a Desgrieux)
¡Ah! ¡Aquí hay un mal entendido!
DESGRIEUX
¡Daréis cuenta de esas palabras!
EL MARQUÉS
(con ironía)
¿Dar cuentas?... ¿Estás bromeando
(Va a abrir la puerta trasera y aparecen
varios sirvientes. Dirigiéndose a ellos y
señalando a Desgrieux)
¡Arrojad a este señor por la ventana!
DESGRIEUX
(Viendo la espada que, desde la primera
escena está sobre un aparador, la agarra
y hace retroceder a los sirvientes)
Si dais un paso más... sí, si lo intentáis...
¡os traspasaré!
(señalando al Marqués)
¡Y luego a vuestro patrón!...
(mirando con ferocidad al Marqués)
¡Sí, os desafío, pero acaso no seáis tan noble
como para dignaros a defender vuestro honor!
EL MARQUÉS
(desenvaina su espada)
¡Ah, esto es demasiado!
LESCAUT
(aparece por la puerta trasera y ve
a los dos adversarios que acaban de
cruzar espadas)
¿Qué veo? ¡Las espadas brillan!
(A Manón, en voz baja)
Semejante situación compromete a la familia;
¡Vámonos!
MANÓN
No.
LESCAUT
(aparte, mirando la mesa de la
derecha y palpándose el bolsillo)
Debo, prudentemente, velar por
los intereses de la familia.
Concertante
MANÓN
Dios que ves mi terror... ¡a Ti sólo recurro!
¡Ven y protégelo! ¡Ven y prolonga sus días!
EL MARQUÉS
Sí, para castigarte me sobran los recursos.
¡Defiéndete! ¡Defiéndete porque quiero tu vida!
DESGRIEUX
¡Me corresponde a mí castigar
sus palabras insolentes!
¡Defendeos! ¡Defendeos!
¡Porque quiero vuestra vida!
LESCAUT
(a un lado y palpándose el bolsillo)
¡Diamantes! Vuestro brillo es el del amor
y, además, dura y brilla eternamente!
SERVIDORES DEL MARQUÉS
(corriendo por la escena, abriendo la
puerta trasera y la puerta de la derecha)
¡Ayuda! ¡Ayuda!
¡Debemos protegerlo!
¡Guardias! ¡Comisario!
¡Ayuda! ¡Ayuda!
CABALLEROS, DAMAS
(entrando por la puerta de la derecha)
¡Ayuda! ¡Ayuda!
¿Qué sucede? ¿Qué podemos hacer?
¡Ayuda! ¡Ayuda!
(Durante el coro anterior, el Marqués y
Desgrieux continúan batiéndose. De
Repente, el Marqués lanza un grito,
deja caer su espada y cae en brazos
de sus amigos. Manón se arroja al cuello
de Desgrieux que está fuera de sí con
la espada ensangrentada en la mano.
El señor Durozeau, el comisario y un
sargento con unos soldados aparecen
por la puerta trasera. Los invitados
llegan corriendo en desorden, todos
vestidos de gala)
TODOS
(lanzando un grito)
¡Oh, cielos!...
(En voz baja, con terror)
¡Es su coronel!
¡Lo ha herido con un golpe mortal!
(Con energía y señalando a Desgrieux)
¡Ninguna contemplación para con él!
Su audacia
ha derramado la sangre
de tan noble caballero.
¡Que lo arresten!
(señalando a Manón)
¡Que los separen!
¡Que su muerte repare
un crimen tan grande!
DUROZEAU
(a los soldados y al sargento)
¡Que, de este sangriento drama,
de este terrible escándalo,
sean detenidos todos los autores!
(señalando a Manón)
En primer lugar, esta muchacha,
que aquí os señalo ¡La conozco bien!
DESGRIEUX
(queriendo defenderla)
¡Señor!...
DUROZEAU
(interrumpiéndolo)
¡La justicia, además, sabrá interrogarla!
¡Ésa es su función!
(Al sargento, señalando a Desgrieux)
En cuanto a él, cualquier dilación sería superflua...
¡Lleváoslo, Sargento!..
El caso está claro,
¡atacó a su coronel!...
EL MARQUÉS
(aparte)
¡No, no lo soy!
(Se desprende de los brazos de sus
amigos, toma el compromiso militar
firmado por Desgrieux y lo hace
pedazos sin que nadie lo note)
Concertante
MANÓN
Perdón para él... ¡piedad!
¡La muerte lo amenaza,
imploro ocupar su lugar y recibir su castigo!
(a los soldados que quieren llevárselo)
¿Separarnos? ¡Ah! ¡Es demasiado cruel!
Mi razón se extravía, ¡es demasiado tormento!
DESGRIEUX
¡Nada de perdón!
¡La muerte me amenaza!
La esperaré de frente.
¡Herid sin temor!
(a los soldados)
Pero que nos separen,
¡Ah, es demasiado cruel!
Mi razón se extravía,
es demasiado tormento.
LESCAUT
¿Y mi noble abolengo?
¡Ah, qué vergüenza perder
una posición que tanto estimaba!
Destino avaro, ¡ay! me apartas de ella,
(tocándose el bolsillo)
¡pero todo se puede arreglar con talento!
CORO
¡No hay perdón para él!
Su arrogancia,
derramó la sangre
de tan noble señor.
¡Que lo arresten,
y que los separen!
¡No, nada puede reparar
un crimen tan grande!
(Los guardias y el comisario conducen
a Desgrieux y a Manón en dos direcciones
diferentes. El marqués vuelve a caer en
brazos de sus amigos. Desorden general)
ACTO TERCERO
Cuadro Primero
(Tres meses después, en Luisiana. Una rica
vivienda a orillas del Mississippi y sobre
la carretera que conduce a Nueva-Orleans.
A la derecha, los edificios de la plantación
y la casa del colono. A la izquierda, una
empalizada que sirve de límite y defensa.
Al fondo y detrás de una hilera de estacas,
podemos ver los campos y bosques de
América del Norte, el curso del río y a lo
lejos los principales edificios de Nueva
Orleans)
Escena Primera
(Indios, esclavos negros, hombres,
Mujeres y Zarby, entran por distintos
lados con presteza)
CORO
¡Acaba de renacer un nuevo día
y nosotros acudimos alegremente!
¡Cuando un esclavo tiene un buen amo,
le encanta servir al buen amo!
¡Defenderlo y servirlo
es un placer!
(Los indios llevan al borde de la escena a
Zaby, un joven esclavo negro, a quien le
piden que cante)
ZABY.
Sí, os cantaré una canción del país...
(canta mientras los negros y criollos
bailan a su alrededor)
Canción
Señorita Zizi, señorita Zizi,
un poco de esperanza para el pobre negro.
¡Piedad para él!
La tez no significa nada.
Aunque sea negra, nos gusta.
El sol abrasador de nuestros climas
ennegrece mis rasgos; pero no ves
que el sol ardiente de nuestro clima
penetra hasta mi corazón, ¡ay!
¡Ah! ¡ah! ¡ah! ¡ah!
De amor, de pesares perezco...
Señorita Zizi, etc.
¡A menudo un hombre blanco es inconstante
y un pobre negro siempre es cariñoso!
Al igual que su tez,
el amor que siente nunca, nunca cambiará.
¡Ah! ¡ah! ¡ah! ¡ah!
De amor, de pesares, perezco...
Señorita Zizi, etc.
CORO
(Volviéndose hacia el fondo)
¡Pero si es el señor Gervais
sí, es nuestro buen amo,
a quien finalmente vemos aparecer
con su prometida!
Escena Segunda
(Gervais, con traje de boda, conduce
del brazo a Margarita que lleva un
vestido blanco y una corona nupcial)
Aria
GERVAIS
¡Oh, qué felicidad!
¡Oh, qué día encantador!
¡El amor nos encadena!
¡Su fidelidad es mía!
¡Finalmente, y no sin dificultad,
ella es mía, para siempre mía!
A estas playas extranjeras,
en esta costa lejana,
después de tantos peligros,
finalmente llegó Margarita
¡Oh, qué felicidad! etc.
¡Oh, conmovedor recuerdo
de la patria y de la infancia!
¡Nos unimos los dos y
seguimos soñando con Francia!
¡Oh, qué felicidad! etc.
CORO
¡Qué hermoso día nace para nosotros!
¡Beberemos y nos divertiremos!
Cuando el esclavo tiene un buen amo, etc.
(Todos salen, sobre el estribillo del coro
precedente, Gervais los acompaña de
regreso mientras les habla)
Escena Tercera
GERVAIS
(entre bastidores antes de entrar escena)
Sí... esta mañana a las diez... al primer sonar
de las campanas de la capilla... ¡está acordado!
(Volviendo junto a Margarita)
¡Y bien! Mi querida esposa,
¿qué dices del lugar y sus alrededores?
MARGARITA
¡Qué hermoso país es Luisiana!
GERVAIS
¡Y qué hermoso río es el Mississippi!
¡Es casi como un mar!
MARGARITA
Sí, es más grande que el Sena,
¡Incluso en el Pont-Neuf!...
A este país sólo le faltan habitantes.
GERVAIS
¡Calla, entonces! ¡Vendrán demasiados!
Allí está el Sr. Law, el fiscalizador financiero,
que puso en acción a Luisiana y al Mississippi, y,
mientras los franceses tengan algo de ingenio...
MARGARITA
¡Tienen tanto!
GERVAIS
Harán como la señora Marquesa...
Cambiarán, ya que pueden hacerlo,
sus trozos de papel de la Banca de Francia
por hermosas y buenas tierras soleadas...
MARGARITA
¡Verdaderamente!
GERVAIS
En apenas tres meses desde que creé
esta plantación que la Marquesa
quiso cederme... ¡He trabajado muy duro!...
Pero incremento la fortuna
de nuestra benefactora y de la nuestra...
MARGARITA
¡Claro está!...
GERVAIS
¡Fortuna a la que sólo le faltaba la felicidad!...
Tú me la traes... ¡aquí está,
¡Sabe Dios cómo tú también la esperabas!
MARGARITA
¡Virgen María! La tormenta y los vientos
que nos obligaron a estar inactivos...
¿No te asusta, Gervais, un matrimonio
que comienza con un temporal?
GERVAIS
¡Me gustan más antes que después!
Pero contigo, Margarita, siempre estoy seguro
de que hará buen tiempo. Y dime...
¿Me traes noticias de Francia?
MARGARITA
¡Ninguna! Ni siquiera mi mejor amiga,
la pequeña Manón a quien le dejé mi taller
para que se casase con Desgrieux...
¡Pobres muchachos!... Tú no sabes...
GERVAIS
Entonces, ¿no has oído hablar
del nuestro nuevo gobernador?...
¿No sabes quién es?
MARGARITA
Acaso, ¿deben enviarnos uno?
GERVAIS
¡Sí y con tropas!
Las posesiones francesas
en Luisiana han adquirido
tanta importancia...
Una ciudad soberbia, junto al río
y que en honor del regente...
se llama Nueva Orleans.
MARGARITA
¿Está lejos de aquí?...
GERVAIS
A una legua de distancia... remontando el río...
Si no fuera por las tribus salvajes, los Natchez...
que a veces nos atacan...
MARGARITA
¡Salvajes!... ¿Hay alguno aquí?
GERVAIS
¡Claro, a dos pasos comienza el desierto!...
Pronto estaremos protegidos
por un fuerte que se está construyendo...
El Fuerte Santa Rosalía, en el que
los prisioneros que llegan de Francia
tienen que trabajar día y noche...
Por tanto, nada que temer.
En cuanto a mí, sólo tengo un temor...
MARGARITA
¿Cuál?
GERVAIS
Que nuestro matrimonio no se lleve a cabo.
MARGARITA
¡Qué idea!... Una hora más...
¡Y ya verás! Antes que nada,
aquí estaré lista al amanecer.
GERVAIS
Y yo también.
MARGARITA
El cura nos estará esperando en Santa Rosalía,
y en cuanto suenen las campanas...
GERVAIS
Nos pondremos en camino...
MARGARITA
(Tomando su brazo)
¡Tomados del brazo!
GERVAIS
(dándose vuelta)
¡Eh!... ¿Quién viene a importunar?...
(a Margarita)
¡Lo puedes ver!...
Escena Cuarta
(Renaud entra por la izquierda)
RENAUD
(hablando entre bastidores al entrar)
Que la carreta espere unos minutos...
¡Bras-de-Fer y Laramée
vigilarán por mis nuevas pupilas!
(entrando)
¡Qué demonios!
Podremos refrescarnos con un dedo de vino...
aquí hay algo... ¡Y del bueno! ¡Vino francés!
GERVAIS
A su disposición, Sr. Renaud
(a Margarita)
Es el señor Renaud antiguo guardia de seguridad,
supervisor de los internos
de la prisión Santa Rosalía...
¡Y al que apodan Tapefort! (Golpea fuerte)
RENAUD
Ese apodo es necesario en el puesto que ocupo.
(Haciendo el gesto de dar golpes con el bastón.
a Gervais que le sirve una copa de vino)
¡Gracias vecino! Porque si supieras
(haciendo el gesto de golpear)
que duro es este trabajo para nosotros...
GERVAIS
¿Y para ellos?...
RENAUD
(Continúa cerca de la mesa
para servirse más bebida)
¡Es por su condición!
(a Gervais)
¡A tu salud!
GERVAIS
¡A la suya!
RENAUD
(de igual modo)
Tenía hasta hoy suficiente gente para controlar
cuando esta mañana llegó un despacho
a Santa Rosalía anunciando que un
bergantín acababa de descargar,
en la desembocadura del río,
una carga de provisiones para mí.
GERVAIS
¿Nuevos prisioneros?
RENAUD
¡No! ¡Esta vez sólo son mujeres!
Una atención del gobierno que nos las envía
para poblar la colonia.
MARGARITA
(se adelanta)
¡Oh, cielos! ¡Esas pobres mujeres!
RENAUD
¡Vamos! ¡No son dignas de lástima!
¡Ellas se ríen! ¡Tenéis que escucharlas!
Excepto una que es muy bonita...
¡y que siempre llora!
Por eso, y como tengo derecho a elegir,
¡me la quedaré para mí!
MARGARITA
(temerosa)
¡Oh, Dios mío!
¿Qué hizo para ser detenida?...
RENAUD
Ella era, se dice, la amante de un gran señor...
que, en una riña... en una orgía...
habría resultado herido o muerto...
MARGARITA
¿Por ella?
RENAUD
(fríamente)
¡Es posible!... ¡No somos perfectos!...
También se comentó de unos diamantes
que desaparecieron...
¡En definitiva! No es asunto mío...
Me la entregaron esta mañana... ¡con las demás!
El envío fue de rutina... firmé un recibo...
y ahora ella está bajo mi custodia...
MARGARITA
(suplicante)
Será usted bueno con ella.
RENAUD
(con dureza)
¿Por qué debería serlo?
MARGARITA
(de igual modo)
¡Bueno y clemente!
RENAUD
(de la misma manera)
¿Y para qué?
(con ironía)
¿Clemente?
(mirando a Margarita)
¿Qué le pasa a esta mujer?
GERVAIS
(con ímpetu)
¡Es mi esposa!... ¡Una mujer que merece
la estima y el respeto de todos!
RENAUD
¡Eso es diferente! Hasta ahora, nunca me había
encontrado con algo así...
GERVAIS
(en voz baja, a Margarita)
¡Será en su ambiente!
(Mirando por encima de la empalizada)
¡Ah, Dios mío! Una carreta grande y abierta...
RENAUD
¡Esa es mi tripulación!
GERVAIS
(sigue observando)
Expuesta a un sol abrasador...
y custodiada por un escuadrón de soldados.
RENAUD
Que tienen órdenes de disparar
al menor intento de fuga...
GERVAIS
¡No es probable!
Esas pobres desgraciadas están atadas
de dos en dos por la cintura...
RENAUD
(todavía bebiendo)
Ese es mi método para tratar a las bellas mujeres.
GERVAIS
(sigue mirando hacia la izquierda)
¡Eh! pero... no me equivoco... hay una que
baja la cabeza... ¡se siente mal!
MARGARITA
(a la derecha, cerca de Renaud)
¡Señor!... ¡Señor!...
Ordene que la desaten...
para que pueda recibir ayuda...
RENAUD
(fríamente)
Eso no está dentro de mis atribuciones.
GERVAIS
¡Es verdad, señor Renaud!
(tomando la botella de la mesa)
La botella está vacía,
y mientras que usted bebe una segunda,
¡se podría hacerla volver en sí!...
(Margarita entra corriendo al sótano)
RENAUD
(sonriente)
¿Una segunda botella, dices?
GERVAIS
¡Sí! Usted acepta, ¿no es así?
RENAUD
(se dirige hacia el fondo y habla hacia los bastidores)
¡Desatad a esa mujer y traedla aquí!
GERVAIS
Y luego que pongan la carreta allí,
a la sombra, bajo aquel cobertizo...
Que los soldados sigan atentos.
(Margarita sale rápidamente del sótano,
deja la puerta abierta y coloca una botella
en la mesa frente a Renaud)
RENAUD
(destapando la botella)
¡Usted hace lo que quiere conmigo,
señora de Gervais!
(levantando su copa)
¡Homenaje a la virtud!
Escena Quinta
(Manón con un vestido ordinario, es
conducida por dos negros que la
sostienen. Gervais le trae una silla en
la que se sienta, y Margarita le humedece
la frente y las sienes con agua fría. Manón
que tenía la cabeza inclinada sobre el pecho,
se repone poco a poco, levanta la cabeza, ve
a Margarita junto a ella con su vestido blanco
con el ramo y la corona nupcial; ambas sueltan
un grito al mismo tiempo)
MARGARITA
¡Dios todopoderoso!
MANÓN
¡Justo Dios!
MANÓN, MARGARITA
¡Ah! ¿Qué veo?
MANÓN
(a Margarita, que quiere lanzarse
en sus brazos, y en voz baja)
No me identifiques, Margarita,
es por tu bien,
¡Calla, calla!
Escena Sexta
(Se oye repicar a lo lejos las campanas de
la capilla. Los indios y los negros acuden
presurosos de todas partes bailando y tomándose
del brazo; rodean a Gervais y a Margarita
a quienes ofrecen ramos de flores)
CORO
(animado y bullicioso)
¡Placer y embriaguez gozosa!
¡El cielo, en este día feliz,
premia la sabiduría, el trabajo y el amor!
(Manón se da vuelta y esconde
la cabeza entre sus manos)
UN NEGRO, UNA CRIOLLA,
(a Gervais y Margarita)
¡Escuchad: la capilla llama
a los tiernos esposos!
EL NEGRO.
Un buen cura os está esperando.
LA CRIOLLA.
¡Y la felicidad también!
GERVAIS
(toma del brazo a Margarita quien
quisiera estar junto de Manón)
¡Nos esperan; vamos... vamos!...
MARGARITA
(resistiéndose)
Pero... amigo mío...
GERVAIS
¿Qué tienes?
MARGARITA
Nada.
GERVAIS
Entonces ¡ven rápido!
MARGARITA
(siempre mirando a Manón)
Pero... es que...
GERVAIS
(vivaz)
Ya lo ves... te lo dije... dudas...
MARGARITA
(vivaz)
¿Yo? ¡Qué!...
GERVAIS
¿Y bien?
MARGARITA
(Se dirige a Renaud, vacilante)
Mientras dura el calor del día... Si quisiera
esperar hasta nuestro regreso... ¡a la sombra!...
Y participar del banquete de bodas ¿Acepta?
GERVAIS
(con humor, a Margarita)
¿Qué? ¿Lo estás invitando?...
RENAUD
Si no es mucho tiempo...
MARGARITA
(aparte, con alegría)
Ahora se le ve menos feroz.
RENAUD
Las órdenes pueden olvidarse por un momento...
Lo haré por usted, señora Gervais
(Levantando su copa)
¡Homenaje a la virtud!
CORO
¡Placer y embriaguez gozosa, etc.
(Gervais, seguido de los indios y los
negros, conduce a Margarita del brazo.
Ésta sale, dirigiendo a Manón
miradas de amistad y consuelo)
Escena Séptima
RENAUD
(siguiendo a los novios con la mirada)
¡Casarse!... ¡Qué curiosa idea!...
Este Gervais es original... ¡En fin!...
hay algunos así... ¡necesitamos algunos como él!.
(Volviéndose hacia Manón que,
sentada, todavía esconde la cabeza
entre las manos)
¡Ah, dime pues, bella llorona...
empiezas a aburrirme... sobre todo,
no me importa decírtelo,
he puesto mis ojos en ti...
¡Pero tienes que ser digna y merecer
tu felicidad con un aire más jovial!...
(Escucha un ruido y agarra su bastón)
¿Eh? ¿Qué ha sido eso?...
¿Hay un conflicto ahí?
(apoyándose en la cerca y mirando)
¡Ah, es el mismo otra vez!...
Amenaza... no... ruega a nuestros soldados...
un joven viajero... bien parecido...
vestido como un caballero,
que desde hace tres leguas, y a pleno sol,
viene siguiendo nuestra carreta,
¡pero los soldados le impiden acercarse!
¿Qué querrá? ¡Diablos!
¿A quién busca?
¡Lo voy a averiguar!
(Gritando por encima de la empalizada)
¡Dejadlo pasar!
Escena Octava
(Desgrieux entra rápidamente por la puerta de
la izquierda, mira a su alrededor y ve a Manón
que, al oír sus pasos, levanta la cabeza)
Trío
DESGRIEUX
(lanzando un grito)
¡Manón!
MANÓN
(del mismo modo)
¡Es él!
DESGRIEUX
¡Es ella!
MANÓN, DESGRIEUX
(arrojándose el uno en los brazos del otro)
¡Finalmente, aquí estás! ¡Aquí estás!
RENAUD
(aparte, mirándolos)
¡Qué pasión!...
(en voz alta)
¡Basta!
¡Mi deber, me obliga a separaros!
MANÓN, DESGRIEUX
¿Ya?
RENAUD
¡De inmediato! ¡O llamo a los soldados!
DESGRIEUX
¡Ah, señor inspector, denos unos momentos más!
¡Cinco minutos!
RENAUD
¡Palabras frívolas!
DESGRIEUX
¡Podría pagarlas, señor, a precio de oro!
RENAUD
(ríe)
¡Ta, ta, ta, ta! ¡Es usted bueno con las palabras!
DESGRIEUX
(con apasionamiento)
¿Un luis de oro por minuto?
RENAUD
(vivaz)
¡Dinero en efectivo!
DESGRIEUX
(Metiendo la mano en el bolsillo)
¡Aquí está!
RENAUD
¡Eso es diferente!
DESGRIEUX
(Sacando dinero de su bolsillo)
¡Aquí está! ¡Aquí lo tiene!
RENAUD
(sacando su reloj para controlar el tiempo)
Si usted es cumplidor, yo también lo soy.
DESGRIEUX
(cuenta las monedas de oro sobre la mesa)
¡Una, dos, tres, cuatro, cinco!
(Dejando a Renaud que se guarda los
luises en el bolsillo, corre hacia Manón)
¡Eres tú, amada mía!
MANÓN
¡Tú, mi amigo del alma!
DESGRIEUX
¡Mi alma reanimada
se abre de nuevo a la felicidad!
MANÓN
La desafortunada mujer.
cuyos días están arruinados,
no fue abandonada por ti...
DESGRIEUX
¿Por mí? ¡Siempre te he querido!
Bien lo ves... ¡siempre!
RENAUD
(saca su reloj y cuenta los minutos)
¡Uno!
DESGRIEUX, MANÓN
La desdicha, la infamia,
en vano quebrantarán nuestros días.
¡Para ti, mi sangre, mi vida!
¡Para ti, mi único amor!
Ahora y siempre,
¡Para ti mi único amor!
¡Siempre! ¡Siempre! ¡Siempre!
RENAUD
(sigue contando)
¡Dos!
DESGRIEUX
(a Manón)
El Marqués, por mí herido mortalmente,
rasgó el escrito firmado por su rival.
¡Con corazón generoso me salvó!
RENAUD
(del mismo modo)
¡Tres!
DESGRIEUX
¡Liberado de la cárcel!...
Libre, libre te busqué...
¡Una horrible injusticia
te condenó a estos climas lejanos!
¡En el barco donde fuiste confinada
saqué pasaje!
MANÓN
(agradecida)
¡Tú!
DESGRIEUX
¡Pero mira qué destino tan terrible!...
RENAUD
(del mismo modo)
¡Cuatro!
DESGRIEUX
Cerca uno del otro, y ambos separados.
Imposible, verte durante toda la travesía.
Tú, prisionera, tú, alejada de todas las miradas-
Deseaba... hablar contigo...
¿Y tú?
MANÓN
¿Yo? ¡Pensaba en ti!
RENAUD
(mirando su reloj)
¡Cinco!
(Se acerca a ellos)
¡Cinco minutos!
DESGRIEUX, MANÓN
¡Cielos!
RENAUD
(brutalmente)
¡Vamos, separaos!
MANÓN
(con desesperación)
¿Ya?
DESGRIEUX
(de igual forma)
¿Ya?
¡Cuando todavía tengo tanto que decir!
RENAUD
(con brusquedad)
¡Vamos, separaos! De lo contrario... ¡llamaré!
MANÓN
¡Ah, cruel!
DESGRIEUX
(se palpa los bolsillos y lanza un
grito de alegría, dirigiéndose a Manón)
¡No te preocupes!
¡Creo que me queda algo de oro!
RENAUD
(desafiante)
¿Está usted seguro?
DESGRIEUX
(Sacando algunas monedas de su bolsillo)
¡El fin de mi tesoro!
(Contándolas dentro del sombrero de Renaud)
Uno, dos, tres, cuatro, cinco.
(Con alegría)
¡Qué feliz destino para nosotros!
(Corriendo cerca de Manón;
repiten el primer motivo)
¡Oh, tú, amado mío!
MANÓN
¡Tú, el amigo de mi corazón!
DESGRIEUX
¡Mi alma reanimada
se abrió de nuevo a la felicidad!
MANÓN
Por ti la desafortunada
cuyos días se desvanecen,
¡no fue abandonada!
DESGRIEUX
¿Yo? ¡Te he amado siempre!
RENAUD
(mira su reloj y cuenta)
¡Uno!
MANÓN, DESGRIEUX
La desgracia, la infamia, etc.
RENAUD
(controlando los minutos con su reloj)
¡Dos!
DESGRIEUX
Olvidé lo más importante...
esta caja... ¿la recuerdas?
MANÓN
¡De la que me acusaron
haberla hecho desaparecer!
¡Qué infamia!
DESGRIEUX
¡Pues bien!
¡Yo haré que se sepa la verdad!
RENAUD
(contando los minutos)
¡Tres!
DESGRIEUX
¡Fue tu primo Lescaut!
¡Tengo las pruebas!
A Francia escribiremos,
¡y se nos hará justicia!
¡Oh tú, amada mía!
MANÓN
¡Oh, amigo de mi corazón!
DESGRIEUX
Finalmente nos llega
la esperanza de la felicidad.
MANÓN, DESGRIEUX
¡Finalmente,
el destino parece
que se muestra benévolo
hacia nuestro amor!
RENAUD
(sigue contando)
¡Cuatro!
MANÓN, DESGRIEUX
En tus brazos me apoyo,
y cualesquiera que sea nuestro futuro:
¡Para ti mi sangre, mi vida!
¡Para ti todo mi amor!
Ahora y siempre,
¡Para ti, todo mi amor!
¡Siempre! ¡Siempre! ¡Siempre!
RENAUD
(mirando su reloj)
¡Cinco minutos!
DESGRIEUX, MANÓN
¡Oh, cielos!
RENAUD
(mostrando el reloj a Desgrieux)
¡Cinco! ¡Puede verlo claramente!
¡Tenemos que irnos!
DESGRIEUX
¡Nada! ¡No me queda nada!
Concertante
DESGRIEUX
(a Manón a quien
estrecha contra su corazón)
¡Oh, qué crueldad,
perderte de nuevo!
A ti, querida mía
¡Mi único tesoro!
Te quedas aquí,
es mi muerte.
¡Estréchame, ay,
entre tus brazos!
MANÓN
¡Oh, que crueldad,
perderte de nuevo!
Mi bien, mi vida,
¡Mi único tesoro!
Te alejas,
es la muerte
¡Estréchame, ay,
entre tus brazos!
RENAUD
(contando los luises de oro)
Uno, dos, tres, cuatro, cinco,
seis, siete, ocho, nueve y diez.
¡Qué hermosos luises!
¡Qué bellos son!
(señalando su bolsillo)
¡En esta casa,
mis queridos amigos,
sois admitidos!
(dirigiéndose a Desgrieux y Manón)
¡Basta de hablar! La ley condena
el amor que os tenéis.
(señalando a Manón)
¡Por derecho, esta belleza pertenece
a los colonos de Luisiana!
(gesto de indignación de Desgrieux)
¡No te preocupes,
seré yo quien la tome por sultana!
DESGRIEUX
(tomándolo por el cuello y sacudiéndolo)
¡Miserable!... ¡Teme mi ira!
RENAUD
¡Atrévete a tocarme!
(Corre para agarrar su bastón)
¡De rodillas!
(Avanza hacia ellos
con el bastón en alto)
Ambos... ¡de rodillas!...
¡U os moleré a golpes!
(Desgrieux saca una pistola del bolsillo
y le muestra el cañón a Renaud quien se
queda inmóvil y baja su bastón.
En ese momento, Margarita entra por
la parte de atrás a la derecha, pero no
avanza y permanece escondida detrás de
la puerta que queda abierta)
Concertante
DESGRIEUX
(sigue amenazando a Renaud que
retrocede paso a paso)
Si te acercas,
castigaré
tu insolencia.
¡Calla! ¡cállate!
No llames a nadie
ni des un paso más,
o disparo.
¡Teme a la muerte!
RENAUD
(siempre retrocediendo)
¡Suerte fatal!
Muero de miedo;
Si sigo avanzando,
¿qué será de mí?
No daré
un paso hacia ellos;
No llamaré,
¡O moriré!
MANÓN
(a Desgrieux)
¡Qué imprudencia!
Modérate.
No queda esperanza,
me muero de miedo.
(A Renaud)
No siga avanzando.
¡No llame o, de su mano,
le llegará la muerte!
MARGARITA
(siempre detrás de la puerta)
¡Qué imprudencia!
Me muero de miedo.
Pero, silencio
y permanezcamos callada.
No avancemos;
Pero vigilemos
su brazo
y sus pasos, ¡ay!
(Desgrieux apunta con la pistola a
Renaud quien se aleja de él, hasta los
primeros escalones del sótano.
Cuando está por entrar, Margarita que
está detrás de la puerta, empuja y encierra
a Renaud, quedando frente a Manón y
Desgrieux que quedan sorprendidos)
Escena Novena
MARGARITA
(a Desgrieux y Manón a quienes
mira mientras se cruza de brazos)
¡Veo que sigues tan insensata y
tan desdichada como en el pasado!
DESGRIEUX
(vívidamente y señalando a Manón)
¡Ella no es culpable! ¡Créeme!
MARGARITA
Pero os habéis puesto
en contra del Sr. Renaud
¡cuya venganza será implacable!...
¡Con su sola declaración,
os condenarán a ambos sin escucharos!...
¡No hay justicia en este país!
Y hay también muchos que a menudo...
(se interrumpe)
En definitiva... tenéis que esconderos...
pero aquí... ¡imposible!
DESGRIEUX
(señalando a Manón)
¡La llevo conmigo!
MARGARITA
¿Qué? ¿Dónde?
DESGRIEUX
A Fort Saint-Laurent, donde tengo amigos;
allí estaremos a salvo.
MARGARITA
Pero para llegar allí
hay que cruzar el desierto.
DESGRIEUX
¡Qué importa!...
MARGARITA
Por no hablar de otros peligros,
¿cómo podréis salir de aquí?
DESGRIEUX
¡Yo soy libre!
MARGARITA
(a Desgrieux)
¡Tú sí!...
(Señalando a Manón)
Pero ¿y ella?
MANÓN
(señala la valla de la izquierda,
por encima de la cual acaba de mirar)
¡Es verdad!... De este lado, guardianes...
DESGRIEUX
(señalando a la derecha)
¿Y por ese otro lado?...
MARGARITA
¡Es una fatalidad!
Un destacamento de soldados
acaba de llegar para recibir al gobernador
cuyo barco debe de atracar hoy...
MANÓN
(con desesperación)
¡Oh, Dios mío! ¡Dios mío!
DESGRIEUX
(con miedo y mirando hacia la derecha)
¡Ya llegan!... ¡Ya llegan!...
MANÓN
(se arroja a los brazos de Desgrieux)
¡Estamos perdidos!
MARGARITA
¡No!... ¡Es mi marido el que llega!
Escena Décima
GERVAIS
(dirigiéndose a Margarita sin
ver a Desgrieux y a Manón)
Finalmente, y no sin dificultad, eres mi esposa,
¡y a partir de ahora nunca la abandonaré!
MARGARITA
Sí, pero...
GERVAIS
(sorprendido)
¿Qué dices?
MARGARITA
¡Necesito hablarte!
GERVAIS
¿A mí?...
MARGARITA
¡Inmediatamente!
GERVAIS
¿Y de qué?
MARGARITA
¡Para salvar a unos amigos!...
Unos infelices que no merecen su suerte.
Una buena acción, en el día de la boda...
Es un buen comienzo para un hogar.
¡Nos traerá suerte!
GERVAIS
Pero piensa...
MARGARITA
(impulsiva)
¡Y luego volverás esta noche!
¿Qué digo?... ¡Antes!
GERVAIS
(rascándose la oreja)
¡Entiendo! Eso es lo principal...
pero sin embargo...
MARGARITA
¡Nada! ¡Bien!
¡Estás de acuerdo!
GERVAIS
(después de dudar por un momento)
¡Pues bien! Sí...
(besa a Margarita)
MARGARITA
¿Dónde están los soldados
que acaban de llegar de la ciudad?
GERVAIS
En el gran salón... donde descansan...
MARGARITA
(a Desgrieux)
El gran salón... que deberéis atravesar...
GERVAIS
Y luego, en la puerta de la casa,
colocaron varios centinelas.
MARGARITA
(de igual modo, a Desgrieux)
Delante de los cuáles tendréis que pasar...
MANÓN
(señalando sus ropas)
Y vestida así, es imposible.
MARGARITA
¡Tal vez!
Cuarteto
MARGARITA
¡Coraje, amigos, Dios nos está mirando!
Él está de nuestro lado.
Avancemos sin miedo bajo su mirada
de amor y amistad!
(a Desgrieux)
¡Vigila!
(a Manón)
Y nosotras... deshagámonos
de este vestido marrón,
triste recuerdo de tu destino...
(a Gervais que se acerca)
Tú, no mires...
MANÓN
(a Margarita, que se quita su vestido)
¿Pero cuál es tu propósito, querida?
MARGARITA
(le quita el vestido a Manón que
se queda con una enagua blanca)
Nada de discusiones y déjame hacer a mí.
Esto, para mí, es lo más importante.
(Quitándose de la cabeza la
corona y el velo de novia)
Que este largo velo blanco te cubra...
¡Que te oculte a los ojos curiosos!
Para sujetarlo mejor, coloquemos esta corona...
MANÓN
(apartándola)
¿Crees que funcionará?
MARGARITA
(impaciente)
¡Desde luego!
MANÓN
¿Qué? ¿llevar esta corona tan noble?
¡No! ¡No! ¡Mi frente no es digna de ella!
MARGARITA
Dos virtudes la purificaron.
(señalando a Manón)
¡El arrepentimiento!...
DESGRIEUX
(señalando a Margarita)
¡Y la amistad!
Concertante
LOS CUATRO.
¡Coraje! ¡Dios nos está mirando! etc.
MARGARITA
(a Gervais, señalándole a Manòn, a quien
le ha colocado la corona y el ramo de novia)
Ahora cruzarás el gran salón,
¡llevando a tu esposa del brazo!
(a Desgrieux)
¡Verás a los soldados
admirar la blancura del vestido,
(señalando a Manón)
y con respeto inclinarse ante su paso!
GERVAIS
Sin embargo, los que están en la puerta
me alarman...
MARGARITA
(con alegría)
Ante los novios presentarán armas.
(en voz baja, a Gervais)
Cuando hayas dejado atrás el peligro,
¡Vuelve... para que te recompense!
GERVAIS
(con alegría)
¡Sí! ¡Sí! ¡Me doy prisa!
MARGARITA
(al caballero)
Y tú, para cruzar el desierto, toma...
¡llévate estas frutas!
Y sobre todo, lleva agua.
(Le ofrece una cesta de
provisiones que Gervais
toma con emoción)
Y ahora
¡marchaos, mis tres amigos!
Concertante
LOS CUATRO.
¡Coraje! ¡Dios nos está mirando! etc.
(Gervais, dándole el brazo a Manón sale
por la puerta trasera de la derecha.
Desgrieux camina detrás de ellos)
Escena Undécima
MARGARITA
(Mirando por la puerta y
siguiéndolos con la mirada)
Entran en el salón... ¡bien!
¡Lo que sospechaba!...
El oficial los saluda... ¡los soldados también!
Ya salen...sin problemas...
(escuchando)
Todo ha ido bien... ¡no oigo nada!
(se oye un disparo de cañón)
¡Ah, Dios mío!... ¡Un disparo de cañón!...
¡Eso es la señal de fuga! ...
(Escuchando a la izquierda)
¡Se oyen gritos de este lado!...
(Se escucha a Renaud a la derecha, que
golpea con fuerza a la puerta del sótano)
Y de este otro, ¡qué alboroto!
(Ella le abre)
Escena Duodécima
(Renaud aparece
en la puerta)
MARGARITA
(fingiendo asombro)
¡Dios! ¡El señor Renaud!...
¿Qué hace usted
en nuestro sótano?
RENAUD
(airadamente)
Yo estaba ahí... Yo estaba ahí...
MARGARITA
¿Buscaba un lugar fresco?
RENAUD
(de igual modo)
¡No!
MARGARITA
¡Buscaba vino!...
¿Por qué no me lo dijo?
RENAUD
(con brusquedad)
De eso se trata...
¿Escuchaste el sonido del cañón?...
MARGARITA
(con temor)
¿Y bien?...
RENAUD
Es el nuevo gobernador que llega.
¡El marqués de Hérigny!
MARGARITA
(lanzando un grito de alegría)
¡El marqués de Hérigny! ¿Estás seguro?...
RENAUD
(saliendo rápidamente)
¡Sí! ¡Lo acaban de nombrar!
MARGARITA
¡Ah, qué felicidad!...
¡Manón! ¡Desgrieux! ¡Están salvados!
(Ella sale corriendo por el fondo)
Cuadro segundo
(La entrada a un bosque en
un desierto de Luisiana)
Escena Decimotercera
(Desgrieux, pálido y herido, sostiene
a Manón que apenas puede caminar.
Ambos avanzan lentamente)
Dúo
DESGRIEUX
¡Vagando desde ayer por estas estepas salvajes
hemos perdido el rumbo!
MANÓN
¡Y desde este cielo plomizo
el calor me quema!
DESGRIEUX
(señalándole la entrada al bosque)
¡Ven, busquemos la sombra1
¡Ahí, bajo esos árboles!... ¡Unos pasos más!
MANÓN
¡Demasiado lejos! ¡No puedo!...
¡No me atrevo!
Romanza
Primer Cuplé
Todavía creo ver a aquel tigre.
¡Escucho el rugido!
Me salvaste... amigo, con valentía.
(Señala el brazo de Desgrieux
manchado de sangre)
¡Pero fue a costa de tu sangre!
Este desierto me produce terror.
Y hago lo que puedo... intento superarlo.
(llevándose la mano al corazón)
¡Siento que me estoy muriendo!
(con amor)
¡No, no, perdona!
(aferrándose a él)
¡Estoy bien!... ¡Estoy cerca de ti!
Segundo Cuplé
A nuestro alrededor una inmensa soledad
se extiende por doquier... por todos lados... ¡ay!
y nada rompe el silencio del desierto... ¡Nada!
¡Sólo el sonido sordo de nuestros pasos!
¡El cielo de fuego sobre nuestras cabezas
me aniquila!... Y a mí pesar
siento que me estoy muriendo...
(con amor)
¡No, no, perdona!
¡Estoy bien!... ¡Estoy cerca de la ti!
(ella lo abraza)
Pero ¿y tú?
(mirándolo)
¡Oh, cielos! ¡Te tambaleas!
(lo ayuda a sentarse en
una roca. Mirándole el brazo)
¡La herida!...
¡Una palidez mortal le cubre la frente!
(Coge la cantimplora y le hace beber
la poca agua que queda en ella)
¡Recupérate, amigo!
(Mirándolo)
Ya se repone... ¡revive!
DESGRIEUX
(abriendo los ojos)
¡Gracias! ¡Gracias!
(levantándose)
¡No fue nada!... Vamos, amada mía,
¿Puedes?
MANÓN
(intenta mostrarse fuerte)
¡Sí!... ¡Me apoyaré en ti!
DESGRIEUX
(tomando la cantimplora)
¡Toma! ¡Con este agua
sacia tu sed primero!
(con espanto)
¡No queda nada!... ¡Nada!
MANÓN
(sonriendo)
¿Cuál es el problema?...
¡No tengo sed!... Créeme.
Concertante
MANÓN
(tratando de sonreír)
¡Ya no sufro! ¡Respiro!
Nací de nuevo, con felicidad,
en mis labios hay una la sonrisa,
y esperanzas en mi corazón.
DESGRIEUX
¡Su pecho respira más suavemente!
La veo renacer, con felicidad,
en sus labios hay una la sonrisa
y esperanzas en su corazón.
(Al final de este concertante Manón, que
hasta entonces había tratado de
dominarse, sucumbe a la fatiga)
DESGRIEUX
(corriendo hacia ella)
¡Ah! ¿Qué tienes?...
MANÓN
Mis fuerzas expiran.
¡Sucumbo!... ¡Vete! ¡Vete!
DESGRIEUX
¿Cómo dices eso?
MANÓN
(espirando)
Aquí es donde mi vida...
debe extinguirse... y terminar.
¡Vete, te lo ruego,
déjame morir!
DESGRIEUX
(impulsivo)
No, no... ¡Unidos durante la vida,
la muerte debe unirnos!
A tu lado amiga
me quedo a morir.
(Sostiene a Manón con sus brazos, la
tiende en el suelo, ella no ha soltado su
mano y lo atrae hacia sí)
MANÓN
(a Desgrieux que se inclina
para escucharla mejor)
Más cerca... más cerca aún...
sólo queda un momento.
(juntando las manos)
Perdóname por los males que ¡ay!
que te he causado.
Sólo te he amado a ti... te lo aseguro.
¡Que mis errores
sean perdonados
con estas palabras!
Concertante
MANÓN
Sí... siento... que mi vida
está terminando...
¡Vete, te lo ruego!
¡Y déjame morir!
DESGRIEUX
¡Unidos durante la vida,
la muerte debe unirnos!
¡A tu lado amiga,
me quedo a morir!
(sollozando)
¡Mi corazón se rompe!
MANÓN
¡Vamos, seca tus lágrimas!
Soy feliz, amigo, pues en tus brazos muero.
No le quedaría a mi alma nada más...
nada más que desear...
¡si muriera siendo tu esposa!
DESGRIEUX
(con exaltación)
¡Que así sea!...
¡Por el Dios que lee nuestros corazones!
MANÓN
¿Y cómo? ¿Aquí?...
En este inmenso desierto...
DESGRIEUX
(de igual modo)
¡Donde todo da testimonio
del poder de Dios vivo!
En estos vastos bosques,
cuyas gruesas cúpulas
nos servirán de templo,
frente al cielo,
ante el Señor,
que a ambos nos contempla,
¡De rodillas! ¡De rodillas!
(Manón se levanta, se apoya
en el suelo con una mano y
levanta la otra hacia el cielo)
¡Dios mío,
míranos favorablemente!
MANÓN
(orando en voz baja)
¡Perdónanos!
DESGRIEUX
¡Tú, que hiciste del arrepentimiento
la virtud de los culpables!
MANÓN
¡Perdónanos!
DESGRIEUX
Es el castigó a nuestra pasión culpable.
MANÓN
¡Perdónanos!
DESGRIEUX
¡Acepta nuestros juramentos
y permite que ella sea mi esposa!
(Las arpas resuenan en la orquesta
mientras anuncian la respuesta que
baja del cielo)
MANÓN
(con exaltación)
¡Su esposa!... ¡Soy su esposa!
Como en un dulce sueño.
¡el día está terminando!
¡Mi corazón se eleva
al Señor!
¡Soy su esposa!
Siento mi alma que,
como una llama,
sube al cielo.
¡Sí... me voy... tu esposa,
¡Te esperaré en el cielo!
(Su voz se apaga y la
cabeza cae sobre su pecho)
DESGRIEUX
(desesperado, se arroja sobre su cuerpo,
le besa las manos y el pelo, la mira, le
habla y procura ser escuchado por ella)
¡Manón! Soy yo quien te llama
y quien te ama.
¡Escúchame!... ¡Responde!
(con desesperación)
Todo es en vano ¡Nada! ¡Nada!...
Tu corazón no late...
(pone la mano sobre su corazón y
escucha un rato, luego grita, angustiado
y fuera de sí)
¡Ah, su corazón
no me responde!
(Se oye el fragor de una marcha
a lo lejos, en el desierto.
Desgrieux se levanta y escucha)
¿Qué escucho? ¡Oh, cielos!
Escena Decimocuarta
MARGARITA, GERVAIS
(entra en primer término y
ve a Manón y a Desgrieux)
¡Aquí están! ¡Son ellos!
(corriendo hacia ellos)
¡Están a salvo!
GERVAIS
(a Desgrieux)
El Gobernador, generoso...
MARGARITA
(a Manón)
¡Me envía a traeremos la felicidad!
(Inclinándose sobre el cuerpo de Manón)
Libre... indultada... ¿Me oyes?...
DESGRIEUX
(señalando a Manón)
¡Ha muerto!
TODOS
(aterrada)
¡Muerta!
(Algunos la rodean y se
Inclinan sobre ella, otros
se arrodillan y rezan)
TODOS.
Pobre niña, la tormenta
se interpuso en su camino.
¡Ha dejado de sufrir!
¡Y Dios, en su clemencia,
da lugar a la esperanza
junto con el arrepentimiento!
Digitalizado y traducido por;
José Luis Roviaro 2025 |