ACTE PREMIER
(Le théâtre représente l’intérieur d’une ferme
écossaise; le fond, qui est ouvert, laisse voir un
site pittoresque, des arbres, des rochers, et une
route qui descend de la montagne à la ferme)
Scène 1
(Paysans écossais, hommes et femmes;
La Marraine, le bouquet au côté)
CHŒUR
Sonnez, cornemuse et musette!
Les montagnards sont réunis:
Car un baptême est une fête
Pour des parens, pour des amis.
Scène 2
(Les précédens; Dikson, Jenny,
sortant de
la porte à droite)
PREMIER PAYSAN
(allant à lui)
Eh bien, cousin, quelle nouvelle?
DIKSON
Ah! mes amis, mes bons amis,
Partagez ma douleur mortelle:
On ne peut baptiser mon fils.
PREMIER PAYSAN
Hé! pourquoi donc?
DIKSON
(montrant Jenny)
Ma femme et moi
En perdrons la tête, je croi:
Voilà, par un revers soudain,
Que nous nous trouvons sans parrain.
TOUS
Point de parrain!
DIKSON
J’en avais un du plus haut grade,
Car c’était monsieur le shérif;
Mais voilà qu’il tombe malade,
Et juste au moment décisif.
TOUS
Comment remplacer un shérif?
JENNY
Je veux un parrain d’importance,
Qui porte bonheur à mon fils.
DIKSON
Mais, je le vois, l’heure s’avance;
N’y pensons plus, mes bons amis.
Scène 3
(Les prédédents; Georges, paraissant
sur le
haut de la montagne. Il est en
vêtement très simple, et porte sur
son épaule un petit paquet attaché
au pommeau de son épée)
TOUS
Eh mais! quel est cet étranger?
GEORGES
(qui a descendu la montagne, et qui entre en scène)
Chez vous, mes bons amis,
ne puis-je pas loger?
(Tirant sa bourse et la présentant)
Tenez, car la faim m’aiguillonne.
DIKSON
Chez les montagnards écossais
L’hospitalité se donne elle ne se vend jamais.
Votre état?
GEORGES
J’ai servi dès ma plus tendre enfance,
Et je suis officier du roi.
DIKSON
Ce titre-là suffit, je pense;
Soyez le bienvenu chez moi.
(Tout le monde s’empresse autour de lui; on le débarrasse de ses armes et de son bagage, pendant la ritournelle de l’air
suivant)
GEORGES
Ah! quel plaisir d’être soldat!
On sert, par sa vaillance,
Et son prince et l’état;
Et gaîment on s’élance
De l’amour au combat.
Ah! quel plaisir d’être soldat!
Sitôt que la trompette sonne,
Sitôt qu’on entend les tambours,
Il court dans les champs de Bellone,
En riant, exposer ses jours.
Ecoutez ces cris de victoire;
De la gaîté c’est le signal:
“Amis, buvons à notre gloire;
“Buvons à notre général!”
Ah! quel plaisir d’être soldat, etc.
Quand la paix, prix de son courage,
Le ramène dans son village,
Pour lui quel spectacle nouveau!
Chacun et l’entoure et l’embrasse:
“C’est lui, c’est l’honneur du hameau!
La beauté sourit avec grâce;
Le vieillard même, quand il passe,
Porte la main à son chapeau;
Et sa mère, est-elle heureuse!
(Regardant autour de lui)
Mais j’avais une amoureuse:
(Souriant)
Où donc est-elle?
J’entends,
Je comprends.
(Soupirant, et reprenant gaîment)
Ah! quel plaisir d’être soldat!
On sert, par sa vaillance,
Et son prince et l’état;
Et gaîment on s’élance
De l’amour au combat.
Ah! quel plaisir d’être soldat!
JENNY
(bas à Dikson)
Quel aimable et gai caractère!
C’est le parrain qu’il nous faudrait.
DIKSON
(de même à Jenny)
Y penses-tu? c’est indiscret.
JENNY
Ne crains rien, et laisse-moi faire.
(S’approchant de Georges)
(Premièr couplet)
Du ciel pour nous la bonté favorable
Nous donne un fils, espoir de notre hymen;
Et pour qu’il soit aussi brave qu’aimable,
Nous vous prions d’en être le parrain.
(Deuxième couplet)
GEORGES
Puissé-je un jour, pour acquitter ma dette,
De votre fils embellir le destin!
Mais en voyant tant d’attraits, je regrette
De ne pouvoir être que son parrain.
DIKSON
(avec joie)
Vous acceptez: ah! quel bonheur!
(A Jenny)
Cours prévenir notre pasteur.
(Aux montagnards)
Veillez au repas, je vous prie;
Car avant la cérémonie
Nous avons toujours le festin.
GEORGES
Moi, d’avance je m’y convie;
Vous me verrez le verre en main.
DIKSON
Grand Dieu! quel aimable parrain!
CHŒUR
Sonnez, cornemuse et musette!
Les montagnards sont réunis:
Car un baptême est une fête
Pour des parens, pour des amis.
(Jenny sort par le fond; plusieurs montagnards la suivent, ou rentrent
dans l’intérieur de la ferme)
Scène 4
(Georges, Dikson)
GEORGES
Voilà donc qui est convenu!
Je reste ici!
Je suis de la famille!
Mais je ne me serais pas attendu ce matin
à la nouvelle dignité qui m’arrive.
DIKSON
Peut-être que cela vous contrarie?
GEORGES
En aucune façon!
Que veux-tu que fasse un officier en congé?
autant qu’il soit parrain qu’autre chose;
ça utilise ses moments; c’est encore un service
indirect qu’il rend à l’État.
DIKSON
C’est toujours bien de l’honneur
que vous faites à un simple
fermier;
d’autant qu’à la naissance d’un enfant il y a
toujours, comme disaient nos pères,
de malignes influences qui le menacent...
ici surtout!
GEORGES
Vraiment!
DIKSON
Oui, le pays est mauvais.
Mais je suis de l’avis de ma femme,
vous nous porterez bonheur!
A propos de cela, mon officier,
vous ne m’avez pas dit votre nom?
GEORGES
C’est juste: avant de donner un nom à ton fils,
il faut que je te dise le mien;
on m’appelle Georges.
DIKSON
Georges!
GEORGES
Oui, voilà tout.
DIKSON
Georges: ce n’est là qu’un nom de baptême.
GEORGES
(souriant)
Eh bien! aujourd’hui c’est ce qu’il te faut,
tu n’en as pas besoin d’autre.
Georges Brown, si tu veux?
Du reste, je serais bien embarrassé d’en dire davantage:
excepté
quelques souvenirs vagues
et confus, ma mémoire ne me retrace rien
de mon enfance ni de ma famille.
J’ai quelques idées de grands domestiques
en habits galonnés qui me portaient
dans leurs bras;
d’une jolie petite fille avec laquelle j’étais élevé...
d’une vieille femme qui me chantait
des chansons écossaises.
Mais tout à coup, et j’ignore comment,
je me suis vu transporté à bord d’un vaisseau,
sous les ordres d’un nommé Duncan,
un contremaître qui se disait mon oncle,
et que je n’oublierai jamais, car il m’apprenait
rudement le service maritime!
Au bout de quelques années d’esclavage
et de mauvais traitement,
je parvins à m’échapper, et je débarquai
sans un schelling dans ma poche.
DIKSON
Pauvre jeune homme!
GEORGES
Je n’étais pas à plaindre; j’étais libre,
j’étais mon maître.
Je me fis soldat du roi Georges.
En avant, marche! le sac sur le dos!
Depuis ce moment-là je suis le plus heureux
des hommes; tout m’a réussi;
il semble que la fortune me conduise par la main.
D’abord, à ma première affaire
j’avais seize ans: me souvenant encore
de mon état de matelot, je jette là mon fusil,
je grimpe à une redoute,
j’y entre le premier, et mon colonel m’embrasse
en présence de tout
le régiment.
Mon brave colonel!
ce fut pour moi un père, un ami!
il me prit en affection,
s’occupa de mon éducation,
de mon avancement.
Il y a six mois, dans le Hanovre,
je venais d’être nommé sous-lieutenant,
lorsque je me trouvai à côté de lui,
en face d’une batterie!
“Georges! me criait-il, va-t’en!”
et il voulait se mettre devant moi.
Tu te doutes bien que je me suis élancé
au devant du coup, mais en vain!
nous tombâmes tous les deux,
et lui pour ne jamais se relever!
DIKSON
Il est mort!
GEORGES
Oui, au champ d’honneur!
de la mort des braves!
(Otant son chapeau)
Puisse-t-il prier là-haut pour qu’il m’en arrive autant!
Quand je
revins à moi, je me trouvai
dans une chaumière qui m’était inconnue,
et je vis tout à coup apparaître une jeune fille,
à qui sans doute je devais la vie, et qui
chaque jour venait me prodiguer des soins.
C’était la physionomie la plus douce
et la plus touchante.
Il m’était défendu de parler,
et je ne pouvais lui témoigner que par gestes,
et ma reconnaissance et le désir
que j’avais de connaître ma bienfaitrice.
“Plus tard, me disait-elle,
quand vous irez mieux!”
Mais un jour je l’attendais à l’heure accoutumée,
elle ne vint plus; et cependant la veille,
en me quittant, elle m’avait dit:
“A demain!”
Aussi, dans mon inquiétude,
dans mon impatience, je me hâtai
d’abandonner la chaumière;
j’en sortis tout à fait guéri,
mais amoureux comme un fou;
et depuis, malgré mes soins et mes recherches,
impossible de découvrir les traces
de ma belle inconnue!
DIKSON
C’était peut-être votre bon ange, quelque démon
familier, comme il y en a tant dans le pays.
GEORGES
Vraiment, je vous reconnais là,
vous autres Écossais.
Mais en revanche, j’ai retrouvé à Londres
une ancienne connaissance,
mon ami Duncan, qui est, je crois,
mon mauvais génie;
il a paru stupéfait en m’apercevant
avec mon nouveau grade.
J’avais bien envie, malgré notre parenté,
de lui rendre tout ce que j’avais reçu de lui;
mais il était vieux et souffrant,
et n’a pas, je crois, long-temps à vivre;
j’ai partagé ma bourse avec lui,
et ne lui demande rien, pas même son héritage.
DIKSON
C’est très bien; ça vous portera bonheur.
GEORGES
C’est justement ce qu’il m’a dit en me quittant.
Scène 5
(Les précédents; Jenny)
DIKSON
Mais, que veut notre ménagère?
JENNY
Ah! monsieur, je ne sais comment vous faire part...
DIKSON
Qu’est-ce donc?
JENNY
Le baptême, hélas! ne peut se faire
Que ce soir et très tard;
Et monsieur, qu’on attend sans doute,
Veut partir promptement?
GEORGES
Je ne vais nulle part:
Rien ne me presse, et je m’arrête en route
Où je vois des amis.
JENNY
Dans nos humbles foyers
Vous resterez donc?
GEORGES
Volontiers.
JENNY
Jusqu’à demain?
GEORGES
Volontiers.
DIKSON
Et vous souperez?
GEORGES
Volontiers,
Volontiers, mes bons amis.
JENNY
Ah! c’est charmant;
il est toujours de notre avis.
DIKSON
Allons, femme, fais-nous servir.
GEORGES
Les braves gens!
DIKSON
Touchez là; quel plaisir!
Il faut rire, il faut boire
A l’hospitalité!
GEORGES
A l’amour, à la gloire,
Ainsi qu’à la beauté!
(Pendant ce chœur, plusieurs convives sont entrés, et l’on a apporté la table)
DIKSON
Ici, monsieur le militaire,
A la place d’honneur.
GEORGES
Près de ma gentille commère,
Ah! pour moi quel bonheur!
ENSEMBLE.
Il faut rire, il faut boire
A l’hospitalité, etc.
(Ils sont tons assis et mangent)
GEORGES
(assis)
Dites-moi, mon cher hôte,
pour un voyageur, qu’y a-t-il de curieux
à voir dans le pays?
DIKSON
Il y a d’abord le château d’Avenel;
un édifice magnifique!
dont on voit d’ici le clocher.
JENNY
Le nouveau château est fermé,
et l’on ne peut pas y entrer;
mais il y a l’ancien, dont les ruines
et les souterrains sont
superbes:
aussi, tous les peintre vont le visiter!
GEORGES
Nous irons demain, n’est-il pas vrai?
vous m’y conduirez,
DIKSON
Vous venez dans un mauvais moment.
Ordinairement le château n’est habité
que par une vieille concierge attachée
aux anciens propriétaires; mais hier l’intendant
Gaveston y est arrivé, et l’on dit qu’il ne repartira
qu’après la vente.
GEORGES
Que dites-vous? on vend cette belle propriété?
DIKSON
Oui, sans doute! elle appartenait aux anciens
comtes d’Avenel, des braves gens que tout
le monde chérit encore dans le pays; mais ils
étaient du parti des Stuarts, et après la bataille
de Culloden, le comte d’Avenel, qui avait été
proscrit, s’est réfugié avec une partie de sa
famille en France, où l’on prétend qu’il est mort.
JENNY
Or, pendant ce temps,
ce monsieur Gaveston a embrouillé les affaires
du comte, dont il était l’intendant,
si bien que pour payer les créanciers
on va vendre demain
ce beau domaine.
DIKSON
Bien plus, on dit que Gaveston,
qui s’est enrichi, veut lui-même se rendre
acquéreur du château, et, par ainsi,
devenir comte d’Avenel...
Je vous le demande... un coquin d’intendant
qui se trouverait être notre seigneur...
Non, morbleu! nous ne le souffrirons pas...
JENNY
Sois tranquille, il lui arrivera malheur,
car hier au soir, Gabriel, notre garçon de ferme,
a vu la dame
blanche d’Avenel qui se promenait
sur les créneaux et sur les
ruines.
DIKSON
Ah, mon Dieu!
en es-tu bien sûre?
JENNY
Il l’a vue comme je te voi.
GEORGES
La dame blanche d’Avenel! qu’est-ce que c’est?
je serais enchanté de
faire sa connaissance!
DIKSON
Y pensez-vous?
GEORGES
Pourquoi pas? si c’est une jolie femme!
DIKSON
Depuis trois ou quatre cents ans
c’est la protectrice de la maison d’Avenel!
JENNY
Quand il doit arriver à cette famille quelque
événement heureux ou malheureux,
on est sûr qu’elle apparaîtra.
On la voit errer sur le haut des tourelles,
en longs vêtements blancs,
et tenant à la main une harpe
qui rend des sons célestes;
et puis, comme dit la ballade...
GEORGES
Ah! il y a une ballade?
DIKSON
Et une fameuse! qu’on chante dans le pays,
mais quand on est plusieurs réunis,
parce que sans cela ça fait trop peur!...
Ma femme la sait.
GEORGES
Eh bien! Jenny, chantez-nous-la.
Il me semble que nous pouvons
l’entendre
(montrant tous les convives)
nous sommes en force.
JENNY
Prèmier couplet
D’ici voyez ce beau domaine,
Dont les créneaux touchent le ciel!
Une invisible châtelaine
Veille en tous temps sur ce castel.
Chevalier félon et méchant
Qui tramez complot malfaisant,
Prenez garde!
La dame blanche vous regarde,
La dame blanche vous entend.
Deuxième couplet
Sous ces voûtes, sous ces tourelles,
Pour éviter les feux du jour,
Parfois gentilles pastourelles
Redisent doux propos d’amour.
Vous qui parlez si tendrement,
Jeune fillette, jeune amant,
Prenez garde!
La dame blanche vous regarde,
La dame blanche vous entend.
Troisième couplet
En tous lieux protégeant les belles,
Et de son sexe, ayant pitié,
(Regardant Dikson)
Quand les maris sont infidèles,
Elle en avertit leur moitié.
Volage époux, cœur inconstant,
Qui trahissez votre serment,
Prenez garde!
La dame blanche vous regarde,
La dame blanche vous entend.
GEORGES
Grand merci, ma belle enfant;
Votre conte est charmant.
TOUS,
(effrayée)
Un conte!
JENNY
La dame blanche vous regarde!
Elle vous entend!
(Gabriel tire Dikson par son habit)
DIKSON
(effrayé)
Hein! qu’est-ce que c’est?
C’est Gabriel, mon valet de ferme.
GABRIEL.
Monsieur, les principaux fermiers des environs
sont là dans la salle
à côté.
JENNY
Va vite, car c’est pour la vente de demain.
GEORGES
La vente du château d’Avenel?
JENNY
Oui, monsieur, tous les fermiers,
tous les notables du pays
se réunissent pour surenchérir.
GEORGES
Et quel est leur but en faisant
pour leur compte une pareille acquisition?
JENNY
D’empêcher que ce domaine ne passe dans
les mains de Gaveston;
de le conserver à la famille d’Avenel
dont
chacun ici chérit le souvenir;
et si jamais quelqu’un de leurs descendants
revient dans le pays, on
lui dira:
Voilà votre bien, voilà vos terres;
nous les avons gardées et cultivées
pour votre compte, reprenez-les!
GEORGES
Il se pourrait!... un pareil dévouement...
Eh bien! sans les
connaître,
j’estime les comtes d’Avenel,
car ceux qui se font aimer
ainsi doivent être de braves gens.
DIKSON
(aux montagnards)
Allez, mes amis, allez délibérer avec eux;
je vous rejoins dans
l’instant.
(Ils sortent tous par la porte à gauche)
Scène 6
(Jenny, Georges, Dikson)
JENNY
(à Dikson)
Pourquoi ne pas les suivre?
DIKSON
(montrant Georges)
Je voulais auparavant parler à monsieur
sur la vente du domaine,
et
puis sur des idées qui me sont revenues
pendant que tu chantais.
(à Georges)
Ici, dans ce pays, ils sont tous trop poltrons
pour me donner un bon
conseil; tandis que vous
qui êtes militaire
et qui avez du cœur...
GEORGES
De quoi s’agit-il?
DIKSON
D’abord, monsieur, dites-moi si vous croyez
à la dame blanche?
GEORGES
(riant)
Qui, moi?
ma foi, j’y aurais des dispositions:
il serait si doux de penser qu’on a toujours
auprès de soi une jolie femme,
une fée secourable qui vient à votre aide
au moment du danger;
et je donnerais tout au monde pour apercevoir
seulement la Dame Blanche d’Avenel.
DIKSON
(tremblant)
Eh bien! je suis plus heureux que vous.
JENNY et GEORGES
Tu l’as vue!
DIKSON
Mieux que cela, je lui ai parlé,
il y a déjà bien longtemps;
je lui ai fait alors une promesse
qui maintenant ne laisse pas que
de m’inquiéter.
JENNY
Qu’est-ce que ça signifie?
et vous ne m’en avez jamais rien dit!
DIKSON
Je n’en aurais jamais parlé à personne
sans les événements de demain;
et puis, ce que tu m’as raconté,
qu’elle avait reparu dans le pays,
tout cela s’est représenté à ma mémoire;
et depuis quelques instants, voilà,
sans me vanter,
une fameuse peur qui me galope.
GEORGES et JENNY
Dis-nous vite!
DIKSON
Il y a treize ans,
après la mort de mon père, tous les malheurs
semblaient fondre sur moi:
mes blés avaient été gelés, mes bestiaux avaient péri,
le feu avait
pris à ma ferme,
sans compter les recors et les hommes de loi
qui commençaient à me
travailler;
le lendemain on devait tout saisir chez moi,
jusqu’à mes charrues,
et pas un ami qui voulût m’obliger.
Désespéré, j’errais le soir dans la campagne
et je me trouvai prés des souterrains
du vieux château;
j’y entrai, et me jetant sur la pierre:
“Puisque tout m’abandonne, m’écriai-je,
que la dame blanche vienne à mon secours;
je me donne à elle corps et bien,
si elle veut me prêter deux mille livres d’Écosse.”
J’entendis tout à coup une voix qui me dit:
“J’accepte. Quand l’heure aura sonné,
souviens-toi de ta promesse;”
et dans le moment une bourse
tombe à mes pieds!
GEORGES
Ce n’est pas possible!
DIKSON
Je la ramassai en fermant les yeux,
persuadé que c’était de la fausse monnaie:
c’étaient de belles pièces d’or avec lesquelles
j’ai payé mes dettes,
rétabli mes affaires;
et depuis ce temps-là, tout a prospéré chez moi;
je suis devenu un des plus riches fermiers
des environs, et j’ai épousé, l’autre année,
Jenny que j’aimais depuis longtemps.
JENNY
Et moi, si je l’avais su
j’y aurais regardé à deux fois...
Avoir formé un pacte comme celui-là!...
Savez-vous que la dame blanche est un lutin?...
c’est comme qui
dirait le...
DIKSON
(tremblant)
Du tout, c’est bien différent!
JENNY
Si, monsieur, tout cela se tient;
et quand je pense que vous vous êtes donné
à elle avec tout ce qui
vous appartient!...
DIKSON
C’est vrai.
JENNY
Et moi, qui suis votre femme,
je suis donc comprise là-dedans, et
notre enfant?
GEORGES
Comment, mon petit filleul!
JENNY
Et si un beau matin elle allait venir
nous enlever?
DIKSON
Ah, mon Dieu!
(Se retournant)
Hein! qu’y a-t-il?
(Apercevant Gabriel)
Cet imbécile-là le fait exprès;
il arrive toujours quand on a peur.
GABRIEL,
(qui est entré)
Dame! notre maître,
c’est que vous avez toujours peur quand on
arrive!
Les fermiers vous attendent:
il faut qu’ils retournent ce soir chez eux,
et voici la nuit qui s’avance.
DIKSON
Je te suis.
(a Jenny)
Vois-tu, ma chère amie, il n’y a rien à craindre;
pourquoi veux-tu
que la dame blanche t’enlève, toi,
une femme! elle m’enlèverait
plutôt...
Je reviens.
(Bas à Georges)
Restez avec ma femme et ne la quittez pas.
(Il sort)
Scène 7
(Georges, Jenny)
Duo
GEORGES
Il s’éloigne, il nous laisse ensemble;
Mais en partant je crois qu’il tremble.
JENNY
Hélas! il est toujours ainsi:
J’ vois toujours trembler mon mari.
Au moindre bruit dans le village
Il a peur.
GEORGES
Il a peur?
JENNY
Dès qu’il entend gronder l’orage, Il a peur.
GEORGES
Il a peur?
JENNY
Et quand parfois il se réveille,
C’est qu’hélas! de quelque voleur
Il a peur.
GEORGES
Il a peur?
JENNY
Qu’on m’ dise un mot d’ galanterie,
Ou bien qu’à danser l’on me prie, Il a peur.
GEORGES
Il a peur?
JENNY
Y conçoit-on rien, je vous prie.
GEORGES
Ah! je conçois bien sa frayeur:
Lorsque l’on a femme jolie,
De tout le monde l’on a peur;
Mais...
JENNY
Oh! le brave militaire!
Pour mon mari je n’ai plus peur;
Il nous défendra, j’espère:
Non, non, non, non, plus de frayeur!
GEORGES
(lui prenant la main)
Auprès d’un bon militaire,
Non, non, non, non, plus de frayeur!
Rassurez-vous bien, ma chère,
Je serai votre défenseur.
JENNY
J’ bénis le sort qui nous rassemble.
Mais que vois-je?
votre main tremble.
GEORGES
Vraiment, parfois je suis ainsi.
JENNY
Le voilà comme mon mari.
GEORGES
Lorsque je suis près d’une belle,
Moi j’ai peur.
JENNY
Il a peur?
GEORGES
Lorsque son œil noir étincelle,
Oh! j’ai peur.
JENNY
Il a peur?
GEORGES
Oui, lorsque je vois tant de charmes,
Craignant de leur rendre les armes,
Pour ma raison et pour mon cœur
J’ai grand’peur.
JENNY
Il a peur?
GEORGES
Pour dissiper cette folie,
Un seul baiser, je vous en prie.
JENNY
Monsieur n’a donc plus de frayeur?
GEORGES
Oh! cela redouble, au contraire,
Et c’est pour me donner du cœur.
(Il l’embrasse)
JENNY
Oh! le brave militaire!
Pour mon mari je n’ai plus peur;
Il nous défendra, j’espère:
Non, non, non, non, plus de frayeur.
GEORGES
Auprès d’un bon militaire,
Non, non, non, non, plus de frayeur!
Rassurez-vous bien, ma chère,
Je serai votre défenseur.
Scène 8
(Les prédécédés; Dikson)
DIKSON
(d’un air effrayé, et tenant la main un papier)
Ma femme, ma femme!
(A Georges)
Ah! vous voilà.
Ne me quittez pas, je vous en prie.
JENNY
Qu’y a-t-il donc? est-ce que les fermiers...
DIKSON
(de même)
C’est moi qu’ils ont chargé de leur procuration
jusqu’à deux cent
mille livres d’Écosse;
mais après cela ils sont partis.
GEORGES
Eh bien?...
DIKSON
(de même)
Je les ai reconduits jusqu’au détour du bois...
à cent pas de la maison; et comme je revenais,
j’ai trouvé au milieu de la route un petit nain,
tout noir, qui m’a présenté ce papier,
et qui soudain, je crois, s’est abîmé sous terre...
car je ne sais plus ce qu’il est devenu!
JENNY
Ah! mon Dieu...
DIKSON
Et ce papier, le voilà!
JENNY
Lis toi-même!
DIKSON
(lisant)
“Tu m’as juré obéissance;
l’heure est venue, j’ai besoin de toi...
Trouve-toi ce soir à la porte du vieux château,
et demande l’hospitalité au nom
de saint Julien d’Avenel.
Signé La Dame Blanche.”
Trio
DIKSON, JENNY
Grands dieux! que viens-je d’entendre!
Voici donc le moment fatal!
Je n’y puis rien comprendre;
C’est un mystère infernal!
GEORGES
D’honneur! je n’y puis rien comprendre;
Je m’y perds!... Mais c’est égal;
L’aventure a de quoi surprendre:
Le trait est original.
DIKSON
C’est cette nuit, dans l’instant même.
JENNY
Peu m’importe; tu n’iras pas.
DIKSON
(montrant le billet)
Mais songe à son ordre suprême.
JENNY
J’arrêterai plutôt tes pas.
DIKSON
Et si je brave sa colère,
Songe à ce que nous deviendrons:
Adieu notre fortune entière,
Adieu l’espoir de nos moissons!
Et chez moi, toutes les semaine,
Des lutins qu’elle aura payés
Viendront avec un bruit de chaînes
La nuit me tirer par les pieds.
DIKSON, JENNY
Ah! grands dieux! que viens-je d’entendre?
Voici donc le moment fatal!
Il faut, je ne puis m’en défendre,
Il faut, il ne puis s’en défendre,
Descendre au séjour infernal.
GEORGES
(à
part)
D’honneur, je n’y puis rien comprendre;
Oui, je m’y perds: mais c’est égal;
Ce secret... j’irai le surprendre
Au fond du séjour infernal.
(à Dikson et Jenny)
Mes bons amis, séchez vos larmes;
Si ce rendez-vous aujourd’hui
Est la cause de vos alarmes,
Ne craignez rien,
(Montrant Dikson)
J’irai pour lui.
DIKSON ET JENNY
O ciel! vous exposer ainsi!
GEORGES
Le péril a pour moi des charmes,
Surtout pour aider un ami.
DIKSON ET JENNY
Des lutins craignent la furie.
GEORGES
Je ne crains rien, je suis soldat.
JENNY
Quoi! voulez-vous...
GEORGES
C’est mon envie.
DIKSON
Risquer toujours...
GEORGES
C’est mon état.
Allons, partons, sers-moi d’escorte;
Tu voudrais résister en vain.
DIKSON
(bas à Jenny)
Je vais le conduire à la porte,
Et puis je reviendrai soudain.
JENNY
Et notre baptême?
GEORGES
(gaîment)
A demain;
Vous me verrez, j’en suis certain.
DIKSON
(à part)
Et puis, si le diable l’emporte,
Nous serons encor sans parrain.
GEORGES
Et toi, la plus belle des belles,
Dame blanche, esprit ou lutin,
Sur tes créneaux, sur tes tourelles,
J’accours en galant paladin.
DIKSON, JENNY
(tremblants)
Je sens une frayeur mortelle...
Nous voulons l’arrêter en vain;
Il va, dans l’excès de son zèle,
Au devant d’un trépas certain.
(Georges sort, conduit par Dikson; Jenny reste seule, en les suivant des yeux et en levant les bras au ciel)
ACTE SECOND
(Le théâtre représente un grand salon gothique;
à gauche du spectateur, sur le premier plan,
une
large cheminée;
à droite, un portrait de famille.
Du même côté une porte, et plus loin une croisée)
Scène
1
(Marguerite, occupée à filer)
Premier Couplet
MARGUERITE
Pauvre dame Marguerite,
Tes derniers jours sont venus,
Et ces fuseaux que j’agite
Bientôt ne tourneront plus.
Que je voie encor mes maîtres
Au château de leurs ancêtres:
Avant de mourir, voilà
Le seul bonheur que j’implore...
Fuseaux légers, tournez encore,
Tournez encore jusque là!
Deuxième Couplet
Et toi, dont la souvenance
Reste en mon cœur maternel,
Toi, dont j’élevai l’enfance,
Pauvre Julien d’Avenel;
Dussé-je en mourir de joie,
Qu’un seul jour je te revoie:
Avant d’expirer, voilà
Tout le bonheur que j’implore...
Fuseaux légers, tournez encore,
Tournez encore jusque là.
(Se levant)
Allons, allons! laissons là mon ouvrage
et mes souvenirs
(montrant la porte à gauche)
car miss Anna va descendre de son appartement...
Pauvre et chère orpheline,
élevée par mes anciens maîtres!
en la voyant arriver hier avec ce Gaveston,
qu’ils lui ont donné pour tuteur,
il m’a semblé que mes vœux étaient exaucés,
et que mon pauvre Julien allait aussi revenir;
car, autrefois, ils étaient toujours ensemble,
qui voyait l’un voyait l’autre:
ils s’aimaient tant, et ils étaient si gentils,
surtout quand je les portais tous les deux dans mes bras,
et que la
comtesse d’Avenel me criait:
Dame Marguerite, prenez garde!
Jour de Dieu, si je prenais garde!
le fils de mes maîtres, mon pauvre petit Julien!
Eh bien! voilà que malgré moi
j’y reviens encore!
Il en est de ça comme du vieux clocher d’Avenel,
au milieu du parc; de quelque côté qu’on
se promène on le rencontre toujours!
(S’approchant de la croisée qui est entr’ouverte)
Fermons tout dans cet appartement.
Ah! mon Dieu, j’ai aperçu une lumière
dans ces ruines inhabitées.
Oui, j’ai cru distinguer... Ah!
(refermant vivement la fenêtre)
serait-ce la dame blanche, la protectrice
de ce château? et sa présence m’annonce-t-elle
le retour ou la mort de Julien?
Scène 2
(Marguerite; Miss Anna, couverte d’un manteau
écossais, et tenant à la main une lanterne
éteinte; elle est vêtue d’une robe bleue
et coiffée en cheveux)
MARGUERITE
Qui vient là?
miss Anna, pâle et tremblante.
Qu’avez-vous, mon enfant?
ANNA
(ôtant son manteau et posant sa lanterne dans le coin de la cheminée)
Rien, dame Marguerite.
MARGUERITE
Moi qui vous croyais dans votre appartement;
d’où venez-vous donc?
ANNA
De traverser ces ruines.
MARGUERITE
Dieu soit loué! c’est vous que j’ai vue tout à l’heure!
Et vous osez
seule, la nuit...
ANNA
Aussi je tremblais. Mais, c’est égal,
Gaveston vient de sortir, et je voulais visiter
ce superbe bâtiment qui est au milieu
du parc. J’ai été jusque là et je n’ai pu y pénétrer.
MARGUERITE
Je le crois bien;
depuis qu’on a appris la mort du comte,
tout est fermé, on y a mis les scellés,
et on ne les lèvera que demain, après la vente.
ANNA
(à part)
O ciel! quel contre-temps!
MARGUERITE
Mais quelle idée de sortir à une pareille heure,
au lieu de venir auprès de moi,
qui suis si heureuse de vous voir?
Car, depuis hier votre arrivée,
à peine ai-je pu vous parler ce
Gaveston était toujours là.
ANNA
Tu as raison; d’autres idées qui m’occupent...
Pardonne-moi, ma
bonne Marguerite.
MARGUERITE
Qu’êtes-vous devenue? que vous est-il arrivé
depuis que cette noble famille a quitté ces lieux?
depuis le jour où vous suivîtes la comtesse
d’Avenel, où son mari alla rejoindre l’armée
des montagnards, et où mon petit Julien fut
embarqué pour la France,
avec ce vilain gouverneur, dont je me défiais?
ANNA
Hélas! mon compagnon d’enfance, Julien,
a disparu, et l’on ignore son destin;
son père vient de mourir dans l’exil,
et la comtesse d’Avenel, retenue longtemps
dans une prison d’état...
MARGUERITE
O ciel!
ANNA
Je l’ai suivie, Marguerite, je n’ai point quitté
ma bienfaitrice; pendant huit ans
je lui ai prodigué mes soins,
j’ai tâché de mériter le nom de sa fille
qu’elle me donnait; mais à sa mort,
quelle différence!
il fallut suivre ce Gaveston
qu’on avait nommé
mon tuteur.
Et dans un voyage où je l’accompagnai il y
a trois mois sur le continent,
il m’avait laissée pour quelques jours,
dans une campagne,
aux soins
d’une de ses parentes...
MARGUERITE
Eh bien?
ANNA
Eh bien!...
Je ne sais pas si je dois te raconter le reste.
MARGUERITE
En quelle autre que moi
aurez-vous plus de confiance?
ANNA
La guerre venait d’éclater, on se battit aux
portes mêmes du parc où nous étions,
et un jeune militaire dangereusement blessé...
c’était un de nos soldats,
un compatriote, pouvais-je ne pas le
secourir?
Et puis, te l’avouerai-je, malgré moi je pensais à Julien:
Julien devait être de son âge,
et je me disais:
Peut-être le fils de mes maîtres
est-il ainsi
malheureux et sans secours.
MARGUERITE
Quoi! vous pouvez penser...
ANNA
Calme-toi, ce n’était pas lui, car je sais son nom;
mais le retour de Gaveston
nous fit partir sur-le-champ; et depuis,
je n’ai plus revu mon jeune officier,
qui aura pris ma présence pour un songe,
et qui, sans doute, m’a
déjà oubliée.
MARGUERITE
Tandis que vous, je devine,
vous y pensez encore: vous l’aimez
peut-être,
et c’est ce qui me fait du chagrin.
ANNA
Et pourquoi?
MARGUERITE
Il me semblait que vous n’auriez jamais aimé
que Julien, du moins c’étaient là mes idées,
et vingt fois j’ai rêvé à votre union.
ANNA
Qu’oses-tu dire? lui, héritier des comtes
d’Avenel, et moi, pauvre orpheline,
sans bien, sans naissance;
c’est ainsi que je reconnaîtrais les bontés
de mes bienfaiteurs!
Non, Marguerite; Julien, autrefois mon ami,
mon frère, est maintenant mon seigneur,
mon maître; c’est comme tel que nous devons le respecter, l
e servir,
et nous sacrifier,
s’il le faut, pour sauver son héritage.
MARGUERITE
Et par quels moyens?
c’est demain que l’on vend son domaine;
un autre que lui va acquérir les droits et surtout
le titre de comte d’Avenel;
et si Julien existe encore,
s’il revient jamais, il ne sera plus qu’
un étranger dans le château de ses pères.
ANNA
Qui sait? pourquoi perdre courage?
moi j’ai bon espoir.
MARGUERITE
Que voulez-vous dire?
(On entend un son de cor)
ANNA
Tu le sauras... Entends-tu?
on ferme la porte du château;
Gaveston vient de rentrer. Écoute-moi bien,
Marguerite: dans un instant peut-être
quelqu’un des environs viendra réclamer l’hospitalité
au nom de
saint Julien d’Avenel.
MARGUERITE
Qui vous l’a dit?
ANNA
Tu le feras entrer
et tu tâcheras qu’on lui donne cet appartement.
MARGUERITE
Oui, mademoiselle, oui, soyez tranquille;
je l’attendrai, s’il le
faut, toute la nuit.
Pour vous et pour Julien qu’est-ce que je ne
ferais pas?
ANNA
Pars. C’est Gaveston.
MARGUERITE
Adieu! adieu, mon enfant.
(Elle sort)
Scène 3
(Anna, Gaveston)
GAVESTON
Ah, ah! miss, vous n’êtes point encore retirée
dans votre appartement?
ANNA
Vous le voyez. Je causais avec Marguerite.
GAVESTON
Qui sans doute vous racontait,
comme hier, des histoires de revenants
et de la dame blanche! Se peut-il, miss Anna,
que vous ajoutiez foi à de pareilles rêveries?
ANNA
Moi!
GAVESTON
Oui; je vous ai vue hier si émue, si attentive
au moment où elle nous a raconté l’histoire
du fermier Dikson et de ses pièces d’or,
qu’en honneur vous aviez l’air de croire
à cette aventure miraculeuse.
ANNA
(souriant)
Miraculeuse? non!
car je sais mieux que personne qu’elle est
véritable.
GAVESTON
Allons donc!
ANNA
(vivement)
Vingt fois la comtesse d’Avenel
m’a raconté ce dernier trait de bonté
de son mari, lorsque la nuit même de son départ,
poursuivi, errant dans ces ruines,
il entendit un pauvre fermier prêt à périr faute
d’une somme d’argent; et c’est pour n’être pas
reconnu qu’il lui jeta sa bourse
au nom de la dame blanche d’Avenel.
Ah! si tout sentiment de reconnaissance
n’est pas éteint dans le
cœur du fermier Dikson...
(A part)
Celui-là doit me servir.
GAVESTON
Oh! rassurez-vous. Il n’est pas ingrat,
c’est un des fidèles croyans
de la dame blanche;
c’est lui qui cabale
avec les femmes des environs,
et qui fait courir le bruit dans le pays
qu’il m’arrivera malheur
d’oser mettre en vente
un château qu’elle protège;
mais c’est ce que nous verrons.
Je viens de souper chez M. Mac-Irton, le juge
de paix,
et nous avons pris nos arrangemens
pour que la vente
commençât
demain au point du jour.
ANNA (à part)
O ciel!
(Haut)
Ainsi donc, vous,
jadis l’intendant de ce château,
vous allez en devenir le propriétaire;
vous allez acheter à vil prix le domaine
et le titre de votre
bienfaiteur.
GAVESTON
Écoutez, miss Anna, vous savez
que je n’aime pas les phrases,
et que je tiens au positif.
Je ne suis que Gaveston l’intendant,
c’est vrai; mais quand l’intendant Gaveston
aura acheté et payé ce domaine,
qui donne le titre de lord
et l’entrée au parlement,
tous les gens du pays, si fiers et
si dédaigneux, me salueront humblement
comme comte d’Avenel, et oublieront bien vite
leur ancien maître:
la raison, c’est que je suis riche et qu’il ne l’est
plus: chacun son tour: d’ailleurs, avant son
départ, le comte d’Avenel avait vendu des biens
immenses qu’il avait en Angleterre:
qu’a-t-il fait de cet argent?
ANNA
Il l’a employé au service du prétendant,
vous le savez bien.
GAVESTON
J’en doute;
à moins que vous n’en ayez trouvé la preuve
dans cet
écrit que vous a confié la comtesse d’Avenel.
ANNA
A moi?
GAVESTON
Oui; nierez-vous que dans ses derniers momens
elle ne vous ait remis un papier mystérieux?
ANNA
C’est la vérité.
GAVESTON
Et qu’en avez-vous fait?
ANNA
Selon ses ordres,
après sa mort je l’ai lu,
et comme elle m’avait fait jurer
de ne confier ce secret à personne,
pas même à la plus intime amitié,
j’ai déchiré cette lettre à l’instant.
GAVESTON
Et moi, que les magistrats ont nommé votre
tuteur, puis-je vous demander
quel en était le contenu?
ANNA
Non, monsieur.
GAVESTON
Et pourquoi?
ANNA
C’est que vous ne le saurez pas,
GAVESTON
Fort bien, miss Anna;
sous votre air doux et timide
vous cachez plus
de fermeté et de résolution
que je ne l’aurais soupçonné;
mais dorénavant je prendrai mes précautions.
(On entend une cloche en dehors)
Eh mais! quel est ce bruit?
Duo
ANNA
C’est la cloche de la tourelle
Qui tout à coup a retenti!
(A part, pendant que Gaveston
va regarder à la fenêtre)
A notre rendez-vous fidèle,
C’est celui que j’attends ici.
GAVESTON
Il est minuit! dans ma demeure
Qui peut venir à pareille heure?
ANNA
Quelque voyageur sans abri.
GAVESTON
Eh bien!
qu’il loge ailleurs qu’ici!
ANNA
Pour lui je vous demande grace!
Vous qui voulez prendre la place
Des anciens maîtres de ces lieux,
Imitez-les, faites comme eux:
Si chacun ici les révère,
C’est que leur porte hospitalière
S’ouvrait toujours, aux malheureux.
(Gaveston s’éloigne sans lui répondre)
ANNA
Il part.
Il hésite, il balance,
Il ne voudra jamais;
Il n’est plus d’espérance,
Adieu tous mes projets.
GAVESTON
De cette complaisance
Je me repentirais;
Il faut de la prudence
Pour servir, mes projets.
Scène 4
(Les précédents; Marguerite)
MARGUERITE
Un beau jeune homme et de bonne tournure,
Pendant l’orage et par la nuit obscure
Demande asile en ce noble castel,
En invoquant saint Julien d’Avenel.
ANNA
(à part)
Je l’avais dit! c’est Dikson, c’est lui-même!
MARGUERITE
Moi, je l’ai fait entrer dans la salle à côté.
GAVESTON
Sans m’avoir consulté?
Je punirai cette imprudence extrême,
Et je prétends qu’il sorte à l’instant même.
ANNA
Y pensez-vous? déjà dans le pays
N’avez-vous pas bien assez d’ennemis?
Ne voulez-vous pas qu’on vous aime?
GAVESTON
De me haïr il leur est bien permis.
ANNA
Eh bien! souffrez qu’il entre en ce logis
Et dès demain vous aurez connaissance
Du billet qu’en mes mains la comtesse a remis.
GAVESTON
(vivement)
Vous le jurez.
ANNA
Je le promets d’avance.
GAVESTON
A vos désirs il faut se conformer;
Et puisqu’il faut ici se faire aimer,
Qu’il entre donc!
MARGUERITE
Dieu! quelle bienfaisance!
GAVESTON
Où le placer?
ANNA ET MARGUERITE
Dans cet appartement.
GAVESTON
(à Anna)
Soit
mais rentrez dans le vôtre à l’instant!
ANNA
A la douce espérance
Je renais désormais:
Céleste providence,
Seconde mes projets.
GAVESTON
A cette complaisance
Je n’ai point de regrets,
Puisque la bienfaisance
Peut servir mes projets.
MARGUERITE
O toi dont la puissance
Égale les bienfaits,
Céleste providence,
(Montrant Anna)
Seconde ses projets.
(Anna sort par l’appartement à droite, et Georges entre par la porte du fond)
Scène 5
(Gaveston, Georges, Marguerite)
MARGUERITE
Entrez, entrez, Monsieur,
je vous demande pardon de vous avoir fait
attendre.
GEORGES
Il n’y a pas de mal, ma brave femme,
j’étais occupé à admirer cet
antique édifice.
Le beau château! les belles voûtes!
jusqu’à ces ruines que j’ai traversées
pour arriver jusqu’ici, c’est admirable!
(Apercevant Gaveston)
Pardon, monsieur, de ne pas vous avoir salué
d’abord; c’est à vous sans doute
que je dois l’hospitalité?
GAVESTON
Oui, monsieur.
(A part)
J’y pense maintenant:
si c’était quelque acquéreur, quelque riche
capitaliste
qui vint pour surenchérir.
(Haut)
Qui ai-je l’honneur de recevoir?
GEORGES
Un officier de sa majesté,
un sous-lieutenant au quinzième
d’infanterie.
GAVESTON
(à part)
Un sous-lieutenant, je suis tranquille.
(Haut)
Monsieur, à ce qu’il paraît, n’est pas Écossais.
GEORGES
Non, vraiment, je ne suis jamais venu en ce pays,
et je ne puis vous dire l’effet qu’a produit sur moi
cet ancien
édifice.
GAVESTON
Et comment vous êtes-vous trouvé
à une pareille heure à la porte de
ce vieux château?
GEORGES
Comment! je n’en sais trop rien; mais j’ai idée
que c’est pour vous rendre service.
GAVESTON
A moi!
GEORGES
A vous-même. Un autre vous dirait que c’est la
nuit et le mauvais temps, mais ce n’est pas vrai;
moi, comme militaire, je dis toujours la vérité.
GAVESTON
Toujours?
GEORGES
Oui, Monsieur; même en amour,
je suis d’une franchise!...
Ce n’est pas qu’au régiment ils ne prétendent
que ça me fera du tort,
et que ça nuira à mon avancement;
mais ça me regarde.
Revenons à vous: je n’entends parler
dans le pays que des sortilèges,
des apparitions de la dame blanche,
et je veux passer la nuit dans ce château
pour me trouver en tête à tête avec elle.
GAVESTON
Si ce n’est que cela, vous ne risquez rien:
elle n’a garde de se montrer.
GEORGES
Vous croyez; c’est ce qui vous trompe,
car elle m’a donné
rendez-vous.
GAVESTON
(riant)
Un rendez-vous?
(A part)
Allons, allons, c’est quelque original dont
les idées ne sont pas bien nettes.
(Haut)
Adieu, mon officier, minuit a sonné depuis
longtemps, et je suis obligé de vous quitter,
attendu que demain nous serons réveillés
avant le point du jour.
GEORGES
Et pourquoi?
GAVESTON
Pour tout disposer; car, de grand matin,
nous aurons beaucoup de monde au château,
des affaires importantes...
On va vous dresser un lit dans cet appartement.
GEORGES
A moi! y pensez-vous!
ce fauteuil me suffit,
je serai mieux là qu’au bivouac.
D’ailleurs les revenants que j’attends
pourraient bien être des
contrebandiers
ou des montagnards de la bande de Rob-Roy,
et je veux être sur pied pour les recevoir.
GAVESTON
Adieu donc, bonne nuit, et surtout bonne chance;
mais si vous voyez
la dame blanche d’Avenel,
dites-lui bien de ma part...
(Apercevant Marguerite, qui depuis le commencement
de la scène regarde attentivement Georges)
Eh bien! qu’as-tu donc depuis une heure
à regarder ainsi monsieur?
MARGUERITE
Rien; mais ça m’a l’air d’un brave jeune homme,
et je ne sais pas pourquoi
j’ai du plaisir à le voir.
GAVESTON
Allons, allons, rentrons, il est tard.
MARGUERITE,
(montrant à Georges la lampe
qu’elle tient à sa main)
Voulez-vous que je vous laisse...?
GEORGES
Non, non, les revenants n’aiment pas les
lumières, ça leur fait peur.
A demain, mon cher hôte,
soyez sûr que je vous donnerai des nouvelles,
fussent-elles de l’autre monde.
(Gaveston et Marguerite sortent par le fond, et l’ou entend fermer les portes)
Scène 6
(Georges, seul)
(Il fait nuit totale. Pendant la ritournelle
de l’air
suivant, Georges va rallumer le
feu qui s’éteint,
pose ses deux pistolets
sur la table, etc)
GEORGES
Viens, gentille dame,
Ici, je réclame
La foi des serments.
A tes lois fidèle,
Me voici, ma belle,
Parais, je t’attends.
Que ce lieu solitaire
Et que ce doux mystère
Ont de charmes pour moi!
Oui, je sens qu’à ta vue
L’âme doit être émue;
Mais ce n’est pas d’effroi.
Viens, gentille dame, etc.
Déjà la nuit plus sombre
Sur nous répand son ombre:
Qu’elle tarde à venir!
Dans mon impatience,
Le cœur me bat d’avance
D’attente et de plaisir.
Viens, gentille dame, etc.
(A la fin de la cavatine on entend
un air de harpe, et Anna paraît)
Scène 7
(Georges; Anna, sortant par le panneau à droite, qui
tourne sur un
pivot,
elle est habillée en blanc, et la tête
couverte d’un voile)
GEORGES
Non, ce n’est point une illusion, c’est elle-même:
je distingue dans l’ombre
et sa démarche légère et ses vêtements
blancs.
ANNA
(à part)
C’est lui! osera-t-il me suivre?...
Oui; si ce n’est par reconnaissance, ce sera
du moins par frayeur pour la dame blanche.
GEORGES
Elle approche.
ANNA
Dikson, Dikson, est-ce toi?
GEORGES
Non, ce n’est pas lui; mais je viens à sa place.
ANNA
O ciel! et qui donc êtes-vous?
GEORGES
Habile magicienne,
comment ne sais-tu pas mon nom?
ANNA
O ciel! quelle est cette voix?
GEORGES
Faut-il te dire qu’on m’appelle Georges Brown?
ANNA
Georges dans ces lieux!
n’est-ce point un songe?
(Faisant un pas vers lui)
Ah! si j’osais...
(S’arrêtant)
Non, je ne dois pas même pour lui...
oublier mon serment.
GEORGES
(écoutant)
Eh bien! elle se tait... hein!
ANNA
Tu as bien fait de ne pas me tromper,
car moi qui sais tout,
crois-tu que je ne connaisse pas Georges Brown,
sous-lieutenant au service d’Angleterre?
GEORGES
Je ne reviens pas de ma surprise!
ANNA
Dans le Hanovre, à la bataille d’Hastembek,
tu t’es distingué,
tu fus blessé près de ton colonel.
GEORGES
O ciel!
ANNA
Une main inconnue te rappela à la vie,
te prodigua des soins...
GEORGES
(s’avançant)
C’en est trop,
et quel que soit ce mystère...
ANNA
Arrête, ou je disparais à tes yeux,
et tu ne me reverras jamais.
GEORGES
J’obéis; mais prends pitié de mon trouble:
cette divinité protectrice qui prit soin de mes jours,
où est-elle? Depuis trois mois
je la poursuis en vain;
partout il me semble et la voir et l’entendre;
dans ce moment encore,
je ne sais si c’est une illusion,
mais je crois reconnaître sa voix.
ANNA
Peut-être l’ai-je prise pour te plaire.
GEORGES
Si tu es elle-même, c’est ce que j’ignore;
mais qui que tu sois,
donne-moi les moyens de la revoir.
ANNA
Cela dépend de toi.
GEORGES
Que faut-il faire, où faut-il te suivre?
ANNA
Me suivre...
(A part)
Oh! maintenant je n’ose plus,
et je dois changer de projet.
(Haut)
Demain tu recevras mes ordres,
et quels qu’ils soient...
GEORGES
Je jure de m’y soumettre!
Fée, magicienne, ou dame blanche,
je te suis dévoué.
Pour revoir celle que j’aime et pour la posséder,
je crois, s’il le fallait,
que je me donnerais à toi.
ANNA
Ce ne serait peut-être pas un mauvais moyen;
mais ce n’est pas là ce
que je te demande.
Écoute-moi.
Ce domaine est celui des comtes d’Avenel;
Un avide intendant, au cœur dur et cruel,
Vent les en dépouiller; mais mon pouvoir propice
Protége l’orphelin et confond l’injustice.
Parle! veux-tu demain seconder
mon espoir?
GEORGES Défendre le malheur est mon premier devoir.
Duo
ANNA
Toujours soumis à ma puissance,
Tu promets donc de me servir?
GEORGES
Je te promets obéissance;
A quel danger faut-il courir?
ANNA
De tes serments, de ton courage,
M’oseras-tu donner un gage?
GEORGES
Parle!
ANNA
Oserais-tu bien ici
Me donner ta main?
GEORGES
(détournant la tête, mais
avançant intrépidement)
La voici!
Mais que cette main est jolie!
Pour un lutin quelle douceur!
Est-ce l’amour ou la magie
Qui fait ainsi battre mon cœur?
ANNA
De l’amour la douce magie
Pourrait aussi troubler mon cœur.
Fuyons, laissons-lui son erreur.
(Anna va pour sortir; Georges, traversant le théâtre et se mettant devant elle)
GEORGES
Arrête!
ANNA
(tremblante)
O ciel! ma frayeur est extrême!
Que me veux-tu?
GEORGES
Tantôt tu promis qu’à mes yeux
Apparaîtrait celle que j’aime.
Où la verrais-je?
ANNA
Dans ces lieux.
GEORGES
Comment?
ANNA
Eh bien! c’est elle-même
C’est elle qui viendra demain
T’apporter mon ordre suprême;
Aussi, quand elle apparaîtra,
Qu’on obéisse!
GEORGES
A l’instant même.
Mais tu promets qu’elle viendra?
ANNA
Oui, de ma part elle viendra.
GEORGES
Je crois au serment qui t’engage,
Mais il m’en faut encore un gage.
ANNA
Parle!
GEORGES
Oserais-tu bien iciMe donner ta main?
ANNA
(un peu tremblante)
La voici!
GEORGES
Ah! que cette main est jolie!
Pour un lutin quelle douceur!
Est-ce l’amour ou la magie
Qui fait ainsi battre mon cœur?
ANNA
Mais de l’amour, de sa magie,
Craignons le charme séducteur.
Fuyons... laissons-lui son erreur.
(Anna passe derrière lui, rentre par la porte à gauche, et l’on entend le même bruit de harpe qu’à son arrivée. A la fin du duo, on frappe à la porte du fond et l’on tire les verrous)
Scène 8
(Georges, Gaveston)
GEORGES
Elle s’éloigne; elle a disparu.
GAVESTON
Mon jeune officier, voici le point du jour.
GEORGES
Déjà!...
GAVESTON
Je vois que je vous ai réveillé.
GEORGES
Hélas oui! un joli rêve, si c’en est un...
GAVESTON
Eh bien! comment avez-vous passé la nuit?
GEORGES
Une nuit charmante, quoique un peu agitée;
car, en honneur,
je n’ai pas eu le temps de dormir.
GAVESTON
Je conçois, le souvenir de la dame blanche vous a poursuivi.
GEORGES
Son souvenir!... mieux que cela.
GAVESTON
Que voulez-vous dire?
GEORGES
Tenez, mon cher hôte, comme vous et beaucoup
d’autres esprits forts allez probablement vous
moquer de moi, je commence le premier: je vous
dirai donc en confidence qu’à dater d’aujourd’hui
je me déclare le chevalier de la dame blanche.
GAVESTON
Est-ce que par hasard vous l’auriez vue?
GEORGES
Non, je ne l’ai pas vue... mais j’ai passé une
heure avec elle, une conversation charmante,
un ton excellent:
ce qui prouverait que dans l’autre monde
il y a fort bonne société.
GAVESTON
Ah! çà, permettez:
êtes-vous bien sûr d’être dans votre bon sens?
GEORGES
Ma foi, je vous le demanderai;
car je n’ose plus m’en rapporter à moi-même.
GAVESTON
J’espère cependant que vous
ne croyez pas à la dame blanche,
c’est
impossible!
GEORGES
Vous avez raison, c’est impossible!
aussi je suis comme vous,
je n’y crois pas,
mais j’en suis amoureux.
GAVESTON
Amoureux de la dame blanche!
GEORGES
C’est-à-dire, d’elle ou de mon inconnue;
peut-être de toutes les deux,
je ne vous dirai pas au juste.
Par exemple, je dois vous en prévenir,
vous n’êtes pas dans ses bonnes grâces,
elle vous traite fort mal.
GAVESTON
Moi!
GEORGES
Elle prétend, mais c’est elle qui parle,
que vous êtes un homme injuste, avide, intéressé;
que dans la vente
qui va avoir lieu
ce matin vous voulez vous rendre acquéreur
pour dépouiller votre ancien maître.
GAVESTON
On pourrait supposer...
GEORGES
Rassurez-vous, elle dit que votre espoir
sera déçu, et qu’elle empêchera bien
l’héritage des comtes d’Avenel
de tomber entre vos mains.
GAVESTON
Ah! la dame blanche vous a dit cela?
GEORGES
Les propres paroles, ou à peu près.
GAVESTON
Eh bien! l’événement prouvera qui d’elle ou
de moi a le plus de pouvoir; car, dans une heure,
ce riche domaine m’appartiendra.
Tenez, tenez, voyez-vous dans la cour du
château M. Mac-Irton, le juge de paix,
qui doit présider à cette vente, et tous les gens
du pays qui viennent y assister?
GEORGES
Ce sont vos affaires,
arrangez-vous.
Je vais faire un tour de parc
en attendant les ordres de ma dame invisible,
car elle m’a promis de me les envoyer.
GAVESTON
Vraiment?
GEORGES
Oui, par un messager charmant, par ma belle
inconnue, qu’il me tarde de voir paraître.
GAVESTON
(à part)
Allons, allons, je lui supposais
d’abord quelque arrière-pensée;
mais décidément il a perdu l’esprit.
(Haut)
Eh bien! mon jeune officier, pourquoi ne restez -
vous pas ici? vous verrez par vous-même
qui aura raison de la dame blanche ou de moi.
GEORGES
Au fait, c’est un spectacle comme un autre;
je n’ai jamais été à une
vente publique.
GAVESTON
Jamais?
GEORGES
Non, sans doute, et il y avait de bonnes raisons.
GAVESTON
Asseyez-vous aux premières places.
Scène 9
(Georges, Gaveston, Dikson, Marguerite
Jenny,
chœur de fermiers et de vassaux)
CHŒUR
Nous quittons nos travaux champêtres,
Nous accourons en ce castel
Savoir quels sont les nouveaux maîtres
Du beau domaine d’Avenel,
MARGUERITE
Hélas! quelle douleur j’éprouve!
Voici donc le moment fatal.
JENNY
(apercevant Georges)
C’est vous, monsieur, je vous retrouve!
Hé bien! ce mystère infernal?
DIKSON
Qu’ayez-vous vu? parlez de grace!
GEORGES
Vous le saurez. Mais, en honneur,
J’ai bien fait de prendre sa place
Car il en serait mort de peur!
DIKSON
Vois-tu, ma femme, quelle horreur!
JENNY
Mais taisons-nous, faisons silence,
Car voici monsieur Mac-Irton,
Le juge de paix du canton.
(Entrent Mac-Irton et tous les gens de justice. Ils vont se placer sur des sièges préparés autour d’une table au milieu du théâtre. Gaveston se tient debout à gauche, non loin de lui. A droite, sur le premier plan, Georges assis sur un fauteuil; Dikson environné de tous les fermiers)
LES FERMIERS
(à Dikson)
Tu vas bien te montrer, je pense.
D’AUTRES FERMIERS.
Tu connais quels sont tes devoirs.
DIKSON
Ne craignez rien, j’ai vos pouvoirs;
J’sais jusqu’à quelle concurrence
Il nous est permis d’enchérir.
MAC-IRTON
Messieurs, la séance commence.
GEORGES
Comment cela va-t-il finir?
CHŒUR
De crainte et d’espérance
Je sens battre mon cœur;
Du combat qui commence
Quel sera le vainqueur?
MAC-IRTON
(se levant et lisant un parchemin)
De par le roi, les lois et la cour souveraine,
Faisons savoir qu’on va procéder sur-le-champ
A la vente de ce domaine,
A l’enchère publique ainsi qu’au plus offrant
Et dernier enchérisseur.
MARGUERITE
Hélas! j’en suis toute tremblante.
MAC-IRTON
Nous avons acquéreur
A vingt mille écus!
DIKSON
Moi, j’en mets vingt-cinq!
GAVESTON
Moi trente!
DIKSON
Trente-cinq!
GAVESTON
Quarante!
DIKSON
Quarante-cinq!
GAVESTON
Cinquante!
DIKSON
Cinquante-cinq!
GAVESTON
Soixante!
Ils ont l’air interdits.
LES FERMIERS
(à Dikson)
Allons! allons! encor! courage!
DIKSON
Voulez-vous risquer davantage?
Soixante-cinq!
GAVESTON
Soixante-dix!
DIKSON
Quatre-vingt-cinq!
GAVESTON
Quatre-vingt-dix!
Ils ont beau faire, Je l’aurai.
Oui, je serai propriétaire
C’est moi qui l’emporterai.
DIKSON
Je commence à perdre courage.
LES FERMIERS.
Allons! encor quelque chose de plus.
DIKSON
Eh bien!
quatre-vingt-quinze!
GAVESTON
Et moi, cent mille écus!
LES FERMIERS.
O ciel!
nous ne pouvons enchérir davantage!
MARGUERITE
C’en est fait, nous sommes perdus!
MAC-IRTON
(lentement, à l’assemblée)
Cent mille écus! cent mille écus!
GEORGES
Je tremble.
GAVESTON
(s’approchant de lui)
Eh bien! mon jeune ami, parlez:
que vous en semble?
Malgré la dame blanche et son nom révéré,
Je l’avais dit: c’est moi, moi qui l’emporterai.
GEORGES
(à part)
Il a raison, et je crains fort
Que la dame blanche n’ait tort.
MARGUERITE, CHŒUR
Non, plus d’espoir!
DIKSON ET LES FERMIERS.
Plus de courage!
DIKSON
La bougie est près de finir.
GAVESTON
Le château va m’appartenir.
GEORGES
Morbleu! j’enrage, j’enrage!
Qui donc pourrait surenchérir?
(Pendant ce temps Anna, qui a repris le même costume qu’à la seconde scène de cet acte, est sortie de sa chambre à droite, et s’est approchée doucement derrière Georges; elle se tient près de lui, et lui dit à demi voix:)
ANNA
Toi!
GEORGES
(se retournant et l’apercevant)
Que vois-je! ô surprise extrême!
C’est elle! c’est celle que j’aime!
ANNA
(de même)
Du silence! tu sais qui m’envoie; obéis.
GEORGES
Quoi! vous voulez...
ANNA
Tu l’as promis!
MAC-IRTON
(répétant)
Cent mille écus! cent mille écus!
GEORGES
(se levant et passant au milieu du théâtre)
Arrêtez! moi, je mets mille livres de plus.
TOUS
O ciel!
GAVESTON
O ciel! quel est ce mystère,
Et ce nouvel acquéreur?
Dans ces lieux, que veut-il faire?
Rien n’égale ma fureur.
GEORGES
(à part)
A ce singulier mystère
Je ne conçois rien, d’honneur!
(Regardant Anna)
Je vois celle qui m’est chère,
Cela suffit à mon cœur.
ANNA
(bas à Georges)
Sache obéir et te taire.
Tu l’as promis sur l’honneur;
C’est le moyen de me plaire
Et de mériter mon cœur.
MARGUERITE, CHŒUR
Mais quel est donc ce mystère
Et ce nouvel acquéreur?
Que le sort lui soit prospère,
C’est le vœu de notre cœur.
GAVESTON
(regardant Georges)
Quel qu’il soit,
je rendrai cette ruse inutile.
Puisqu’il le faut, quinze cents francs!
GEORGES
Deux mille!
GAVESTON
Trois!
GEORGES
Quatre!
GAVESTON
Cinq!
GEORGES
Six!
GAVESTON
Sept!
GEORGES
Huit!
GAVESTON
Neuf!
GEORGES
Dix!
GAVESTON
Je ne puis contenir ma rage!
Je mets vingt-cinq.
ANNA
(bas à Georges)
Va toujours, du courage!
GEORGES
Trente!
GAVESTON
Quarante!
ANNA
(bas à Georges)
Encor! encor!
GEORGES
Cinquante!
GAVESTON
Soixante!
ANNA
(bas à Georges)
Encor!
GEORGES
Quatre-vingts!
GAVESTON
Quatre-vingt-dix!
GEORGES
Quatre cent mille francs!
ANNA
(bas à Georges)
C’est bien, je suis contente.
Va toujours; oui, va toujours.
GAVESTON
De fureur je frémis!
Eh bien! quatre cent cinquante.
GEORGES
(allant surenchérir)
Eh bien! moi, s’il le faut...
GAVESTON
(allant à lui)
Arrêtez! laissez-moi
Sur un pareil projet éclairer son jeune âge;
Il ignore ce qu’il engage.
(A Mac-Irton)
Monsieur, lisez-lui la loi.
MAC-IRTON
(lisant)
“Le jour même, à midi, le prix de cette vente
“Sera payé comptant en nos mains,
“ou sinon,
“Et faute de fournir caution suffisante,
“Le susdit acquéreur sera mis en prison.”
GEORGES
En prison!
ANNA
(bas à Georges)
Il n’importe.
GEORGES
(à part)
Alors dès qu’on l’ordonne,
(Haut)
A cinq cent mille francs!
MAC-IRTON
Personne
Ne dit mot?
MARGUERITE
Quel bonheur!
GEORGES
(bas à Gaveston)
Convenez sans façon
Que la dame blanche a raison.
GAVESTON
(avec dépit)
Il le faut, j’abandonne.
MAC-IRTON
(à Georges)
Votre nom, votre rang.
GEORGES
Georges Brown, sous-lieutenant;
Douze cents francs d’appointements;
Et l’on ne dira pas que je fais des folies,
Car j’achète un château sur mes économies.
MAC-IRTON
(bas à Gaveston)
Vous le voyez, j’y suis bien obligé.
(A haute voix)
Puisqu’il le faut donc,
(Montrant Georges)
Adjugé.
DIKSON MARGUERITE, FERMIERS.
Ah! pour nous quel jour prospère!
Ce choix fait notre bonheur,
Car nous aurons, je l’espère,
Un brave et digne seigneur.
GEORGES
(à Anna)
A ce singulier mystère
Je ne conçois rien, d’honneur!
Je vois celle qui m’est chère,
Cela suffit à mon cœur.
MAC-IRTON, GAVESTON
Mais quel est donc ce mystère?
Qu’il redoute ma fureur!
Rien n’égale la colère
Qui s’empare de mon cœur.
ANNA
Dieu puissant, Dieu tutélaire,
Puissé-je, au gré de mon cœur,
D’un maître que je révère
Sauver les biens et l’honneur!
ACTE TROISIÈME
(Le théâtre représente un riche appartement
gothique, une porte au fond; au-dessus de la
porte une galerie qui tient tout le fond du théâtre,
et à laquelle on monte par deux escaliers
latéraux; au bas des escaliers quatre piédestaux,
dont trois seulement portent des statues;
à gauche des spectateurs, sur le premier plan,
une petite porte secrète)
Scène 1
(Anna, seule; même costume qu’à la
deuxième scène du second acte)
ANNA
(Elle arrive précipitamment et sur la ritournelle regarde avec joie et surprise l’appartement où elle se trouve)
Grand Dieu que j’implorai, recevez mon hommage!
Vous n’avez pas permis que ce bel héritage
Retombât dans les mains d’indignes ravisseurs.
Et vous, du haut des cieux,
qui sont votre partage,
Et vous, mes nobles bienfaiteurs
Comme aux beaux jours de mon jeune âge,
Daignez encor guider mes pas;
Venez achever votre ouvrage,
Venez, ne m’abandonnez pas,
En revoyant ce noble asile.
De mon bonheur je me souvient:
Que de fois ce séjour tranquille
A redit le nom de Julien!
Julien! Julien!
L’écho fidèle
Ne l’a pas oublié;
Il me rappelle
Nos jeux, notre amitié.
Comme aux beaux jours de mon jeune âge, etc.
Scène 2
(Anna, Marguerite)
ANNA
Ah! Marguerite, je t’attendais...
MARGUERITE
J’entre comme vous dans le château,
dont M. Mac-Irton vient de lever les scellés.
Eh bien! Mademoiselle, voilà ces riches
appartements que vous aviez tant
d’envie de parcourir.
C’est ici que je vous ai élevée,
ainsi que mon pauvre Julien,
jusqu’à l’âge de six ans;
mais vous m’assurez au moins
que ce n’est pas pour son compte que
M. Georges a acheté ce domaine.
ANNA
Non, c’est pour le rendre à son véritable maître!
qui pouvait surenchérir?
ce n’était pas moi, mineure
et pupille de Gaveston; par bonheur,
Georges est venu à notre secours.
MARGUERITE
Ce monsieur Georges est donc bien riche,
car enfin il lui faut aujourd’hui même à midi
payer cinq cent mille livres,
ou la vente est nulle.
ANNA
Je te dirai, en confidence,
qu’il ne possède rien; mais qu’il compte
sur moi.
MARGUERITE
Sur vous?
ANNA
Oui. Dis-moi, Marguerite,
toi qui as longtemps habité ces lieux,
tu
dois te rappeler dans quel endroit
est la statue de la dame blanche?
car dans tous les appartements que j’ai déjà parcourus
je n’ai pas
encore pu la découvrir,
et voilà pourquoi je t’attendais.
MARGUERITE
Elle était placée dans la salle de réception,
celle des chevaliers.
ANNA
Eh! mais, nous y voici!
MARGUERITE
Alors, c’était là, à droite.
(apercevant le piédestal)
Grand Dieu! la statue a disparu!
ANNA
O ciel! c’est fait de nous,
et tous mes projets sont déjoués.
MARGUERITE
Que dites-vous?
ANNA
Qu’ici, dans ce château,
est toute la fortune
de la famille d’Avenel,
le prix de ces biens immenses vendus en
Angleterre,
et qu’on estimait deux ou trois millions.
MARGUERITE
Grand Dieu!
ANNA
C’est là le secret qui me fut confié
par la comtesse d’Avenel.
“Anna, me disait-elle dans sa lettre, si jamais
Julien reparaît en Écosse, apprends-lui
que dans le nouveau château d’Avenel, et dans
la statue de la dame blanche, il retrouvera un
coffret d’ébène qui contient,
en billets de banque, la fortune de ses pères.”
MARGUERITE,
(avec douleur)
Et la statue a disparu.
ANNA
Oui, et comment?
car nul n’a pu pénétrer dans ce lieu.
Cherche bien, Marguerite, n’aurais-tu pas
quelque idée, quelque souvenir?
MARGUERITE
Attendez donc, je me rappelle que la nuit
du départ du comte d’Avenel...
ANNA
Parle vite.
MARGUERITE
Il était tard, et je sortais du château par
un passage secret,
connu des gens de la maison,
lorsque j’entends des pas lents et mesurés;
me cache derrière un pilier,
et malgré la nuit, qui était des plus sombres,
j’aperçois la statue de la dame blanche
qui descendait lentement l’escalier.
ANNA
Tu as cru la voir.
MARGUERITE
Non, je l'ai vue,
et le garde-chasse à qui le
lendemain j’ai raconté cette aventure m’a dit:
“C’est juste; elle a quitté le château parce
que les seigneurs d’Avenel s’en vont; elle ne
reviendra que quand ils seront de retour.”
ANNA
Ou plutôt, et c’est là ma crainte, quelqu’un
que l’obscurité t’empêchait de distinguer
l’aura enlevée pour s’emparer des trésors
qu’elle renfermait.
MARGUERITE
Non, mademoiselle; non,
elle s’est abîmée dans la muraille près du
passage secret.
ANNA
Quel passage? pourrais-tu le reconnaître?
MARGUERITE
A quoi bon?
vous aurez beau faire, la statue ne reviendra
que quand Julien sera de retour.
ANNA
N’importe, reconnaîtrais-tu ce passage?
MARGUERITE
Je n’en répondrais pas: tout ce que je me
rappelle, c’est qu'il avait une issue sur cette
pièce; mais en tous cas je n’irai jamais.
ANNA
Moi j’irai; viens, guide-moi,
c’est tout ce que je te demande.
MARGUERITE
Mais, mademoiselle, attendez donc,
je ne peux pas vous suivre.
ANNA
(l’entraînant)
On vient, te dis-je, et je ne veux pas
qu’on nous aperçoive.
(Elles sortent par la porte à gauche)
Scène 3
(Georges; fermiers, paysans,
habitants du domaine)
CHŒUR
Vive à jamais notre nouveau seigneur!
De ses vassaux qu’il fasse le bonheur!
GEORGES
(à part, en entrant)
Allons, gaîment recevons leur hommage,
Je suis seigneur, il faut tenir l’emploi.
(Aux paysans)
Les braves gens dont j’acquiers l’héritage,
Mes bons amis, valaient bien mieux que moi.
(Regardant autour de lui)
Dieu! qu’est-ce que je voi?
CHŒUR
Mais qu’a-t-il donc?
GEORGES
Ces lambris magnifiques,
Ces chevaliers, ces armures gothiques;
C’est fait de moi, je n’y suis plus.
Mais déjà, j’en suis sûr, déjà je les ai vus!
D’où peut naître cette folie?
Et d’où vient ce que je ressens?
Dame blanche, est-ce ta magie
Qui vient encor troubler mes sens?
CHŒUR
Il admire ces lieux charmans:
Combien sa vue est éblouie
De ces riches appartemens!
Marche
(De jeunes filles viennent offrir à Georges
les clefs du château, et pendant ce temps
le chœur commence le chant suivant)
CHŒUR
Chantez, joyeux ménestrel,
Refrain d’amour et de guerre.
Voici venir la bannière
Des chevaliers d’Avenel.
GEORGES
(avec émotion)
Quel est donc ce refrain?
CHŒUR
C’est le chant ordinaire
De la tribu d’Avenel.
GEORGES
O moments pleins de charmes!
Où donc ai-je entendu cet air qui, malgré moi
De mes yeux fait couler mes larmes?
CHŒUR,
(reprenant l’air)
Chantez, joyeux ménestrel, etc.
GEORGES
(les arrêtant)
Attendez... j’achèverais, je crois
Tra, la, la, la, la, la, la.
(Se
trompant)
Non, non, ce n’est pas cela.
(Se reprenant)
Tra, la, ta, la, la, la...
CHŒUR
Il est sensible à nos accents;
Des vieux airs de notre patrie
Il aime à redire les chants.
GEORGES
D’où peut naître cette folie?
Et d’où vient ce que je ressens?
Dame blanche, est-ce ta magie
Qui vient encor troubler mes sens?
(gaiement)
Dans ce castel, mes amis, venez tous;
Autant qu’à moi ce domaine est à vous.
Que les buffets soient dressés sous la treille.
CHŒUR
Que les buffets soient dressés sous la treille.
GEORGES:
Que l’on commence et la danse et les jeux.
CHŒUR
Que l’on commence et la danse et les jeux.
GEORGES
Que chaque fille épouse un amoureux.
CHŒUR DE JEUNES FILLES.
Que chaque fille épous’ son amoureux.
GEORGES
(à part)
Dans un instant il se peut qu’on m’éveille,
Dépêchons-nous de faire des heureux.
TOUS
Vive à jamais notre nouveau seigneur!
De ses vassaux il fera le bonheur!
(Tous s’éloignent avec respect en voyant
Georges qui est retombé
dans sa rêverie)
GEORGES
(reprenant l’air)
Tra la, la, la, la, la...
Où donc ai je entendu cet air si plein de charme,
Qui fait couler mes larmes?
Tra la, la, la, la, la.
(Il
achève l’air à demi-voix, et tous les
paysans se retirent par la porte du fond)
Scène 4
GEORGES
(seul)
C’est inconcevable!
Vingt fois dans mon
imagination j’ai rêvé un château gothique comme
celui-ci, une galerie comme celle-là.
Ma foi, n’y pensons plus,
car je m’y perds.
Ces braves gens!
Ils ont déjà l’air de m’aimer, et je serais trop
heureux de faire leur bonheur.
Il n’y a que le chapitre des gratifications
qui m’embarrasse: c’est terrible de parler en
grand seigneur et de payer en sous-lieutenant.
Mais il paraît que la dame blanche ne tient pas
aux espèces mon noyées,
car depuis le temps qu’elle me protège,
elle ne s’est jamais distinguée de ce côté-là.
Eh! mais, c’est le seigneur Gaveston,
qui m’a l’air d’un acquéreur désappointé.
Scène 5
(Georges, Gaveston)
GEORGES
(allant à lui)
Eh bien! mon cher hôte,
qu’est-ce que je vous
disais? vous me voyez enchanté à mon tour
de pouvoir vous recevoir chez moi.
GAVESTON
Vous vous doutez du sujet qui m’amène;
je viens, monsieur, vous demander l’explication
de votre étrange conduite.
GEORGES
Mon cher ami, demandez-moi tout ce que
vous voudrez, hors des explications,
parce que de ce côté-là...
GAVESTON
Je ne croyais pas qu’un militaire dût avoir recours
à la ruse pour cacher ses intentions.
GEORGES
Halte-là! Je n’ai jamais trompé personne;
je vous déclare donc que je me suis trouvé,
comme beaucoup de gens,
propriétaire d’un instant à l’autre,
et sans savoir comment;
mais je vous atteste qu’hier au soir, quand je suis
arrivé chez vous,
je n’avais pas plus d’intentions que d’argent,
ça, je vous en donne ma parole;
et pour les preuves,
(montrant son gousset)
elles sont là.
GAVESTON
(vivement et avec joie)
Qu’entends-je! vous n’avez pas d’argent!
Eh bien! alors, comment
payerez-vous?
GEORGES
Moi! cela ne me regarde pas!
la dame blanche y pourvoira.
Il paraît que dans cette occasion je suis
son homme de confiance, son chargé d’affaires,
car je ne suis acquéreur que pour son compte.
GAVESTON
Vous voulez plaisanter.
GEORGES
Non, monsieur, et je vois que nous donnons tous
les deux dans les excès opposés;
moi, je crois tout, et vous, vous ne croyez rien!
c’est un mal: le sage doit toujours prendre
un juste milieu;
je veux bien abandonner un peu de mon opinion,
cédez-moi de la vôtre, et convenons tous les
deux qu’il y a quelque chose, quelque chose
que nous ne comprenons pas: mais pour être
heureux, on n’est pas obligé de comprendre.
GAVESTON
Quoi! monsieur, ce riche domaine...
GEORGES
A vous parler franchement,
je n’y tiens pas du tout, et, d’un instant à l’autre,
j’attends un coup de baguette
qui va faire disparaître le château.
Ce qui m’importe, c’est de revoir la dame blanche
ou ma belle inconnue, et c’est dans l’espoir
de la rencontrer que je vous demanderai la
permission de parcourir mes nouveaux domaines.
GAVESTON
(l’arrêtant)
Un mot encore:
si à midi vous ne pouvez pas payer?
GEORGES
Le château est là, je ne l’emporte pas,
j’en serai quitte pour le revendre;
il est vrai que si on me l’achète au prix coûtant,
ce n’est pas cela qui m’enrichira.
GAVESTON
Et si en attendant vous ne fournissez pas caution,
M. Mac-Irton, le
juge de paix,
vous a dit qu’il y allait de la prison.
GEORGES
La prison! eh bien, tant mieux! car,
en conscience, la dame blanche
doit venir me délivrer,
et c’est un moyen de la voir;
mais, tenez, tenez, voici M. Mac-Irton
qui a l’air de vouloir vous parler:
adieu, je vais visiter mon château,
et me hâter de faire le seigneur.
(Il monte par l’escalier à gauche, et disparaît dans la galerie)
Scène 6
(Gaveston, Mac-Irton)
GAVESTON
Je n’y conçois rien, il a une franchise
et une étourderie qui déjouent
tous mes calculs.
Ah! c’est vous, M. Mac-Irton?
MAC-IRTON
(mystérieusement)
Oui; êtes-vous seul!
GAVESTON
Certainement.
MAC-IRTON
J’ai à vous parler; mais fermons d’abord
toutes les portes.
(Il va fermer la porte du fond, et Gaveston va regarder au haut de l’escalier, à gauche, si Georges s’est
éloigné. Pendant ce temps Anna entr’ouvre
le panneau qui est sur le premier plan, à gauche)
Scène
7
(Les précédents; Anna)
ANNA
(à part)
Voici bien le passage mystérieux qui conduit
dans cette salle; mais hélas!
je n’ai encore rien trouvé.
(Avançant la tête)
Que voi-je? Gaveston!
Écoutons, et ne nous montrons pas.
(Elle referme le panneau et disparaît)
GAVESTON
(redescendant le théâtre)
Eh bien! qu’avez-vous à m’apprendre?
MAC-IRTON
D’importantes nouvelles!
Il faut vous hâter
ou vous êtes perdu:
le fils de vos anciens maîtres,
Julien, comte
d’Avenel,
a reparu en Angleterre.
GAVESTON
Qui vous l’a annoncé?
MAC-IRTON
Une lettre de Londres, et des titres authentiques
que nous ne pouvons révoquer en doute.
Vous savez qu’il y a une douzaine d’années
Julien d’Avenel fut confié à un serviteur de son
père, Duncan, un Irlandais que vous connaissez.
GAVESTON
Oui. Après?
MAC-IRTON
On lui avait remis une somme considérable pour
conduire cet enfant en France et l’y faire élever
secrètement; mais, loin de suivre ses
instructions, Duncan s’était embarqué pour
l’Amérique, et s’était approprié cette somme.
GAVESTON
Eh bien?
MAC-IRTON
Eh bien! ce Duncan, de retour en Angleterre,
a signé, il y a quinze jours, dans l’hospice où il est mort,
une
déclaration devant témoins portant
que Julien, comte d’Avenel,
son ancien élève, servait maintenant
dans un régiment d’infanterie.
GAVESTON
Eh bien! qu’importe?
MAC-IRTON
Comment, qu’importe? Il sert sous
le nom de Georges Brown.
GAVESTON
O ciel!
MAC-IRTON
Comprenez-vous maintenant?
c’est lui qui, ce matin, a surenchéri,
et vous devinez dans quelle intention?
GAVESTON
Non, vous vous trompez;
rien n’est encore
désespéré, car il ignore
et son nom
et sa naissance.
MAC-IRTON
Il se pourrait?
GAVESTON
Mais il ne peut pas payer. Il n’a rien,
aucunes ressources: il me
l’a avoué lui-même;
et quand je serai propriétaire du château
et du titre de comte d’Avenel, peu m’importe
alors que Georges Brown soit
reconnu pour un descendant
de l’ancienne famille:
je le lui apprendrai moi-même, s’il le faut.
MAC-IRTON
Vous avez raison.
GAVESTON
L’important est de se presser,
venez tout disposer.
(Ils sortent)
Scène 8
(Anna, entr’ouvrant le panneau à
gauche, et paraissant sur le
théâtre)
ANNA
Hélas! quel est mon sort,
et que viens-je d’apprendre?
Celui que j’ose aimer est Julien d’Avenel!
Ce rang et ses trésors que je voulais lui rendre
Vont mettre entre nous deux un obstacle éternel.
Fais, Dieu puissant, qui connaîs ma tendresse,
Qu’il ne puisse jamais recouvrer sa richesse,
Qu’il demeure inconnu, sans bien comme aujourd’hui:
Sa pauvreté du moins me rapproche de lui.
Scène 9
(Anna, Marguerite)
Duo
MARGUERITE
Mademoiselle, Mademoiselle,
J’apporte une bonne nouvelle,
ANNA
Qu’est-ce donc?
MARGUERITE
Pour nous quel plaisir!
Julien, Julien va revenir.
ANNA
O ciel! qui te l’a dit?
MARGUERITE
Personne:
Et pourtant la nouvelle est bonne,
Ce présage ne peut mentir,
De mes yeux j’ai vu la statue:
La dame blanche est revenue.
ANNA
Grand Dieu! quel malheur est le mien!
Tu l’as vue?
MARGUERITE
Ah! j’en suis certaine,
Dans la chapelle souterraine,
Où j’allais prier pour Julien.
ANNA
(à part)
Dans cette enceinte respectée
Où, la nuit du départ, le comte, je le voi,
L’avait lui-même transportée...
Allons, tout est fini pour moi!
MARGUERITE
Pour nous, mademoiselle,
Quelle bonne nouvelle!
J’en mourrai de plaisir,
Julien va revenir!
ANNA
O souffrance cruelle!
O douleur éternelle!
Oui, dussé-je en mourir,
Allons, il faut partir.
MARGUERITE
Et puis Julien, la bonté même,
Va sur-le-champ vous marier
A ce jeune et bel officier,
Ce monsieur Georges qui vous aime.
Mais qu’avez-vous? répondez-moi;
Vous pâlissez, oui, je le voi!
ANNA
A l’instant même, Marguerite,
Prépare tout pour notre fuite.
MARGUERITE
Que dites-vous?
ANNA
Il faut que toutes deux,
Tout à l’heure, en secret,
nous partions de ces lieux.
MARGUERITE
Y pensez-vous? et pourquoi donc,
grands dieux!
ANNA
Tais-toi, c’est pour Julien.
MARGUERITE
Vraiment!
C’est pour Julien? ah! j’y cours à l’instant.
Pour nous, mademoiselle,
Quelle bonne nouvelle!
J’en mourrai de plaisir,
Julien va revenir!
ANNA
O souffrance cruelle! O douleur éternelle!
Oui, dussé-je en mourir,
Allons, il faut partir.
(Marguerite sort)
Scène 10
ANNA
(seule)
Oui, redoublons le mystère qui me cache
à ses yeux!
Qu’il soit riche, qu’il soit heureux,
mais qu’il ne puisse soupçonner
la main qui lui rend son héritage;
qu’il ne connaisse jamais la pauvre fille
qui l’aimait, et qui lui sacrifie son bonheur.
Et vous, mes anciens maîtres, vous,
mes bienfaiteurs, maintenant nous sommes
quittes, je vous ai payé ma dette.
Scène 11
(Anna, Jenny)
JENNY
Ah! mon Dieu! mon Dieu!
qu’est-ce que cela veut dire?
ANNA
Qu’est-ce donc?
JENNY
Voici encore M. Mac-Irton et des hommes de loi,
des habits noirs qui arrivent au château.
ANNA
Grands dieux!
il n’y a pas de temps à perdre, courons à la chapelle.
(Elle sort par la droite)
JENNY
Eh bien! elle s’en va sans me répondre;
est-ce que c’est honnête? Mais où est donc
notre nouveau seigneur? on ne le voit plus.
Est-ce que les grandeurs l’auraient changé?
Scène 12
(Jenny; Georges, venant de la gauche
et paraissant au fond sur la galerie)
GEORGES
En honneur, impossible de la rencontrer,
je suis toujours à attendre quelque apparition,
qui n’arrive pas.
(Descendant par l’escalier à gauche)
A chaque femme que j’aperçois,
je crois toujours que c’est elle.
Eh
mais! en voici une.
(Courant à Jenny qu’il n’aperçoit que par derrière)
JENNY
Eh bien! monsieur, qu’est-ce que vous faites donc?
GEORGES
Non, c’est ma gentille fermière.
JENNY
(à part)
Ma gentille fermière!
je me trompais, il n’est pas changé.
GEORGES
(la regardant)
Ou plutôt, car il faut se méfier de tout,
c’est peut- être une
nouvelle forme qu’elle a prise;
car elle ne paraît jamais que sous les traits
d’une jolie femme: en tout cas,
ça m’est égal, je m’en vais bien voir.
JENNY
Qu’est-ce que vous avez donc
à me regarder ainsi?
GEORGES
(la regardant tendrement)
Un mot seulement;
es-tu bien sûre d’être madame Dikson?
JENNY
Tiens, c’te question!
GEORGES
Tu hésites, ce n’est pas vrai.
Scène X13
(Les précédent; Dikson)
DIKSON
(qui a entendu les derniers mots)
Si monsieur, c’est vrai, c’est ma femme;
et ce n’est pas bien à vous de venir élever des doutes
sur ce
sujet-là, après tout le tort
que vous m’avez déjà fait!
JENNY
Du tort, et en quoi donc?
DIKSON
Ils prétendent tous dans le pays que cette nuit
la dame blanche lui est apparue, et qu’elle lui
a donné ce château et plusieurs millions:
or, c’est à moi que tout ça revenait si hier
au soir je n’avais pas
cédé ma place.
JENNY
Là, qu’est-ce que je te disais!
ce que c’est que d’être poltron!
DIKSON
C’est toi, au contraire, qui m’as empêché d’y aller.
JENNY
Est-ce que tu devais m’écouter?
le devoir d’une femme c’est d’avoir peur;
mais un homme, c’est différent.
DIKSON
Nos devoirs sont les mêmes.
GEORGES
(passant entre eux)
Doucement, mes amis, ne vous fâchez pas,
je ne tiens pas au château; et, s’il vous fait
grande envie, je vous l’abandonne.
DIKSON
(avec joie)
Il serait possible!
GEORGES
Oh! mon Dieu oui...
(montrant toutes les personnes qui arrivent)
Et tu peux devant ces messieurs
t’en déclarer propriétaire.
Scène 14
(Les précédents; Gaveston, Mac-Irton,
Marguerite; fermiers, habitants d’Avenel,
gens de justice)
Final
MAC-IRTON, LES GENS DE JUSTICE
(à Georges)
Voici midi la somme est-elle prête?
Il faut payer ou fournir caution.
Au nom du roi, monsieur, je vous arrête:
Il faut payer ou marcher en prison.
GEORGES
(gaîment)
Adressez-vous donc à Dikson.
DIKSON
Qui, moi, messieurs? oh! ma foi non.
GEORGES
(de même)
Tu ne veux plus prendre ma place?
DIKSON
Non, vraiment; reprenez, de grace,
L’ château que vous m’avez donné.
GEORGES
C’est bien.
(A Mac-Irton)
Mais quelle impatience!
L’heure n’a pas encor sonné;
(à Gaveston)
Vous savez que j’ai confiance.
GAVESTON
Et quelle est donc votre espérance?
GEORGES
La dame blanche d’Avenel.
(On entend le prélude de le harpe)
Tenez, entendez-vous?
GAVESTON ET LE CHŒUR
O ciel!
(Ils se pressent tous en cercle sur le devant du
théâtre, et pendant ce temps Anna, vêtue de
blanc et tenant sous son voile un coffret, paraît
à droite de la galerie qu’elle traverse lentement. Gaveston, Julien et le chœur, qui sont sur le devant du théâtre, lui tournent le dos et ne l’aperçoivent point encore)
GEORGES
O toi que je révère,
O mes seules amours!
Déité tutélaire,
Tu viens à mon secours.
MAC-IRTON, GAVESTON, CHŒUR
Quel est donc ce mystère?
Qui protège ses jours?
Quel pouvoir tutélaire
Lui prête son secours?
(Pendant cet ensemble, Anna a traversé la galerie,
a descendu l’escalier à gauche, et est venue se
placer debout sur le piédestal de la dame blanche
qui est au bas de l’escalier à gauche; en ce moment
tout le monde se retourne et l’aperçoit)
MARGUERITE, PAYSANS,
(se prosternant)
C’est elle!
ANNA
(du haut du piédestal)
En ce castel est le fils de vos maîtres
Et ce noble guerrier, digne de ses ancêtres,
Ce dernier rejeton des comtes d’Avenel.
GEORGES
Quel est-il?
ANNA
C’est toi-même!
JULIEN.
O ciel!
ANNA
Julien, de tes vassaux reçois enfin l’hommage:
Ce château t’appartient,
(Montrant le coffret caché sous son voile)
Et cet or est à toi.
Ton père en d’autres temps l’a remis à ma foi
Pour racheter son héritage.
(Descendant lentement les marches, et posant le coffret sur le piédestal, elle s’avance au milieu du théâtre, mais à quelque distance de Julien)
Je parais à tes yeux pour la dernière fois!
MARGUERITE,
(passant à la droite de Georges
et le serrant dans ses bras)
Mon cher Julien, je te revois.
ANNA
Je pars, et qu’aucun téméraire
N’arrête ou ne suive mes pas.
(Tous lui ouvrent un passage et s’inclinent
sans oser la regarder.
Georges, que Marguerite
serre dans ses bras, veut s’en dégager pour
suivre Anna. Dikson, qui est à sa gauche, le
retient fortement. Pendant ce temps, Gaveston
a remonté te théâtre, se trouve au fond en face
d’Anna,
et la saisit par la main)
GAVESTON
Non, sous mes pieds dût s’entr’ouvrir la terre,
(La ramenant sur le devant du théâtre)
Qui que tu sois, tu ne sortiras pas.
LE CHŒUR
Tremblez! tremblez!
redoutez sa colère.
GAVESTON
Non, je découvrirai ce funeste mystère,
Et l’ennemi secret qui s’attache à mes pas.
(Arrachant son voile)
MARGUERITE, GAVESTON,CHŒUR
Que vois-je? Anna!
ANNA
(se jetant aux genoux de Julien)
C’est elle-même!
JULIEN,
(avec joie et cherchant à la relever)
Je retrouve celle que j’aime,
Celle à qui j’ai donné ma foi.
ANNA
Orpheline et sans biens, je ne puis être à toi.
JULIEN.
Le ciel a reçu ma promesse,
Je renonce aux trésors, au rang que je te dois,
S’il faut les partager avec d’autres que toi.
CHŒUR
Elle est digne d’être comtesse
Elle doit accepter sa main.
ANNA
(tendant la main à Julien)
Vous le voulez?
JULIEN.
Ah! quelle ivresse!
MARGUERITE
Quel bonheur! je retrouve enfin
Ce cher enfant que j’ai vu naître.
JENNY
Nous retrouvons un bon maître.
DIKSON
Et mon fils un bon parrain.
CHŒUR
Chantez, joyeux ménestrel,
Refrains d’amour et de guerre;
Voici revenir la bannière
Des chevaliers d’Avenel.

|
ACTO PRIMERO
(La
escena representa una granja de Escocia.
El fondo, que está abierto, muestra un lugar
pintoresco de árboles, rocas y un camino
que baja de la montaña a la granja)
Escena 1
(Campesinos escoceses, hombres y mujeres.
La madrina, con un ramo en la mano)
CORO
¡Suenen gaitas y cornamusas!
Los montañeses se reúnen
porque el bautismo es una fiesta
para los parientes y amigos.
Escena 2
(Los
precedentes. Dikson y Jenny
que salen de
la puerta de la derecha)
PRIMER CAMPESINO
(yendo hacia él)
Bueno, primo, ¿qué noticias hay?
DIKSON
¡Ah, mis amigos, mis buenos amigos,
compartid mi dolor mortal!
¡No se puede bautizar a mi hijo!
PRIMER CAMPESINO
¡Hey! ¿Por qué?
DIKSON
(señalando a Jenny)
Creo que mi esposa y yo
vamos a volvernos locos.
Ha sucedido un contratiempo imprevisto:
no hemos encontramos un padrino.
TODOS
¡Ningún padrino!
DIKSON
Yo había conseguido uno de alto rango,
pues se trataba del Sheriff;
pero he aquí que cayó enfermo
justo en el momento más inoportuno.
TODOS
¿Cómo reemplazar a un sheriff?
JENNY
Quiero un padrino importante
que le traiga la felicidad a mi hijo.
DIKSON
Veo que las horas pasan
y no encontramos a nadie, queridos amigos.
Escena
3
(Jorge aparece en
lo alto de la
montaña.
Va vestido
con prendas
muy simples y
lleva sobre su
hombro
un pequeño bulto atado a la empuñadura
de
su
espada)
TODOS
¿Quién es aquel extraño?
JORGE
(Que ha descendido de la montaña
y entra
en escena)
¡Amigos!
¿Puedo alojarme en su casa?
(Dejando el ato se presenta)
El caso es que estoy aguijoneado por el hambre.
DIKSON
Entre los montañeses escoceses
la hospitalidad se da y nunca se vende.
¿Cuál es su situación?
JORGE
He servido desde mi más tierna infancia,
soy un noble oficial del rey.
DIKSON
Pienso que es título suficiente.
¡Bienvenido a mi casa!
(Todo el mundo se precipita a su alrededor, mientras él se deshace
de sus armas y equipaje durante el
estribillo
del aria siguiente)
JORGE
¡Ah, qué placer ser soldado!
Servir con valor
al príncipe y al estado.
Alegremente lanzarse
al combate del amor.
¡Ah, qué placer ser soldado!
Tan pronto como suena el cornetín,
tan pronto como se oyen los tambores,
corre
al campo de Belona, diosa de la guerra,
y sonriente expone allí su vida.
Escuchen los gritos de alegría
que son señal de victoria.
"¡Amigos, bebamos por la gloria,
brindemos por nuestro
general! "
¡Ah, que placer ser soldado, etc.
Cuando la paz, como premio a su valor,
lo trae de regreso a su pueblo
¡qué brillante espectáculo!
Todos lo rodean y lo abrazan.
”¡Él es el orgullo de nuestra aldea!”
Las muchachas le sonríen con gracia;
el anciano, cuando él pasa,
se toca el ala de su sombrero.
¡Su madre es la más feliz!
(mirando a su alrededor)
Pero él tenía un enamorada...
(sonriendo)
¿Dónde está?
Lo entiendo,
lo comprendo.
(suspira y vuelve a alegrarse)
¡Ah, qué placer ser soldado!
Servir con valor
al príncipe y al estado.
Alegremente lanzarse
al combate del amor.
¡Ah, qué placer ser soldado!
JENNY
(en voz baja a Dikson)
Parece amable y alegre...
¡Es el padrino que necesitamos!
DIKSON,
(a Jenny, también en voz baja)
¿Tú piensas que...?
Parece un poco precipitado.
JENNY
No temas, déjame hacer.
(acercándose a Jorge)
(Primer cuplé)
La bondad del cielo nos otorgó un hijo,
esperanza de nuestra unión,
y para que él sea también valiente
y amable,
le pedimos que sea su padrino.
(Segundo cuplé)
JORGE
¡Que pueda un día, para pagar mi deuda,
engrandecer el destino de su hijo!
Ante tan buenos augurios,
no puedo negarme
ser su padrino.
DIKSON,
(satisfecho)
¡Acepta!... ¡Ah, qué alegría!
(a Jenny)
¡Corre a avisar al pastor!
(a los campesinos)
¡Preparad la comida,
os lo ruego!
Pues antes de la ceremonia
tendremos un gran festín.
JORGE
¡Yo pagaré por anticipado!
Pronto brindaré con la copa en la mano.
DIKSON
¡Gran Dios, qué amable padrino!
CORO
¡Suenen gaitas y cornamusas!
Los montañeses se reúnen
porque el bautismo es una fiesta
para los parientes y amigos.
(Jenny sale por el fondo, varios montañeses la siguen, otros
regresan
al interior de la finca)
Escena 4
(Jorge
y Dikson)
JORGE
¡Entonces ya está todo acordado!
¡Me quedo aquí!
¡Ya soy de la familia!
Realmente no me esperaba esta mañana
recibir esta
nueva dignidad.
DIKSON
¿Tal vez esto lo contraría?
JORGE
¡De ninguna manera! ¿Qué es lo que desea
hacer un oficial en su la licencia?
Ser padrino más que cualquier otra cosa.
Al fin y al cabo es un servicio indirecto
que se hace al Estado.
DIKSON
Es un gran honor para un simple agricultor
lo que usted hace.
Teniendo en cuenta que cuando nace un niño
siempre hay, como decían nuestros padres,
malas influencias que lo amenazan...
¡Sobre todo aquí!
JORGE
¿De verdad?
DIKSON
Sí, el país está maldito.
Pero yo soy de la misma opinión que mi mujer:
¡usted nos traerá la dicha!
A propósito, mi oficial,
aún no me ha dicho su nombre.
JORGE
Eso es justo, pues antes de darle un nombre a su hijo,
debo decirle el mío.
Me llamo Jorge.
DIKSON
¡Jorge!
JORGE
Sí, eso es todo.
DIKSON
Jorge es sólo un nombre de pila.
JORGE
(sonriendo)
Hoy en día es todo lo que se necesita,
no te hace falta otra cosa.
Aunque si lo prefiere mi nombre completo es Jorge Brown.
Aunque no podría decirle más,
pues salvo algunos recuerdos vagos
y confusos
mi memoria no recuerda nada
acerca de mi infancia o familia.
Guardo algunas imágenes sobre los
lacayos
que con ropas engalanadas
me llevaban en sus brazos;
la carita de
una niña con la que me despertaba...
y
una anciana que me cantaba
canciones escocesas.
Pero, de repente, no sé cómo,
me encontré transportado a bordo de un buque
bajo la tutela de un tal Duncan,
un contramaestre que dijo que era mi tío
y al que nunca voy a olvidar
pues
me enseñó el oficio marinero.
Después de unos años de esclavitud
y de malos tratos,
logré escapar
y desembarqué sin un chelín en el bolsillo.
DIKSON
¡Pobre joven!
JORGE
No me quejo.
Estaba libre,
yo era mi propio patrón.
Me hice soldado del rey Jorge.
¡Salí adelante con la mochila a la espalda!
Desde aquel momento fui un hombre feliz,
todo me ha ido bien;
parece que la fortuna me llevara de la mano.
De entrada, mi primer combate,
con dieciséis años aún:
He aquí
que tomo mi arma,
subo a un reducto,
entro el primero
y
el coronel me abraza
en presencia de todo el regimiento.
¡Mi valiente coronel!
Para mí, fue un padre, un amigo.
Me tomó afecto,
se ocupó de mi educación
y
de mi ascenso.
Hace seis meses, en Hannover,
acababa de ser nombrado alférez,
cuando me encontraba junto a él
frente a una batería.
«¡Jorge! Me gritó ¡cúbrete!"
Quiso ponerse delante de mí;
yo traté de cubrirlo con mi cuerpo,
pero fue en vano.
¡Los dos fuimos derribados,
y él para no levantarse nunca más!
DIKSON
¡Murió!
JORGE
Sí, en el campo de batalla!
¡Tuvo la muerte de los valientes!
(quitándose el sombrero)
¡Recé para que me ocurriera
a mí también!
Cuando volví en
sí,
me encontré
en una cabaña desconocida,
y de repente vi aparecer una muchacha
a quien sin duda le debía la vida.
Ella venía cada día a cuidarme.
Era la cara más dulce
que había visto.
Yo no podía hablar
y sólo por gestos
podía mostrarle
mi agradecimiento
y el deseo que tenía
de conocer a mi benefactora.
"¡Más tarde, me dijo un día ella,
cuando usted se encuentre mejor”
Un día yo estaba esperándola
a la hora
de costumbre,
pero no vino;
no volvió nunca más.
Y sin embargo,
el día anterior, cuando me dejó, me dijo:
"Nos vemos mañana!"
Así que en mi ansiedad e impaciencia,
me apresuré a abandonar la casa.
Salí casi completamente curado,
pero enamorado como un loco.
A pesar de mi desvelo y mi intensa
búsqueda,
me
ha sido imposible encontrar el rastro
de mi bella benefactora!
DIKSON
Podría ser su ángel de la guarda,
un demonio
familiar, como tantos otros en el país.
JORGE
Realmente ustedes, los escoceses,
son peculiares.
Más tarde me encontré
con un viejo conocido en Londres;
se trataba de
mi amigo Duncan,
que es, creo,
mi mal genio.
Parecía sorprendido de verme
con mi nuevo rango.
Yo tenía ganas, a pesar de nuestro parentesco,
de devolverle todo lo que había recibido de él;
pero estaba viejo e indispuesto,
y no le quedaba, creo, mucho tiempo de vida;
compartí mi bolsa con él y no le pregunté nada,
ni siquiera por su herencia.
DIKSON
Hizo usted bien; eso le traerá felicidad.
JORGE
Es exactamente lo que me dijo cuando me dejó.
Escena 5
(Los
anteriores y Jenny)
DIKSON
Pero ¿qué quiere nuestra ama de casa?
JENNY
¡Ay señor,
no sé cómo decirle!...
DIKSON
¿Qué sucede?
JENNY
¡El bautismo, qué desgracia!
Solo puede hacerse esta tarde y muy tarde.
El señor deberá esperar hasta entonces,
¿podría demorar su la partida?
JORGE
Yo no tengo que ir a ninguna parte.
No hay prisa, me detengo en el lugar
donde encuentro amigos.
JENNY
¿Se quedará entonces
en nuestro humilde hogar?
JORGE
De buena gana.
JENNY
¿Hasta mañana?
JORGE
De buena gana.
DIKSON
¡Y va a cenar?
JORGE
¡Con mucho gusto
mis buenos amigos!
JENNY
¡Ah, es usted encantador!
Siempre coincide con nuestro punto de vista.
DIKSON
Vamos, mujer, haz que nos sirvan.
JORGE
¡Qué buena gente!
DIKSON
¡Brindemos!
Hay que reír y beber
¡Por la hospitalidad!
JORGE
¡Por el amor, la gloria,
y también por la belleza!
(Durante este coro, varios invitados
llegan trayendo una mesa)
DIKSON
Y ahora señor militar,
ocupe usted el lugar de honor.
JORGE
Aquí, junto a la amable comadre.
¡Esto es la felicidad!
JUNTOS.
Hay que reír y brindar
por la hospitalidad, etc.
(todos se sientan y comen)
JORGE
(sentado)
Y dígame mi buen anfitrión,
¿qué curiosidades
puede encontrar
un viajero
en esta región?
DIKSON
En primer lugar está el castillo de Avenel
¡Es un magnífico edificio
que se puede ver desde el pueblo!
JENNY
El nuevo castillo está cerrado
y no se puede entrar,
pero el antiguo castillo,
tiene ruinas y subterráneos soberbios;
¡todos los pintores lo quieren visitar!
JORGE
Iremos mañana, ¿no es así?
¿Me va a guiar,
DIKSON
Usted llega en un mal momento.
De ordinario, el castillo está habitado solamente
por un viejo conserje vinculado a los antiguos
propietarios; pero ayer el intendente Gaveston
vino,
y dijo que él deberá irse después
de la venta de la propiedad.
JORGE
¿Que dice? ¿Esa hermosa propiedad se vende?
DIKSON
¡Sí, sin duda! Perteneció a los antiguos condes
de Avenel, buena gente a la que todo el mundo
ama todavía en la región; pero eran del bando
de los Estuardo, y después de la batalla de
Culloden, el conde de Avenel, que fue declarado
proscrito, se refugió con parte de su familia
en Francia, donde se dice que murió.
JENNY
Sin embargo, durante este tiempo,
el señor Gaveston, que era el administrador
del Conde, ha enredado sus negocios
y lo ha endeudado de tal modo que para pagar
a los acreedores debe vender mañana
esta hermosa propiedad.
DIKSON
Se dice que Gaveston, que se ha
enriquecido mucho, quiere ser él mismo
el comprador del castillo, y, por lo tanto,
convertirse en el conde de Avenel...
Y yo pregunto... ¿un pícaro administrador
se transformará en nuestro señor?...
¡No, maldita sea, no lo vamos a tolerar!...
JENNY
Quédate tranquilo, le sucederá una desgracia
pues ayer a la noche, Gabriel, nuestro peón,
vio a la Dama Blanca de Avenel
caminando sobre las almenas, entre las ruinas.
DIKSON
¡Oh, Dios mío!
¿Estás segura?
JENNY
Él la vio como yo te estoy viendo a ti.
JORGE
¿Quién es la Dama Blanca de Avene!?
¡Estaría encantado de conocerla!
DIKSON
¡Cómo se le ocurre pensar eso!
JORGE
¿Porque no?... Si es una mujer bonita.
DIKSON
¡Desde hace varios centenares de años,
ella ha sido la protectora de la casa de Avenel!
JENNY
Cuando le está por suceder a esa familia
algún
acontecimiento afortunado o desafortunado,
ella aparece.
Se la ve vagando en lo alto de las torres
cubierta con largas vestimentas blancas,
y sosteniendo en su mano un arpa
que emite sonidos celestiales.
Y luego, como dice la balada...
JORGE
¡Ah! ¿Existe una balada?
DIKSON
¡Y es muy famosa! Se canta por toda la región,
pero cuando hay varias personas reunidas,
porque de lo contrario da mucho miedo...
Mi esposa la sabe.
JORGE
¡Y bien Jenny, cántela para nosotros!
Para que todos la puedan oír
(señalando a todos los invitados)
Hay muchos valientes aquí.
JENNY
Primer cuplé
¡Desde aquí se ve esa hermosa propiedad,
cuyas almenas tocan el cielo!
Una invisible castellana
vigila en todo momento sobre el castillo.
Caballero felón y perverso
que tramas una conspiración malvada,
¡Ten cuidado!
¡La Dama Blanca te está mirando!
¡La Dama Blanca te está oyendo!
Segundo cuplé
Bajo esas bóvedas, bajo de esas torres,
para evitar los rayos del sol,
las pastorcillas se reúnen
y repiten dulce historias de amor.
Tú que hablas tan tiernamente,
joven muchacha, joven amante...
¡Ten cuidado!
¡La Dama Blanca te mira!
¡La Dama Blanca te escucha!
Tercer cuplé
Siempre
protege a las bellas muchachas,
y de su sexo, tiene piedad,
(mirando a Dikson)
Cuando los maridos son infieles,
advierte de ello a su esposa.
Marido voluble de corazón inconstante
que traicionas tu juramento,
¡Ten cuidado!
¡La Dama Blanca te mira!
¡La Dama Blanca te escucha!
JORGE
¡Muchísimas gracias!
La historia es encantadora.
TODOS,
(temerosos)
¡Una historia!
JENNY
¡La Dama Blanca te está mirando!
¡Ella te escucha!
(Gabriel tira de la manga de Dikson)
DIKSON,
(asustado)
¡Eh! ¿Qué sucede?
¡Ah, eres Gabriel, el peón!
GABRIEL.
Señor, los principales agricultores de la zona
se han reunido en la sala de al lado.
JENNY
¡Ve rápido, seguro que se trata de la venta de mañana!
JORGE
¿La venta del castillo de Avenel?
JENNY
Sí. Todos los agricultores,
todos los notables de la comarca,
se reúnen para hacer una oferta conjunta.
JORGE
¿Y cuál es su propósito
al hacer por su cuenta tal adquisición?
JENNY
Para evitar que estas posesiones pasen
a manos de Gaveston;
para conservarlas
para la familia Avenel
a quien todos recuerdan con afecto;
y para que si alguno de sus descendientes
regresara algún día, poder
decirle:
aquí están
sus
posesiones, aquí están sus tierras;
¡nosotros las hemos guardado y cultivado
en su nombre, ¡recóbrelas!
JORGE
¡Es posible!... Tal devoción... ¡Qué bien!
Sin conocerlos, empiezo a estimar
a los condes
de Avenel,
si despiertan semejante amor
deben ser muy buena gente.
DIKSON,
(a los montañeses)
Marcharos amigos, id a deliberar con ellos.
Me uniré a vosotros en un momento.
(Todos salen por la puerta izquierda)
Escena 6
(Jenny,
Jorge y Dikson)
JENNY (a Dikson) ¿Por qué no los acompañas?
DIKSON,
(señalando a Jorge) Antes quería hablar con el señor
acerca de la
venta de la propiedad;
y luego sobre las ideas
que me surgieron
mientras tú cantabas.
(a Jorge)
Aquí, en esta región, todos son demasiado cobardes para darme un buen consejo;
mientras que usted es un militar y tienen coraje...
JORGE ¿De qué se trata?
DIKSON
¿En primer lugar, señor, dígame
si cree usted
en la Dama Blanca?
JORGE (se ríe) ¿Quien? ¿Yo?
A fe mía que estaría dispuesto a hacerlo. Sería tan lindo pensar que tenemos
siempre
cerca a una hermosa mujer, un hada caritativa que viene a ayudarnos
en el momento de mayor peligro; y daría cualquier cosa para poder ver
a la Dama Blanca de Avenel.
DIKSON,
(tembloroso) ¡Pues bien! Yo soy más afortunado que usted.
JENNY Y JORGE ¡La ha visto!
DIKSON
¡Mejor que eso, hablé con ella! Hace de eso ya mucho tiempo. Yo le hice entonces una promesa que ahora no deja de preocuparme.
JENNY ¡Qué dices! ¡Jamás me dijiste nada de esto!
DIKSON Yo jamás habría hablado de eso con nadie
si no fuese por los acontecimientos de mañana; y también por lo que tú me contaste. ¡Ahora ha reaparecido de nuevo! Todo esto se ha agolpado en mi memoria y he aquí que
un miedo profundo
me está acosando.
JORGE, JENNY ¡Cuenta!
DIKSON Hay trece años
después de la muerte de mi padre, todos las desgracias parecían caer sobre mí. Mi trigo se congeló, mi ganado había muerto,
se había incendiado mi granja, sin contar con los oficiales de justicia y abogados
que comenzaron a acosarme. Al día siguiente, tuve que recoger todas
mis pertenencias, hasta los arados, sin encontrar un amigo que me ayudara.
Desesperado, erraba una tarde cerca de las bóvedas subterráneas del viejo castillo; entré en ellas y me dejé caer sobre una piedra. "Puesto que todos me abandonan, exclamé,
que la Dama Blanca venga en mi ayuda. Me consagraré a ella en cuerpo y alma,
si quiere prestarme dos mil libras escocesas." Oí de repente una voz que me decía:
"Acepto. Cuando llegue la hora, acuérdate de tu promesa;"
¡Y en ese momento una bolsa de dinero cayó a mis pies!
JORGE ¡Eso no es posible!
DIKSON La recogí, cerrando los ojos,
convencido de que se trataba de dinero falso, pero en realidad eran hermosas monedas de oro
con las que pagué mis deudas y restauré mi negocio. Desde ese momento todo me fue bien.
Me convertí en uno de los agricultores
más ricos
de la región;
y me casé, al año siguiente, con
Jenny,
a la que amaba desde hacía tiempo.
JENNY Si yo lo hubiera sabido lo habría pensado dos veces...
¡Cómo pudiste hacer un pacto semejante!... ¿No sabes que la Dama Blanca es un duende?...
Es como quien dice...
DIKSON,
(temblando) ¡Existe una gran diferencia!
JENNY
¡Todo eso se cumplirá! ¡Cuando pienso que te has entregado a ella
con todo lo que te pertenece! ...
DIKSON Es verdad.
JENNY Y yo, que soy tu mujer,
¿también estoy involucrada? ¿Y nuestro hijo?
JORGE ¿Mi pequeño ahijado también?
JENNY
¿Y si una hermosa mañana ella viene a reclamarnos?
DIKSON ¡Oh, Dios mío!
(dándose vuelta)
¡Eh! ¿Quién viene?
(viendo a Gabriel)
Ese tonto parece hacerlo a propósito, siempre aparece en el peor momento.
GABRIEL (entrando) ¡Virgen Santa! Nuestro patrón
siempre
se sobresalta cuando llego. Los agricultores lo esperan, señor. Tienen que volver a sus casas
y la noche está cerca.
DIKSON ¡Te sigo!
(a Jenny)
Ya ves, querida mía, no hay nada que temer. ¿Por qué te querría la Dama Blanca
llevarte a ti, una mujer!?... Ella me quiere a mí.
Regresaré en seguida.
(en voz baja, a Jorge)
Quédese junto a ella y no la abandone.
(sale)
Escena 7
(Jorge, Jenny)
Dúo
JORGE Se aleja, nos deja...
Al verlo partir me ha parecido que temblaba.
JENNY
¡Ay, siempre es así! Siempre estoy viendo temblar a mi marido.
Ante el menor alboroto en el pueblo él se asusta.
JORGE
¿Se asusta?
JENNY Tan pronto como ruge la tormenta, siente miedo.
JORGE ¿Siente miedo?
JENNY Y a veces, por casualidad, cuando se despierta,
tiene miedo de que haya un ladrón en la casa.
JORGE
¿Tiene miedo?
JENNY Cuando me dice alguna galantería,
o me invita a bailar, se muestra asustado.
JORGE
¿Tiene miedo?
JENNY ¿Se le ocurre a usted alguna solución?
JORGE ¡Ah! Conozco muy bien su miedo. Cuando se tiene una mujer bonita,
todo el mundo tiene miedo. Pero...
JENNY ¡Oh, el valiente soldado! Por mi marido ya no tengo miedo. Él nos va a defender... o eso espero. ¡No, no, no, no más miedo!
JORGE (tomando su mano) ¡Junto a un buen soldado,
no, no, no, no habrá más miedo! Tenga la seguridad, querida,
seré el defensor de todos ustedes.
JENNY Bendigo el destino que nos ha reunido.
Pero, ¿qué es lo que veo? Su mano está temblando.
JORGE A veces me sucede...
JENNY Igual que a mi marido...
JORGE Cuando estoy cerca de una mujer hermosa,
Tengo miedo.
JENNY ¿Tiene miedo de mí?
JORGE Cuando sus ojos oscuros brillan, ¡Siento miedo!
JENNY ¿Tiene miedo?
JORGE Sí, cuando veo tantos encantos,
temo caer rendido ante ella. Mi razón y mi corazón hacen que sienta temor.
JENNY ¿Tiene miedo?
JORGE Para disipar esta locura,
un solo beso, le ruego.
JENNY Y entonces
¿dejará de tener miedo?
JORGE ¡Oh, al contrario, tendré el doble! El beso es para darme coraje.
(la besa)
JENNY
¡Oh, el valiente soldado!
Por mi marido ya no tengo miedo. Él nos va a defender... o eso espero. ¡No, no, no, no más miedo!
JORGE
¡Junto a un buen soldado,
no, no, no, no habrá más miedo! Tenga la seguridad, querida,
seré el defensor de todos ustedes.
Escena 8
(Entra Dikson llevando un papel en la mano)
DIKSON,
(con aire de asustado) ¡Esposa, esposa mía!
(a Jorge)
¡Ah, está usted aquí! No me abandone, por favor.
JENNY ¿Qué pasó? Los aldeanos acaso...
DIKSON (de igual modo que antes) Es a mí a quien encargaron que los represente
ofertando hasta doscientas mil libras escocesas. Ya se marcharon todos.
JORGE ¿Y bien?...
DIKSON,
(de igual manera) Los acompañé hasta la linde del bosque...
a cien pasos de la casa; y al regreso, me topé con un
enano negro que me entregó este
papel. Y de repente, creo, se lo tragó la tierra. ¡No sé donde por donde diablos se marchó!
JENNY ¡Ah ,Dios mío!...
DIKSON
¡Este es el papel que me dio!
JENNY ¡Léelo!
DIKSON,
(leyendo) "Tú me juraste obediencia; ha llegado el momento, te necesito...
Acude esta noche a la puerta del viejo castillo, y pide hospitalidad en el nombre
de
St. Julien de Avenel.
Firmado La Dama
Blanca. "
Trío
DIKSON, JENNY ¡Santo cielo, lo que acabo de oír! ¡Ha llegado el momento fatal!
No logro entender nada. ¡Es un misterio infernal!
JORGE ¡Por mi honor! No comprendo nada. Estoy confundido... ¡pero no importa! La aventura es sorprendente. Es un hecho original.
DIKSON Es esta noche...
JENNY
Me
Importa poco... ¡tú no irás!
DIKSON,
(señalando el papel) Pero piensa en su mandato imperioso.
JENNY Yo iré tras tus pasos.
DIKSON
Si desafío su ira, piensa lo que nos puede suceder. ¡Adiós a toda nuestra fortuna! Adiós a las buenas cosechas!
Y en mi casa, todas las semanas, los sus duendes
vendrán
con un ruidos de cadenas
a tirarme de los pies mientras duermo.
DIKSON, JENNY ¡Ah, grandes dioses! ¿Qué acabo de escuchar?
¡He aquí el momento fatal! No puedo protegerme, él no puede protegerse y descenderá a la morada infernal.
JORGE (para si) Por mi honor, que no entiendo nada. Sí, estoy confundido, pero no importa. Este secreto... ¡lo descubriré
en el fondo de la morada infernal!
(a Dikson y Jenny)
Mis buenos amigos, sequen sus lágrimas. Si esta cita de hoy es
la causa de sus angustias, no hay que temer.
(señalando a Dikson)
¡Yo iré por él!
DIKSON Y JENNY ¡Oh, cielos! ¿Usted se arriesgará?
JORGE El peligro es para mí una diversión, especialmente si es para ayudar a un amigo.
DIKSON Y JENNY ¿No teme la furia de los elfos?
JORGE No temo a nada, soy un soldado.
JENNY
¿Está seguro?...
JORGE Ese es mi deseo.
DIKSON Arriesgarse a tanto...
JORGE
Eso es lo propio de mi profesión. Vamos, vamos, sírvanme de escolta.
¡No hay nada más que hablar!
DIKSON,
(en voz baja, a Jenny) Lo llevaré hasta la puerta y luego volveré de inmediato.
JENNY ¿Y nuestro bautizo?
JORGE
(alegre) Será mañana; Nos veremos entonces, estoy seguro.
DIKSON,
(aparte) Y luego, si el diablo prevalece, estaremos nuevamente sin padrino.
JORGE
Y tú, la más bella de las bellas, Dama Blanca, espíritu o duende,
en tus almenas o en tus torreones, te encontraré como paladín galante.
DIKSON, JENNY (temblando) Siento un miedo mortal...
Quisiera detenerlo... Él camina, incitado por un exceso de celo,
a una muerte segura. (Jorge sale guiado por Dikson. Jenny queda sola, siguiéndolos con
la mirada y levantando los brazos al cielo)
ACTO SEGUNDO
(Gran
salón gótico. A la izquierda, en primer
plano,
una gran chimenea;
a la derecha, un
retrato de familia.
Del mismo lado una puerta
y más atrás una cruz)
Escena 1
(Margarita, ocupada en hilar)
Primer Couplé
MARGARITA
Pobre dama Margarita, tus últimos días han llegado y estos husos con los que tejo
pronto ya no girarán. ¡Que vea de nuevo a mis señores en el castillo de sus antepasados antes de morir!
Esa es la única felicidad que pido... Husos ligeros, seguid girando,
seguid girando hasta que llegue ese momento.
Segundo Couplé
Y tú, cuyo recuerdo
permanece en mi corazón de madre; tú, a quien crié de niño,
pobre Julián de Avenel; puedo morir de alegría, si un día vuelvo a verte
antes de morir. Esa es toda la felicidad que imploro...
Husos ligeros, seguid girando,
seguid girando hasta que llegue ese momento.
(levantándose)
¡Vamos, vamos!
Dejemos el trabajo
y los recuerdos.
(señalando la puerta de la izquierda)
Ya la señorita Ana va a salir de su habitación...
¡Pobre y querida huérfana, criada por mis antiguos señores!
Viéndola llegar ayer con ese Gaveston, a quien designaron su tutor,
sentí que mis deseos se cumplían y mi pobre Julián también volvía.
Porque antes estaban siempre juntos, quien veía a uno de ellos veía al otro:
se querían tanto, y eran bellos... Cuando los llevaba en
mis brazos
la condesa de Avenel me gritaba: ¡Dama Margarita, cuidado!
¡Por Dios, tenga cuidado! ¡El hijo de mis señores, mi pobre Julián!
No puedo dejar de pensar siempre en él.
¡Es como el viejo campanario de Avenel,
desde cualquier lado siempre se ve!
(acercándose a la ventana que está
entreabierta)
Cerremos bien esta habitación. ¡Ah, Dios mío!
Me ha parecido ver una luz entre esas ruinas deshabitadas... ¡Ah!
(cerrando rápidamente la ventana)
¿Será la Dama Blanca, la protectora
del castillo?
Acaso su presencia me anuncia ¿el regreso, o la muerte de Julián?
Escena
2
(Margarita y la señorita Ana, cubierta con una capa escocesa, sosteniendo un farol apagado. Lleva un vestido azul
y el cabello cubierto)
MARGARITA
Pero...
¿quién viene por allí?
¡Es
la señorita Ana,
pálida y temblorosa!
¿Qué te sucede hija mía?
ANA (quitándose el abrigo y poniendo el farol en un rincón de la chimenea)
Nada, señora Margarita.
MARGARITA Pensé que estabas en tus habitaciones. ¿De dónde vienes?
ANA He estado paseando por las ruinas.
MARGARITA ¡Alabado sea Dios! ¡Es a ti a quien acabo de ver!
¿Te atreves a andar sola y por la noche?...
ANA
He pasado miedo, pero no importa, Gaveston acababa de salir y quise visitar
el edificio que está en medio
del parque.
Fui hasta allí, pero no pude entrar.
MARGARITA ¡Claro que no!
Tras la muerte del conde todo se cerró.
Las puertas están selladas. Se abrirán
la mañana después de la venta.
ANA (aparte)
¡Oh, cielos! ¡Qué contratiempo!
MARGARITA Pero ¿por qué esa idea de salir a semejante
hora, en vez de venir junto a mí, que soy tan feliz al verte?
Desde tu llegada, ayer, apenas pude hablarte, porque ese Gaveston siempre estaba presente.
ANA Tienes razón; otras ideas me ocupan... Perdóname, mi buena Margarita.
MARGARITA ¿Qué fue de tu vida?
¿Dónde viviste cuando la noble familia dejó esta comarca?
Aún recuerdo el día en que seguiste a la condesa, cuando el conde fue a reunirse
con el ejército,
y cuando
mi pequeño Julián
fue enviado a Francia, con
ese vil tutor,
que siempre me desautorizaba.
ANA ¡Ay, mi compañero de de la infancia, Julián! Ha desaparecido y no sabemos su paradero. Su padre acaba de morir en el exilio,
y la condesa de Avenel estuvo detenida mucho tiempo en una prisión del estado...
MARGARITA ¡Oh, cielos!
ANA Yo la seguí, Margarita,
no podía abandonar
a mi benefactora.
Durante ocho años
le he prodigado cuidados,
he intentado merecer
el nombre de hija suya,
que ella me otorgó;
pero a su muerte,
¡qué diferencia!,
tuve que seguir a Gaveston
que fue designado mi tutor. Lo acompañé en un viaje de tres meses al continente,
donde me dejó por unos días al cuidado de un pariente suyo...
MARGARITA ¿Y?
ANA ¡Y!... No sé si debo contarte el resto...
MARGARITA ¿Y en que otra persona encontrarías más confianza que en mí?
ANA La guerra estalló. Se combatía casi hasta
la misma puerta de nuestra casa.
Un soldado, gravemente herido...
era uno de nuestros, un compatriota... ¿Por qué no iba yo a socorrerlo?
Y luego, lo confieso, a pesar de mí misma pensé en Julián. Julián que debía ser de su misma edad,
y me dije:
tal vez el hijo de mis señores
sea tan desgraciado
y sin socorro alguno.
MARGARITA ¡Qué! Acaso pensaste que era...
ANA Cálmate, no era él, porque sé su nombre. Al regresar Gaveston, evacuamos el lugar;
y desde entonces
no he vuelto a ver al joven oficial. Él creerá que yo fui un sueño,
y, sin duda, se habrá olvidado de mí.
MARGARITA
Me imagino que
aún
piensas
en él
e incluso puede ser que lo ames... Eso me causa pesar.
ANA ¿Y por qué?
MARGARITA Creía que tú nunca dejarías de amar
a Julián,
al menos esa era mi idea,
y
veinte veces soñé que os casabais.
ANA ¿Qué osas decir? ¡Él, el heredero de Avenel,
y yo, una pobre huérfana,
sin bienes, sin alcurnia! ¿Así es como pagaría la bondad
de mis benefactores? No, Margarita; Julián, que antes fue mi amigo,
mi hermano, es ahora mi señor, y como a tal debemos
respetarlo,
servirlo y sacrificarnos por él,
si es necesario, para salvar su herencia.
MARGARITA
Y ¿cómo? Mañana serán vendidos sus dominios. Otro adquirirá los derechos y especialmente el título de conde de Avenel. Si todavía existe Julián,
si alguna vez vuelve, será
un extranjero
en el castillo de sus padres.
ANA ¿Quién sabe? ¿Por qué perder la confianza?
Yo tengo esperanzas.
MARGARITA ¿Qué quieres decir?
(se oye el sonido de un corno)
ANA
Ya lo sabrás... ¿Oyes? ¡Han cerrado la puerta del castillo! Gaveston acaba de volver. Escúchame bien,
Margarita: dentro de un momento alguien vendrá a pedir
hospitalidad
en nombre de san Julián d' Avenel.
MARGARITA
¿Quién te lo dijo?
ANA Tú lo harás entrar
y procura que se aloje en esta habitación.
MARGARITA
Sí, señorita, sí, quédate tranquila. Voy a esperarlo, si es necesario, toda la noche.
Por ti y por Julián ¿qué no haría yo?
ANA Ahora, vete. Allí llega Gaveston.
MARGARITA ¡Adiós, adiós, hija mía!
(sale)
Escena 3
(Ana y Gaveston)
GAVESTON ¡Ah, ah! Señorita,
¿aún no se ha retirado usted
a sus aposentos?
ANA Estaba conversando con Margarita.
GAVESTON Quien probablemente le ha contado a usted,
al igual que ayer, historias de fantasmas y de la Dama Blanca! ¿Es posible, señorita Ana,
que usted dé crédito a tales fantasías?
ANA ¿Yo?
GAVESTON Sí. La vi ayer muy conmovida y atenta cuando se contó la historia del granjero Dikson
y sus monedas de oro. En honor a la verdad, usted parece que se cree
esa
fantasía increíble.
ANA (sonriendo) ¿Increíble? ¡No! Yo sé muy bien
que eso es totalmente cierto.
GAVESTON ¡Entonces, cuénteme usted!
ANA (con vivacidad) Veinte veces la condesa de Avenel
me contó el último rasgo de bondad de su
marido;
cuando la misma noche de su partida,
perseguido, errante entre estas ruinas, escuchó a un pobre granjero a punto de sucumbir
en la ruina por falta de dinero; y que para no ser reconocido le entregó su bolsa de dinero
en nombre de la Dama Blanca de Avenel. ¡Ah! Sí, el sentimiento de agradecimiento no se
ha apagado en el corazón del granjero Dikson...
(aparte)
Él debe secundarme.
GAVESTON ¡Oh! Puede estar usted segura. Él no es ingrato,
es uno de los fieles creyentes de la Dama Blanca; Es él quien conspira
con las mujeres de los alrededores, y que hace correr el rumor en la región
de que me sobrevendrá una desgracia por atreverme a poner a la venta
un castillo que ella protege. ¡Pero eso ya lo veremos! Acabo de cenar en casa de Sr. Mac-Irton,
el juez de paz, y acordamos que la subasta
comience
mañana al amanecer.
ANA (aparte)
¡Oh cielos!
(en voz alta)
Así pues,
usted,
que
es el administrador de este
castillo, se convertirá en su propietario. Usted va a comprar a bajo costo
la propiedad
y el título de su antiguo señor.
GAVESTON Escuche, señorita Ana. Usted ya sabe
que no me gustan los circunloquios y que me gusta ir directamente al grano.
No soy más que el administrador Gaveston, es cierto, pero cuando el administrador Gaveston
haya comprado y pagado esta propiedad, que le otorga el título de Señor
y el rango que corresponde al mismo, toda la gente de la región, tan orgullosa, humildemente me respetarán
como Conde de Avenel y muy pronto se olvidarán de su antiguo señor. La razón es que yo soy rico y que él ya no lo es. Cada uno a su turno. Por cierto, antes de su
partida, el conde de Avenel vendió la inmensa fortuna que tenía en Inglaterra. ¿Qué hizo con el dinero?
ANA Lo empleó al servicio del pretendiente al trono,
usted lo sabe muy bien.
GAVESTON Yo lo dudo; a menos que usted
haya encontrado evidencias en ese escrito que le confiara la Condesa de Avenel.
ANA ¿A mí?
GAVESTON Sí. ¿Puede negar que en sus últimos momentos
ella le dio a usted un misteriosos documento?
ANA
Es verdad.
GAVESTON Y ¿qué hizo con el mismo?
ANA De acuerdo con sus órdenes, después de su muerte lo leí. Y como ella me hizo jurar que mantendría
el secreto y no confiaría su contenido a nadie, ni siquiera a mi amistad más íntima,
rompí el documento de inmediato.
GAVESTON Y yo, a quien los jueces nombraron su tutor
¿puedo
preguntarle cuál era el contenido de dicho documento?
ANA No señor.
GAVESTON ¿Y por qué?
ANA Usted no lo sabrá nunca,
GAVESTON
Muy bien, señorita Ana;
bajo su
dulce
y tímida apariencia
usted oculta más de firmeza
y resolución de lo que yo sospechaba. A partir de ahora tomaré mis precauciones.
(se oye una campana en el exterior)
Pero... ¿Qué es ese sonido?
Dúo
ANA
¡Es la campana de la torre que de repente ha sonado!
(Aparte, mientras Gaveston va
a mirar
por la ventana)
¡Es alguien a quien
yo aguardo aquí!
GAVESTON ¡Es medianoche! ¡En mi casa! ¿Quién puede venir a esta hora?
ANA Algunos viajeros sin hogar.
GAVESTON
¡Que se alberguen en cualquier lugar
menos aquí!
ANA ¡Le pido gracia apara ellos! Usted, que quiere ocupar el sitio
de los antiguos señores, imítelos, haga como ellos. Si aquí todo el mundo los reverencia,
es porque sus puertas hospitalarias se abrían a los menesterosos.
(Gaveston aparta sin responder)
ANA
Se marcha, duda, medita, él nunca lo aceptará. No me quedan más esperanzas,
adiós a mis proyectos.
GAVESTON De esta complacencia
me arrepentiré. Se necesita precaución para llevar adelante mis proyectos.
Escena
4
(Los anteriores; Margarita)
MARGARITA Un hombre joven y de buenos modales,
para refugiarse de la tormenta pide asilo en este noble castillo,
invocando a San Julián de Avenel.
ANA (aparte)
¡Lo sabía! ¡Es Dikson, seguro!
MARGARITA Lo hice entrar en la habitación de al lado.
GAVESTON ¿Sin consultarme? Ya castigaré yo esta
imprudencia extrema. ¡Que se marche de inmediato!.
ANA
¡Piense en esto! ¿No tiene suficientes enemigos en la región?
¿No quiere que lo aprecien?
GAVESTON Odiarme les está permitido.
ANA ¡Está bien! Acepte que él entre en esta casa
y mañana usted sabrá el contenido del documento que la Condesa me entregó.
GAVESTON (con entusiasmo) ¿Lo jura?
ANA Lo prometo de antemano.
GAVESTON
¡Sus deseos se deben cumplir! Y puesto que parece ser que hay
que hacerse amar, ¡que entre!
MARGARITA ¡Dios, qué acto de caridad!
GAVESTON ¿Donde lo alojaremos?
ANA, MARGARITA
En esa habitación.
GAVESTON (a Ana)
¡Esta bien! Pero antes, usted deberá entrar en la suya.
ANA
Una dulce esperanza siento renacer. La providencia divina,
segunda mis proyectos.
GAVESTON De esta complacencia
no me arrepiento, puesto que la caridad puede servir a mis proyectos.
MARGARITA ¡Oh, Tú, cuyo poder iguala tu bondad! Providencia del cielo,
(señalando a Ana)
secunda sus proyectos.
(Ana sale del salón por la derecha, y Jorge entra por la puerta del fondo)
Escena
5
(Gaveston, Jorge y Margarita)
MARGARITA Entre, entre,
señor, le pido perdón por haberlo hecho esperar.
JORGE
No tiene por qué hacerlo, buena mujer, me entretuve admirando este antiguo edificio.
¡Este hermoso castillo! ¡Sus bellos arcos! Las ruinas que tuve que cruzar
para llegar hasta aquí, son maravillosas.
(viendo a Gaveston)
Disculpe, señor, por no haberlo saludado antes. ¿Es a usted a
quien debo, sin duda, esta hospitalidad?
GAVESTON
Así es.
(aparte)
Pienso que puede tratarse
de un comprador,
de
un rico capitalista que viene para hacer una oferta.
(en voz alta)
¿A quién tengo el honor de recibir?
JORGE A un oficial de Su Majestad, un alférez del XV regimiento de infantería.
GAVESTON (aparte) ¡Un alférez!... me quedo más tranquilo.
(en voz alta)
Señor, al parecer, usted no es escocés.
JORGE No, en verdad, nunca había venido a este país,
y no le puedo decir el efecto que produjo en mí este antiguo edificio.
GAVESTON Y ¿cómo encontró a semejante hora la puerta de este viejo castillo?
JORGE ¿Cómo? Realmente no lo sé; pero creo que es para poder prestarle a usted un servicio.
GAVESTON ¿A mí?
JORGE Sí, a usted. Otro le diría que es de noche
y que hace mal tiempo, pero eso no sería cierto. Yo, como militar, siempre digo la verdad.
GAVESTON ¿Siempre?
JORGE Sí
señor; incluso en el amor soy muy franco... En el regimiento suponen
que eso sólo me traerá problemas y que perjudicará mi ascenso;
pero eso no me preocupa. Con respecto a usted, escuché hablar
en la región sobre sortilegios y apariciones de la Dama
Blanca. Quisiera pasar la noche en este castillo para encontrarme cara a cara con ella.
GAVESTON Si es sólo eso, usted no arriesga nada. Ella tiene mucho cuidado en no dejarse ver.
JORGE Si usted lo cree así, se equivoca, porque ella me dio una cita.
GAVESTON (riendo) ¿Una cita?
(aparte)
¡Menuda
ocurrencia! Este hombre no debe estar muy cuerdo.
(en voz alta)
Buenas noches, mi apreciado oficial,
la medianoche sonó hace mucho
y me veo obligado
a dejarlo.
Mañana he de levantarme temprano.
JORGE ¿Por qué?
GAVESTON Para preparar todo por la mañana.
Vendrá una gran cantidad de personas para un importante negocio...
Le pondremos una cama en esta habitación.
JORGE
¿Para mí? No será necesario. Esta silla será suficiente.
Estaré mejor aquí que en un vivac. Además de los fantasmas, también pueden venir contrabandistas,
o los montañeses de la banda de Rob Roy, y quiero estar de pie para recibirlos.
GAVESTON Pues entonces... ¡Buenas noches y
suerte! Pero si llega a ver a la Dama Blanca de Avenel, dígale de mi parte...
(a Margarita, que desde el inicio de esta
escena mira atentamente a
Jorge)
¿Qué te sucede que desde hace una hora estás mirando al señor?
MARGARITA Nada; pero es un hombre joven
y valiente,
y yo no sé por qué
me causa placer mirarlo.
GAVESTON ¡Vamos, vamos,
que es tarde!
MARGARITA (Señalando a Jorge la lámpara
que sostiene en su mano) ¿Quiere que se la deje...?
JORGE No, a los fantasmas les asustan las luces.
Hasta mañana, mi querida anfitriona. Tenga la seguridad
que
tendrán noticias mías incluso si estoy en el otro mundo.
(Gaveston y Margarita salen por
el fondo
y él cierra las puertas)
Escena 6
(Jorge
solo)
(Total oscuridad. Durante el estribillo del aria
siguiente, Jorge va a reavivar el fuego
que se estaba extinguiendo y luego coloca
sus dos pistolas sobre la mesa)
JORGE
Ven, gentil señora,
te reclamo
que cumplas tu juramento.
Fiel a tus designios,
estoy aquí, mi bella dama.
¡Aparece, estoy esperando!
Este lugar solitario,
este dulce misterio,
tienen muchos encantos para mí.
Sí, siento que ante tu presencia
mi alma va a sentirse conmovida,
pero sin miedo.
Ven, gentil señora, etc.
Ya la noche sombría
difunde sus penumbras.
¡Cuánto te demoras!
En mi impaciencia,
el corazón palpita en mi pecho
lleno de esperanza y placer.
Ven, gentil señora, etc.
(Al final de la cavatina del aria se oye el sonido de un arpa, y aparece Ana)
Escena 7
(Jorge y Ana, que sale a través de un panel
de la derecha al girar sobre un pivote.
Va vestida de blanco y cubre su rostro con un velo)
JORGE
¡No, no es una ilusión, es ella misma!
Distingo entre las sombras su caminar ligero
y sus blancos vestidos.
ANA
(aparte)
¡Es él! ¿Se atreverá a seguirme?...
Si no lo hace por gratitud, al menos,
lo hará por miedo a la Dama Blanca.
JORGE
Se acerca.
ANA
¡Dikson, Dikson! ¿Eres tú?
JORGE
No, no soy él; pero vengo en su lugar.
ANA
¡Oh, cielos! ¿Y quién eres?
JORGE
Hábil hechicera,
¿cómo no sabes mi nombre?
ANA
¡Oh, cielos! ¿Conozco esa voz?
JORGE
¿Debo decirte que me llamo Jorge Brown?
ANA
¡Jorge en estos lugares!
¿No es un sueño?
(acercándose un paso hacia él)
¡Ah! si me atreviera...
(se detiene)
No, no debo, ni siquiera por él...
No debo olvidar mi juramento.
JORGE
(escuchando)
¡Ocultas tu rostro!...
ANA
Haces bien en no mentirme,
pues yo lo sé todo.
¿Crees que no conozco a Jorge Brown,
alférez al servicio de Inglaterra?
JORGE
¡No logro superar mi sorpresa!
ANA
En Hannover, en la batalla de Hastembek,
fuiste distinguido
pues
te hirieron junto a tu coronel.
JORGE
¡Oh, cielos!
ANA
Una mano desconocida te devolvió la vida
y
te prodigó sus cuidados...
JORGE
(avanzando)
¡Es demasiado!
¿Qué misterio es éste?
ANA
¡Detente o desapareceré ante tu vista
y nunca me verás de nuevo!
JORGE
Obedezco, pero ten compasión de mi angustia.
Esa deidad protectora que se encargó de mi vida,
¿dónde está?
Desde hace meses
la busco en vano.
Por todas partes me parece verla y oírla;
incluso en este momento,
no sé si es una ilusión,
pero creo reconocer su voz.
ANA
Tal vez la traiga para complacerte.
JORGE
Si tú eres ella, eso no lo sé;
pero quienquiera que seas,
dame la posibilidad de volver a verla.
ANA
Eso depende de ti.
JORGE
¿Qué debo hacer, dónde debo seguirte?
ANA
Sígueme...
(aparte)
¡Oh! Ahora no me atrevo a continuar,
y deberé cambiar mis planes.
(en voz alta)
Mañana recibirás mis órdenes,
y cualquiera que ellas sean...
JORGE
¡Juro que me someto a ti!
Hada, hechicera, o Dama Blanca,
soy tu fiel seguidor.
Para volver a ver a la persona que amo
y para que ella sea mía,
si es necesario, me entregaré a ti.
ANA
Tal vez no sea una mala decisión;
pero eso no es lo que te pido.
Escúchame.
Esta región pertenece de los condes de Avenel.
Un ávido administrador, de corazón duro y cruel,
quiere apoderarse de ella; pero mi poder propicio
protege a los huérfanos y confunde a la injusticia.
¡Habla! ¿Quieres mañana secundar mi plan?
JORGE
¡Defender a los desgraciados es mi primer deber!
Dúo
ANA
Siempre sumiso a mi poder,
¿prometes servirme?
JORGE
Prometo obediencia.
¿Qué peligro debo enfrentar?
ANA
De tus juramentos, de tu valor,
¡te atreves a darme una prueba?
JORGE
¡Habla!
ANA
¿Te atreves
a darme la mano?
JORGE
(girando la cabeza, pero
avanzando con decisión)
¡Aquí está!
Pero ¡esta mano es hermosa!
Para ser un espíritu ¡cuánta dulzura!
¿Es el amor o la magia
lo que hace latir así mi corazón?
ANA
Puede que la dulce magia del amor
también turbe el mío.
¡Huyamos, evitemos su extravío!
(Ana va a salir, pero Jorge cruza la
escena
y se pone ante ella)
JORGE
¡Detente!
ANA
(temblorosa)
¡Oh, cielos! Mi temor es enorme.
¿Qué quieres de mí?
JORGE
Hace un instante prometiste que ante mis ojos
aparecería aquella a quien amo.
¿Dónde la veré?
ANA
En estos lugares.
JORGE
¿Cómo?
ANA
Ella misma
vendrá mañana
por mi mandato supremo.
¡También a ella, cuando aparezca,
deberás de obedecer!
JORGE
Los haré al instante.
Pero ¿prometes que vendrá?
ANA
Sí, vendrá de parte mía.
JORGE
Creo en el juramento que haces,
pero todavía falta que me hagas una promesa.
ANA
¡Habla!
JORGE
¿Te atreverías a dame de nuevo la mano?
ANA
(temblando un poco)
¡Aquí está!
JORGE
¡Ah, esta mano es hermosa!
Para ser un espíritu ¡cuánta dulzura!
¿Es el amor o la magia
lo que hace latir así mi corazón?
ANA
Del amor,y de su magia,
temamos el encanto seductor.
¡Huyamos, evitemos semejante error!
(Ana pasa por detrás de él, sale por la puerta de la izquierda, y se oye sonar la misma arpa que a su llegada. Al final del dúo, llaman a la puerta del fondo y se escucha abrir la cerradura)
Escena 8
(Jorge y Gaveston)
JORGE
Ella se aleja; ha desaparecido.
GAVESTON
¡Mi joven oficial, está amaneciendo!
JORGE
¿Ya?...
GAVESTON
Veo que lo he despertado.
JORGE
¡Ay, sí, un hermoso sueño, si fue un...
GAVESTON
¡Y bien! ¿Cómo ha pasado la noche?
JORGE
Una noche maravillosa, aunque un poco agitada;
pues en honor a la verdad,
no he tenido tiempo para dormir.
GAVESTON
Entiendo, el recuerdo de la Dama Blanca
lo perseguía.
JORGE
¿Su recuerdo?... ¡Mucho más que eso!
GAVESTON
¿Qué quiere decir?
JORGE
Mí querido anfitrión, usted y muchos otros
probablemente van
burlarse a de mí,
y
yo
el primero,
pero le diré que a partir de hoy
me
proclamo como el caballero de la dama blanca.
GAVESTON
¿La ha visto?
JORGE
No, no la he visto... pero pasé una hora con ella,
en una encantadora conversación
de manera más que agradable.
Lo que demuestra que en el otro mundo
hay muy buena compañía.
GAVESTON
¡Ah! Pero...
¿Está usted seguro de estar en sus cabales
JORGE
Se lo pregunto a usted; porque
no me atrevo
a preguntármelo a mí mismo.
GAVESTON
Espero que usted no creerá
en la Dama Blanca,
¡eso es imposible!
JORGE
¡Usted tiene razón, es imposible!
Pienso como usted,
no creo en eso,
pero creo que estoy enamorado.
GAVESTON
¡Enamorado de la Dama Blanca!
JORGE
Es decir, de ella o de mi desconocida;
posiblemente de las dos,
no se decirlo exactamente.
Por otro lado debo advertirle
que
usted a ella no le cae nada bien,
lo considera un mal sujeto.
GAVESTON
¿A mí?
JORGE
Ella afirma, es ella la que lo dice,
que usted es un hombre ávido e
interesado;
que de la venta
que se llevará a cabo
esta mañana
es usted el comprador más
interesado.
Que
despojará a su antiguo señor.
GAVESTON
Es de suponer...
JORGE
Tenga la seguridad, dice ella,
que sus esperanzas serán defraudadas,
y que ella impedirá que el legado
de los Condes de Avenel caiga en sus manos.
GAVESTON
¡Ah! ¿La Dama Blanca le dijo eso?
JORGE
Son sus propias palabras, más o menos.
GAVESTON
¡Pues bien! La venta probará quien tiene mayor poder,
si ella o yo; porque en una hora,
esta rica propiedad me pertenecerá.
Mire, mire, ahí, en el patio del castillo,
está
Mr. Mac-Irton, el juez de paz
que debe presidir la venta y todos los vecinos
de la región que vienen a presenciar la misma.
JORGE
Eso no me concierne,
haga usted los preparativos necesarios.
Yo voy a dar un paseo por el parque
esperando las órdenes de mi señora invisible,
pues ella prometió enviármelas.
GAVESTON
¿En serio?
JORGE
Sí, por medio de un mensajero,
pues mi bella
desconocida tardará en hacerse ver.
GAVESTON
(aparte)
Lo supuse desde el primer momento,
decididamente
este hombre
ha perdido la cordura.
(en voz alta)
¿Por qué no se queda aquí?
Podrá comprobar
por sí
mismo
quien tiene razón
si la Dama Blanca o yo.
JORGE
Una subasta debe ser una cosa curiosa.
Nunca he estado en una venta pública.
GAVESTON
¿Nunca?
JORGE
No, y existen buenas razones.
GAVESTON
Siéntese usted en los primeros lugares.
Escena 9
(Jorge, Gaveston, Dikson, Margarita, Jenny;
coro de agricultores y vasallos)
CORO
Dejamos nuestro trabajo en el campo
y acudimos al castillo
para saber quienes son los nuevos señores
de la hermosa región de Avenel,
MARGARITA
¡Ay, qué dolor experimento!
Ha llegado el momento fatal.
JENNY
(viendo a Jorge)
¡Es usted, señor, lo vuelvo a encontrar!
Dígame ¿qué hay de ese misterio infernal?
DIKSON
¿Qué ha visto? ¡Hable por favor!
JORGE
Pronto lo sabrán, pero en honor a la verdad,
hice bien en ocupar su lugar
pues usted se habría muerto de miedo.
DIKSON
¡Ya ves, esposa mía, qué horror!
JENNY
Pero callémonos...
Aquí viene el señor Mac-Irton,
el juez de paz del cantón.
(Llegan Mac-Irton y los oficiales del juzgado, situándose en los asientos dispuestos en torno a una mesa en el
centro de la escena. Gaveston a la izquierda de pie, no muy alejado. A la derecha, en primer plano,
Jorge se sienta en una silla, Dikson está rodeado por todos los agricultores)
AGRICULTORES
(a Dikson)
Harás un buen papel...
OTROS AGRICULTORES.
¡Ya sabes cuáles son tus obligaciones!
DIKSON
No preocuparos, tengo vuestros poderes.
Sé muy bien hasta cuanto
me está permitido pujar.
McIRTON
¡Señores, comienza la reunión!
JORGE
¿Cómo terminará?
CORO
Con miedo y esperanza
siento que late mi corazón.
De la batalla que comienza
¿quién será el vencedor?
McIRTON
(se levanta y lee un documento)
En nombre del Rey, las leyes y la corte soberana.
Hacemos saber que vamos a proceder
a la venta en esta propiedad,
en subasta pública;
y al mejor y último postor.
MARGARITA
¡Ay, estoy temblando!
McIRTON
El precio se salida es de
¡veinte mil escudos!
DIKSON
¡Ofrezco veinticinco mil!
GAVESTON
¡Treinta mil!
DIKSON
¡Treinta y cinco mil!
GAVESTON
¡Cuarenta mil!
DIKSON
¡Cuarenta y cinco mil!
GAVESTON
¡Cincuenta mil!
DIKSON
¡Cincuenta y cinco mil!
GAVESTON
¡Sesenta mil!
Parecen desconcertados...
AGRICULTORES
(a Dikson)
¡Vamos, vamos,¡continúa! ¡Coraje!
DIKSON
¿Quieren ustedes arriesgar más?
¡Sesenta y cinco!
GAVESTON
¡Setenta mil!
DIKSON
¡Ochenta y cinco mil!
GAVESTON
¡Noventa mil!
No lo lograrán, yo lo haré.
Sí, yo voy a ser el propietario,
yo ganaré la subasta.
DIKSON
Estoy empezando a perder el aplomo.
ALDEANOS
¡Vamos, ofrece algo más!
DIKSON
¡Pues bien!
¡Noventa y cinco mil!
GAVESTON
¡Y yo, cien mil escudos!
ALDEANOS
¡Oh, cielos,
no podemos subir la oferta mucho más!
MARGARITA
Ya es un hecho, ¡estamos perdidos!
McIRTON
(pausadamente, a la asamblea)
¡Cien mil escudos! ¡Cien mil escudos!
JORGE
Tiemblo.
GAVESTON
(acercándose a él)
Y bien, mi joven amigo,
¿qué le parece?
A pesar de la Dama Blanca y su venerado
nombre, se lo dije: soy yo el que ganará.
JORGE
(aparte)
Tiene razón... me temo
que la Dama Blanca ha fallado.
MARGARITA, CORO
¡Ya no queda esperanza!
DIKSON, AGRICULTORES.
¡Ni coraje!
DIKSON
El asunto está por terminar.
GAVESTON
El castillo será mío.
JORGE
¡Diablos! Estoy furioso, muy furioso!
¿Quién otro podría hacer una oferta?
(Mientras tanto, Ana, que está
vestida con las mismas ropas
que en la segunda escena, sale
de su habitación por la derecha y
se sitúa silenciosamente detrás de
Jorge y le habla en voz baja)
ANA
¡Tú!
JORGE
(dándose vuelta y viéndola)
¡Qué veo! ¡Oh, qué gran sorpresa!
¡Es ella! ¡Es la mujer que amo!
ANA
(de igual modo que antes)
¡Silencio! Ya sabes quien me envía; obedece.
JORGE
Tú quieres que...
ANA
¡Lo prometiste!
McIRTON
(repitiendo)
¡Cien mil escudos! ¡Cien mil escudos!
JORGE
(situándose en medio de la escena)
¡Alto! Ofrezco mil libras más.
TODOS
¡Oh, cielos!
GAVESTON
¡Oh, cielos!
¿Qué significa este nuevo comprador?
¿Qué vino a hacer a este lugar?
¡Nada iguala a mi furia!
JORGE
(Para sí)
¡Sobre este singular misterio
no entiendo nada en verdad!
(mirando a Ana)
Veo allí a la persona que quiero
y eso es suficiente para mi corazón.
ANA
(en voz baja, a Jorge)
Debes obedecer y callar.
Lo prometiste por tu honor.
Esa es la manera de complacerme
y de merecer mi corazón.
MARGARITA, CORO
Pero, ¿qué significa este misterio
y este nuevo comprador?
Que la suerte le sea propicia,
ese es el deseo de nuestro corazón.
GAVESTON
(mirando a Jorge)
Sea como fuere,
voy a hacer que sea inútil su estratagema.
¡Mil quinientos francos más!
JORGE
¡Dos mil!
GAVESTON
¡Tres mil!
JORGE
¡Cuatro mil!
GAVESTON
¡Cinco mil!
JORGE
¡Seis mil!
GAVESTON
¡Siete mil!
JORGE
¡Ocho mil!
GAVESTON
¡Nueve mil!
JORGE
¡Diez mil!
GAVESTON
No puedo contener mi rabia.
¡Ofrezco veinticinco mil!
ANA
(por lo bajo, a Jorge)
¡Puja hasta el final, coraje!
JORGE
¡Treinta mil!
GAVESTON
¡Cuarenta mil!
ANA
(siempre en voz baja, a Jorge)
¡Continúa! ¡Continúa!
JORGE
¡Cincuenta mil!
GAVESTON
¡Sesenta mil!
ANA
(de igual modo, a Jorge)
¡Continúa!
JORGE
¡Ochenta mil!
GAVESTON
¡Noventa mil!
JORGE
¡Cuatrocientos mil francos!
ANA
(en voz baja, a Jorge)
Eso está bien, me siento contenta.
Vamos con todo; sí, con todo.
GAVESTON
¡Tiemblo de rabia!
Pues bien... ¡Cuatrocientos cincuenta mil!
JORGE
(dispuesto a seguir ofertando)
Pues si es necesario...
GAVESTON
(Yendo hacia él)
¡Deténgase! Déjeme que aclare a este joven
sobre los pormenores de una subasta.
Él ignora a que se compromete con su oferta.
(A McIrton)
¡Señor, léale la ley!
McIRTON
(Lee)
"El mismo día, a mediodía, el precio de esta
venta será pagado en efectivo en nuestras
manos, de otra manera, y de no proporcionar
la suficiente garantía, el comprador antes
mencionado será encerrado en prisión."
JORGE
¡En prisión!
ANA
(en voz baja, a Jorge)
No importa.
JORGE
(aparte)
Obedezco lo que me ordenas.
(en voz alta)
¡Ofrezco quinientos mil francos!
McIRTON
¿Nadie?
¿Nadie ofrece más?
MARGARITA
¡Qué alegría!
JORGE
(en voz baja a Gaveston)
Se convence ahora
que la Dama Blanca tiene razón.
GAVESTON
(enfadado)
Puede que sí... me rindo.
McIRTON
(a
Jorge)
Su nombre y su rango.
JORGE
Jorge
Brown, alférez,
con
doscientos francos de sueldo.
¿No me dirán que soy un alocado
por comprar un castillo con mis ahorros?
McIRTON
(en voz baja a Gaveston)
Ya lo ve usted, estoy obligado.
(en voz alta)
Dado que ha de ser así,
(señalando a Jorge)
¡Adjudicado!
DIKSON, MARGARITA, AGRICULTORES.
¡Ah, qué día tan venturoso!
Esta subasta nos hace felices,
porque vamos a tener, eso espero,
un valiente y digno señor .
JORGE
(a Ana)
¡Sobre este singular misterio
no entiendo nada, en honor a la verdad!
Pero veo a quien amo
y eso es suficiente para mi corazón.
McIRTON, GAVESTON
Pero ¿qué misterio es éste?
¡Qué tema mi furor!
Nada iguala la ira
que se apodera de mi corazón.
ANA
¡Dios poderoso, Dios tutelar,
que pueda yo, según lo manda mi corazón,
salvar los bienes y el honor
del señor a quien venero!
ACTO TERCERO
(La escena representa un rico apartamento gótico.
Una puerta en la parte trasera por encima de la
cual pasa una galería que abarca toda la parte
posterior del escenario. A la galería se sube por dos
escaleras laterales; bajo estas escaleras cuatro
pedestales, sólo tres de los cuales soportan
estatuas; a la izquierda de los espectadores,
en primer plano, una pequeña puerta secreta)
Escena 1
(Ana, sola; con la misma vestimenta que en
la segunda escena del
segundo acto)
ANA
(llega precipitadamente y durante el ritornello mirar con alegría y sorpresa
el aposento donde se encuentra)
¡Buen Dios, recibe mi agradecimiento!
No has permitido que esta hermosa heredad
caiga en manos indignas.
¡Oh, mis nobles benefactores
que habitáis en los cielos,
estos siguen siendo vuestros dominios!
Como en los dulces días de mi juventud,
dignaos guiar mis pasos.
¡Venid a terminar el trabajo,
venid, no me abandonéis!
Recuerdo la antigua dicha
de este noble lugar.
¡Con qué frecuencia, en esta tranquila habitación,
repetí el nombre de Julián!
¡Julián! ¡Julián!
El eco fiel
no lo ha olvidado.
Me recuerda
nuestros juegos,
nuestra amistad.
Como en los bellos días de mi juventud,... etc.
Escena 2
(Ana y Margarita)
ANA
¡Ah! Margarita, te estaba esperando...
MARGARITA
Por fin vengo al castillo, ahora que
el señor Mac-Irton ha levantado los sellos.
¡He aquí los ricos
aposentos
que tú
deseabas recorrer de nuevo!
Es aquí dónde os crié,
a ti
y a mi pobre
Julián,
hasta la edad de seis años.
Pero ¿tú crees que el señor Jorge
ha comprado el castillo
para
quedárselo en propiedad?
ANA
¡No, es para devolvérselo a su verdadero dueño!
¿Quién otro podía pujar en la subasta?
Yo no podía hacerlo, siendo menor de edad
y pupila de Gaveston;
Por
fortuna Jorge vino en nuestra ayuda.
MARGARITA
El caballero Jorge debe ser muy rico,
pues deberá pagar hoy mismo
y
antes del mediodía, quinientas mil libras,
o la venta será nula.
ANA
Te diré en confianza que no tiene dinero;
pero que él cuenta conmigo.
MARGARITA
¿Contigo?
ANA
Sí. Dime, Margarita,
tú que has
vivido siempre aquí tienes que recordar
¿en qué lugar
se encuentra
la estatua de la Dama Blanca?
Porque en todos los aposentos
que he revisado no la he podido encontrar.
Necesito que me ayudes.
MARGARITA
Fue colocada en la sala de recepción
de los caballeros.
ANA
¡Eh! ¡Pero si es esta!
MARGARITA
Entonces estaba allí, a la derecha.
(al ver el pedestal vacío)
¡Gran Dios! ¡La estatua ha desaparecido!
ANA
¡Oh, cielos! Qué será de nosotros,
se frustraron todos mis planes.
MARGARITA
¿Qué dices?
ANA
Que aquí, en este castillo, está la fortuna
de la familia Avenel. El precio de aquellas
enormes propiedades vendidas en Inglaterra,
se estima en dos o tres millones de libras.
MARGARITA
¡Gran Dios!
ANA
Ese es el secreto que me fue confiado
por la condesa de Avenel.
"Ana, me dijo en su carta,
si alguna vez Julián
vuelve a aparecer en Escocia,
indícale que
en el nuevo castillo de Avenel,
en el interior
de la estatua de
la Dama Blanca,
encontrará
la fortuna de sus padres."
MARGARITA
(con dolor)
¡Y la estatua desapareció!
ANA
Sí, ¿y cómo?
Porque nadie podía entrar en ese lugar.
Piensa, Margarita, ¿no tienes alguna idea,
algún recuerdo?
MARGARITA
Espera, recuerdo que la noche de la partida
del conde de Avenel...
ANA
¡Habla!
MARGARITA
Ya era tarde. Yo salí del castillo a través
de un pasadizo secreto, sólo conocido
por la gente de la casa,
cuando escuché pasos;
me escondí detrás de una columna
y a pesar de que la noche era oscura,
vi la estatua de la Dama Blanca
que poco a poco fue bajando las escaleras.
ANA
Creíste verla.
MARGARITA
No, yo la vi.
El guardabosques, al día siguiente,
cuando le conté esta aventura me dijo:
"Esto es exactamente así; ella dejó el castillo
porque los señores
de Avenel se van;
ella regresará sólo cuando ellos lo hagan."
ANA
O más bien, y ese es mi temor,
alguien que,
amparándose en la
oscuridad,
la
robaba
para apoderarse de los tesoros
que contenía
en su interior.
MARGARITA
No, señorita, no, la estatua se introdujo en la pared,
cerca del pasadizo secreto.
ANA
¿Qué pasadizo? ¿Puedes encontrarlo?
MARGARITA
¿Para qué?
Harás bien en esperar...
La estatua volverá sólo cuando Julián haya regresado.
ANA
No importa, ¿puedes reconoce el pasadizo?
MARGARITA
No lo recuerdo muy bien...
Creo que tenía un salida hacia esta habitación.
Pero de todos modos no voy a entrar en él.
ANA
¡Yo lo haré!
Guíame,
eso es todo lo que te pido.
MARGARITA
¡Pero, señorita, espere,
yo no puedo seguirla!
ANA
(la arrastra)
¡Alguien viene y no quiero
que nos descubran aquí!
(Salen por la puerta de la izquierda)
Escena 3
(Jorge; agricultores, campesinos,
y habitantes de la zona)
CORO
¡Viva por siempre nuestro nuevo señor!
¡Él es la felicidad de sus vasallos!
JORGE
(aparte, al entrar)
¡Adelante! Alegremente recibamos su homenaje,
soy el señor y así debe ser.
(a los campesinos)
Buena gente que adquirí con la propiedad,
mis buenos amigos, valéis mucho más que yo.
(mirando a su alrededor)
¡Dios! ¿Qué veo?
CORO
¿Pero qué sucede?
JORGE
Estos magníficos tapices,
estos
cuadros de caballeros, las armaduras...
No sé qué me sucede pero
estoy seguro de haberlos visto antes.
¿De dónde surge esta locura?
¿De dónde viene esta sensación?
Dama Blanca,
¿es tu magia la
que perturba mis sentidos?
CORO
Admira a estos lugares con arrobamiento.
¡Ha quedado deslumbrado
por los lujosos salones!
Desfile
(Unas muchachas vienen a entregar a Jorge
las llaves del castillo, y durante ese tiempo
el coro entona la siguiente canción)
CORO
Canta, trovador feliz,
una copla de amor y guerra.
Aquí viene la bandera
de los caballeros de Avenel.
JORGE
(emocionado)
¿Qué significan esas palabras?
CORO
Es la canción tradicional
de los súbditos de Avenel.
JORGE
¡Qué momento tan encantador!
¿Dónde he oído esta melodía
que me hace derramar lágrimas?
CORO
(retomando la canción)
Canta, trovador feliz, etc.
JORGE
(los detiene)
¡Esperad!... Creo que puedo continuar yo
Tra, la, la, la, la, la, la.
(equivocándose)
No, no es así.
(vuelve a empezar)
Tra, la, ta, la, la, la...
CORO.
Le gusta nuestra melodía.
Le resulta fácil entonar
nuestras
canciones.
JORGE
¿De dónde surge esta locura?
¿Dónde surge esta sensación?
Dama Blanca,
¿es tu magia la
que perturba mis sentidos?
(alegre)
¡Acudid todos!
Este castillo también os pertenece.
¡Disponed las mesas entre las viñas!
CORO
¡Disponed las mesas entre las viñas!
JORGE:
¡Que empiecen la danza y los juegos!
CORO
¡Que empiecen las danzas y los juegos!
JORGE
¡Que cada muchacha se case con su amado!
CORO DE CHICAS.
¡Que cada muchacha se case con su amado!
JORGE
(aparte)
Puede que dentro de un instante me despierte. ¡Seamos
felices!
TODOS
¡Viva por siempre nuestro nuevo señor!
¡Él será la dicha de todos sus vasallos!
(Todos se apartan con respeto viendo que Jorge queda ensimismado)
JORGE
(retomando la canción)
Tra la, la, la, la, la...
¿Dónde he oído esta melodía
que me hace derramar lágrimas? Tra la, la, la, la, la.
(completa la canción a media voz mientras que los agricultores se retiran
por la puerta del fondo)
Escena 4
JORGE
(solo)
¡Es increíble!
Veinte veces en mi imaginación
soñé con un castillo como este
y
una galería como ésta.
A fe mía que no seguiré pensando
o me volveré loco.
¡Qué buena gente!
Seré completamente dichoso
si logro hacerlos felices.
Hay sólo una cosa
que me avergüenza:
resulta terrible hablar como
un gran señor
y ser un humilde alférez.
Mas parece que la Dama Blanca
no me tiene en cuenta, porque después
de todo el tiempo que ella me ha protegido,
jamás se ha mostrado por aquí.
¡Eh! Pero si es el Señor Gaveston,
que viene con cara contrariada.
Escena V.
(Jorge, Gaveston)
JORGE
(Yendo hacia él)
Mi querido anfitrión,
¡sea bienvenido!
Soy feliz de poder
recibirlo en mi casa.
GAVESTON
Usted no se imagina el asunto que me trae.
Vengo, señor, a pedirle una explicación
sobre su extraño comportamiento.
JORGE
Mi querido amigo, pregunte usted sobre cualquier
cosa que quiera, pero no me pida explicaciones,
porque sobre eso...
GAVESTON
No puedo creer que un militar tenga que recurrir
al engaño para ocultar sus intenciones.
JORGE
¡Alto ahí!
Yo nunca he engañado a nadie.
Le confieso que estoy completamente perplejo,
como otros muchos,
de verme siendo
propietario
de un castillo.
Pero también le confieso que ayer por la tarde,
cuando llegué a su casa,
no tenía dinero,
le doy mi palabra.
He aquí la prueba.
(mostrando su bolsillo)
Aquí está.
GAVESTON
(excitado y con alegría)
¡Qué oigo! ¡Usted no tiene dinero!
¿Y entonces, cómo va a pagar?
JORGE
¡Eso no me concierne!
La Dama Blanca proveerá.
Parece que en esta ocasión
he sido
su hombre de confianza,
porque yo actué acorde a su mandato.
GAVESTON
¿Bromea?
JORGE
No, señor mío y veo que estamos
en extremos opuestos.
¡Yo creo todo, y usted no cree en nada!
Es de sabios adoptar el justo medio.
Estoy dispuesto ceder en mi opinión
y aceptar parte de la suya.
Creo que ambos creemos
que aquí hay algo extraño.
Aunque
para ser felices
no
hace falta comprender.
GAVESTON
Pero, señor, esta rica propiedad...
JORGE
Para serle franco, le diré
que
no me importa en absoluto
y espero
que
de un momento a otro,
un golpe de varita mágica
que haga desaparecer el castillo.
Lo que realmente me importa es ver
a la Dama Blanca
o
a mi bella desconocida, y es
con tal esperanza
que le pido
permiso para recorrer mis nuevos dominios.
GAVESTON
(lo detiene)
Una palabra aún.
¿Y si llegada la hora usted no puede pagar?
JORGE
El castillo está ahí, no me importa nada.
Lo pondré en reventa.
Aunque si me lo compran al costo,
no creo que me vaya a hacer rico.
GAVESTON
¿Y si usted no consigue
reunir el dinero?
El Señor Mac-Irton, el juez de
paz,
dijo que usted debería ir a la cárcel.
JORGE
¿A prisión? ¡Pues bien, muy bien!
Estoy seguro que la Dama Blanca me liberará.
Esa sería una manera
de poder volver a verla.
Pero, mire, mire, aquí está
el señor Mac-Irton
que parece querer hablar
con usted.
¡Adiós, me apresuro
a visitar a mi castillo!
(sube por las escaleras de la izquierda y
desaparece en la galería)
Escena 6
(Gaveston y Mac-Irton)
GAVESTON
No entiendo nada, él tiene una franqueza
y un aturdimiento que desconciertan
todos mis cálculos.
¿Es usted, señor Mac-Irton?
McIRTON
(misteriosamente)
Sí. ¿Está solo?
GAVESTON
Ciertamente.
McIRTON
Tengo que hablarle;
pero primero cerremos
todas las puertas.
(Va a cerrar la puerta de atrás, y Gaveston va
a mirar en la parte superior de la escalera
para constatar si Jorge se alejó. Mientras tanto
Ana entreabre el panel que se encuentra en
primer plano
a la izquierda)
Escena 7
(Los anteriores y Ana)
ANA
(aparte)
Aquí está el misterioso pasadizo
que conduce en esta sala; pero ¡Ay!
todavía no he encontrado nada.
(asoma la cabeza)
¿Qué veo? ¡Gaveston!
Escuchemos y no nos dejemos ver.
(cierra el panel y desaparece)
GAVESTON
(regresa al centro de la escena)
¡Y bien! ¿Qué tiene que decirme?
McIRTON
¡Noticias importantes!
Hay que apurarse
o todo estará perdido:
el hijo de su antiguo señor,
Julián, el conde de Avenel,
reapareció en Inglaterra.
GAVESTON
¿Quién se lo ha informado?
McIRTON
Una carta de Londres y títulos auténticos
que no podemos poner en duda.
Usted sabe que hace una docena de años Julián
de Avenel fue encomendado a un sirviente de su
padre, Duncan, un irlandés que usted conoce.
GAVESTON
Sí. ¿y después?
McIRTON
Le dio una suma considerable para conducir
al muchacho a Francia y para que todo
quedara en secreto; pero, lejos de seguir sus
instrucciones, Duncan se embarcó para América
y se apropió de todo el dinero.
GAVESTON
¿Y bien?
McIRTON
¿Y bien? Duncan, de regreso a Inglaterra,
firmó allí, hace dos semanas, en el hospital
donde murió, una declaración ante testigos
que afirma que Julián, conde de Avenel,
su antiguo pupilo, actualmente sirve
en un regimiento infantería.
GAVESTON
¡Y a quién le importa eso?
McIRTON
¿Cómo que qué importa?
¡Julián esta usando
el nombre de Jorge Brown!
GAVESTON
¡Oh, cielos!
McIRTON
¿Lo entiende ahora?
Es él, el que esta mañana superó la oferta,
¿Y adivina usted con qué propósito?
GAVESTON
No, usted se equivoca.
Aún hay solución pues
el muchacho ignora
su nombre y su nacimiento.
McIRTON
¿Él podría lograrlo?
GAVESTON
Pero no puede pagar. No tiene nada,
no tiene recursos, me lo confesó el mismo.
Y cuando yo sea el propietario del castillo
y del título de conde de Avenel,
poco me importará que
Jorge Brown
sea
reconocido como un descendiente
de la antigua familia.
Yo mismo se lo haré saber, si es necesario.
McIRTON
Tiene usted razón.
GAVESTON
¡Lo importante es darse prisa!
Disponga todo lo necesario.
(Salen)
Escena 8
(Ana, entreabre el panel de la izquierda,
y aparece en el escenario)
ANA
¡Ay! ¿Ese es mi destino
y acabo de conocerlo?
¡Aquél a quien oso amar ¡es Julián de Avenel!
Su rango y su dinero, que yo le devolveré,
ponen entre nosotros un obstáculo eterno.
Dios omnipotente que conoces mi amor,
haz que él nunca pueda recuperar sus riquezas,
que siga siendo un desconocido.
Su pobreza, al menos, me acercará a él.
Escena 9
(Ana y Margarita)
Dúo
MARGARITA
¡Señorita, señorita,
traigo buenas noticias!
ANA
¿Cuáles son?
MARGARITA
¡Qué dicha para nosotros!
Julián, Julián va a regresar.
ANA
¡Oh, cielos! ¿Quién te lo dijo?
MARGARITA
Nadie.
Sin embargo, las noticias son buenas,
ese augurio no puede mentir.
Con mis ojos vi la estatua.
¡La Dama Blanca ha vuelto!
ANA
¡Gran Dios! ¡Que desgracia la mía!
¿La viste?
MARGARITA
¡Ah, estoy segura!
La vi en la capilla subterránea
donde fui a rezar por Julián.
ANA
(aparte)
Cuando en ese respetable recinto,
en la noche de su partida, vi al conde,
tenía el mismo aspecto...
¡Todo ha terminado para mí!
MARGARITA
¡Para nosotros, señorita,
qué buena noticia!
¡Voy a morir de placer
al volver a ver a Julián!
ANA
¡Oh, cruel sufrimiento!
¡Oh, dolor eterno!
Sí, aunque me duela,
debemos irnos.
MARGARITA
Y entonces, a pesar que Julián ha vuelto,
¿vas
a casarte con el oficial joven y guapo,
el señor Jorge a quien amas?
¿Pero qué tienes?
¡Respóndeme!
¿Estás pálida? Sí, pálida.
ANA
¡Ya mismo, Margarita,
prepara todo
para marcharnos!
MARGARITA
¿Qué dices
ANA
Es necesitamos que las dos,
ahora mismo, en secreto,
nos marchemos de este lugar.
MARGARITA
¿Qué estás pensando? ¿Qué sucede?
¡Grandes dioses!
ANA
¡Cállate, es por Julián!
MARGARITA
¿De verdad?
¿Por Julián? ¡Ah, corro ya mismo!
¡Para nosotros, señorita,
qué buena noticia!
¡Voy a morir de placer
al volver a ver a Julián!
ANA
¡Oh, cruel sufrimiento! ¡Oh, dolor eterno!
Sí, aunque me duela,
es necesario marcharse.
(Margarita sale)
Escena 10
ANA
(a solas)
¡Sí, redoblemos el misterio que me esconde
ante sus ojos!
Que sea rico, que sea feliz,
pero que no pueda sospechar cual es
la mano que le devuelve su heredad.
Que jamás conozca a la pobre muchacha
que lo ama y que le sacrifica su felicidad.
Queridos señores, antiguos benefactores, ahora estamos en paz,
les he pagado mi deuda.
Escena 11
(Ana y Jenny)
JENNY
¡Ah! ¡Dios mío! ¡Dios mío!
¿Qué significa eso?
ANA
¿Qué sucede?
JENNY
¡El señor Mac-Irton y los oficiales de
justicia, vestidos de negro, llegan al castillo!
ANA
¡Santo cielo! ¡No hay tiempo que perder, corro a la capilla!
(se va por la derecha)
JENNY
Se marcha sin responderme...
¿Es eso educado? Pero ¿dónde está
nuestro nuevo señor? Hace que no lo veo...
¿Se le habrá subido la nobleza a la cabeza?
Escena 12
(Jenny y Jorge, que aparece por
la izquierda
al fondo, sobre la galería)
JORGE
¡Por mi honor, es imposibles encontrarla!
Estoy a la espera
de una aparición que no acaba de suceder.
(baja por la escalera izquierda)
Cada mujer que veo me hace pensar que es
ella. ¡Pero bueno!... Ahí hay otra.
(Corre hacia Jenny a la que ve sólo desde atrás)
JENNY
Y bien, señor,
¿qué está usted haciendo?
JORGE
No, esta es la gentil granjera.
JENNY
(aparte)
¡Gentil granjera!
Me confunde... sigue siendo el mismo.
JORGE
(mirándola)
O tal vez, pues ya desconfío de todo,
¿es una forma nueva que ella ha tomado?
Porque nunca se presenta sino bajo
la apariencia de una mujer hermosa.
En cualquier caso, no importa, voy a comprobarlo.
JENNY
¿Qué le sucede conmigo,
por qué me mira de esa manera?
JORGE
(mirándola con ternura)
Solamente una palabra; ¿Está
segura de ser la señora de Dikson?
JENNY
¡Vaya una pregunta!
JORGE
¿Dudas, no es verdad?
Escena 13
(Los anteriores y Dikson)
DIKSON,
(quien ha oído las últimas palabras)
Si señor, es verdad, es mi mujer.
Y no está bien que venga a plantear dudas
sobre este tema, después de todo el perjuicio
que usted me ha causado.
JENNY
¿Perjuicio? ¿Qué perjuicio le he causado?
DIKSON
Todos afirman que aquella noche
la Dama Blanca se le apareció,
y que ella le otorgó el castillo y varios millones.
Ahora todo eso sería mío si aquella noche
yo no le hubiese cedido mi lugar.
JENNY
Te lo tengo dicho,
¡eso te sucede por ser un cobarde!
DIKSON
Al contrario, fuiste tú, la que me impidió que fuera,
JENNY
¿Y por qué tenías que escucharme?
El deber de una mujer es tener miedo;
pero el de un hombre, es muy diferente.
DIKSON
Nuestros deberes son los mismos.
JORGE
(Interponiéndose entre ellos)
¡Calma, calma, amigos, no discutan más!
Yo no quiero el castillo;
y si los hace sentir bien, se lo cedo.
DIKSON,
(con placer)
¡Sería posible!
JORGE
¡Oh! Dios mío, sí...
(señalando a todos los personajes que entran)
Ya puede, delante de estos señores,
declararse el propietario.
Escena 14
(Los precedentes; Gaveston, Mac-Irton,
Margarita; agricultores, aldeanos,
oficiales de justicia)
Final
McIRTON,
OFICIALES DE JUSTICIA
(a Jorge)
Es mediodía, ¿el dinero está listo?
Tiene que pagar o presentar una caución.
En nombre del rey, señor, lo arresto:
o paga o irá a la cárcel.
JORGE
(alegremente)
Eso le corresponde a Dikson.
DIKSON
¿Quién? ¿A mí? ¡Oh, de ninguna manera!
JORGE
(igualmente)
¿Usted no quiere tomar mi lugar?
DIKSON
¡Desde luego que no! Retome, por favor,
el castillo que me ha cedido.
JORGE
Está bien.
(a MacIrton)
Pero ¡a qué tanta impaciencia!
Aún no es la hora.
(a Gaveston)
Usted sabe que tengo esperanzas.
GAVESTON
¿Y en qué se basa su esperanza?
JORGE
En la Dama Blanca de Avenel.
(se oye el sonido de un arpa)
¡Ahí está!... ¿Oye?
GAVESTON, CORO
¡Oh, cielos!
(Se sitúan en un semicírculo mirando a la parte
posterior de la escena. Ana, vestida de blanco y sosteniendo
un cofre bajo
su velo, aparece a la derecha atravesando lentamente la galería. Gaveston, Julián y el coro, que están
de espaldas a ella, no la perciben todavía)
JORGE
¡Oh tú, a quien venero!,
¡Oh, mi único amor!
Deidad tutelar,
¡ven en mi auxilio!
McIRTON, GAVESTON, CORO
¿Cuál es este misterio?
¿Quién protege su vida?
¿Qué poder tutelar
le presta ayuda?
(Ana cruza la galería, desciende la
escalera de la izquierda, y se ubica
en el pedestal de la Dama Blanca en
la parte inferior de dicha escalera.
Todos se dan vuelta y la descubren)
MARGARITA, ALDEANOS
(se prosternan)
¡Es ella!
ANA
(desde lo alto del pedestal)
En este castillo esta el hijo de vuestro señor,
y ese noble guerrero, digno de sus antepasados,
es el último vástago de los condes de Avenel.
JORGE
¿Quién es él?
ANA
¡Tú mismo!
JULIEN
¡Oh, cielos!
ANA
Julián, recibe el homenaje de
tus vasallos.
Este castillo te pertenece,
(Señalando el cofre oculto bajo el velo)
Y este oro es tuyo.
Tu padre, en otra ocasión me lo confió
para que recuperaras su heredad.
(desciende lentamente los escalones, y pone el cofre sobre el pedestal, luego se dirige al medio del escenario, pero a
cierta distancia de Julián)
¡Me muestro ante tus ojos por última vez!
MARGARITA
(Yendo a la derecha de Jorge y
estrechándolo entre sus brazos)
Mi querido Julián, te vuelvo a ver.
ANA
Me marcho, y que ningún temerario me detenga
o se atreva a seguir mis pasos.
(Todos le abren paso y la reverencian in atreverse a mirarla.
Jorge, abrazado
por Margarita, quiere liberarse y seguir a
Ana. Dikson, que está a su izquierda,
lo retiene por la fuerza. Gaveston que ha regresado a la escena, va hacia el fondo
y aferra a Ana de la mano)
GAVESTON
¡Aunque se abra la tierra bajo mis pies!
(la arrastra hasta el frente del escenario)
¡Quien quiera que seas, no te marcharás!
CORO
¡Tiembla! ¡Tiembla!
¡Teme su ira!
GAVESTON
¡No! Voy a descubrir este funesto misterio
y al enemigo secreto que me persigue.
(le arranca el velo)
MARGARITA, GAVESTON, CORO
¿Qué veo? ¡Ana!
ANA
(Lanzándose a las rodillas Julián)
¡La misma!
JULIÁN
(Con alegría y tratando de levantarla)
¡Al fin encuentro a mi amada,
a a que di mi palabra!
ANA
Huérfana y sin riquezas, no puedo ser tuya.
JULIÁN
El cielo ha escuchado mi súplica,
renuncio a los tesoros y al rango,
si he de compartirlos con otra que no seas tú.
CORO
¡Ella es digna de ser condesa
debe aceptar su mano!
ANA
(tendiendo su mano a Julián)
¿Quieres?
JULIÁN
¡Ah, qué éxtasis!
MARGARITA
¡Qué alegría! Finalmente encontré
al querido niño que vi nacer.
JENNY
Reencontramos un buen señor.
DIKSON
Y mi hijo un buen padrino.
CORO
Canta, trovador feliz,
coros de amor y de guerra.
Ya ondea de nuevo la bandera
de los señores de Avenel.
Digitalizado y traducido por:
José Luis Roviaro
2019
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